Tribunal administratif de Polynésie Française

Jugement du 28 septembre 2010 n° 1000308

28/09/2010

Renvoi

TRIBUNAL ADMINISTRATIF

DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE

 

 

 

N°1000308

___________

 

SYNDICAT MIXTE POUR LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE

DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE

___________________________________

 

Mme Lubrano

Rapporteur

___________

 

M. Mum

Rapporteur public

___________

 

Audience du 14 septembre 2010

Lecture du 28 septembre 2010

___________

 

 

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

 

 

 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

 

 

 

Le Tribunal administratif de la Polynésie française

(1ère Chambre)

 

 

 

 

 

 

Vu, enregistrée le 15 juin 2010 sous le n° 1000308, la requête présentée par la selarl Jurispol, avocats, pour le SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE dont l'adresse postale est BP 4542 à Faa'a (98703), représenté par son président en exercice ;

Le SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE demande au tribunal :

• d’annuler l’arrêté n° HC 22IDV du 29 avril 2010 du haut-commissaire de la République portant annulation de l’arrêté n° 2010/01 du président du syndicat mixte chargé de la gestion du contrat urbain de cohésion sociale de l’agglomération de Papeete portant recrutement en contrat à durée indéterminée de Mme B... A... et du contrat à durée indéterminée en date du 22 janvier 2010,

• de mettre à la charge de l’Etat la somme de 250.000 F CFP au titre de l’article L 761 1 du code de justice administrative ;

Le SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE soutient que :

• l’arrêté qui annule un arrêté de recrutement et un contrat de travail, actes créateurs de droit, devait être motivé et la motivation qui assortit la décision attaquée n’est pas suffisante pour répondre aux exigences de la loi du 11 juillet 1979,

• le haut-commissaire de la République en Polynésie française ne pouvait se fonder sur les dispositions de l’article 8 de l’ordonnance du 5 octobre 2007 qui ne comportent aucune référence aux syndicats mixtes,

• l’article 8 de l’ordonnance concerne les délibérations sans pouvoir s’étendre aux actes de recrutement et aux contrats de travail même de droit public,

• les décisions annulées ayant été transmises le 22 février 2010, le délai d’un mois imparti au représentant de l’Etat pour annuler d’office ces actes était expiré,

• la conclusion d’un contrat à durée indéterminée n’était pas illégale et il était loisible au haut-commissaire de la République en Polynésie française de procéder, le cas échéant, à la requalification en contrat à durée déterminée,

• l’arrêté est entaché d’un détournement de pouvoir ;

 

Vu enregistré le 23 juillet 2010 le mémoire en défense présenté par le haut-commissaire de la République en Polynésie française qui conclut au rejet de la requête ;

Le haut-commissaire de la République en Polynésie française fait valoir que :

• l’arrêté attaqué est explicitement motivé en fait comme en droit pour autant qu’une décision prise dans le cadre du contrôle de tutelle soit considérée comme présentant un caractère «individuel»,

• l’article 8 de l’ordonnance du 5 octobre 2007 est applicable aux établissements publics des communes au nombre desquels figurent les syndicats mixtes, et l’arrêté n’est donc pas entaché d’erreur de droit,

• l’ensemble des actes de l’exécutif et en particulier les arrêtés sont assujettis au contrôle du représentant de l’Etat,

• les dispositions de l’ordonnance habilitent le haut-commissaire de la République en Polynésie française à pouvoir prononcer la nullité de droit à toute époque et pas seulement dans un délai d’un mois,

• la personne recrutée par le syndicat ne pouvait légalement bénéficier d’un contrat à durée indéterminée,

• et le détournement de pouvoir allégué n’est pas établi, le représentant de l’Etat ayant agi avec le seul souci d’assurer la préservation stricte de la légalité ;

 

Vu enregistré le 19 août 2010 le mémoire en réplique présenté pour le SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE tendant aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens et sollicitant, en outre, qu’il soit enjoint au haut-commissaire de la République en Polynésie française de requalifier son contrat en contrat à durée déterminée ;

