Cour Nationale de l'Incapacité et de la Tarification de l'Assurance des Accidents du Travail

Ordonnance du 13 avril 2011

13/04/2011

Renvoi

Ordonnance de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité

Mme [C D], qui a exercé en qualité de médecin libéral de juin 1976 à 2008, a sollicité une retraite anticipée pour inaptitude à toute activité professionnelle auprès de la Caisse Autonome de Retraite des Médecins de France (CARMF).

Par décision du 23 janvier 2009, la CARMF a considéré que Mme [D] ne pouvait justifier d’une incapacité totale, définitive et absolue à l’exercice d’une activité professionnelle :

Par jugement en date du 17 mars 2010, le tribunal du contentieux de l’incapacité d’'AMIENS a confirmé la décision de la CARMF et rejeté la demande de Mme [D] de se voir attribuer la retraite anticipée pour inaptitude ;

Par déclaration enregistrée le 20 avril 2010, Mme [D] a interjeté appel de ce jugement.

Par mémoire déposé le 19 octobre 2010, le conseil de Mme [D] soulève l’inconstitutionnalité des dispositions de l’article L 643-5 du code de la sécurité sociale qui dispose :

« L'inaptitude au travail s'apprécie en déterminant si, à la date de la demande ou à une date postérieure, le requérant, compte tenu de son âge, de son état de santé, de ses capacités physiques et mentales, de ses aptitudes ou de sa formation professionnelle, n'est plus en mesure d'exercer ou de participer en qualité de conjoint collaborateur à une activité professionnelle. »

Mme [D] considère que ces dispositions contreviennent au principe d’égalité visé aux articles 1er et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et à l’article 1 de la constitution du 4 octobre 1958. dans la mesure où ces dispositions créeraient un régime de retraite pour inaptitude plus défavorable pour les professions libérales que pour les salariés, les artisans et commerçants, cette inégalité tenant à l’absence de critère d'évaluation de l’inaptitude ;

Mme [D] soulève également le non respect du principe de solidarité affirmé par l’article 1 de la constitution du 27 octobre 1946 et l’article 11 du préambule de la constitution du 4 octobre 1958 qui garantirait à tout travailleur assuré une protection de a santé fondée sur la solidarité nationale sans discrimination. Elle soutient que les dispositions de l’article L 643-5 du code de la sécurité sociale retiennent une appréciation restrictive de l’inaptitude pour les assurés des professions libérales, la retraite anticipée ne leur étant ouverte que dans l’hypothèse d’une incapacité définitive, totale et absolue à toute activité professionnelle.

Le mémoire de Mme [D] a été transmis a Monsieur le Procureur Général près la Cour d’Appel d’'AMIENS le 16 février 2011 et à la CARMF le 3 février 2011 puis les mémoires et pièces de la procédure ont été adressés au ministère public et aux parties conformément aux dispositions de l’article R 143-27 du code de la sécurité sociale.

Par courrier du 22 mars 2011 le ministère public et les parties ont été convoqués à l’audience du 12 avril 2011. Le ministère public et les parties ont signé l’accusé réception le 24 mars 2011.

Le ministère public observe que la question soulevée n’est pas la conformité à la constitution de l’article L 643-5 du code de la sécurité sociale mais davantage celle de l'interprétation jurisprudentielle de ces dispositions ; toutefois, prenant en compte la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, et rappelant que la question posée n’apparaît pas dépourvue de caractère sérieux il précise qu’il n’est pas opposé à la transmission de celle-ci.

La CARMF rappelle que le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que deux situations soient traitées différemment pourvu que la différence de traitement soit justifiée par l’objectif d'intérêt général poursuivi, ce qui est Le cas en l’espèce, les salariés, commerçants et artisans d’une part, et les professionnels exerçant à titre libéral d’autre part, ne pouvant être considérés se trouver dans une situation semblable.

La CARMF considère par ailleurs que l’article L 643-5 du code de la sécurité sociale ne contrevient pas au principe de solidarité, alors que le régime d’assurance vieillesse des professions libérales est un régime légal et obligatoire de sécurité sociale qui fonctionne sur le principe de répartition et obéit donc par sa nature au principe de solidarité tant au plan intergénérationnel qu’au plan interprofessionnel .

MOTIFS

Les dispositions de l’article L 643-5 du code de la sécurité sociale fixent les conditions dans lesquelles sont accordés l’ouverture et la liquidation des droits à l’assurance vieillesse des professions libérales pour les assurés reconnus inaptes. C’est cette reconnaissance et cette prestation que revendique Mme [D], et la contestation de la conformité de cette disposition à la Constitution est naturellement un élément fondamental du litige qui l’oppose à la CARMF.

La conformité de l’article L 643-5 du code de la sécurité sociale à la Constitution n’a jamais fait l’objet d’une déclaration de conformité par le Conseil Constitutionnel.

