Tribunal de grande instance de Paris

Jugement du 7 octobre 2010 N° RG 10/14131

07/10/2010

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PARIS

5ème chambre 2ème section

N° RG: 10/14131

N° MINUTE : 1

JUGEMENT DU 07/10/2010

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE

DEMANDEUR À LA QUESTION PRIORITAIRE :

Monsieur [I J K] exerçant sous le nom commercial STARLIGHT.

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

représenté par Me Roland LIENHARDT, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire E 974

DÉFENDEURS :

S.A. CONSORTIUM STADE DE FRANCE demandeur à l’action principale

Zac du Cornillon Nord

93216 ST DENIS LA PLAINE CEDEX

représentée par Me Eric ANDRIEU de la SCP DEFLERS ANDRIEU ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS. avocat postulant, vestiaire R 047

S.A.R.L. SDF PROD représentée par Monsieur [E F H] demandeur à l’action principale

ZAC du Cornillon Nord

93216 ST DENIS LA PLAINE CEDEX

représentée par Me Eric ANDRIEU de la SCP DEFLERS ANDRIEU ET ASSOCIES, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire R 047

S.A.S AUTOMATIC ANSWER COMMUNICATION exerçant sous le nom commercial ADVENCES représentée par son Président, M. [M N].

52 Rue de Malte

75011 PARIS

représentée par Me Olivier ITEANU de la SELARLITEANU, avocat au barreau de PARIS, avocat postulant, vestiaire D 1380

COMPOSITION : lors du délibéré et du prononcé

Christine-Marie COSTE-FLORET, Président

Anne-Françoise ASTRUC, Juge

Sylvie GARCIA, Juge

assisté de Anne LOREAU, greffière

DEBATS

AP audience du 02 septembre 2010 tenue en audience publique Après clôture des débats, avis a été donné aux Avocats.que le jugement serait rendu le 07 octobre 2010.

JUGEMENT

Prononcé en audience publique

Contradictoire

en premier ressort

Par actes d’huissier en date du 25 mars 2010, la société anonyme CONSORTIUM STADE DE FRANCE et à la SARL SDF PROD ont fait assigner Monsieur [K] et la SAS AUTOMATIC ANSWER COMMUNCIATION AAC exerçant sous le nom commercial ADVENCES, invoquant à l'encontre de Monsieur [K] des actes de parasitisme et de concurrence déloyale, demandant au Tribunal d’ordonner sous astreinte la cessation de l’activité de ce dernier et de nommer un expert aux fins d’ évaluer leur préjudice.

En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d’une instance en cours devant une juridiction civile, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi de la Cour de Cassation qui se prononce sans délai.

En application de l’article 23-1 de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant de la Cour de Cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En espèce, dans l'instance qui l'oppose à la société anonyme CONSORTIUM STADE DE FRANCE et à la SARL SDF PROD, Monsieur [I K], dans ses dernières écritures signifiées le 6 juillet 2010, expose que :

- la société anonyme CONSORTIUM STADE DE FRANCE diligente la procédure à son encontre en application de son objet social qui fonde son existence légale et sa capacité à agir,

- ledit objet social n’a de réalité que par les droits que la société demanderesse au principal croit détenir sur le Stade de France en vertu d’un contrat de concession daté du 29 avril 1995, non signé puisque la signature du contrat par le Premier ministre a été annulée par un jugement définitif du Tribunal administratif de Paris en date du 2 juillet 1996,

- ce contrat non signéa cependant fait l’objet d’une validation législative par la loi n°96-1077 du 11 décembre 1996 relative au contrat de concession du Stade de France à Saint Denis, loi publiée au Journal Officiel du 12 décembre 1996, et fait valoir que cette loi est anti-constitutionnelle, en ce que :

✓ Le contrat de concession a été mis à mal par les juridictions administratives, le Tribunal administratif a considéré que les stipulations du contrat portaient atteinte au principe d’égal accès des candidats à l’octroi de la concession, la loi du 11 décembre 1996 est intervenue afin de conférer une valeur législative à ce contrat et bloquer toute intervention Judiciaire,

✓ La loi de validation méconnaît l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen,

- seul l’intérêt général peut justifier une loi de validation, le prétendu motif d’intérêt général n’existe plus aujourd’hui,

- la validation n’est possible que si la loi de validation indique clairement l’illégalité qu’elle vient rectifier, cette condition n’est pas respectée puisque la loi valide le contrat sans aucune précision,

✓ La loi méconnaît l'objectif d'accessibilité et d’intelligibilité de la loi et l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.

