Cour d'Appel de Lyon

Arrêt du 13 janvier 2011 n° 2011/00056

13/01/2011

Renvoi

LA CHAMBRE DE L’'INSTRUCTION DE LA COUR D'APPEL DE LYON

réunie le jeudi treize janvier deux mil onze en chambre du conseil, composée lors des débat et du délibéré de :

- Monsieur AZOULAY, Président,

- Madame ROSNEL et Madame BORDENAVE, Conseillers,

et du prononcé de l’arrêt de :

- Monsieur AZOULAY, Président,

tous trois désignés, en application des dispositions de l’article 191 du Code de Procédure Pénale,

en présence lors des débats :

- de Madame SOLER, Greffier,

- de Monsieur RENZI Substitut Général, et du prononcé de l’arrêt :

- de Madame SOLER, Greffier,

- d’un magistrat du Parquet Général représentant Monsieur le Procureur Général,

Vu la procédure d’information suivie au Tribunal de Grande Instance de LYON, cabinet de Monsieur GRAIN, Juge d'instruction contre :

[J E G]

né le [DateNaissance 1] 1971 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3])

de [U K] et [C S]

de nationalité bulgare

célibataire

demeurant [LOCALITE 4] - [LOCALITE 5]

- DÉTENU A LA [LOCALITE 6] - Mandat de dépôt criminel du vingt décembre deux mil dix

- COMPARANT EN PERSONNE - avec le concours de Madame [BB], interprète en langue bulgare, inscrite sur la liste des experts établie par la cour d’appel de LYON,

- Ayant pour conseil Maître Loïe AUFFRET, avocat au barreau de LYON,

des chefs de proxénétisme aggravé commis en bande organisée ; traite d'être humain commise en bande organisée ; participation ; une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime ;

Vu la question prioritaire de constitutionnalité déposée par écrit distinct le 31 décembre 2010 et tendant à la saisine de la cour de cassation dans le cadre de l’appel de l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du 20 décembre 2010 qui a placé [G K E] en détention provisoire, et la déclaration d’appel avec demande de comparution personnelle à l'audience, faite par Maître AUFFRET Loïc au greffe du Tribunal de Grande Instance de LYON le 29 décembre 2010

Vu le réquisitoire écrit de Monsieur le Procureur Général en date du 10 janvier 2011 et les notifications et lettre recommandée par lui expédiées, conformément aux dispositions de l’article 197 du Code de Procédure Pénale, le 6 janvier 2011

Vu le dépôt du dossier de la procédure au greffe de la Chambre de l’Instruction et sa mise à la disposition des conseils des parties jusqu’au jour de l’audience dans les formes et délais prévus à l’article 197 alinéas 2 et 3 du code de Procédure Pénale,

Vu l'arrêt en date du 11 janvier 201 1 ordonnant que les débats relatifs à l’appel interjeté par [G K E] se dérouleront en chambre du conseil et que l'arrêt sera rendu en chambre du conseil,

Vu les mémoires régulièrement déposés les 31 décembre 2010 et 10 janvier 2011, au greffe de la Chambre de l'Instruction par Maître AUFFRET, pour la défense de [G K E],

- Ayant entendu en l’audience du mardi {1 janvier 2011 tenue en chambre du conseil,

- Madame ROSNEL, Conseiller , en son rapport,

- [G K E] en ses explications, par le truchement de Madame [BB], interprète en langue bulgare

- Maître AUFFRET, avocat, en ses observations pour [G K E],

- Le ministère public en ses réquisitions,

[G K E] ayant eu la parole en dernier, par le truchement de Madame [BB], interprète en langue bulgare, ainsi que son conseil,

Après en avoir délibéré conformément aux dispositions de l’article 200 du code de Procédure Pénale,

A STATUE AINSI QU'IL SUIT

Attendu que l’appel de Maître Loïc AUFFRET interjeté dans les formes et les délais légaux, est régulier et recevable

Attendu qu’il résulte de l’information les éléments suivants :

Une enquête préliminaire était ouverte par le parquet de CHAMBÉRY à la suite d’une information transmise le 15 juin 2009 par les services de la Police de l’Air et des Frontières de CHAMBERY selon laquelle un bulgare nommé [T U] domicilié à [LOCALITE 7], organisait depuis plusieurs semaines, la prostitution de jeunes femmes bulgares sur le secteur de la gare de [LOCALITE 8].

Les surveillances effectuées établissaient la présence de plusieurs prostituées notamment [LOCALITE 9] mais également à l'[...] HÔTEL de [LOCALITE 10] , à l'HÔTEL [...] à[LOCALITE 11 et à l'HÔTEL [...] et de constater la présence aux abords de véhicules immatriculés en [LOCALITE 12] mais également en [LOCALITE 13].

Les soupçons de proxénétisme se précisaient le 5 septembre 2009 lorsque [N O] déposait une main courante pour dénoncer les violences dont elle avait été victime de la part d'[B C E], une autre prostituée qui exigeait qu’elle lui verse 200 € par jour sur son activité, pour le compte de son mari et proxénète [G K E] qui, basé en [LOCALITE 14], l’avait menacée de mort par téléphone.

