Tribunal de grande instance de Troyes

Ordonnance du 22 octobre 2010, N° 09/00101

22/10/2010

Renvoi

Ordonnance du 22 octobre 2010

22/10/2010

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE TROYES CHAMBRE CIVILE ORDONNANCE DE MISE EN ETAT DU 11 OCTOBRE 1010 Ordonnance du : 22 OCTOBRE 2010 RG N° 09/00101 [A B] [C D] c/ S.C.I. DU BANC BLEU S.A.R.L. LA BELLE ETOILE Nous, Marie-Lisette SAUTRON, Vice-présidente au tribunal de grande instance de Troyes, agissant en qualité de juge de la mise en état, assistée de Nathalie PICART, faisant fonction de greffier, avons rendu une ordonnance dans une instance opposant : Monsieur [A B] [adresse 1] [LOCALITE 2] représenté par Me Caroline LEMELAND, avocat au barreau de TROYES Madame [C D] [adresse 3] [LOCALITE 4] représentée par Me Caroline LEMELAND, avocat au barreau de TROYES d’une part, et S.C.I. DU BANC BLEU Chez son gérant Monsieur [I J] [adresse 5] [LOCALITE 6] représentée par Me Jean-Jacques PRUGNOT, avocat au barreau de l'AUBE S.A.R.L. LA BELLE ETOILE 10 rue de la Belle Etoile 10170 MESGRIGNY représentée par la SCP JACTAT/HUGOT, avocats au barreau de l'AUBE d'autre part ********** Les avocats des parties ont été entendus à notre audience de mise en état du 08 Octobre 2010, en présence de [F G]. Il a été indiqué que l'ordonnance serait rendue le 22 Octobre 2010. EXPOSE DU LITIGE Vu l'acte d'huissier en date du 12 décembre 2008 par lequel monsieur [A B] et madame [C D] ont fait assigner la S.C.I. DU BANC BLEU et la S.A.R.L. LA BELLE ETOILE devant le tribunal de grande instance de Troyes en réparation de troubles anormaux du voisinage ; Vu le renvoi à la mise en état du 20 avril 2009 : Vu le mémoire du 24 août 2010 de monsieur [B] et de madame [D] soulevant une question prioritaire de constitutionnalité ; Vu les conclusions récapitulatives en date du 4 octobre 2010 par lesquelles monsieur [A B] et madame [C D] demandent au tribunal de : transmettre la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation pour renvoi au Conseil constitutionnel, surseoir à statuer dans l'attente de la décision à intervenir, statuer ce que de droit quant aux dépens. Et par lesquelles ils exposent : que les défendeurs, pour s'opposer à leur demande, ont fait valoir le moyen tiré de l'antériorité de l'activité génératrice de nuisance à l'acquisition par eux de l'immeuble qu'ils occupent ; que ce moyen est fondé implicitement sur les dispositions de l'article L.112-16 du Code de la construction et de l'habitation, applicables au litige, lesquelles portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce qu'elles sont contraires aux articles 1, 2, 3 et 4 de la Charte de l'Environnement de 2004, intégrée au Préambule de la Constitution de 1958 ; que la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce qu'elle concerne le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, ainsi que le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement, de prévenir les atteintes à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences et de contribuer à la réparation des dommages causés à l'environnement; que le Conseil constitutionnel n'a pas encore tranché cette question ; Vu les conclusions récapitulatives en date du 21 septembre 2010 par lesquelles la S.C.I.DU BANC BLEU demande au juge de la mise en état de : constater qu'aucun défendeur n'a fondé ses moyens sur l'article L.112-16 du Code de la construction et de l'habitation, dire et juger en conséquence qu'il n'y a lieu à transmission à la Cour de cassation de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les demandeurs au regard des dispositions de l'article L.112-16 du Code de la construction et de l'habitation, dire en conséquence qu'il n'y a lieu à surseoir à statuer, condamner solidairement les demandeurs aux dépens. Et par lesquelles elle expose : que le juge ne peut transmettre à la Cour de cassation une question prioritaire de constitutionnalité afférente à une disposition législative qui n'est invoquée par aucune des parties devant lui. Vu les conclusions récapitulatives en date du 5 octobre 2010 par lesquelles la S.A.R.L. LA BELLE ETOILE demande au juge de la mise en état de : constater que la société LA BELLE ETOILE n'a à aucun moment fait référence aux dispositions de l'article L.112-16 du Code de la construction et de l'habitation dans ses conclusions signifiées le 6 mars 2009, dire et juger dès lors n'y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par les demandeurs à la Cour de cassation, condamner Monsieur [B] et Madame [D] in solidum en tous les dépens. Et par lesquelles elle expose : que les demandeurs font une mauvaise appréciation de l'article 753 du Code de procédure civile, en ce que la société n'a formulé aucune prétention et s'est contentée de démontrer que la demande n'était pas fondée ; qu'il ne saurait être considéré qu'il y a eu de sa part évocation implicite des dispositions de l'article L.112-16 du Code de la construction et de l'habitation. Vu l'avis du ministère public en date du 28 septembre 2010, lequel a déclaré ne pas faire d'observations ; MOTIFS DE LA DECISION 1- Sur la recevabilité du moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution Il ressort des dispositions de l'article 23-1 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, ainsi que de l'article 126-2 du Code de procédure civile que pour être recevable, la question prioritaire de constitutionnalité doit être présentée dans un écrit distinct et motivé. En l’espèce, le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 24 août 2010, complété le 4 octobre 2010 dans un écrit distinct des conclusions de monsieur [A B] et madame [C D], et motivé. Il est donc recevable. 2- Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation L'article 23-2 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, dispose que la juridiction transmet la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies : 1° la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites, 2° elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances, 3° la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux. En l'espèce, les défendeurs contestent la question prioritaire de constitutionnalité au motif que l'article L.112-16 du Code de la construction et de l'habitation ne constitue pas le fondement de leurs moyens de défense, dans la mesure où ils se sont bornés à constater l'antériorité de l'activité prétendument nuisible pour en déduire le mal fondé des demandes. Or, ce moyen de fait est également un moyen de droit tiré du principe d'antériorité de l'article L 112-16 du code de la construction et de l'habitation, lequel ferme toute possibilité de réparation dans ce cas. Si les parties n'ont pas visé le texte litigieux, le tribunal, obligé de fonder sa décision en droit, ne manquera pas de faire application du principe tiré du texte litigieux. C'est pourquoi ce texte apparaît bien applicable au litige. En outre, elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que la charte de l'environnement en ses articles 1 à 4, pose le principe du droit de vivre dans un environnement équilibré, respectueux de la santé et surtout que toute personne doit réparer les dommages qu'elle cause à l'environnement dans les conditions définies par la loi. Or, une éventuelle inconstitutionnalité, qu'il n'appartient pas au juge judiciaire d'apprécier, serait de nature à faire échec au moyen développé en défense. Enfin, il n'a pas été relevé de décision du Conseil constitutionnel constatant dans son dispositif ou dans ses motifs la conformité de ce texte à la Constitution. En effet, l'article L 112-16 du code de la construction et de l'habitation est issu de l'article 72 de la loi n° 2003-590 du 2 juillet 2003, laquelle n'a été soumise au Conseil constitutionnel que sur le point de la conformité à la Constitution de son article 64. Aussi, la décision n°2003-472 DC du 26 juin 2003 du Conseil constitutionnel n'a, ni dans ses motifs, ni dans son dispositif, tranché la question de la conformité de l'article 72 de la loi n° 2003-590 du 2juillet 2003, et donc de l'article L 112-16 du code de la construction et de l'habitation, à la Constitution. Par ailleurs, la consultation de la liste des questions prioritaires déjà tranchées ou en instance devant le Conseil constitutionnel ou la Cour de cassation permet de constater que la question n'a pas été posée. Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante : « l'article L.112-16 du Code de la construction et de l'habitation porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution par les articles 1 à 4 de la Charte de l'environnement de 2004 intégrée au préambule de la Constitution du 4 octobre 1958 » ? Il sera sursis à statuer dans l'attente de la décision du Conseil constitutionnel. Les frais et dépens seront réservés. La cause et les parties seront renvoyées à la mise en état silencieuse du 3 mai 2011 à 9 heures.