Il sollicite le rejet des irrecevabilités soulevées par la société CONSORTIUM STADE DE FRANCE et soutient que :

- les dispositions inconstitutionnelles de la loi n° 96-1077 du 11 décembre 1996 sont applicables au litige et à la procédure,

- l’inconstitutionnalité de la loi du 11 décembre 1996 l’autorise à soulever à titre d’exception la nullité du contrat de concession,

- cette loi n’a pas été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs d’une décision du Conseil constitutionnel

- la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Monsieur [K] demande au Tribunal, sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution et des articles 23-1 et suivants de l’Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 de :

- déclarer irrecevable le grief d’irrecevabilité formulé par les sociétés CONSORTIUM STADE DE FRANCE et SDF PROD dans leurs conclusions,

- débouter les sociétés CONSORTIUM STADE DE FRANCE et SDF PROD de leur exception d’irrecevabilité,

- ordonner le retrait de la pièce adverse n°14,

- transmettre à la Cour de Cassation la question prioritaire de constitutionnalité suivante :

“L'article unique de la loi n° 96-1077 du 11 décembre 1996 est-il conforme à la Constitution plus particulièrement aux articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et à l'objectif constitutionnel d'accessibilité et d intelligibilité de la loi ?”,

- surseoir à statuer sur le fond du litige ; jusqu’à réception de la décision de la Cour de Cassation ou, s’ilia été saisi, du Conseil Constitutionnel,

- condamner “solidairement” les sociétés CONSORTIUM STADE DE FRANCE et SDF PROD à lui payer une somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

En réplique, dans leurs dernières écritures signifiées le 1er juillet 2010, la société anonyme CONSORTIUM STADE DE FRANCE et la SARL SDF PROD soutiennent que :

- la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par [L K] est irrecevable,

✓ la question prioritaire de constitutionnalité n’est pas une prétention autonome, c’est un simple moyen qui doit nécessairement venir au soutien d’une prétention dont il suit alors le régime,

✓ L exception d’ incompétence invoquée par le défendeur est soulevée postérieurement à sa défense au fond et donc trop tardivement, l’ adoption de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009 n'autorise pas, dans le cadre d’une procédure en cours lors de l’entrée en vigueur de cette loi à déroger à à l’article 74 du Code de procédure civile et à soulever une exception d’ incompétence après avoir défendu au fond, quand bien même cette exception d’ incompétence reposerait et serait motivée par la présentation d’une question prioritaire de constitutionnalité,

✓ le défendeur n’est pas fondé à exciper de la nullité, dans son ensemble, du contrat de concession du Stade de France,

- la loi n° 96-1007 du 11 décembre 1996 n’est pas applicable au litige opposant la société CSDF à Monsieur [K],

✓ cette loi est sans rapport avec l’irrecevabilité de l’ exception d’incompétence soulevée par Monsieur [K],

✓ cette loi ne conditionne ni la capacité n1 l’intérêt de la société CSDF à agir contre Monsieur [K],

- la question prioritaire de constitutionnalité soulevée par [L K] ne présente pas un caractère sérieux,

✓ la constitutionnalité de la loi de validation du 11 décembre 1996 est unanimement reconnue,

✓ la loi de validation du 11Idécembre 1996 est manifestement conforme à l’article 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle répond à un motif d’intérêt. général suffisant et a une portée parfaitement ciblée, elle ne méconnaît manifestement pas les objectifs constitutionnels d'accessibilité et d’intelligibilité de la loi, et demandent au Tribunal de :

- débouter Monsieur [K] de sa demande tendant à la transmission à la Cour de Cassation de la question prioritaire de constitutionnalité déposée à l’audience du Tribunal du 3 mars 2010 en raison de son caractère mal fondé,

- condamner Monsieur [K] à payer à la société CONSORTIUM STADE DE FRANCE la somme de 5 000 euros au titre de l’article 700 du Code de procédure civile et aux entiers dépens.

La SAS AUTOMATIC ANSWER COMMUNCIATION AAC exerçant sous le nom commercial ADVENCES, dans ses conclusions signifiées le 15 mars 2010 demande qu’il lui soit donné acte de ce quelle s’en remet à la décision du Tribunal sur la question prioritaire de constitutionnalité déposée le 3 mars 2010.

Le Ministère Public, dans ses conclusions du 26 mars 2010 émet l’avis suivant sur les trois conditions qui doivent être réunies pour permettre la saisine de la Cour de Cassation :

- concernant la condition selon laquelle la disposition contestée doit être “applicable au litige ou à la procédure et constituer le fondement des poursuites”,

Il fait observer que :

✓ par litige il faut entendre tous les points de forme ou de fond que le juge peut être amené à trancher,

✓ la première question que doit se poser le juge est celle de la recevabilité de l’action, ✓ c’est à juste titre que Monsieur [K] relève que le Consortium tient sa légitimité de la loi de validation et en tire la conséquence que s1 cette loi était remise en cause cela influerait sur la capacité à agir du Consortium,

✓ la première condition est donc remplie,

- Concernant la condition selon laquelle la question n’a pas été déclarée conforme à la Constitution, cette condition est également remplie,

- concernant la condition selon laquelle la question posée ne doit pas être dépourvue de caractère sérieux, l’argumentaire de [L K] est préciset circonstancié, la condition est donc également remplie.