[N O P] expliquait qu’elle se prostituait dans la région de [LOCALITE 15] avec [V W], [Z AA] et la nommée [B C E F], cette dernière étant leur “chef”, à qui elle avait déjà remis une somme de 6000 € ; elle ajoutait que toutes les quatre séjournaient à l’hôtel “[...]” à [LOCALITE 16].

Les surveillances physiques exercées du mois de juin au mois de septembre 2009, démontraient que les prostituées étaient souvent rejointes à l’hôtel par leur proxénète.

Des mouvements financiers étaient également relevés à destination de la [LOCALITE 17] par le biais de envoi de mandats WESTERN UNION.

Le 29 septembre 2009 survenait une vague d’interpellations à l’hôtel “[...]” de plusieurs personnes de l'entourage familial ou amical de [G K E] qui le désignaient comme le chef du réseau.

Le parquet de CHAMBERY se dessaisissait au profit du Parquet de LYON et un : réquisitoire introductif était délivré le 2 octobre 2009 pour proxénétisme par aide ou | assistance en bande organisée, traite des êtres humains en bande organisée et association de malfaiteurs en vue de ces crimes la Juridiction Inter Régionale Spécialisée de l'instruction étant saisie (D239).

Le 28 juillet 2010, un mandat d’arrêt était délivré par le juge d'instruction et un mandat / d’arrêt européen était diffusé le 29 juillet par le parquet de LYON.

[G E K] était interpellé en [LOCALITE 18] en vertu du dit mandat d’arrêt européen et était remis aux autorités françaises le 16 décembre 2010 à 11h 45, date à laquelle 1l était présenté vers 15 h  au procureur de la République de STRASBOURG.

Il était déféré devant le magistrat instructeur le 20 décembre 2010, puis au juge des libertés et de la détention qui le plaçait en détention.

Appel était interjeté le 29 décembre 2010 de cette décision par [G K E] qui ne demandait pas à comparaître ; la chambre de l’instruction ordonnait sa comparution à l’audience du 11 janvier 2011.

Par mémoire distinct du 10 janvier 2011, [G K E], fait valoir que les articles 135 al 4, 130-I et 130 du code de procédure pénale sont applicables au litige ; que le conseil constitutionnel n’a jamais statué sur la conformité à la constitution de ces articles et que cette question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En conséquence il sollicite la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

“L'article 130 du code de procédure pénale en ce qu’il permet de priver un individu de liberté pendant une durée de quatre jours sans présentation à un magistrat du siège , est -il conforme aux droits et libertés garantis par la constitution , notamment à l’article 66 de la constitution et à l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789?

L'article 130-1 du code de procédure pénale en ce qu’il permet en renvoyant à l’article // 130-1 du même code de priver un individu de liberté pendant une durée de quatre jours / sans présentation à un magistrat du siège , est-il conforme aux droits et libertés garantis par la constitution, notamment à l’article 66 de la constitution et à l’article 2 de Ia déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ?

L’alinéa 4 de l’article 133 du code de procédure pénale en ce qu’il permet en renvoyant à l’article 130-1 du même code qui renvoie lui même à l’article 130 du dit code priver un individu de liberté pendant une durée de quatre jours sans présentation à un magistrat du siège , est -1] conforme aux droits et libertés garantis par la constitution , notamment à l’article 66 de la constitution et à l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 17897?

Par ses réquisitions du 10 janvier 2011, le ministère public fait valoir que la demande est recevable en la forme pour figurer dans un écrit distinct à l’occasion du litige soumis à la chambre de l'instruction sur la validité de la détention de [G K E].

Il relève que les articles susvisés dont la conformité à la constitution est critiquée sont applicables au litige ; que la question présente un caractère sérieux et qu’il y a lieu en l'absence de décision préalable du conseil constitutionnel de transmettre ladite question à la Cour de cassation.

Attendu que conformément à ses réquisitions écrites, monsieur l’ Avocat général sollicite la transmission de la question préalable de constitutionnalité à la Cour de cassation, relevant toutefois qu’il appartient à la chambre de l’instruction saisie de l’appel de l'ordonnance de placement en détention de [G K E], de statuer au fond dans les délais impératifs prévus par l’article du code de procédure pénale et de se prononcer sur les autres moyens du mis en examen tirés de la nullité du mandat d’arrêt sur la base duquel 1l a été interpellé et de la non conformité des dispositions légales applicables aux articles 5$1 et 583 de la convention européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales et à l’article 9 du pacte international sur les droits civils et politiques ;

Maître AUFFRET et [G K E], assisté de madame [BB] interprète en langue bulgare ont été entendus en leurs observations et ont développé les termes de leur mémoire ;

***

Attendu que le mis en examen a présenté le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution le 10 janvier 2011 dans un écrit distinct et motivé ; qu’il est donc recevable ;

