Tribunal de commerce de Romans-sur-Isère

Jugement du 8 décembre 2010 n° 2007J70079

08/12/2010

Renvoi

2007J70079 - 1034200002/1

COPIE

TRIBUNAL DE COMMERCE DE ROMANS SUR ISERE

08/12/2010

Rôle n° 2007J70079

jugement du HUIT DECEMBRE DEUX MILLE DIX

Le Tribunal a été saisi de la présente affaire par Assignation en date du 19 mars 2007

La cause a été entendue à l'audience du 24 novembre 2010 à laquelle siégeaient :

- Monsieur Serge ALIX, Président,

- Monsieur Jean-Claude MAMOU, Juge,

- Monsieur Roland BOURDON, Juge,

- Madame Géraldine AZUM, Juge,

- Monsieur Pierre BUISSON, Juge,

assistés de :

- Madame Brigitte TROPPE, Commis-greffier,

Après quoi les magistrats en ont délibéré pour rendre ce jour la présente décision, par mise à disposition au Greffe de ce Tribunal.

ENTRE

- Ministère de l'Economie et des Finances - Direction Départementale de la COncurrence COnsommation et Répression des Fraudes

331 AVENUE VICTOR HUGO

26000 VALENCE

DEMANDEUR - représenté par mandataire

Monsieur [E F] - mandataire habilité selon pouvoir

ET

- LA SOCIETE SYSTEME U

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

DEFENDEUR - représenté(e) par

Maître ALAIN BALSAN ET [A B] - avocat postulant

6 RUE BONJEAN 26000 VALENCE

Maître Richard RENAUDIER - SELARL Cabinet Renaudier - avocat plaidant

6 RUE PAUL VALERY 75116 PARIS

EN PRESENCE DE

- Monsieur le Procureur-adjoint Gilbert EMERY

PALAIS DE JUSTICE

26000 VALENCE

INTERVENANT - non comparant

Frais de Greffe compris dans les dépens (Art. 701 du NCPO) : 78,00 € HT, 15,29 € TVA, 93,28 € TTC

Copie exécutoire délivrée le 10/12/2010 à Monsieur [E F]

Copie exécutoire délivrée le 10/12/2010 à Maître ALAIN BALSAN ET [A B]

Copie exécutoire délivrée le 10/12/2010 à Monsieur le Procureur-adjoint Gilbert EMERY

LES FAITS ET LA PROCEDURE :

L'Union des Vignerons des Côtes du Rhône (U.V.C.D.R), dont le siège est à [LOCALITE 3], dans la [LOCALITE 4] - ci-après dénommée le fournisseur, regroupe 10 caves coopératives, situées sur l'aire d'appellation d'origine des Côtes du Rhône du sud. Ces 10 caves font travailler 3000 vignerons dans la [LOCALITE 5] et le [LOCALITE 6] et produisent 8 millions d'hectolitres, dont les deux tiers en A.O.C.

Elle commercialise 35 vins d'appellation d'origine contrôlée sous la marque principale [...]. Elle emploie 57 personnes. L'entreprise a réalisé, en 2005, un chiffre d'affaires total de 54 millions d'euros hors taxes et de 58 millions en 2006 dans la vente de vins.

Elle à réalisé avec l'ensemble de la grande distribution un chiffre d'affaires total de 29,67 millions d'euros hors taxes en 2005 et de 29,61 millions d'euros en 2006.Ces chiffres d'affaires représentent les ventes soumises à coopération commerciale.

L'enseigne Système U représente en 2005 12,51 % des ventes de l'entreprise à la grande distribution, avec un chiffre d'affaires de 3,7 millions d'euros et 12,93 % des ventes en 2006, avec 3,8 millions d'euros.

Le groupe SYSTEME U est un groupement de commerçants juridiquement et financièrement indépendants, propriétaires de leurs points de vente et responsables de la gestion de leur entreprise.