Le SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE soutient que :

• le haut-commissaire de la République en Polynésie française a méconnu son obligation de proposer à l’agent une régularisation de son contrat afin que son exécution puisse se poursuivre régulièrement,

• les pouvoirs reconnus au représentant de l’Etat méconnaissent le principe de libre administration des collectivités territoriales ;

 

Vu, enregistré le 19 août 2010 le mémoire présenté pour le SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE qui saisit le tribunal, sur le fondement des dispositions de l'article R 771-3 du code de justice administrative d'une demande de transmission d'une question prioritaire de constitutionnalité concernant l'article 8 de l'ordonnance 2007- 1434 du 5 octobre 2007 modifiée portant extension des première, deuxième et cinquième parties du code général des collectivités territoriales aux communes de Polynésie française, à leurs groupements et à leurs établissements publics rendue applicable le 1er mars 2008, dont les dispositions sont constitutives d'une atteinte à la libre administration des collectivités locales, garantie par l'article 72 de la Constitution ;

 

Le SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE soutient que :

• le représentant de l'Etat peut, par l'effet de l'article 8 de l'ordonnance 2007-1534 du 5 octobre 2007 annuler, sans l'intervention du juge administratif, la quasi-totalité des actes des communes et des groupements de communes, et ce, à tout moment,

• cette prérogative est critiquable au regard de la sécurité juridique des actes des communes et en contradiction avec le principe d'un contrôle intervenant avant que l'acte soit devenu exécutoire,

• l’article 8 méconnaît ainsi le principe de libre administration des collectivités territoriales,

• les compétences dévolues à l'Etat par l'article 14 de la loi organique n2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, n'impliquent aucunement un pouvoir de décision sur les actes des communes, un tel pouvoir est susceptible de priver les communes de l'exercice de leurs compétences,

• la question ainsi posée est applicable au litige dont elle conditionne la solution, et n'a jamais été déclaré conforme à la Constitution ;

 

Vu, enregistré le 1er septembre 2010, le mémoire présenté par le haut commissaire de la République en Polynésie française qui demande au tribunal de constater qu'il n'y a pas lieu de transmettre cette question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d’Etat;

Le haut commissaire de la République fait valoir que la condition, relative au sérieux de la question posée n'est pas remplie pour permettre une transmission dans la mesure où :

• l'article 72 de la Constitution pose que les collectivités territoriales s'administrent librement, mais dans les conditions prévues par la loi, au nombre desquelles figurent la nécessité d'un dispositif résiduel de contrôle des actes des communes de Polynésie française dans un but d'adaptation des élus et de leurs services,

• le régime de tutelle est un régime transitoire en vue de l’application du contrôle a posteriori et de l’extension du code général des collectivités territoriales aux communes de Polynésie française,

• ces dispositions ne sont pas excessivement attentatoires aux libertés des communes, compte tenu des voies de recours dont elles disposent, de la faculté de rétablir la légalité avec le conseil du représentant de l'Etat, et, à terme, d'un cadre juridique approprié au plein exercice de leurs compétences;

 

Vu, enregistrée le 15 septembre 2010, la note en délibéré présentée pour le SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE;

 

Vu les autres pièces du dossier ;

 

Vu la Constitution, notamment son article 61-1;

 

Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, notamment ses articles 23-1 à 23-3;

 

Vu le décret n° 2010-148 du 16 février 2010 portant application de la loi organique 2009-153 du 10 décembre 2009 relative à l'application de l'article 61-1 de la Constitution;

 

Vu le code de justice administrative ;

 

 

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

 

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 14 septembre 2010 :

- le rapport de Mme Lubrano, premier conseiller,

- les observations de Me Dubois pour le SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE,

- les observations de M. C... représentant le haut-commissaire de la République en Polynésie française,

- les conclusions de M. Mum, rapporteur public,

la parole ayant été donnée à nouveau à Me Dubois et au représentant du haut-commissaire de la République en Polynésie française ;

