Cour d'Appel de Rennes

Arrêt du 4 novembre 2010, N° 10/06366

04/11/2010

Renvoi

REPUBLIQUE FRANCAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

 

COUR D'APPEL DE RENNES

ARRET DU 04 NOVEMBRE 2010

Huitième Chambre Prud’Hom

ARRÊT N°609

Mme [K L]

UNION-LOCALE-CGT-DE SAINT NAZAIRE

c/

Association SAUVEGARDE DE L’ENFANCE 44 (ADSEA LOIRE ATLANTIQUE)

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DELIBERE :

Monsieur Bernard DEROYER, Président,

Madame Marie-Hélène L'HÉNORET, Conseiller,

Madame Catherine LEGEARD, Conseiller,

GREFFIER :

Monsieur Philippe RENAULT, lors des débats et lors du prononcé

MINISTERE PUBLIC :

Monsieur Didier RUELLAN DU CREHU, Substitut Général

DÉBATS :

À l’audience publique du 30 Septembre 2010

ARRÊT :

Contradictoire, prononcé publiquement le 04 Novembre 2010 par mise à disposition au greffe comme indiqué à l’issue des débats

DEMANDERESSES à la question prioritaire :

Madame [K L] [LOCALITE 1] [LOCALITE 2]

et l’'UNION LOCALE CGT DE SAINT NAZAIRE prise en la personne de son représentant légal

[LOCALITE 3]

TOUTES DEUX représentées par Me Erwan LE MOIGNE, Avocat au Barreau de SAINT-NAZAIRE

DEFENDERESSE à la question prioritaire :

l'Association SAUVEGARDE DE L'ENFANCE 44 (ADSEA LOIRE ATLANTIQUE) prise en la personne de son représentant légal [LOCALITE 4

[adresse 5]

représentée par Me Philippe BODIN, Avocat au Barreau de NANTES

Madame [K L] et l’Union Locale CGT de [LOCALITE 6] ont interjeté appel du jugement rendu le 29 septembre 2009 par le conseil de prud’hommes de St Nazaire qui a débouté Madame [L] de ses demandes tendant essentiellement à faire déclarer dépourvu de cause réelle et sérieuse son licenciement prononcé le 10 mai 2007 par l’association ADSEA de [LOCALITE 7], et fondé sur le retrait de son agrément aux fonctions d’assistante maternelle.

Le 31 août 2010 Madame [K L] et l’Union Locale CGT de [LOCALITE 8] ont déposé des conclusions aux fins de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité visant les dispositions de l’article L. 773-20 du Code du Travail devenu l’article L 423-8 alinéas 1 et 2 du Code de l’action sociale et des familles.

Vu les conclusions de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité déposées le 31 août 2010 par Madame [K L] et l’Union Locale CGT de [LOCALITE 9] et le mémoire déposé par ces parties le 30 septembre 2010, oralement soutenus à l’audience;

Vu la transmission faite le 3 septembre 2010 de la question prioritaire de constitutionnalité à Monsieur le procureur général près la cour d’appel de Rennes, et l’avis adressé à l’association ADSEA de [LOCALITE 10].

Vu les conclusions sur la question prioritaire de constitutionnalité déposées par l’association ADSEA de [LOCALITE 11] le 24 septembre 2010, oralement soutenues à l’audience;

Vu l'avis écrit déposé et oralement soutenu à l’audience par Monsieur le procureur général près la cour d’appel de Rennes;

Vu l’avis adressé le 1° octobre 2010 aux parties leur faisant rappel des dispositions de l’article 126-9 du code de procédure civile.

MOTIFS

Titulaire d’un agrément aux fonctions d’assistante maternelle depuis le 17 mai 1994, Madame [L] a été embauchée en qualité d’assistante familiale à compter du 18 mai 1994 par l’association ADSEA de [LOCALITE 12].

À la suite d’un signalement de mauvais traitements dénoncés par un mineur qu’accueillait Madame [L] courant 2006, cette dernière a fait l’objet d’une décision de suspension de son agrément par le conseil général de [LOCALITE 13], à la suite de laquelle son contrat de travail a été suspendu par l’association ADSEA.

Le 16 avril 2007, Madame [L] a fait l’objet d’une décision de retrait de son agrément aux fonctions d’assistante maternelle, notifiée le 19 avril 2007 à l’employeur.

Le 3 mai 2007, l’enquête pénale préliminaire a été classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée, le procureur de la république relevant dans sa décision qu’il n’existait “aucun élément de nature à suspecter l’assistante maternelle de la commission de la moindre infraction”.

Le 10 mai 2007, Madame [L] a fait l’objet d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse fondé sur les dispositions de l’article L. 773-20 du Code du Travail alors en vigueur, l'employeur constatant l’impossibilité pour la salariée d’exécuter son préavis en raison du retrait de son agrément.

La salariée a contesté la légitimité de son licenciement devant le conseil de prud’hommes.