La SA SYSTEME U - ci-après dénommée le Distributeur, est la centrale nationale de référencement et d'achat agissant pour le compte de ses adhérents, aux enseignes HYPER U, SUPER U et magasins U, qui l'ont mandatée à cet effet.

La SA SYSTEME U négocie pour l'année à venir avec ses fournisseurs les conditions d'achat des magasins de son enseigne et les conditions accessoires relatives à la publicité et aux promotions.

Le fournisseur a conclu en 2005 avec la centrale d'achat nationale SYSTEME U un contrat de coopération commerciale et en 2006 un contrat cadre de coopération commerciale et de services distincts.

À la demande des agents de la DGCCRE, l'U.V.C.D.R, a communiqué ces deux contrats.

Ces deux documents comprennent notamment un service intitulé « Fourniture d'études marketing et de données statistiques », dont l'objet et la rémunération sont quasi identiques.

Par ailleurs, l'UVCDR a, parallèlement aux études marketing de SYSTEME U, eu connaissance d'informations de même nature au moyen d'un contrat conclu avec une entreprise spécialisée dans ce secteur d'activité, la société IRI SECODIP, dont le siège social est situé [adresse 7] à [LOCALITE 8].

La comparaison entre les deux prestataires ont amené les services de la DGCCRE a constaté qu'à services similaires, 1] apparaissait des écarts significatifs de rémunération, de nature à constituter un avantage financier au profit de la centrale d'achat SA SYSTEME U et susceptibles d'engager sa responsabilité sur le fondement de l'article L.442-6 du Code de Commerce, qui dispose que “engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou artisan :

...d'obtenir d'un partenaire commercial un avantage quelconque ne correspondant à aucun service commercial effectivement rendu ou manifestement disproportionné au regard de la valeur du service rendu..."

En application des dispositons de l'article L.442-6-III du Code de Commerce, le Directeur Départemental de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes de la Drôme, qui a reçu délégation du Ministère de l'Economie des Finances et de l'Industrie a estimé devoir porter ses faits à la connaissance du tribunal et à cet effet a fait délivrer, le 19 mars 2007, à la société SYSTME une assignation à comparaître devant la Chambre Commerciale du Tribunal de Grande Instance de Valence.

En application du décret du 15 février 2008, portant réforme de la carte judicaire, l'instance a été renvoyée devant le Tribunal de Commerce de Romans sur Isère, ayant reçu compétence pour juger le contentieux commercial pour l'ensemble du département de la Drôme.

Les demandes du ministre de l'économie des finances et de l'industrie, contenues dans l'acte introductif d'instance, tendent à :

- Dire et juger que SYSTEME U a fourni à UVCDR des données chiffrées rares et obsolètes en lieu et place d'études marketing approfondies promises par contrat ;

- Dire et juger qu'ainsi SYSTEME U n'a pas respecté les termes du contrat de services distincts qu'il a proposé à son fournisseur, qui prévoyait la fourniture de données trimestrielles actualisées de nature à optimiser les ventes ;

- Dire et juger en revanche que UVCDR 2 respecté les termes du contrat en versant la rémunération prévue ;

- Dire et juger qu'en percevant cette rémunération, SYSTEME U a obtenu de son partenaire commercial un avantage ;

- Dire et juger que la rémunération du service dénommé « fourniture d'étude marketing et de données statistiques» est disproportionnée si l'on compare son contenu et la somme réclamée en contrepartie ;

- Dire et juger qu'elle l'est encore plus si l'on compare le contenu et la rémunération obtenue par rapport au contenu et à la rémunération de l'étude IRI SECODIP ;

- Dire et juger qu'ainsi SYSTEME U a obtenu un avantage manifestement disproportionné au regard du service rendu, au sens de l'article L. 442-6 2 à du code de commerce ;

- Dire et juger que Système U fournit des informations dont le fournisseur est déjà en possession et qu'il est obligé de payer une seconde fois ;

- Dire et juger que ces pratiques constituent des conditions commerciales et obligations injustifiées au sens de l'article L. 442-6 I Bb du code de commerce ;

