Tribunal de grande instance de Pontoise

Ordonnance du 23 mars 2011 N° 11/00046

23/03/2011

Renvoi

DU 23 Mars 2011

N° 11/00046

COMMUNAUTE D'AGGLOMERATION VAL-DE-FRANCE

C/

[D E]

[F B]

[E B]

[O B]

[S T]

[U T]

[G D]

[H E]

[MM E]

[DD B]

[J E]

[R B]

[I B]

[J B]

[Z AA]

[NN E]

[K L]

[E PP]

[A B] ¯ [C B]

[D EE]

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PONTOISE

--===000$000=—=---

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

--===000$000=—=---

ORDONNANCE DE TRANSMISSION D'UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

DEMANDERESSE:

COMMUNAUTE D’AGGLOMERATION VAL-DE-FRANCE, dont le siège social est sis [adresse 1] - [LOCALITE 2]

représentée par Me My-Kim YANG PAYA de la SCP SEBBAN, avocat au barreau de PARIS, [adresse 3] - [LOCALITE 4]

DÉFENDEURS:

Monsieur [D E], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 5], [Cadastre 6] et [Cadastre 7], [adresse 8] - [LOCALITE 9]

représenté par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 111

Madame [F B], Occupant sans droit mi titre de parcelles cadastrées [Cadastre 10], [Cadastre 11] et [Cadastre 12],[adresse 13] - [LOCALITE 14]

représentée par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 111

Monsieur [E B], Occupant sans droit nm titre de parcelles cadastrées [Cadastre 15], [Cadastre 16] et [Cadastre 17], [adresse 18] - [LOCALITE 19]

représenté par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 111

Madame [O B], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 20], [Cadastre 21] et [Cadastre 22], [adresse 23] - [LOCALITE 24]

représentée par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau de VAL D'OISE, vestiaire : 111

Monsieur [S T], Occupant sans droit m1 titre de parcelles cadastrées [Cadastre 25], [Cadastre 26] et [Cadastre 27], [adresse 28] - [LOCALITE 29]

non comparant

Madame [U T], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 30], [Cadastre 31] et [Cadastre 32], [adresse 33] - [LOCALITE 34]

non comparante

Monsieur [G D], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 35], [Cadastre 36] et [Cadastre 37], [adresse 38] - [LOCALITE 39]

non comparant

Monsieur [H E], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 40], [Cadastre 41] et [Cadastre 42], [adresse 43] - [LOCALITE 44]

non comparant

Monsieur [CC E], Occupant sans droit mi titre de parcelles cadastrées [Cadastre 45], [Cadastre 46] et [Cadastre 47] ,[adresse 48] - [LOCALITE 49]

non comparant

Monsieur [DD B], Occupant sans droit m titre de parcelles cadastrées [Cadastre 50], [Cadastre 51] et [Cadastre 52] ,[adresse 53] - [LOCALITE 54]

non comparant

Monsieur [J E], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 55], [Cadastre 56] et [Cadastre 57] ,[adresse 58] - [LOCALITE 59]

non comparant

Madame [R B], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 60], [Cadastre 61] et [Cadastre 62] ,[adresse 63] - [LOCALITE 64]

représentée par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 111

Monsieur [I B], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 65], [Cadastre 66] et [Cadastre 67] ,[adresse 68] - [LOCALITE 69]

représenté par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 111

Madame [J B], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 70], [Cadastre 71] et [Cadastre 72] ,[adresse 73] - [LOCALITE 74]

représentée par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 111

Monsieur [Z AA], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 75], [Cadastre 76] et [Cadastre 77] ,[adresse 78] - [LOCALITE 79]

représenté par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 111

Monsieur [BB E], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 80], [Cadastre 81] et [Cadastre 82] ,[adresse 83] - [LOCALITE 84]

Madame [K L], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 85], [Cadastre 86] et [Cadastre 87] ,[adresse 88] - [LOCALITE 89]

non comparante

Monsieur [E N], Occupant sans droit n1 titre de parcelles cadastrées [Cadastre 90], [Cadastre 91] et [Cadastre 92] ,[adresse 93] - [LOCALITE 94]

non comparant

Madame [A B], demeurant Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 95], [Cadastre 96] et [Cadastre 97] ,[adresse 98] - [LOCALITE 99]

représentée par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 111

Madame [C B], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 100], [Cadastre 101] et [Cadastre 102] ,[adresse 103] - [LOCALITE 104]

représentée par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 111

Monsieur [D EE], Occupant sans droit ni titre de parcelles cadastrées [Cadastre 105], [Cadastre 106] et [Cadastre 107] ,[adresse 108] - [LOCALITE 109]

représenté par Me Cédric LEMOINE, avocat au barreau du VAL D'OISE, vestiaire : 111

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À l'occasion d'une procédure devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Pontoise en vue de leur expulsion d'un terrain appartenant à la commune de [LOCALITE 110], les requérants, par acte écrit distinct déposée par leur conseil le 15 mars 2011, soulèvent la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

Les dispositions de l'article 544 du code civil, telles qu'interprétées de façon constante par la Cour de cassation, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement ou de dégradation, au droit de mener une vie familiale normale et à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue le droit au logement.

Le procureur de la République a rendu des réquisitions écrites tendant à la non transmission de la question.

