Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 6 avril 2011, RG N° 11/03502

06/04/2011

Renvoi

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

Pole 2 - Chambre 3

ARRÊT DU 06 AVRIL 2011

(n° 11/146, 6 pages)

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

RG n° 11/03502 (QPC)

RG n° 08/23170 (Dossier au Fond)

Demandeur à la question prioritaire de constitutionnalité :

Monsieur [H I]

demeurant [adresse 1] [LOCALITE 2]

représenté par Me Luc COÛUTURIER, avoué près la Cour d’Appel de PARIS

assisté de Me Aymeric BEAUCHENE, avocat au barreau du VAL DE MARNE

Défendeurs à la question prioritaire de constitutionnalité :

Maître [X Y] és-qualités de mandataire judiciaire de la SOCIÉTÉ PENAUILLE SERVISAIR ESCALES

demeurant [LOCALITE 3], [LOCALITE 4]

représenté par la SCP LAGOURGUE & OLIVIER, avoué près la Cour d’Appel de PARIS

AXA CORPORATE SOLUTIONS prise en la personne de ses représentants légaux dont le siège social est 4 rue Jules Lefèbvre 75426 PARIS CEDEX 09

représentée par la SCP GRAPPOTTE-BENETREAU ET PELIT-JUMEL, avoués près la Cour d’Appel de PARIS assistée de Me Serge ARON, avocat au barreau de PARIS

CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE LA SEINE ST DENIS prise en la personne de ses représentants légaux dont le siège social est 195 avenue Paul Vaillant Couturier 93000 BOBIGNY

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 21 Mars 2011, en audience publique, devant la Cour composée de :

Madame Nathalie NEHER-SCHRAUB, Présidente, entendue en son rapport

Madame Régine BERTRAND-ROYER, Conseillère

Madame Claudette NICOLETIS, Conseillère

qui en ont délibéré

Greffier, lors des débats : Madame Nadine ARRIGONI

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au Ministère Public, représenté lors des débats par Madame [A B C D] , qui a fait connaître son avis.

ARRÊT : RÉPUTÉ CONTRADICTOIRE

- prononcé publiquement par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

- signé par Madame Nathalie NEHER-SCHRAUB, présidente et par Madame Nadine ARRIGONI, greffière.

Vu l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et suivants ;

Vu les articles 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile :

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé le 14 Février 2011, par [H I], et ses dernières conclusions signifiées le 17 mars 2011 ;

Vu les observations formulées le 14 mars 2011 par la société AXA CORPORATE SOLUTIONS et le 18 mars 2011 par Me [X Y] agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société PENAUILLE SERVISAIR ESCALES, parties au procès ;

Vu l’absence d’observation de la CPAM DE LA SEINE SAINT-DENIS laquelle n’a pas constitué avoué ;

Vu la communication du dossier au Ministère Public le 24 février 2011 :

Vu l’avis du Ministère Public en date du 3 mars 2011 ;

[H I], qui était salarié de la société PENAUILLE SERVISAIR ESCALES exerçait les fonctions d’assistant avion à [LOCALITE 5]. Le 20 mars 2006, 1l a chuté alors qu’il se trouvait en qualité de passager d’un véhicule terrestre à moteur type TPX conduit par un autre préposé de la société qui venait de tracter un avion et était à l'arrêt, moteur en marche, dans la zone réservée. L’accident a été reconnu accident du travail par la CPAM.

Il a assigné devant le tribunal de grande instance de Paris la société PENAUILLE SERVISAIR ESCALE, la compagnie AXA CORPORATE SOLUTIONS et la CPAM de la Seine- Saint-Denis afin d’obtenir l’indemnisation de son préjudice corporel sur le fondement de l’article L.455-1-1 du code de la sécurité sociale et de la loi du 5 juillet 1985.

Par jugement du 21 octobre 2008, le tribunal de grande instance de Paris, après avoir considéré qu’au regard des multiples restrictions et autorisations indispensables à la circulation dans la zone réservée, celle-ci ne constitue pas une voie ouverte à la circulation publique au sens de l’article L.455-1-1, a débouté [H I] et la CPAM de l’ensemble de leurs demandes.

[H I] a interjeté appel de cette décision et a posé une question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article L.455-1-1 du code de la sécurité sociale.

En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l’espèce, [H I] prétend que les dispositions de l’article L. 455-1-1 du code de la sécurité sociale violent le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques énoncé aux articles 1”, 6 et13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi que le principe de responsabilité qui découle de son article 4. Il demande à la cour de transmettre à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité soulevée afin que celle-ci procède à l’examen qui lui incombe en vue de sa transmission au Conseil Constitutionnel pour qu’il relève l’inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication en résultant.