Le Ministère Public conclut à la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur la recevabilité

Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 3 mars 2010 dans un écrit distinct des conclusions de Monsieur [I K], écrit motivé, il est donc recevable.

Il ne peut pas être fait grief à Monsieur [K] d’avoir conclu au fond, alors que la loi du 10 décembre 2009 et son décret d'application du 16 février 2010 n’étant pas encore en vigueur, il n’avait pas la possibilité de soulever une question prioritaire de constitutionnalité. La question, soulevée le 3 mars 2010 alors que la loi du 10 décembre 2009 a été mise en vigueur le 1er mars précédent, n’est pas tardive.

En outre, en application de l’article 122 du Code de procédure civile le défaut de qualité à agir constitue, non une exception de procédure, mais une fin de non-recevoir. Aux termes de l’article 123 du même code, les fins de non-recevoir peuvent être proposées en tout état de cause.

La question prioritaire de constitutionnalité soulevée lors d’une instance en Cours est donc recevable.

Sur la question de la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à à la Cour de Cassation

L'article 23-2 de l’ Ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et l’article 1er de la loi n° 2009- 1523 du 10 décembre 2009 relatif à l’application de l’article 61-1 de la Constitution disposent que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de Cassation si les conditions suivantes sont remplies ;

- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites,

- elle n’a pâs déjà été déclarée conforme à à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel sauf changement de circonstances,

- la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

En l'espèce,

- la disposition contestée est applicable au litige et à la procédure. En effet si la loi querellée était déclarée non conforme à la Constitution, la question de la recevabilité de l’action de la société CONSORTIUM STADE DE FRANCE se poserait au juge, car cela aurait une influence sur sa capacité à agir.

- la loi de validation n’a pas été déclarée conforme à la Constitution par une décision du Conseil Constitutionnel ; le moyen au terme duquel la constitutionnalité de la loi dé validation serait “unanimement reconnue” est sans pertinence, les “commentateurs cités dans les conclusions du Consortiumn “ayant pas qualité pour prendre une décision en ce sens et leur “opinion” ne liant pas le juge.

- l'argumentation de Monsieur [K] est motivée, précise et circonstanciée. Monsieur [K] conteste le fait que la loi de validation aurait répondu à un intérêt général, nie le caractère ciblé de la loi de validation et estime celle-ci imprécise, 1l réfute l’accessibilité et l’intelligibilité de cette loi. Il n’appartient pas au juge du fond de juger si ce raisonnement est fondé.

Il sera seulement: admis qu’un tel raisonnement n’est pas dépourvu de caractère sérieux.

Sur les autres demandes des parties et les dépens

En application des dispositions de l’article 23-3 de l’Ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, lorsqu'une question est transmise, la juridiction sursoït à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de Cassation ou, s’1l a été saisi, du Conseil Constitutionnel, sauf si la prise de mesures provisoires ou conservatoires s’avère nécessaire.

La pièce n°14 étant parfaitement inutile à la solution du litige relatif à la présente question prioritaire de constitutionnalité, 1l n’y a pas lieu de l’écarter des débats.

En l'espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, ni que les points du litige soient immédiatement tranchés. Il sera donc sursis à statuer sur l’ensemble des autres demandes des parties, les demandes relatives à l’article 700 du Code de procédure civile et le dépens étant réservés.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal statuant en audience publique, par mise à disposition au greffe, par jugement contradictoire insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

Dit qu'il n’y a pas lieu d’écarter des débats la pièce N° 14 ;

Ordonne la transmission à la Cour de Cassation de la question suivante “L'article unique de la loi n° 96-1077 du 11 décembre 1996 est-il conforme à la Constitution plus particulièrement aux articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et à l’objectif constitutionnel d'accessibilité et d ‘intelligibilité de la loi ?”;

Dit que le présent jugement sera adressé à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Dit que les parties et le Ministère Public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

Sursoit à statuer sur les demandes des parties ;

Dit que l’affaire sera rappelée à l’audience du 18 mai 2011 à 9 H 30 si la question prioritaire de constitutionnalité a été transmise au Conseil Constitutionnel, ou à l’audience du 26 janvier 2011 à 9H 30 dans le cas contraire; salle d’audience de la 5ème chambre de ce Tribunal ;

Réserve les demandes formulées en application de l’article 700 du Code de procédure civile et les dépens.

Fait et jugé à Paris le 07 octobre 2010

Le Greffier Le Président Anne LOREAU Christine-Marie COSTE FLORET