Tribunal de grande instance de Grenoble

Jugement du 22 juillet 2010 N° 10/00023

22/07/2010

Renvoi

TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE GRENOBLE

CHAMBRE DE L’EXPROPRIATION

JUGEMENT DU 22 Juillet 2010

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

Expro N° 10/00023

Jugement :

Demandeur à la question prioritaire :

Monsieur [H E I’ J]

[adresse 1]

[LOCALITE 2]

représenté par Maître MAUBLEU, avocat au barreau de Grenoble,

Défendeur :

LE DEPARTEMENT DE L’ISERE

HOTEL DU DEPARTEMENT

7 rue Fantin Latour BP 1096

38022 GRENOBLE CEDEX 1

representé par Monsieur [T U], Madame [M N], Madame [V], Madame [W] et Monsieur [X]

en présence des autres parties expropriées

Monsieur [O E]

[adresse 3]

[LOCALITE 4]

non comparant

Madame [F E-G]

[adresse 5]

[LOCALITE 6]

non comparante

Madame [P Q]

[adresse 7]

[LOCALITE 8]

non comparante

Madame [R S]

[adresse 9]

[LOCALITE 10]

non comparante

Monsieur [K E]

[adresse 11]

[LOCALITE 12]

non comparant

Monsieur [L E]

[adresse 13]

[LOCALITE 14]

non comparant

Madame [A B C VEUVE E]

[adresse 15]

[LOCALITE 16]

non comparante

COMPOSITION

Monsieur Martin DELAGE, Juge de l'Expropriation du Département de l'Isère, Vice-Président du Tribunal de Grande Instance de Grenoble, assisté de Catherine FOUCHER, Greffier de la Juridiction, en application des dispositions du Code de l'Expropriation pour cause d'utilité publique,

Après avoir entendu à l'audience du 25 Juin 2010 tenue publiquement en une salle de la Mairie de [LOCALITE 17], Maître MAUBLEU et le défendeur dans le développement des éléments de leurs écrits, Monsieur [Y], Commissaire du Gouvernement, Inspecteur des Impôts, spécialement désigné à cet effet par le Trésorier Payeur Général, en ses observations. l’affaire a été mise en délibéré au 22 juillet 2010.

En application de l’article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l’occasion d' une instance en cours devant une juridiction, il est soutenu qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai détermine.

En application de «l’ article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d’Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu’une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d’irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l’espèce, Monsieur [H E I’ J] prétend que les dispositions des articles L 13-13 et L 13-15 du Code de l’Expropriation, portent atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, en ce que l’article L 13-13 du Code de l'Expropriation limite l’indemnisation au préjudice matériel et que l’article L 13 -15 impose l'évaluation de la valeur des biens expropriés en prenant en compte leur usage non pas au jour de la décision du Juge fixant les indemnités mais un an avant l’ouverture de l’enquête d’ utilité publique et en ce qu’il impose encore l’évaluation en fonction de l’usage effectif de ce bien à cette date de référence et non pas à la date de La décision du Juge et encore en ce qu’il impose l’évaluation en fonction de ce seul usage effectif et non pas aussi de l’usage possible.

En réplique, le Département de l’ Isère représenté par Monsieur [Aa XX], président du [LOCALITE 18], demande à la ‘juridiction de l’Expropriation de dire que les questions prioritaires de constitutionnalité sont dépourvues de caractère sérieux, de débouter le requérant de sa demande de sursis à statuer, et à titre subsidiaire de statuer sur la fixation des indemnités d’expropriation.

La présente affaire a été communiquée au Ministère Public Le 28 mai 2010, qui a fait connaître son avis Le 18 juin 2010. Le Ministère Public soutient que les dispositions contestées sont applicables au litige en cause et qu’elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution, que par ailleurs la question apparaît sérieuse en ce qu’elle fait référence à un droit garanti par un texte cité dans Le préambule de la Constitution.

MOTIFS DE LA DECISION

Sur le moyen tiré de l’atteinte portée aux droits et libertés garantis par la Constitution par les articles L. 13 - 13 et L. 13 - 15 du code de l’expropriation :

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution :

Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 19 mai 2010 dans un écrit distinct des conclusions de Monsieur [H E I’ J], et motive.

IL est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalite a la Cour de cassation :

L'article 23-2 de l’ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai La question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si Les conditions suivantes sont remplies :

- 1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

- 2° Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances ;

- 3° La question n’est pas dépourvue de caractère sérieux.

Les dispositions du Code de l” Expropriation contestées sont applicables à la procédure, puisqu'elles sont relatives aux critères de fixation des indemnités dues en matière d’expropriation.

Elles n’ont pas déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel.

En outre, elles ne sont pas dépourvues de caractère sérieux.

En effet, l’article L. 13 - 13 du Code de l’Expropriation limite l'indemnisation de l’ exproprié à son préjudice matériel et l’article L. 13 - 15 du même Code impose une évaluation de la valeur des biens expropriés en prenant en compte leur usage non pas au jour de la décision du juge fixant les indemnités mais un an avant l'ouverture de l’enquête d’utilité publique, qu’il impose également l'évaluation en fonction de l’usage effectif de ces biens à cette date de référence et non pas à la date de la décision du juge, et enfin qu’il impose l’ évaluation en fonction du seul usage effectif et non pas aussi de l'usage possible, alors que La Déclaration des Droits de l' Homme et du Citoyen du 26 août 1789 décrit, en son article 2, le droit de propriété comme l’un des « droits naturels et imprescriptibles de l’homme » et exige, en son article 17 « une juste et préalable indemnité » lorsque la nécessité publique conduit un individu à être privé de son bien.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de Cassation la question suivante :

Les dispositions des articles L. 13 - 13 et L. 13 - 15 du code de l’expropriation portent-t-elles atteinte aux droits et libertés garantis par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et notamment par ses articles 2 et 17 ?

Sur les autres demandes des parties et les dépens :

En application des dispositions de l’article 23-3 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

Le cours de l'instruction n’est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires.

En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour les droits d’une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchées.

En l’espèce, aucune disposition législative ou réglementaire ne permet que soient ordonnées des mesures provisoires ou conservatoires, nique des points du litige soient immédiatement tranches, la procédure d’ urgence prévue par l’article L.15-4 du Code de l’ Expropriation n'étant au demeurant pas visée dans la déclaration d’utilité publique du 31 mai 2005.

Il sera donc sursis à statuer sur l’ ensemble des demandes des parties, et Les dépens seront réservés.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, par jugement contradictoire, insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,

ORDONNE la transmission à la Cour de Cassation de la question suivante :

Les dispositions des articles L. 13 - 13 et L. 13 - 15 du code de l’expropriation portent-t-elles atteinte aux droits et libertés garantis par la déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 et notamment par ses articles 2 et 17?

DIT que le présent jugement sera adressé à La Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

DIT que les parties et le Ministère Public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

SURSOIT à statuer sur Les demandes des parties ;

RESERVE les dépens.

LE GREFFIER

LE JUGE DE L'EXPROPRIATION