Tribunal d'instance de Marseille

Jugement du 18 novembre 2010, RG N°11-10-002408

18/11/2010

Renvoi

TRIBUNAL D'INSTANCE DE MARSEILLE

61 A Rue Grignan

13281 MARSEILLE

CEDEX 6

: 04 91 15 56 19

RG N°11-10-002408

DU : 18/11/2010

L'ASSOCIATION DE MEDIATION SOCIALE AMS

C/

L'Union locale des Syndicats CGT Quartiers Nord 15/16ème

Monsieur [F]

Copie revêtue de la formule exécutoire délivrée le :

Copie délivrée le : 18 NOV. 2010

JUGEMENT DU 18 NOVEMBRE 2010

A l'audience publique de ce Tribunal d'instance, tenue le Jeudi 18 Novembre 2010;

COPIE

PRESIDENT : MONS Jean-Louis

GREFFIER : SARFATI Danielle

DEMANDEUR(S) :

L'ASSOCIATION DE MEDIATION SOCIALE AMS [LOCALITE 1], [LOCALITE 2] [adresse 3], [LOCALITE 4], représentée par Me FRANZIS Jean-Emmanuel, avocat du barreau de MARSEILLE,

DEFENDEUR(S) :

L'Union locale des Syndicats CGT Quartiers Nord 15/16ème 20 rue de Lyon, 13015 MARSEILLE, représentée par Me FERRARO Jérôme, avocat du barreau de MARSEILLE,

Monsieur [F] [adresse 5], [LOCALITE 6], assisté de Me FERRARO Jérôme, avocat au barreau de MARSEILLE,

******

Date des débats : 4 novembre 2010

I) Faits, procédure, moyens et prétentions des parties

Par requête déposée, le 18 juin 2010, au greffe du tribunal d'instance de Marseille, l'ASSOCIATION DE MEDIATION SOCIALE (AMS) demande l'annulation de la désignation de monsieur [F] en qualité de représentant de la section syndicale CGT.

L'association AMS fait valoir :

Le 2 juin 2010, la direction de l'association a eu connaissance de faits et de propos tenus par monsieur [F] qui ne pouvaient être tolérés.

Le 8 juin 2010, une mise à pied conservatoire a été notifiée au salarié.

Par courrier reçu le 9 juin 2010, l'UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DES QUARTIERS NORD informait l'association de la désignation de monsieur [F] en qualité de représentant de la section syndicale nouvellement créée.

La désignation de monsieur [F] est frauduleuse dans la mesure où ce dernier était sous le coup d'une procédure disciplinaire et pouvait se croire menacé de licenciement.

De plus, le syndicat UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DES QUARTIERS NORD ne peut créer une section syndicale, l' ASSOCIATION DE MEDIATION SOCIALE, à la date de la désignation, employant moins de cinquante salariés effectif temps plein.

L'association AMS demande au tribunal de :

Rejeter toute demande de sursis,

Juger la désignation de Monsieur [F] en qualité de Représentant de la Section Syndicale frauduleuse,

Annuler la désignation de Monsieur [F] en qualité de Représentant de la Section Syndicale

Annuler la création de la Section Syndicale CGT au sein de l'AMS,

Annuler la désignation de Monsieur [F] en qualité de Représentant de la Section Syndicale

Dire la demande d'organisation d'élection frauduleuse, Monsieur [F] au-delà de la désignation en qualité de Représentant de la section syndicale CGT qui devra être annulée, cherchant à avoir une double protection, à la fois au titre de la désignation et également au titre de la demande d'organisation d'élection,

Condamner l'Union Locale CGT à verser à l'Association AMS une somme de 10 000.00 euros à titre de dommages et intérêts pour désignation abusive et abus de droit,

Condamner l'Union Locale CGT à verser à l'Association AMS une somme de 10 000.00 au titre de l'article 700 du CPC

Monsieur [F] et l'UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DES QUARTIERS NORD ont soulevé une question prioritaire de constitutionnalité par mémoire distinct, et déposé à l'audience des conclusions en ce sens.

La question posée au juge constitutionnel est la suivante :

« L'article L. 1111-35 du Code du travail, en sa rédaction actuellement applicable, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et, plus précisément, au principe de l'égalité devant la Loi de tous les citoyens (article ler de la Constitution du 4 octobre 1958, article ler de la déclaration des droits de l'Homme de 1789), au Droit, pour tout homme, de défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et d'adhérer au syndicat de son choix (article 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946), au Droit, pour tout travailleur, de participer, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises (article 8 du préambule de la Constitution du 27octobre 1946) ? »

Monsieur [F] fait valoir :

C'est en application de l'article L 1111-3 du code du travail que les défendeurs sont attraits devant le tribunal d'instance aux fins de voir annuler la désignation du salarié, par l'UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DES QUARTIERS NORD), en qualité de représentant de la section syndicale.

Le litige concerne une association qui emploie depuis plusieurs années des dizaines de salariés ( 170 actuellement) quasi exclusivement dans le cadre des contrats aidés exclus des effectifs au sens de l'article L 1111-3 du code du travail.

Depuis plusieurs années, l' ASSOCIATION DE MEDIATION SOCIALE, voit son effectif maintenu à moins de dix salariés, équivalent temps plein, bénéficiant d'un contrat de travail de droit commun, ce qui lui permet de demander l'annulation de la désignation de monsieur [F] comme représentant de la section syndicale, dans la mesure où aucune section syndicale ne pourrait être créée dans l'entreprise, celle-ci n'atteignant pas le seuil de cinquante salariés au sens de l'article L 1111-3 du code du travail.

