Cour d'Appel de Nîmes

Arrêt du 12 mars 2008, RG : 08/01923 (10/5239)

12/04/2011

Renvoi

ARRÊT N°273

R.G. : 08/01923 (10/5239)

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE NIMES

12 mars 2008

[B] [B]

C/

VILLE DE NIMES

COUR D'APPEL DE NÎMES

CHAMBRE CIVILE 1ère Chambre B

ARRÊT DU 12 AVRIL 2011

TRANSMISSION DE LA QUESTIOIN PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

DEMANDEURS A LA QUESTION PRIORITAIRE :

Madame [C B] née le [DateNaissance 1] 1926 à [LOCALITE 2] ([...]) [adresse 3]

[LOCALITE 4]

représentée par la SCP CURAT JARRICOT, avoués à la Cour assistée de la SELARL DURAND), avocats au barreau de NIMES

Monsieur [D B]

né le [DateNaissance 5] 1956 à [LOCALITE 6]

[LOCALITE 7]

représenté par la SCP CURAT JARRICOT, avoués à la Cour assisté de la SELARL DURAND), avocats au barreau de NIMES

DEFENDERESSE :

VILLE DE NÎMES représentée par son Maire en exercice

Hôtel de Ville

30000 NIMES

représentée par la SCP POMIES-RICHAUD VAJOU, avoués à la Cour assistée de Me Jean-Luc MAILLOT, avocat au barreau de MONTPELLIER

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRE :

M. Gérard DELTEL, Président,

Mme Isabelle THERY, Conseiller,

Mme Nicole BERTHET, Conseiller,

GREFFTIER :

Mme Sylvie BERTHIOT, Greffier, lors des débats et du prononcé de la décision.

MINISTÈRE PUBLIC :

Auquel l'affaire a été régulièrement communiquée.

DÉBATS :

à l’audience publique du 15 Février 2011, où l'affaire a été mise en délibéré au 12 Avril 2011.

Les parties ont été avisées que l’arrêt sera prononcé par sa mise à disposition au greffe de la cour d’appel.

ARRÊT :

Arrêt contradictoire, prononcé et signé par M. Gérard DELTEL, Président, publiquement, le 12 Avril 2011, date indiquée à l’issue des débats, par mise à disposition au greffe de la Cour.

*******

FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par acte notarié du 28 juin 1974 Monsieur et Madame [A B] ont acquis une parcelle de terrain lieudit [adresse 8] cadastrée [Cadastre 9] sur la Commune de [LOCALITE 10].

Les époux [B] ont déposé une demande de permis de construire auprès des services d’urbanisme de la Commune de [LOCALITE 11].

Le permis de construire leur a été délivré mais comportait une clause de cession gratuite du terrain :

“Le terrain nécessaire à l'élargissement de l'[adresse 12] soit une superficie de 106 M2 sera cédé à la commune soit 10% de la superficie de la propriété à titre gratuit, le complément à titre onéreux”.

Par procès verbal d’arpentage, la parcelle [Cadastre 13] a été divisée en [Cadastre 14] et [Cadastre 15].

Par acte de cession, en date du 30 mars 1977, les époux [B] ont cédé la parcelle [Cadastre 16] à la Commune de [LOCALITE 17].

Cet acte exposait au préalable :

"Par délibération du 27 juin 1975 visé par Monsieur le Préfet du département du Gard le 7 juillet 1975 le conseil municipal de [LOCALITE 18] a décidé notamment l'élargissement de l'[adresse 19] aux droits de la propriété de Monsieur et Madame [B]".

Il était précisé dans l’acte de cession en la forme administrative que Monsieur et Madame [B] garderaient la jouissance du terrain jusqu’à ce que la mairie décide de procéder à l’élargissement de la voie.

Par une délibération du conseil municipal du 19 juillet 1999, la ville de [LOCALITE 20] a décidé de déclasser la fin de l'[adresse 21] pour une emprise de 100 M2 comprise entre les parcelles cadastrées [Cadastre 22] et [Cadastre 23] et de céder cette portion de l’[adresse 24] au profit des consorts [F], voisin de la propriété [B].

Sur le fondement de l’illégalité de la clause de cession gratuite incluse dans le permis de construire, Madame [C B] et Monsieur [D B] venant aux droits de Monsieur [A B], son père décédé, ont présenté requête le [...] 2002 au Tribunal Administratif de Montpellier afin que soit constatée l’illégalité de la clause de cession gratuite et soient prononcées la nullité de la vente à la ville de [LOCALITE 25] par les époux [B] le 30 mars 1977 et la rétrocession du terrain.

Le 5 septembre 2006, le Tribunal Administratif de Montpellier s’est déclaré incompétent et a rejeté la requête de Madame [B] et de Monsieur [D B].

Le 20 mars 2007 les consorts [B] ont assigné la VILLE DE NÎMES devant le Tribunal de Grande Instance de NÎMES afin que soit ordonnée l’annulation de la clause de cession gratuite incluse dans le permis de construire délivré par la Commune de NIMES le 17 juin 1974 et de l’acte administratif passé le 30 mars 1977.

Par un jugement du 12 mars 2008 le Tribunal de Grande Instance de NIMES a rejeté les demandes des consorts [B].

Ceux-ci ont relevé appel de ce jugement.