PAR CES MOTIFS le juge de la mise en état statuant publiquement par ordonnance mise à disposition au greffe de la juridiction, rendue contradictoirement et insusceptible de recours immédiat, Vu les articles 23-1, 23-2 et 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel Vu les articles 126-1, 126-2, 126-3, 126-4, 126-8 et 126-9 du code de procédure civile, DECLARE RECEVABLE la question prioritaire de constitutionnalité présentée par monsieur [A B] et madame [C D]. ORDONNE la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : « L'article L.112-16 du Code de la construction et de l'habitation porte-t-il atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution en ses articles 1 à 4 de la Charte de l'environnement de 2004 intégrée au préambule de la Constitution du 4 octobre1958 » ? DIT que la présente ordonnance sera adressée par le greffe à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties. Reçu au greffe du Conseil constitutionnel le 27 janvier 2011 DIT que la présente décision sera notifiée par le greffe sans délais aux parties et au ministère public.

RAPPELLE aux parties que conformément aux dispositions de l'article 126-9 du code de procédure civile, elles disposent d'un délai d'un mois à compter de la présente décision pour faire connaître leurs éventuelles observations, lesquelles doivent être signées par un avocat à la Cour de cassation dans les matières où la représentation est obligatoire devant la Cour de cassation.

ORDONNE le sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir. RENVOIE la cause et les parties à la mise en état silencieuse du 3 mai 2011 à 9 heures. RESERVE les frais et dépens. Et ont signé Marie-Lisette SAUTRON, juge de la mise en état, et Nathalie PICART, greffière chargée de la mise à disposition de l’ordonnance.

 

 

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