Tribunal administratif de Strasbourg

Ordonnance du 22 novembre 2010 n° 0904900

22/11/2010

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE STRASBOURG

 

 

N° 0904900

___________

 

Mme B... A...

___________

 

Ordonnance du 22 novembre 2010

___________

 

 

 

 

 

pr/ow

REPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le Vice-Président de la 2ème chambre,

 

Vu, enregistré le 14 octobre 2010, le mémoire présentant une question prioritaire de constitutionnalité produit dans l’instance n° 0904900, pour Mme B... A... élisant domicile 43 rue Schaaf à Sarreguemines (57200), Mme B... C... élisant domicile 19 rue de Siltzheim à Hambach (57910), l’association pour le bilinguisme franco-allemand en Moselle dont le siège est 43 rue André Schaaf à Sarreguemines (57200), l’association culture et bilinguisme de Lorraine-Zweisprachig dont le siège est 15 rue de Verdun à Rémelfing (57200), l’association comité fédéral des associations pour la langue et la culture régionales d’Alsace dont le siège est 29 rue de la Corneille à Colmar (68000) par Me Rosenstiehl, avocat, en application des articles 23-1 à 23-3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ;

Mme A... et autres demandent au Tribunal de transmettre au Conseil d’Etat la question de la conformité à l’article 75-1 de la Constitution de l’article L.312-10 du code de l’éducation selon lequel « les langes régionales appartiennent au patrimoine de la France » en tant qu’il renvoie son application à des conventions avec les collectivités territoriales ;

 

Les requérants soutiennent que :

 

- le texte déféré renvoie, pour sa parfaite application, à l’édiction de conventions entre l’Etat et les collectivités territoriales où ces langues sont en usage et qu’en l’espèce, aucune convention n’a été signée ; le renvoi à la procédure contractuelle méconnaît les dispositions de l’article 75 de la Constitution et, en l’absence de toute convention, le respect du bilinguisme ne peut être assuré ; il appartenait au législateur de déterminer lui-même les conditions de mise en œuvre de l’enseignement bilingue en application de l’article 34 de la Constitution sauf à méconnaître sa compétence ;

 

 

Vu la requête, enregistrée le 20 octobre 2009, présenté pour Mme A... et autres qui demandent au Tribunal avant dire droit d’enjoindre à l’inspecteur d’académie de la Moselle de produire les décisions relatives à la répartition des élèves entre deux voies, d’annuler les décisions relatives à la répartition des élèves entre deux voies, à leur évaluation préalable ainsi qu’à l’affectation des enseignants, ensemble la décision de l’inspecteur d’académie de la Moselle en date du 22 juin 2009 confirmant la mise en place de deux sections au sein de l’école de la Blies et la décision implicite de rejet de la demande de l’association ABIFA 57 en date du 4 juillet 2009 ;

 

 

Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 avril 2010, présenté par le recteur de l’Académie Nancy-Metz, qui conclut au rejet de la demande susvisée ;

 

 

Le Recteur soutient que le caractère sérieux de la présente question prioritaire de constitutionnalité est sujet à interrogation dès lors qu’il ressort des débats parlementaires préalables à l’adoption de l’article 75-1 de la Constitution que le pouvoir constituant n’a entendu conférer à ce texte qu’une valeur proclamatoire sans créer un droit pour les particuliers d’exiger de la part des administrations l’usage d’une autre langue que le français ou des droits spécifiques pour des groupes ; qu’en tout état de cause, la question posée par la requérante est sans incidence sur la solution du litige car, à supposer que pour les besoins de la cause, on estime que l’article L.132-10 du code de l’éducation ne pouvait renvoyer à une convention le soin d’apporter des précisions sur l’enseignement des langues régionales, il n’en résulterait pour l’Etat aucune obligation de nature à fonder les prétentions des requérants ;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

 

Vu la Constitution, notamment son article 61-1 ;

 

 

Vu l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3 ;

 

 

Vu le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution ;

 

 

Vu le code de l’éducation nationale ;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

 

 

 

 

Considérant qu’aux termes de l’article 61-1 de la Constitution : « Lorsqu’à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé (…) ; qu’aux termes de l’article 23-1 de l’ordonnance susvisée du 7 novembre 1958 : « Devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat et de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté par un écrit distinct et motivé. Un moyen peut être présenté pour la première fois en cause d’appel (…) » et qu’aux termes de l’article 23-2 de la même ordonnance : « La juridiction statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat ou à la Cour de cassation. Il est procédé à cette transmission si les conditions suivantes sont remplies : 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement des circonstances ; 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux (…) » ;

 

 

Considérant que les dispositions de l’article L.312-10 du code de l’éducation nationale sont applicables au présent litige ; que ces dispositions n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil Constitutionnel ; que les moyens tirés de ce qu’elles renvoient à la signature d’une convention entre l’Etat et les collectivités territoriales portent atteinte au principe d’appartenance des langues régionales au patrimoine de la France tel qu’affirmé par l’article 75-1 de la Constitution et traduisent une incompétence négative du législateur ; qu’ainsi ils soulèvent une question qui n’est pas dépourvue de caractère sérieux et qu’il y a lieu de transmettre au Conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité invoquée ;

 

 

 

ORDONNE :

 

 

 

Article 1er : La question prioritaire de constitutionnalité visant les dispositions de l’article L.312-10 du code de l’éducation est transmise au Conseil d’Etat.

 

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête principale de Mme A... et autres jusqu’à ce qu’il ait été statué par le Conseil d’Etat ou, s’il est saisi, par le Conseil constitutionnel sur la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : La présente ordonnance sera notifiée à Mme B... A..., à Mme B... C..., à l’association pour le bilinguisme franco-allemand en Moselle, à l’association comité fédéral des associations pour la langue et la culture régionales d’Alsace, à l’association pour le bilinguisme de Lorraine Zweisprachig et au recteur de l’académie de Nancy-Metz.

 

Fait à Strasbourg, le 22 novembre 2010.

 

 

 

Le Vice-Président,

 

 

 

 

 

Pascale ROUSSELLE

 

La République mande et ordonne au ministre de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative, en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

 

Pour expédition conforme,

Le greffier