Pour invoquer l’inégalité entre le régime de retraite pour inaptitude des salariés, des artisans et commerçants, et le régime des professions libérales dont elle dépend, [F D] soutient que la seule comparaison des textes réglementant ces régimés démontre que les dispositions de l’article L 643-5 du code de la sécurité sociale « créent un régime de retraite pour inaptitude plus défavorable pour les professions libérales ». Elle rappelle qu’en l'absence de critère objectif d’appréciation de cette inaptitude pour ces professions, la jurisprudence a considéré que seule une incapacité totale et définitive ouvrait droit à la retraite pour inaptitude.

Alors que les dispositions du code de la sécurité sociale relatives au régime général applicable aux salariés, artisans et commerçants prévoient que le droit à retraite pour inaptitude est ouvert lorsque leur incapacité de travail à l’exercice d’une activité professionnelle atteint 50%, l’article L 643-5 du code de la sécurité sociale dispose :

« L'inaptitude au travail s'apprécie en déterminant si, à la date de la demande ou à une date postérieure, le requérant, compte tenu de son âge, de son état de santé, de ses capacités physiques et mentales, de ses aptitudes ou de sa formation professionnelle, n'est plus en mesure d'exercer ou de participer en qualité de conjoint collaborateur à une activité professionnelle. ».

Attendu que s’il est établi que c’est une interprétation jurisprudentielle qui conduit les organismes sociaux et les juridictions à considérer que, dans le cadre de l’application de l’article L 643-5, seule une incapacité totale, définitive et absolue à exercer toute activité professionnelle permet de bénéficier de la retraite pour inaptitude, il doit être cependant admis que l’absence de critère objectif évaluable de cette incapacité en ce qui concerne les professions libérales ouvre la possibilité de créer deux situations différentes et effectivement inégales d’accès à la retraite pour inaptitude entre les salariés, commerçants et artisans d’une part, et les professionnels exerçant à titre libéral d’autre part. La CARMF ne conteste d’ailleurs pas cette inégalité qu’elle qualifie de disparité de traitement et la justifie par l’existence de situations elles mêmes différentes.

Il semble toutefois que, cette inégalité établie, la question de la légitimité de son fondement n’est pas une question dépourvue de caractère sérieux et justifie, sans que soit examiné le fondement tiré d’une violation d’un principe de solidarité, que celle-ci soit transmise conformément aux dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958.

Conformément aux dispositions de l’alinéa 1 de l’article 23-3 de l’ordonnance n° 58- 1067 du 7 novembre 1958 il sera sursis à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de Cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil Constitutionnel.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité exposée dans les conclusions annexées à la présente décision.

Dit qu’il sera sursis à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de Cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil Constitutionnel.

Fait à Amiens, le 13 avril 2011

Le Secrétaire

Sébastien OPTEL

La présente ordonnance n'est susceptible d'aucun recours et les parties qui entendent présenter des observations devant la Cour de Cassation doivent de se conformer aux dispositions de l'article 126-9 du code de procédure civile, lequel dispose que « Les parties disposent d'un délai d'un mois à compter de la décision de transmission pour faire connaître leurs éventuelles observations. Celles-ci sont signée par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation, dans les matières où la représentation est obligatoire devant la Cour de Cassation ». L'alinéa 1° de l'article 126-1] du même code indique que « Le premier président ou son délégué, à la demande de l'une des parties ou d'office, peut, en cas d'urgence, réduire le délai prévu par les articles 126-9 et 126-10 ».

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Ministère du travail, de l'emploi et de la santé

Ministère du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État

Ministère de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire

Ministère des solidarités et de la cohésion sociale

Cour Nationale de l'Incapacité et de la Tarification de l'Assurance des Accidents du Travail

LR/AR

Section : Inaptitude

Amiens, le 13 avril 2011

Monsieur le Premier Président

Cour de Cassation

5 Quai de l'Horloge

75001 PARIS

Références à rappeler : 1001899/SOP/INAPT

NNI : 2 45 12 80 509 006 46

Affaire : [C E] Ep. [D] c/ CARMF

Objet : Transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité

Monsieur le Premier Président,

J'ai l'honneur de vous transmettre une ordonnance de transmission de question prioritaire de constitutionnalité rendue par Monsieur le Président FOURDRIGNIER en date du 13 avril 2011, ainsi que les mémoires des parties à l'instance et l'avis de Monsieur le Procureur Général.

Veuillez agréer, Monsieur le Premier Président, l'expression de ma considération distinguée.

Pour le Secrétaire Général,

Sébastien OPTEL

C.S. 52617 - 80026 Amiens Cedex 1

Téléphone : 03.22.71.21.00 - Télécopie : 03.22.91.32.88

Accueil les jours d'audience du mardi au jeudi de 9h00 à 12h00 et de 13h00 à 16h00