À l'audience du 16 mars 2011 devant le juge des référés, l'avocat mandataire du requérant a soutenu oralement cette question prioritaire de constitutionnalité.

L'avocat mandataire du défendeur a été entendu en ses explications.

L'affaire a été mise en délibéré au 23 mars 2011, l'incident ayant été Joint au fond.

Le Président a rendu l'ordonnance dont la teneur suit;

Nous, Myriam de Crouy-Chanel Vice-Président au Tribunal de Grande Instance de PONTOISE, assistée de Véronique LANDRAS, Greffier;

Vu les conclusions relatives à la question prioritaire de constitutionnalité et les motifs exposés;

Vu l'articles 61-1 de la Constitution;

Vu l’ordonnance organique du 7 novembre 1958;

Vu la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution;

Vu le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n°2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution;

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la cour de Cassation:

Attendu en premier lieu qu'il a été jugé (Conseil Constitutionnel, 6 octobre 2010 et 14 octobre 2010) qu’en posant une question prioritaire de constitutionnalité, tout justiciable a le droit de contester la constitutionnalité de la portée effective qu’une interprétation jurisprudentielle constante confère à une disposition légale;

Qu'ainsi, il est possible au requérant, de soulever l'inconstitutionnalité, non des dispositions mêmes de l'article 544 du code civil, maïs de leur interprétation jurisprudentielle:

Attendu en second lieu que la critique est bien formulée au regard des droits et libertés que la Constitution garantit:

La dignité de la personne, résulte du Préambule de la Constitution de 1946 et figure ainsi au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit . Ce principe peut être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité.(2010- 14/22 question prioritaire de constitutionnalité, 30 juillet 2010, Journal officiel du 31 juillet 2010, p. 14198, texte n°105 Rectificatif : Journal officiel du 7 août 2010, p. 14620, cons. 19 et 20)

Le dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 dispose que ” la Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ".

La valeur constitutionnelle du droit de mener une vie familiale normale a été également clairement affirmée.(93-325 DC, 13 août 1993, Journal officiel du 18 août 1993, p. 11722, cons. 69 et 70, Rec. p. 224)

La possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent est rattachée aux dixième et onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946.(94- 359 DC, 19 janvier 1995, Journal officiel du 21 janvier 1995, p. 1166, cons. 5 et 7, Rec, p. 176)

Le Conseil constitutionnel a reconnu au droit au logement décent la qualification d'objectif à valeur constitutionnelle (CC 19 janvier 1995, n°94-359 DC) et le Conseil constitutionnel s'autorise à contrôler la constitutionnalité au regard des objectifs à valeur constitutionnelle;

Attendu par ailleurs, que les trois conditions de l’article 23-2 de l’ordonnance organique du 7 novembre 1958 sont remplies :

1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure: le fondement juridique de la demande d'expulsion est bien le droit de propriété et son caractère absolu;

2° La disposition contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs où le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances : aucune décision du Conseil constitutionnel a tranché cette question de la constitutionnalité de la porté absolue du droit de propriété au regard des autres droits fondamentaux;

3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux :

La Cour de cassation, en jugeant que toute occupation sans droit ni titre d'un immeuble appartenant à autrui constitue nécessairement un trouble manifeste et illicite auxquels les juges doivent mettre fin en prononçant l'expulsion (Civ 1ere, 20 janvier 2010), consacre une interprétation absolue du droit de propriété qui ne permet pas aux juges d'opérer un contrôle de proportionnalité entre les différents droits fondamentaux garantis. Cette jurisprudence paraît constante et toute décision contraire des juridictions inférieures encoure la cassation. Dés lors, il n'apparaît pas sans intérêt de soumettre cette question de la prévalence du droit de propriété sur tout autre droit reconnu par la Constitution.

Attendu, que, compte tenu de ce qui a été exposé ci dessus, il y a lieu de transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation;

Sur le sursis à statuer :

Attendu que la procédure à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée est relative à une procédure devant le juge des référés visant l'urgence; Qu'au surplus, s'agissant de la demande d'évacuation de tout un terrain illégalement occupé par des centaines de personnes vivant dans des conditions insalubres, un sursis risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives compte tenu des risques encourus pour la sécurité des personnes;

Qu'il ne sera donc pas sursis à statuer dans l'attente de la réception de la décision de la Cour de cassation;

PAR CES MOTIFS:

Statuant contradictoirement par décision qui n'est susceptible d'aucun recours,

Vu l'article 23-2 de l'Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel;

Ordonnons la transmission dans les 8 jours de la question prioritaire de constitutionnalité suivante : Les dispositions de l'article 544 du code civil, telles qu'interprétées de façon constante par la Cour de cassation, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, et notamment au principe à valeur constitutionnelle de sauvegarde de la dignité de la personne contre toute forme d'asservissement ou de dégradation, au droit de mener une vie familiale normale et à l'objectif de valeur constitutionnelle que constitue le droit au logement.

Disons n'y avoir lieu à sursis à statuer concernant la procédure de référé à l'occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été soulevée;

Fait au Tribunal de Grande Instance de Pontoise, le 23 mars 2011.

Le Greffier,

Véronique LANDRAS

Le Président,