Le 12 octobre 2010 ils ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité, en formulant les demandes suivantes dans le dispositif de leurs conclusions :

“— Prendre acte de la question prioritaire de constitutionnalité portant sur les. dispositions de la loi n°67-1253 du 30 décembre 1967 et du décret n°68-837 du 24 septembre 1968 pour violation des articles 2 et 17 de la déclaration des droits de l’homme de 1789,

— Constater que la question ainsi soulevée est applicable au litige dont est saisie la Cour et préciser que l’inconstitutionnalité de la loi n° 67-1253 du 30 décembre 1967 et du décret n° 68-837 du 24 septembre 1968 et autres dispositions applicables, qui sera constatée, entraînera la nullité de la cession gratuite imposée aux consorts [B] et larestitution de la parcelle indûment cédée (article 62 de la constitution),

— Constater que la question ainsi soulevée porte sur une disposition qui n’a pas déjà été déclarée conforme à la constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du conseil constitutionnel dans des circonstances identiques,

— Constater que la question ainsi soulevée présente un caractère sérieux,

— Transmettre à la Cour de Cassation dans les délais et conditions requises la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soulevée afin que celle-ci se prononçant le cas échéant sur la nouveauté de question ainsi posée la transmette au conseil constitutionnel pour qu’il relève l’inconstitutionnalité de la disposition contestée prononce son abrogation et fasse procéder à à la publication qui en résultera.”

La VILLE DE NÎMES et le Ministère Public concluent à la non transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les consorts [B].

MOTIFS ET DÉCISION

ATTENDU que même si les consorts [B] visent dans le dispositif de leurs conclusions la loi n°67-1253 du 30 décembre 1967 d’orientation foncière sans autre précision, ils se réfèrent cependant dans les motifs de leurs écritures à l’article 72-I-1° de cette loi ;

Que l’article 72 de la loi du 30 décembre 1967 a prévu qu’un décret préciserait les conditions dans lesquelles les cessions gratuites de terrains destinés à être affectés à certains usages collectifs pourront être obtenues . des constructeurs ;

Que le décret n°68-837 du 24 septembre 1968 fixant les conditions dans lesquelles des cessions gratuites de terrains peuvent être exigées des constructeurs et lotisseurs dispose en son article 1° :

“L'autorité qui délivre le permis de construire ou l'autorisation de lotissement ne peut exiger la cession gratuite de terrains qu'en vue de l'élargissement, du redressement ou de la création des voies publiques, et à la condition que les surfaces cédées ne représentent pas plus de 10 p. 100 de la surface du terrain sur lequel doit être édifiée la construction projetée ou faisant l'objet de l'autorisation de lotissement.

Toutefois, cette possibilité de cession gratuite est exclue lorsque le permis de construire concerne un bâtiment agricole autre qu'un bâtiment d'habitation.

Si un coefficient d'occupation du sol a été fixé, la superficie des terrains ainsi cédés gratuitement est prise en compte pour le calcul des possibilités de construction. Cette disposition ne fait pas obstacle à l'application de l'ensemble des autres règles et servitudes d'urbanisme.”

ATTENDU que le décret n°68-837 du 24 septembre 1968 ne peut donner lieu à une question prioritaire de constitutionnalité ;

ATTENDU que les consorts [B] exposent que l’article 72 de la loi du 30 décembre 1967 et le décret du 24 septembre 1968 instituent une privation de propriété en méconnaissance du droit de propriété garanti par les dispositions de l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 aux termes duquel "La propriété étant un droit inviolable et sacré nul ne peut en être privé si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité”;

ATTENDU également qu’aux termes de l’article 34 de la Constitution “La loi détermine les principes fondamentaux... de la libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences et de leurs ressources...du régime de la propriété...";

ATTENDU que la disposition contestée est applicable au litige dont la Cour est saisie, le permis de construire délivré le 17 juin 1974 par le Maire de NÎMES faisant expressément référence à la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967 et au décret du 24 septembre 1968 ;

Que cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la constitution ;

Que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ;

ATTENDU qu’il y a donc lieu de transmettre à la Cour de Cassation la question suivante :

L'article 72-I-1° de la loi n°67-1253 du 30 décembre 1967 d’orientation foncière porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et par l’article 34 de la constitution du 4 octobre 1958 ? ;

ATTENDU qu’en application des dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu’une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à la réception de la décision de la Cour de Cassation ou, s’il a été saisi, du Conseil Constitutionnel ;

Qu’aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni. que des points du litige soient immédiatement tranchés :

Qu'il sera donc sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties, et que les dépens seront réservés ;

PAR CES MOTIFS,

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi,

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, insusceptible de recours indépendamment de l’arrêt sur le fond,

Ordonne la transmission à la Cour de Cassation de la question suivante :

L’article 72-1-1° de la loi n°67-1253 du 30 décembre 1967 d’orientation foncière porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 17 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, et par l’article 34 de la constitution du 4 octobre 1958 ? ;

Dit que le présent arrêt sera adressé à à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les conclusions des parties relatives à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Dit que les parties et le Ministère Public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

Sursoit à statuer sur les demandes des parties,

Dit que l’affaire au fond sera rappelée à l’audience du 10 janvier 2012 à 8 heures 30 si la question prioritaire de constitutionnalité est transmise au Conseil constitutionnel, ou à l’audience du 18 octobre 2011 à 8 heures 30 dans le cas contraire,

Réserve les dépens.

Arrêt signé par Monsieur DELTEL, Président et par Madame BERTHIOT, Greffier.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,