Tribunal de grande instance de Paris

Jugement du 17 décembre 2010, n° : 19

17/12/2010

Renvoi

[A]

C/

[G]

[I]

République française

Au nom du Peuple français

Tribunal de Grande Instance de Paris

17ème Chambre correctionnelle - Chambre de la Presse

Jugement du : 17 décembre 2010

n° : 19

NATURE DES INFRACTIONS : DIFFAMATION ENVERS PARTICULIER(S) PAR® PAROLE, ECRIT, IMAGE OÙ MOYEN AUDIOVISUEL,

TRIBUNAL SAISI PAR : Citation à la requête de [B-C A] délivrée à l’étude de l’huissier significateur le 19 avril 2010.

PERSONNE POURSUIVIE :

Nom : [G]

Prénoms : [L]

Née le : [DateNaissance 1] 1954

A ...

Fille de [F G] et de [J K]

Domicile :

[adresse 2]

[LOCALITE 3]

Profession : PDG de FLAMMARION SA

Antécédents judiciaires : pas de condamnation au casier judiciaire

Situation pénale : libre

Comparution : non comparante représentée par Me Virginie TESNIERE

substituant Me Christophe BIGOT avocat au barreau de Paris, lequel a déposé une question prioritaire de constitutionnalité visée par le président et le greffier et jointes au dossier.

NATURE DES INFRACTIONS : complicité de DIFFAMATION ENVERS PARTICULIER(S) PAR PAROLE, ECRIT, IMAGE OÙ MOYEN AUDIOVISUEL,

TRIBUNAL SAISI PAR : Citation à la requête de [B] délivrée à sa personne le 21 avril 2010.

PERSONNE POURSUIVIE :

Nom : [I]

Prénoms : [H]

Né le : [DateNaissance 4] 1955 Age : 55 ans au moment des faits

A : [LOCALITE 5] ([...])

Nationalité : française

Domicile :

[adresse 6]

[LOCALITE 7]

Situation pénale : libre

Comparution : non comparant représenté par Me Renaud LE GUNEHEC, avocat au barreau de Paris, lequel a déposé une question prioritaire de constitutionnalité visée par le président et le greffier et jointes au dossier

PARTIE CIVILE POURSUIVANTE : PCP n° 704/2010

Nom : [A B-C]

Domicile :

Chez Maître Alexandre VARAUT

[adresse 8]

[LOCALITE 9]

Comparution : non comparant, représenté par Me Alexandre VARAUT, avocat au barreau de Paris, lequel a déposé des conclusions visées par le président et le greffier et jointes au dossier.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE PROCUREUR DE LA RÉPUBLIQUE

PROCEDURE D'AUDIENCE

Par acte en date du 19 avril 2010, régulièrement dénoncé au ministère public, [B-C A] a fait citer devant ce tribunal pour l'audience du 18 juin 2010, [L G] et [H I] pour y répondre en leurs qualités respectives d’éditeur et d’auteur, du délit de diffamation publique_envers un particulier, prévu par les articles 29, alinéa premier, et 32, alinéa premier, de la loi du 29 juillet 1881, à la suite de la parution au mois de mars 2010 aux éditions FLAMMARION d’un ouvrage signé [M N], pseudonyme de [H I], intitulé “25 ans dans les services secrets”, et précisément en raison de plusieurs passages de cet ouvrage relatifs à l’assassinat à [LOCALITE 10] le 29 mars 1988 de la militante de l’African National Congres, qu’il estime diffamatoires à son égard.

Par acte en date du 29 avril 2010, [L G] et [H I] ont fait signifier une offre de preuve de la vérité des faits dénonçant le nom de cinq témoins.

À l'audience du 18 juin 2010, le tribunal a fixé à la somme de 1 000 euros le montant de la consignation, qui a été versée le 6 septembre 2009, et a renvoyé l'affaire aux audiences des 17 septembre, pour relais, et 2 décembre 201 0, pour plaider.