- Dire et juger qu'en contraignant ainsi son partenaire, SYSTÈME U abuse de sa puissance d'achat ;

- Dire et juger que la multiplication par 31 de la rémunération de ce service en 2006 par rapport à son coût réel tel qu'il ressort du prix de l'étude parallèle souscrite par UVCDR , la rend d'autant plus abusive ;

- Dire et juger que la gravité de ces pratiques rend l'abus d'autant plus manifeste qu'elles émanent d'une enseigne, qui occupait en juin 2004, avec 8 % de parts de marché, la cinquième place en matière de distribution des produits de grande consommation en France (source : rapport Canivet) et 10,06 % de part de marché des vins tranquilles (Juin 2005) ;

- Prononcer la nullité de la clause relative à la rémunération du contrat de services distincts conclu avec UVCDR et en tirer toute conséquence quant à la restitution des sommes trop perçues, le montant de l'indu étant estimé à 730 113 € ;

- Condamner SYSTEME U à payer au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie la somme de 1,5 million d'€ au titre de l'amende civile, en raison du trouble à l'ordre public économique, dont le ministre chargé de l'économie à pour mission d'assurer le respect aux termes du code de commerce ;

- Condamner Système U à payer au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie la somme de 1006 euros au titre de l'article 70G du N.C.P.C. ;

- Condamner SYSTEME U aux dépens.

Après divers renvois dans le cadre de la mise en état de cette affaire et du fait également de la réforme des services déconcentrés de l'Etat, l'instance est revenue le 29 septembre 2010, en audience de plaidoirie, devant le Tribunal de Commerce de Romans sur Isère.

À cette audience, la S.A. SYSTEME U a déposé des conclusions portant Question Prioritaire de Consitutionnalité, conformément aux nouvelles dispositions légales applicables à compter du 1er mars 2010, permettant à tout justiciable de soulever une question prioritaire de constitutionnalité, lorsqu'il considère qu'une disposition législative, en l'occurrence les dispositions de l'article L.442-6-III du Code de Commerce, porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit.

D'une part, le Ministère de l'Economie et d'autre part, Monsieur EMERY, Procureur de la République, près du Tribunal de Grande Instance de Valence, intervenant volontaire, ayant sollicité un renvoi pour répondre auxdites conclusions, le tribunal à renvoyé l'instance à l'audience du 24 novembre 2010,

À ladite audience, les parties ont été entendues et l'instance a été mise en délibéré au 8 décembre 2010.

DEMANDES DES PARTIES

SUR LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITIUTIONNALITE :

La société Système U Centrale Nationale demande au Tribunal de commerce de Romans sur Isère de :

* Constater que Système U Centrale Nationale soulève régulièrement le moyen tiré de ce que l'article L.442-6-III alinéa 2 du Code de commerce porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et, plus précisément, aux droits de la défense, au droit d'agir en justice, au droit de propriété du fournisseur et du distributeur ;

* Constater que la question ainsi soulevée est applicable au litige dont est saisi le Tribunal de commerce de Romans sur Isère ;

* Constater que la question ainsi soulevée porte sur une disposition qui n'a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel dans des circonstances identiques ;

* Constater que la question ainsi soulevée présente un caractère sérieux ;

En conséquence, transmettre à la Cour de cassation, dans les délais et conditions requises, la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« L'article L.442-6-III alinéa 2 du Code de commerce, par application duquel le Ministre de l'Économie peut solliciter la nullité de clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu en l'absence dans la procédure du ou des fournisseurs concernés voire sans l'accord de ce(s) dernier(s), porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et, plus précisément, aux droits de la défense, au droit d'agir en Justice et au droit de propriété du fournisseur et du distributeur ? »

afin que la Cour de cassation la transmette au Conseil constitutionnel pour qu'il relève l'inconstitutionnalité de la disposition contestée, prononce son abrogation et fasse procéder à la publication qui en résultera.

