Cour d'Appel de Rennes

Ordonnance du 9 novembre 2010

09/11/2010

Renvoi

Ordonnance du 9 novembre 2010

09/11/2010

COUR D'APPEL DE RENNES N° 382/2010 : JURIDICTION DU PREMIER PRÉSIDENT ORDONNANCE articles L551-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile Nous, Marc JANIN, conseiller à la cour d'appel de Rennes, délégué par ordonnance du premier président pour statuer sur les recours fondés sur les articles L.5S5 1-1 et suivants du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, assisté de Stéphanie LECALVÉ, greffière, Statuant sur l'appel formé le 8 novembre 2010 à 11 heures 14 par : [B C D] né le [Date Naissance 1] 1992 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3]) de nationalité soudanaise ayant pour avocat Me Gaëlle LE STRAT, avocat au barreau de Rennes d'une ordonnance rendue le 5 novembre 2010 à 12 heures 45 par le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rennes qui a prolongé sa rétention dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire pour une durée maximale de quinze jours ; En l’absence du représentant du préfet de Maine-et-Loire, dûment convoqué, En l’absence du procureur général, régulièrement avisé, En présence de [B C D], assisté de [G H] interprète en langue arabe, et de Maître Gaëlle LE STRAT, avocat, Après avoir entendu en audience publique ce jour à 10 heures, l’appelant et son avocaten leurs observations, Avons mis l’affaire en délibéré et ce jour, à 14 heures, avons statué comme suit : FAITS ET PROCÉDURE: Par arrêté du 30 août 2010, le préfet de Maine-et-Loire a décidé la reconduite de [B C D] à la frontière en exposant notamment que celui-ci s’était vu refuser son admission au séjour au titre de l’asile ainsi que la délivrance d’un document provisoire de séjour par une décision du 25 mai 2010 notifiée le 31 mai 2010, que la demande d’asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides rendue le 29 juillet 2010 en suite d’une procédure d'examen prioritaire, et qu’un éventuel recours devant la Cour nationale du droit d’asile serait dépourvu d’effet suspensif. Par nouvel arrêté du 3 novembre 2010, le préfet de Maine-et-Loire a maintenu [B C D] en rétention dans des locaux ne relevant pas de l’administration pénitentiaire pour une durée n’excédant pas quarante huit heures en vue de garantir l'exécution de la mesure d’éloignement. Par requête du même jour, le préfet a saisi le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rennes d’une demande de prolongation de la retention pour une durée de quinze jours. Par l’ordonnance en date du 5 novembre 2010 dont appel, le juge des libertés et de la détention a fait droit à la demande. Cet appel a été enregistré sous le numéro 10/00454. Question prioritaire de constitutionnalité : Par un écrit distinct et motivé, en application de l’article 61-1 de la Constitution et del’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, [B C D] prétend que les dispositions combinées des articles L. 551-1, L. 552-1, L. 741-4 et L. 742-6 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile violent l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, et portent ainsi atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce que : - elles permettent le placement en rétention, et la prolongation de ce placement par le juge des libertés et de la détention, d’un demandeur d’asile dont la demande a été examinée selon la procédure prioritaire et dont le recours est pendant devant la Cour nationale du droit d’asile, dès lors que ce recours n’est pas suspensif, le droit de se maintenir en France n’étant garanti au demandeur d’asile qui s’est vu refuser le droit au séjour sur le fondement de l’article L. 741-4, 4° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile que jusqu’à la notification de la décision de l’office, - seul le recours devant la Cour nationale du droit d’asile constitue un recours effectif au sens de l’article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen puisque l’Office français de protection des réfugiés et apatrides n’est pas une juridiction mais un établissement public, - la Cour nationale du droit d’asile ne statue pas avant le retour de l’étranger demandeur d’asile lorsque celui-ci a rejoint même involontairement son pays, notamment par l’exécution d’une mesure d’éloignement, - dès lors, les dispositions contestées portent atteinte au droit au recours effectif que la Constitution garantit. [B C D] fait valoir que les dispositions contestées sont applicables au litige, n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, et présentent un caractère sérieux. En réplique, le préfet de Maine-et-Loire soutient que le Conseil constitutionnel a déjà déclaré les dispositions contestées conformes à la Constitution par sa décision du 13 août 1993 et qu’en outre, c’est la décision de reconduite à la frontière, non celle de maintienen rétention, qui peut faire grief à l’intéressé et que celui-ci a pu et a effectivement exercé un recours contre cette décision devant le tribunal administratif