 

 

 

 

Considérant qu’il résulte des dispositions combinées des premiers alinéas des articles 23-1 et 23-2 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, que le tribunal administratif saisi d’un moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution présenté dans un écrit distinct et motivé, statue sans délai par une décision motivée sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil d'Etat et procède à cette transmission si est remplie la triple condition que la disposition contestée soit applicable au litige ou à la procédure, qu’elle n’ait pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances et que la question ne soit pas dépourvue de caractère sérieux ; que le second alinéa de l’article 23-2 de la même ordonnance précise que : «En tout état de cause, la juridiction doit, lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, d'une part, aux droits et libertés garantis par la Constitution et, d'autre part, aux engagements internationaux de la France, se prononcer par priorité sur la transmission de la question de constitutionnalité au Conseil d'Etat…» ;

 

Considérant, tout d’abord, que l’article 8 de l’ordonnance n° 2007-1434 du 5 octobre 2007, ayant valeur législative depuis sa publication en vertu de la ratification de cette ordonnance par l’article 66 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009, instituant les modalités de contrôle par le haut commissaire de la République des actes des communes de Polynésie française et de leurs groupements, est un texte de valeur législative qui est applicable au litige et commande sa résolution ;

 

Considérant, ensuite, que cette disposition n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel ;

 

Considérant que si le syndicat requérant invoque la méconnaissance par la disposition litigieuse du principe de la sécurité juridique, ce moyen ne saurait être retenu dès lors que ce principe ne figure pas au nombre des principes constitutionnellement reconnus ; qu’en revanche, la question du respect, par le pouvoir de tutelle exercé par le représentant de l’Etat tel qu’il résulte du II de l’article 8 de cette ordonnance l’habilitant à annuler à toute époque un acte d’une commune ou de l’un de ses établissements publics, de l’autonomie du pouvoir de décision des communes de Polynésie française et de leurs groupements, que la Constitution garantit en son article 72 sous forme du principe de la libre administration des collectivités locales, n’est pas, en l’état du dossier, dépourvue de caractère sérieux, nonobstant les possibilités offertes aux communes de Polynésie française de rétablir la légalité avec l’aide du conseil du représentant de l’Etat, voire de saisir le juge d’une requête à l’encontre des décisions prises dans le cadre des pouvoirs de tutelles ; qu’ainsi il y a lieu de transmettre au conseil d’Etat la question prioritaire de constitutionnalité ainsi soumise ;

 

 

D É C I D E

 

 

 

Article 1er : La question de la conformité du II. de l’article 8 de l’ordonnance 2007-1434 du 5 octobre 2007 à la constitution est transmise au conseil d’Etat.

 

Article 2 : Il est sursis à statuer sur la requête principale n° 1000308 du SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE jusqu’à ce qu’il ait été statué par le Conseil d’Etat, ou, s’il est saisi, par le Conseil Constitutionnel, sur la question de constitutionnalité ainsi soulevée.

 

Article 3 : Le présent jugement sera notifié au SYNDICAT MIXTE CHARGE DE LA GESTION DU CONTRAT URBAIN DE COHESION SOCIALE DE L’AGGLOMERATION DE PAPEETE , et au haut-commissaire de la République en Polynésie française.

 

Délibéré après l'audience du 14 septembre 2010, à laquelle siégeaient :

 

M. Cau, président,

Mme Lubrano, premier conseiller,

Mme Gonnot, premier conseiller,

 

Lu en audience publique le 28 septembre 2010.

 

Le rapporteur,

 

 

 

 

 

 

M-C. LUBRANO

Le président,

 

 

 

 

 

 

C. CAU

 

Le greffier,

 

 

 

 

 

D. GERMAIN

 

La République mande et ordonne au haut-commissaire de la République en Polynésie française en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.

 

Pour expédition conforme,

Papeete, le 28 septembre 2010

Le greffier en chef,

 

 

 

D. GERMAIN

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

3

N°1000306