Monsieur [F] et l'UNION LOCALE DES SYNDICATS CGT DES QUARTIERS NORD demandent au tribunal de :

Transmettre la Question prioritaire de constitutionnalité annexée aux présentes écritures à la Chambre sociale de la Cour de cassation aux fins d'examen de sa recevabilité,

En tout état de cause,

Dire que la création d'une « section syndicale » n'exige aucun effectif minimum,

Dire que la désignation de M. [F] en qualité de représentant de la section syndicale », en ce qu'elle émane d'une Union Locale affiliée à un syndicat représentatif, est possible même dans une entreprise comptant un effectif inférieur à 50 salariés,

Dire que l'article L.1111-3 du Code du travail, en sa rédaction applicable, et dont se prévaut l'association demanderesse pour exciper de son effectif à l'appui de la demande d'annulation de la désignation de M. [F] par le syndicat défendeur, est contraire aux engagements internationaux de la France, en ce qu'il prive, concrètement, les salariés titulaires des contrats qu'il vise {« initiative-emploi », « accompagnement dans l'emploi », « professionnalisation »} du droit à une représentation collective et/ou syndicale, puisqu'il ne sont pas pris en compte dans le effectifs au seul motif tiré de la nature particulière de leur contrat de travail,

En conséquence,

Dire l'association « AMS » infondée en sa demande et l'en débouter,

La condamner au paiement de la somme de 1 700 € à titre d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile, à l'égard de chacun des exposants,

Le Ministère public a conclu à la recevabilité de la demande et requis la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation.

Motifs de la décision

L'article L 1111-3 du code du travail dont la constitutionnalité est contestée par les défendeurs est ainsi rédigé :

Ne sont pas pris en compte dans le calcul des effectifs de l'entreprise :

1° Les apprentis ;

2° Les titulaires d'un contrat initiative-emploi, pendant la durée de la convention prévue à l'article L. 5134-66 ;

3° (Abrogé) ;

4° Les titulaires d'un contrat d'accompagnement dans l'emploi pendant la durée de la convention mentionnée à l'article L. 5134-19-1 ;

5° (Abrogé) ;

6° Les titulaires d'un contrat de professionnalisation jusqu'au terme prévu par le contrat lorsque celui-ci est à durée déterminée ou jusqu'à la fin de l'action de professionnalisation lorsque le contrat est à durée indéterminée.

Toutefois, ces salariés sont pris en compte pour l'application des dispositions légales relatives à la tarification des risques d'accidents du travail et de maladies professionnelles.

La disposition législative aux termes de laquelle certains salariés ne sont pas pris en compte dans le calcul de l'effectif de l'entreprise en raison de la nature de leur contrat de travail, en application de l'article L 1111-3 du code du travail, est applicable au présent litige et détermine la solution qui peut lui être apportée. En effet l' ASSOCIATION DE MEDIATION SOCIALE soutient que le seuil de cinquante salariés, exigé par l'article L 2142-1-1 du code du travail pour constituer une section syndicale dans l'entreprise, n'est pas atteint en ce qui la concerne, ce qui ne permet pas de créer une section syndicale et justifie l'annulation de la désignation de monsieur [F] comme représentant de celle-ci, alors même que l'association compterait 170 salariés à la date de la désignation, la plupart bénéficiant de contrats de travail excluant leurs titulaires de l'effectif de l'entreprise au sens de l'article L 1111-3.

Il ne paraît pas, en l'état des informations disponibles, que ce texte ait été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel.

La question est posée dans un écrit distinct et motivé.

La question posée n'est pas dépourvue de caractère sérieux puisque, comme le fait observer son auteur, la disposition législative dont la constitutionnalité est contestée a pour effet d'exclure un ensemble de salariés du droit d'être pris en compte dans les effectifs, d'être représenté sur un plan collectif, ou d'être défendu sur plan syndical en raison de la spécificité de leurs contrats de travail. La situation ainsi créée par la disposition contestée peut être considérée comme portant une atteinte excessive à des droits et libertés garantis par la Constitution et en particulier :

- L'égalité devant la Loi de tous les citoyens {article Iler de la Constitution du 4 octobre 1958, article Ier de la déclaration des droits de l'Homme de 1789),

- Le Droit, pour tout homme, de défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et d'adhérer au syndicat de son choix (article 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946),

- Le Droit, pour tout travailleur, de participer, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises (article 8 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946).

Il sera sursis à statuer sur les demandes au fond, aucune urgence n'étant établie en l'espèce.

Par ces motifs

Le Tribunal d'instance de Marseille, statuant en audience publique, par jugement contradictoire et en dernier ressort,

Vu les articles 23-1 à 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel,

Vu les articles 126-1 à 126-7 du code de procédure civile,

Vu l'avis favorable du Ministère public,

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

« L'article L. 1111-3 du Code du travail, en sa rédaction actuellement applicable, porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et, plus précisément, au principe de l'égalité devant la Loi de tous les citoyens (article ler de la Constitution du 4 octobre 1958, article 1er de la déclaration des droits de l'Homme de 1789), au Droit, pour tout homme, de défendre ses droits et ses intérêts par l'action syndicale et d'adhérer au syndicat de son choix (article 6 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946), au Droit, pour tout travailleur, de participer, par l'intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu'à la gestion des entreprises (article 8 du préambule de la Constitution du 27octobre 1946) ? »

Dit que seront joints à la présente décision, outre les conclusions portant question prioritaire de constitutionnalité, les observations des parties figurant dans un écrit distinct et motivé.

Sursoit à statuer sur les demandes autres que celles relatives à la question prioritaire de constitutionnalité,

Ainsi fait, jugé et prononcé par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2010 ;

et ont signé le Président et le Greffier,

LE GREFFIER

LE PRESIDENT

D.SARFATI