de Nantes qui a rejeté sa requête en annulation le 30 septembre 2010. La présente affaire a été communiquée le 8 novembre 2010 à 14 heures 51 au ministère public, qui n’a pas fait connaître son avis. La question prioritaire de constitutionnalité a été enregistrée sous le numéro 10/00455. Prétentions des parties relatives à la prolongation de la rétention : L’appelant sollicite l’infirmation de l’ordonnance du juge des libertés et de la detention et sa mise en liberté, aux motifs que la procédure ayant conduit à son placement en rétention est irrégulière en ce que : - la chronologie de la procédure de police manifeste des incohérences sur lesquelles le juge des libertés et de la détention ne s’est pas prononcé, - son placement en rétention en vue d’exécuter une mesure d’éloignement alors qu’il s’est vu refuser l’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, lequel ne constitue pas une juridiction mais un établissement public, empêche l’effectivité du recours devant la Cour nationale du droit d’asile dès lors que, ce recours n’étant pas suspensif d'exécution de la mesure d’éloignement, la Cour ne statue pas dans l'attente du retour de l’étranger demandeur d'asile lorsque la mesure a été exécutée, de sorte qu’est méconnu l’article 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales. Le préfet, qui n’est pas représenté à l’audience dont il a été régulièrement avisé, n’oppose aucun moyen aux moyens et prétentions de [B C D] relativement à la prolongation du maintien de ce dernier en rétention. MOTIFS DE LA DÉCISION : Sur la procédure : Il est de l’intérêt d’une bonne justice d’instruire et juger ensemble les deux instances, et à cette fin d’en ordonner la jonction. Sur le moyen tiré de l'atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution par la disposition législative contestée : - Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution : Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présentéle 8 novembre 2010 dans un écrit distinct et motivé, conformément aux dispositions de l’article 126-2 du Code de procédure civile; il est donc recevable. - Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour decassation : L'article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dispose que la question prioritaire de constitutionnalité est transmise à la Cour de cassation à condition que la disposition contestée soit applicable au litige, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, et qu’elle ne soit pas dépourvue de caractère sérieux. Le maintien de [B C D] en rétention ne peut être ordonné par l’autorité administrative, en application de l’article L. 551-1 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, et prolongé par le juge des libertés et de la détention selon les dispositions de l’article L. 552-1, qu’en vue de l’exécution de la mesure d’éloignement décidée le 30 août 2010 par le préfet de Maine-et-Loire dans le délai de la rétention. Selon l’arrêté du préfet, [B C D] doit être reconduit à la frontière dès lorsqu’il s’est vu refuser son admission au séjour au titre de l’asile ainsi que la délivrance d'un document provisoire de séjour au motif de la fraude délibérée visée à l’article L.741-4, 4° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, que l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté la demande d’asile qu'il avait présentée et que, conformément aux dispositions de l’article L. 742-6, il ne bénéficie ainsi plus du droit de se maintenir en France, de sorte que la mesure d’éloignement peut être désormais mise à exécution, et ce avant que le recours formé par [B C D] contre le rejet de sa demande d’asile devant la Cour nationale du droit d’asile ne soit examiné. Les dispositions contestées sont ainsi applicables au litige. D'autre part, si les dispositions de l’article L. 741-4, 4° du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sont issues de celles de l’article 31 bis de l’ordonnance du 2 novembre 1945 dont le Conseil constitutionnel a, par sa décision n° 93-325 DC du13 août 1993, jugé qu’elles ne méconnaissaient aucun principe ou règle de valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel n’a en revanche pas statué, dans les motifs ou le dispositif de sa décision n° 2003-485 DC du 4 décembre 2003, sur celles de l’article 10 alinéa 2 de la loi n° 52-893 du 25 juillet 1952 relative au droit d’asile modifiée, reprises pour l'essentiel dans celles de l’article L. 742-6 alinéa, non plus que dans aucune autre décision sur la combinaison invoquée. Au surplus, $ est fondé à soutenir, en toute hypothèse, que la décision n ° 598533 en date du 20 avril 2009 par laquelle la Cour nationale du droit d’asile considère que le retour involontaire, dans son pays d’origine, d’un requérant qui n’a pas entendu renoncer à sa demande de protection, a pour conséquence d’interrompre provisoirement l'instruction de son affaire et qu’il n’y a pas lieu de statuer sur la demande, constitue un changement de circonstances de droit. Enfin, la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que le droit à un recours juridictionnel effectif, qui résulte de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit, que l’Office français de protection des réfugiés et apatrides ne constitue pas une juridiction et que le recours devant la Cour nationale du droit d’asile peut être privé de toute effectivité au cas où serait exécutée avant son examen la reconduite d'[B C D] vers un pays dans lequel celui-ci se prétend persécuté ou craint de l’être, ou encore être exposé aux menaces visées à l’article L. 712-1 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, exécution que la prolongation du maintien de l'intéressé en rétention est destinée à assurer. Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante: Les dispositions combinées des articles L. 551-1, L. 552-1, L. 741-4 et L. 742-6 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile portent-t-elles atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyenet ainsi par la Constitution? Sur les demandes relatives à la prolongation de la rétention : Dès lors que la présente instance a pour objet de mettre fin à une mesure de rétention, privative de liberté, il n’est pas, conformément à l’article 23-3 alinéa 2 de l’ordonnancen°58-1067 du 7 novembre 1958, sursis à statuer. Au fond, il résulte des énonciations des procès-verbaux de police que: - [E F], agent de police judiciaire à la sûreté départementale à [LOCALITE 4] a reçu,le 3 novembre 2010 à 9 heures 45, un appel téléphonique du directeur du foyer “[LOCALITE 5] à [LOCALITE 6], demandant l’intervention de la police relativement à [B C D], qui refuse de quitter la chambre qu’il occupe illégalement au foyer et se trouve en séjour irrégulier sur le territoire français, - les fonctionnaires de police se sont transportés au foyer où ils se sont présentés à 10heures 10, - ils ont interpellé [B C D] à 10 heures 20, lui ont indiqué qu’il allait être placé en rétention administrative et l’ont informé des droits qui s’y attachent après lecture faite par un interprète en langue arabe, - se trouvant au service le 3 novembre 2010 à 10 heures 20, [E F], agent depolice judiciaire, a procédé à l’audition de [B C D] par le truchement d’un interprète en langue arabe. Il appartient au juge judiciaire, gardien de la liberté individuelle par application de l’article 66 de la Constitution, de s’assurer de la régularité de la procédure antérieure à sa saisine, et en particulier de la régularité des actes successifs de privation de liberté depuis l’interpellation initiale de l’étranger. Or un tel contrôle ne peut être effectif qu’à la condition que les pièces de la procédure de police rapportent exactement les actes diligentés, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque, comme le fait valoir [B C D] à juste titre, 1] ne pouvait setrouver simultanément, non plus que les fonctionnaires de police, au foyer “[LOCALITE 7]”et au service de police et que l’agent de police judiciaire ne pouvait au même instant l’interpeller et lui notifier ses droits, et l’interroger sur le fond. Dès lors, pour ce motif qui suffit, il convient d’infirmer l’ordonnance déférée, de dire n’y avoir lieu de prolonger la rétention de [B C D] et d’ordonner sa remiseen liberté. PAR CES MOTIFS : Disons l’appel recevable en la forme ; Ordonnons la jonction des instances enregistrées au répertoire général de la cour sous lesnuméros 10/00454 et 10/0045 ; Statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité : Ordonnons la transmission à la Cour de cassation de la question suivante: Les dispositions combinées des articles L. 551-1, L. 552-1, L. 741-4 et L. 742-6 du Codede l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile portent-t-elles atteinte aux droitset libertés garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen, et ainsi par la Constitution ? Disons que la présente décision sera adressée par le greffe à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ; Statuant sur la prolongation de la rétention : Infirmons l’ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Rennes en date du 5 novembre 2010 ; Disons qu’il est mis fin à la rétention de [B C D] et ordonnons sa remise en liberté : Lui rappelons en outre son obligation de quitter le territoire, conformément aux dispositions de l’article L. 554-3 alinéa 1° du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Fait à Rennes, le 9 novembre 2010 à 14 heures LE GREFFIER, PAR DÉLÉGATION LE CONSEILLER, Notification de la présente ordonnance a été faite par fax le 9 novembre 2010 à [B C D], à son avocat et au préfet Le greffier, Cette ordonnance, en sa disposition sur la prolongation de la rétention, est susceptible d’un pourvoi en cassation dans les deux mois suivant la présente notification et dans les conditions fixées par les articles 973 et suivants du nouveau code de procédure civile. Communication de la présente ordonnance a été faite ce même jour au procureur général. Le greffier

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