À cette date, les parties étaient représentées par leurs conseils respectifs.

Après lecture de la prévention et rappel de la procédure, et avant tout débat au fond, les conseils des prévenus ont soulevé par conclusions écrites et séparées, visées par le greffier, une question prioritaire de constitutionnalité relative à l'interdiction posée par l’article 35, 3ème alinéa, b) de la loi du 29 juillet 1881 de rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires remontant à plus de dix ans, sur laquelle les conseils des parties ont été entendus ainsi que le ministère public, le conseil des prévenus ayant eu la parole en dernier.

Il sera relevé que le ministère public a pris des réquisitions orales tendant à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassafion, tandis que le conseil de la partie civile a développé ses conclusions écrites, contestant le caractère sérieux de la question posée au triple motif (1) que la restriction prévue par le texte litigieux est proportionnée au but légitime poursuivi par le législateur tant au regard du droit à l’oubli que de la difficulté à rapporter la preuve de faits anciens surtout lorsque, revêtant une nature pénale, ils ne seraient plus susceptibles d’être poursuivis, (2) que la prohibition ainsi posée ne fait nullement obstacle aux droits de la défense, les prévenus pouvant toujours invoquer l’excuse de bonne foi, (3) enfin que le caractère sérieux du grief d’inconstitutionnalité invoqué doit s’apprécier, non pas de manière théorique, mais au regard des atteintes concrètes que la disposition législative en cause est susceptible de causer aux droits de celui qui se prévaut de la question.

Après en avoir délibéré, le tribunal a décidé de statuer sur l’incident par Jugement séparé, sans avoir à ce stade à exarniner l’affaire au fond. L'affaire à été mise en délibéré et les parties ont été informées, conformément aux dispositions de l’article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, que le jugement serait prononcé ce jour.

MOTIFS DE LA DECISION

La question prioritaire de constitutionnalité, formalisée par un écrit distinct et motivé de chacun des conseils des deux prévenus, visé par le greffier, est régulière en la forme.

La disposition contestée, en l'espèce le troisième alinéa, b) de l’article 35 de la loi du 29 juillet 1881 qui fait interdiction au prévnu poursuivi du ched de diffamation d'établir la vérité des faits diffamatoires lorsque l'imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix années, est, au sens de l’article 23-2 de la loi organique du 10 décembre 2009, applicable aux présentes poursuites, dès lors les imputations diffamatoires alléguées se rapportent à l'implication éventuelle de la partie civile dans l’assassinat de [D E] commis le 29 mars 1988, et que les deux prévenus ont fait signifier une offre de preuve dénonçant le nom de cinq témoins.

C’est vainement à cet égard que la partie civile, qui verse aux débats les attestations de deux des témoins dénoncés en preuve par les prévenus -qui contestent la relation des faits telle qu’elle résulte des passages poursuivis de l'ouvrage litigieux-, discute à ce stade l'intérêt supposé de l’offre de preuve, pour convaincre de sa vanité et, par voic de conséquence, de l’absence de caractère sérieux de la question posée, alors qu'un tel caractère s’apprécie exclusivement au regard du grief d’inconstitutionnalité de la disposition législative critiquée, et non pas en fonction du caractère déterminant ou pas de la question posée sur l'issue du litige, dès lors que cette dernière entretient un lien d’applicabilité suffisant avec l'instance en cours.

Enfin, la disposition critiquée n’a pas fait l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel.