Attendu qu’en l’espèce les dispositions contestées sont applicables au litige en ce que dans le cadre de l’appel de son ordonnance de placement en détention, [G K E], interpellé en vertu d’un mandat d’arrêt délivré par le juge d’instruction a été arrêté en [LOCALITE 19] et déféré à ce magistrat dans le cadre de l'exécution d’un mandat d’arrêt européen dans le délai prévu par les dispositions combinées des articles 130, 130-1 et 133 alinéa 4 du code de procédure pénale ;

Attendu que ces articles n’ont pas déjà été déclarés conforme la constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du conseil constitutionnel :

Attendu que cette question n’est pas dépourvue de caractère sérieux ;

Attendu en effet que l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen érige en droit naturel et imprescriptibles la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l'oppression et que l’article 66 de la constitution énonce que “nul ne peut être arbitrairement détenu, l'autorité judiciaire, gardienne de la liberté individuelle assure le respect de ce principe dans les conditions prévues par la loi” ; qu’il en résulte que le juge doit intervenir le plus rapidement possible afin de statuer sur la régularité et le bien fondé d’une mesure privative de liberté ; qu’au regard des décisions intervenues notamment en matière de garde à vue, le conseil constitutionnel ayant estimé qu’un individu ne pouvait être privé de liberté sans contrôle d’un magistrat du siège au delà de 48h et en matière de rétention fondée sur l’article 803-3 du code de procédure pénale où 1 à limité à 68h, la possibilité de reporter ce contrôle, il y a lieu de vérifier si les dispositions critiquées en ce qu’elles fixent un délai de 4 jours voire 6 jours, sont conformes aux principes susvisés ;

Attendu dès lors qu’il convient de transmettre à la cour de cassation la question prioritaire de constitutionnalité rappelée ci dessus, la Chambre de l'instruction ayant statué par ailleurs au fond sur l’appel de l’ordonnance de placement en détention de [G K E] par arrêt distinct de ce jour, dans le délai imparti par les textes :

PAR CES MOTIFS

LA CHAMBRE DE L’INSTRUCTION DE LA COUR D'APPEL DE LYON

ORDONNE LA TRANSMISSION À LA COUR DE CASSATION DE LA QUESTION SUIVANTE :

“L'ARTICLE 130 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE EN CE QU’IL PERMET DE PRIVER UN INDIVIDU DE LIBERTÉ PENDANT UNE DURÉE DE QUATRE JOURS SANS PRÉSENTATION À UN MAGISTRAT DU SIÈGE , EST-IL CONFORME AUX DROITS ET LIBERTÉS GARANTIS PAR LA CONSTITUTION, NOTAMMENT À L'ARTICLE 66 DE LA CONSTITUTION ET À L'ARTICLE 2 DE LA DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOÛT 1789?

L'ARTICLE 130-1 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE EN CE QU’IL PERMET EN RENVOYANT À L'ARTICLE 130-1 DU MÊME CODE DE PRIVER UN INDIVIDU DE LIBERTÉ PENDANT UNE DURÉE DE QUATRE JOURS SANS PRÉSENTATION À UN MAGISTRAT DU SIÈGE, EST-IL CONFORME AUX DROITS ET LIBERTÉS GARANTIS PAR LA CONSTITUTION, NOTAMMENT À L'ARTICLE 66 DE LA CONSTITUTION ET À L'ARTICLE 2 DE LA DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOÛT 1789?

L’ALINÉA 4 DE L'ARTICLE 133 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE EN CE QU’IL PERMET EN RENVOYANT À L'ARTICLE 130-1 DU MÊME CODE QUI RENVOIE LUI MÊME À L'ARTICLE 130 DU DIT CODE, DE PRIVER UN INDIVIDU DE LIBERTÉ PENDANT UNE DURÉE DE QUATRE JOURS SANS PRÉSENTATION À UN MAGISTRAT DU SIÈGE, EST -IL CONFORME AUX DROITS ET LIBERTÉS GARANTIS PAR LA CONSTITUTION, NOTAMMENT À L'ARTICLE 66 DE LA CONSTITUTION ET À L'ARTICLE 2 DE LA DÉCLARATION DES DROITS DE L'HOMME ET DU CITOYEN DU 26 AOÛT 1789?

DIT QUE LA PRÉSENTE DÉCISION SERA ADRESSÉE PAR LE GREFFE À LA COUR DE CASSATION DANS LES 8 JOURS DE SON PRONONCÉ AVEC LES MÉMOIRES OÙ CONCLUSIONS RELATIFS À LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ.

DIT QU'IL EST STATUÉ PAR ARRÊT DISTINCT DE CE JOUR SUR L’APPEL DE

L’ORDONNANCE DE PLACEMENT EN DÉTENTION PROVISOIRE DE [G E K] EU ÉGARD AU DÉLAI QUI S’IMPOSE À LA COUR.

Le présent arrêt a été signé par le Président et le greffier.