Il rappelle d’abord la distinction existant entre les victimes d’accidents de la circulation hors le cadre d’un accident du travail qui bénéficient d’une indemnisation sur le fondement exclusif de la loi du 1‘ juillet 1985 et d’autre part les victimes d’un accident de la circulation dans le cadre d’un accident du travail ({ hors accident du trajet) lesquelles sont soumises à la législation relative aux accidents du travail à l’exclusion de toute autre et notamment de la loi du 1er juillet 1985.

Il ajoute que par exception à ces principes, la victime d’un accident de la circulation dans le cadre d’un accident du travail peut prétendre à une indemnisation sur le fondement de la loi du 1er juillet 1985 par application de l’article L.455-1-1 du code de la sécurité sociale lorsque trois conditions cumulatives sont remplies et notamment que l’accident soit intervenu sur une voie ouverte à la circulation publique.

Il fait valoir qu’en limitant le bénéfice de la réparation complémentaire aux salariés victimes d’un accident de la circulation « sur une voie ouverte à la circulation publique», le législateur exclut les accidents occasionnés à l’intérieur de l’entreprise ou dans un lieu ne constituant pas une voie ouverte à la circulation publique et apporte une restriction importante et non justifiée à l’exception prévue à l’article L. 455-1-1 du code de la sécurité sociale.

Il soutient aussi que la restriction posée par l’article L. 455S-1-1 fait obstacle à ce que la victime obtienne la réparation intégrale de son préjudice et ce alors même que d’autres victimes d'accidents de la circulation relevant elle-même de la législation des accidents du travail peuvent en bénéficier et que, de même, la rupture d'égalité est caractérisée par le seul fait que la loi du S juillet 1985 à une portée générale de sorte que l’article L. 455-1-1 y apporte une restriction qu'aucune raison objective d’intérêt général ne vient justifier.

Il indique enfin que la Cour de Cassation, dans son rapport pour l’année 2005 a proposé une modification dudit article et qu’un projet de loi a également été déposé tendant à supprimer la restriction figurant à l’article L. 455-1-1 pour éténdre le bénéfice de l’indemnisation prévue par la loi du 5 juillet 1985 à toutes les victimes d’accidents de la circulation entrant dans la catégorie des accidents du travail, mais n’a pas eu de suite.

En réponse, la société AXA CORPORATE SOLUTIONS, soutient que la restriction imposée par l’article susvisé a pour contrepartie l’indemnisation forfaitaire instaurée par la législation sur les accidents du travail y compris au bénéfice d’un conducteur victime ayant commis des fautes de nature à diminuer ou à supprimer son droit à indemnisation. Elle conclut à voir juger l’incident relatif à la question prioritaire de constitutionnalité irrecevable et mal fondé.

Me [Y], agissant en qualité de mandataire judiciaire de la société PÉNAUILLE SERVISAIR ESCALES, s’en rapporte à justice sur les mérites de l’incident.

Le Ministère Public conclut que les conditions permettant la transmission de la question à la Cour de Cassation sont remplies.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la demande d’examen de la question prioritaire de constitutionnalité

En l'espèce, le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté dans un écrit distinct et motivé.

La demande est donc recevable en la forme.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation

L'article 23-2 de l’ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

- elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

- la demande de question prioritaire de constitutionnalité n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

La disposition contestée est applicable au litige , puisque c’est en application de la restriction prévue à l’article L. 455-1-1 du code de la sécurité sociale que [H I] se voit refuser le bénéfice de la loi n° 85-677 du S juillet 1985 dont il revendique l’application pour la fixation de ses préjudices résultant de l’accident dont il a été victime sur son lieu de travail. Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel. En outre, la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux puisque la Cour de Cassation, dans son rapport pour l’année 2005, a préconisé une modification législative de la disposition concernée visant à supprimer la restriction contestée par le requérant et qu’il a été déposé un projet de loi en ce sens.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

Les dispositions de l’article I. 455-1-1 du code de la sécurité sociale portent-t-elles atteinte aux droits et libertés garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’au principe de responsabilité qui découle de son article 4 ?

Sur les autres demandes

En application des dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance n°58-14067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu'une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s’il a déjà été saisi, du Conseil constitutionnel.

Le cours de l’instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires où conservatoires nécessaires. En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d’entraîner des conséquences irrémédiables où manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

En l’espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Il sera donc sursis à statuer sur l’ensemble des demandes des parties, et les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : Les dispositions de l’article L. 455-1-1 du code de la sécurité sociale portent-t-elles atteinte au principe d'égalité devant la loi et les charges publiques énoncé aux articles 1er, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ainsi qu’au principe de responsabilité qui découle de son article 4 ?

Dit que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions présentées, par un écrit distinct et motivé, des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Dit que les parties comparantes et le Ministère Public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

Dit que les parties non comparantes seront avisées par lettre recommandée avec accusé de réception ;

Sursoit à statuer sur les demandes des parties ;

Dit que l'affaire sera rappelée à l’audience de mise en état du 7 septembre 2011 à 13 heures ;

Réserve les dépens.

La Présidente