S’agissant du caractère non dépourvu de sérieux de la question posée, le tribunal se bornera à relever :

- que l'interdiction en cause est rédigée en des termes généraux et absolus, même si des décisions judiciaires récentes dans l’ordre interne et européen ont admis, ou imposé, qu’il y soit dérogé lorsque l’imputation débattue se rapporte à des événements de portée historique ou scientifique de nature à sûsciter des débats, des études ou des recherches susceptibles d'apporter des éléments nouveaux en facilitant ou en éclairant la compréhension, de sorte que les personnes appelées à en répondre peuvent être, dans certaines circonstances pour l’heure laissées à l'appréciation du Juge, admises à s’en prévaloir en preuve,

- que l’exception de vérité est le seul fait justificatif qui dispense Îles personnes poursuivies d’avoir à justifier d’un but légitime, de l’absence d’animosité personnelle ou de prudence dans l'expression, de sorte que la possibilité qui leur est toujours ouverte d’exciper de leur bonne foi ne lui est nullement équivalente,

- que les évolutions sociales, et une exigence plus grande des citoyens d’être informés et de pouvoir débattre de faits relevant de l’histoire contemporaine, fussent-ils vieux de plus de dix ans, sont de nature affecter la portée d’une disposition législative adoptée en des temps, qui paraissent assez largement révolus, dans lesquels une société pouvait trouver certaines formes d’apaisement dans l’oubli ou le silence.

Au regard de ces seuls motifs, la question posée ne paraît pas dépourvue de tout caractère sérieux.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l'égard de [L G] et [H I], prévenus (art.411 du code de procédure pénale) et à l’égard de [B-C A], partie civile (art.424 du code de procédure pénale) et après en avoir délibéré conformément à la loi,

DÉCLARE recevable la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les prévenus,

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation, par application de l’article 23-2 de la loi organique du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, de la question de constitutionnalité suivante :

“L'article 35, 3°" alinéa, b) de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse qui interdit au prévenu de diffamation de rapporter la preuve de la vérité des faits diffamatoires lorsque l’imputation se réfère à des faits qui remontent à plus de dix ans, est-il conforme aux droits et libertés que la Constitution garantit, en l’espèce la liberté d’expression garantie par l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, le droit à un procès équitable et le respect des droits de la défense garantis par l’article 16 de la même Déclaration?”

DIT que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les observations du ministère public et celles des autres parties,

SURSOITT à statuer jusqu’à la décision à intervenir sur la question prioritaire de constitutionnalité,

Fixe une audience relais au 11 mars 2011, à 13h30.

Les parties sont avisées, conformément à l’article R 49-28 du code de procédure pénale :

- que la présente décision n’est susceptible d’aucun recours,

- que si elles entendent présenter des observations devant la Cour de cassation, elles doivent se conformer aux dispositions de l'article R 49-30, ainsi rédigé : “Les parties disposent d’un délai d’un mois à compter de la décision de transmission de la question de constitutionnalité à La Cour de cassation pour faire connaître leurs éventuelles observations devant la Cour.

Elles sont signées par un avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, conformément aux règles prévues par l’article 585, sauf lorsqu’elles émanent de la personne condamnée, de La partie civile en matière d’infraction à la loi sur la presse ou du demandeur en cassation lorsque la chambre criminelle est saisie d’un pourvoi en application des articles 567-2, 574-1 et 574-2"

- ainsi qu’à celles du premier alinéa de l’article R 49-32, ainsi rédigé : “Le premier président ou son délégué, à la demande d’une des parties ou d'office, peut, en cas d'urgence, réduire le délai prévu aux articles R.49-30 et R 49-31"

Aux audiences des 2 et 17 décembre 2010, 13h30, 17ème chambre, le tribunal était composé de :

Audience du 2 décembre 2010 :

Président : Joël BOYER vice-président

Assesseurs : Marie MONGIN vice-président

Elise GÜUEDON juge

Ministère Public: Aurore CHAUVELOT vice-procureur

Greffier : Viviane RABEYRIN greffier

Audience du 17 décembre 2010 :

Président : Joël BOYER vice-président

Assesseurs : Dominique LEFEBVRE-LIGNEUL vice-président

Alain BOURLA juge

Ministère Public: Claire DONNIZAUX, substitut

Martine VAIL greffier

LE PRESIDENT