Le Ministère de l'Economie et des Finances conclut qu'il y a lieu de :

Vu la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen

Vu la Convention Européenne des droits de l'Homme et notamment son article 6

Vu les articles 23-1 et suivants de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958

Vu l'article L. 442-6 du code de commerce

Vu le code de procédure civile

Vu la jurisprudence de la Cour de cassation

- rejeter la demande de SYSTEME U visant à transmettre la question de la constitutionnalité de l'article L. 442-6 IIT, alinéa 2 du code de commerce à la Cour de cassation

- réserver les dépens.

Le Procureur de la République conclut à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité et à ce que le Tribunal ordonne un sursis à statuer en application des dispositions de l'article 23-3 alinéa 1 de la loi organique du 10 décembre 2009.

MOTIVATIONS DES PARTIES :

Le tribunal s'en rapporte aux conclusions des parties.

DECISION DU TRIBUNAL :

La disposition contestée, en l'espèce l'article L.442-6 III du Code de Commerce, constitue le fondement des poursuites, dans la mesure où les demandes de nullité et de répétition de l'indû formulées par le Ministère de l'Economie sont fondées sur ce texte.

Monsieur le Procureur de la République a conclu en exposant que cette question n'a pas encore fait l'objet d'une transmission à la Cour de Cassation où qu'à tout le moins elle n'a pas été déclarée conforme ou non-conforme à la Constitution à ce jour.

Par ailleurs, la question apparaît sérieuse en ce qu'elle fait référence notamment aux droits de la défense, au droit d'agir en justice et au droit de propriété.

Le tribunal constate que :

- la disposition contestée est applicable au litige

- elle n'a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution

- elle n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

En conséquence, il y a lieu de faire droit à l'exception d'inconstitutionnalité soulevée en défense par la société SYSTEME U et de transmettre à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalié suivante :

« L'article L.442-G-II alinéa 2 du Code de commerce, par application duquel le Ministre de l'Économie peut solliciter la nullité de clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu en l'absence dans la procédure du ou des fournisseurs concernés voire sans l'accord de ce(s) dernier(s), porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et, plus précisément, aux droits de la défense, au droit d'agir en justice et au droit de propriété du fournisseur et du distributeur ? »

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal de Commerce de Romans sur Isère, après audition des parties en leurs observations,

STATUANT EN AUDIENCE PUBLIQUE

PAR JUGEMENT AVANT DIRE DROIT,

Vu la loi organique N° 2009-1523 du 10 décembre 2009 et ses décrets d'application,

ACCUEILLE l'exception d'inconstitutionnalité soulevée en défense par la société SYSTEME U,

TRANSMET conformément aux dispositions des articles 126-1 à 126-9 du Code de Procédure Civile à la

COUR DE CASSATION

S quai de l'horloge

TSA N° 79204

75055 PARIS CEDEX 01

la présente question prioritaire de constitutionnalité :

« L'article L.442-6-III alinéa 2 du Code de commerce, par application duquel le Ministre de l'Economie peut solliciter la nullité de clauses ou contrats illicites et demander la répétition de l'indu en l'absence dans la procédure du ou des fournisseurs concernés voire sans l'accord de ce(s) dernier(s), porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et, plus précisément, aux droits de la défense, au droit d'agir en justice et au droit de propriété du fournisseur et du distributeur ? »

ORDONNE au greffe de procéder aux notifications conformément aux dispositions de l'article 126-7 du Code de Procédure Civile ,

SURSEOIT À STATUER sur les demandes du Ministère de l'Economie et des Finances,

DIT que l'instance sera poursuivie dès que notre juridiction sera informée à la diligence des parties ou de la juridiction suprême de la décision relative à la question prioritaire de constitutionnalité,

RESERVE la charge des dépens de la présente instance provisoirement liquidés à la somme de 78,00 € HT, 15,29 € TVA, 93,28 € TIC, frais de greffe compris dans les dépens, en fin d'instance.

Ainsi jugé et prononcé

Suivent les signatures :

- Monsieur ALIX Serge, Président

- Madame TROPPE Brigitte, Greffier