Madame [K L] et l’Union Locale CGT de [LOCALITE 14] ont interjeté appel du jugement rendu le 29 septembre 2009 par le conseil de prud'hommes de St Nazaire qui l’a déboutée de ses demandes tendant essentiellement à faire déclarer son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

Le 31 août 2010 Madame [K L] et l’Union Locale CGT de [LOCALITE 15] ont déposé des conclusions aux fins de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité visant les dispositions l’article L. 773-20 du code du travail devenu l’article L 423-8 alinéas 1 et 2 du code de l’action sociale et des familles.

La requête aux fins de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé, apparaît recevable.

En effet, la disposition légale contestée est applicable au litige soumis à la cour d’appel, dès lors que ce texte est le fondement de la décision de l’employeur, invoqué dans la lettre de licenciement.

Il n’apparaît pas que cette disposition légale ait été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel.

Les demandeurs invoquent au soutien de leur requête que l’article L. 773-20 du code du travail devenu l’article L. 423-8 du code de l’action sociale et des familles, est contraire aux principes de la présomption d’innocence, du droit à un procès équitable et du droit à la protection contre un licenciement injustifié et enfin qu’il caractérise une violation du droit au travail garanti dans le préambule de la constitution de 1946.

L'article L. 773-20 du Code du Travail devenu l’article L. 423-8 du code de l’action sociale et des familles est ainsi rédigé:

“En cas de suspension de l'agrément, l'assistant maternel ou l'assistant familial relevant de la présente section est suspendu de ses fonctions par l'employeur pendant une période qui ne peut excéder quatre mois. Durant cette période, l'assistant maternel ou l'assistant familial bénéficie d'une indemnité compensatrice qui ne peut être inférieure à un montant minimal fixé par décret.

En cas de retrait d'agrément, l'employeur est tenu de procéder au licenciement par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.”

Le texte susvisé n’est pas contraire au principe de la présomption d’innocence posé par l’article 6-2 de la Convention européenne des droits de l’homme dès lors qu’il se borne à lier le licenciement du salarié à la décision de retrait de l’agrément aux fonctions.

S1, seule cette dernière décision est susceptible de heurter le principe de la présomption d’innocence, Madame [L] disposait d’un recours contre cette décision administrative qui lui faisait grief, qu’elle n’a pas utilisé.

De même les dispositions légales critiquées ne sont pas de nature à la priver du droit à un procès équitable ni du droit à la protection contre un licenciement injustifié dès lors qu’elle pouvait contester la décision administrative qui lui retirait son agrément aux fonctions d’assistante maternelle, puis agir devant la juridiction prud’homale.

Seul apparaît sérieux le moyen invoqué par les requérants selon lequel l’employeur en cas de suspension de l’agrément, ne peut suspendre l’exécution du contrat de travail pour une période qui ne peut excéder quatre mois, et est tenu en cas de retrait de l’agrément de procéder au licenciement.

En effet, ce texte qui fait obligation à l'employeur de procéder au licenciement au seul vu de la décision de retrait d’agrément, sans même proposer d’alternatives, est susceptible de contrarier le principe du droit au travail garanti par le préambule de la Constitution de 1946 en ce qu’il instaure une obligation impérative pour l’employeur et l’automaticité du licenciement en cas de retrait de l’agrément.

La question prioritaire de constitutionnalité n’apparaît pas en conséquence dépourvue de caractère sérieux, et doit être transmise à la Cour de Cassation pour qu’il soit statué conformément aux dispositions de l’article 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile.

Il sera donc sursis à statuer sur le fond de l’affaire jusqu’à la décision relative à cette question prioritaire de constitutionnalité .

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Déclare recevable la requête en transmission de la question prioritaire de constitutionnalité déposée le 31 août 2010 par Madame [K L] et l’Union Locale CGT de [LOCALITE 16] en ce qu’elle concerne la conformité des dispositions de l’article L. 773-20 du code du travail devenu l’article L 423-8 alinéas 1 et 2 du code de l’action sociale et des familles avec le principe du droit au travail garanti par le préambule de la Constitution de 1946.

Ordonne la transmission par le greffe de la cour dans les huit jours du prononcé de la présente décision, de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation.

Dit qu’il sera joint à cette transmission la requête en transmission de la question prioritaire de constitutionnalité déposée le 31 août 2010 par Madame [K L] et l’Union Locale CGT de [LOCALITE 17] et le mémoire déposé par ces parties le 30 septembre 2010, les conclusions déposées par l’association ADSEA de [LOCALITE 18] le 24 septembre 2010 et l’avis écrit déposé par Monsieur le procureur général près la cour d’appel de Rennes.

Dit qu’il sera sursis à statuer sur le fond de l’affaire jusqu’à la décision à intervenir sur la question prioritaire de constitutionnalité.

LE GREFFIER LE PRESIDENT,