Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 2 juillet 2010

02/07/2010

Renvoi

DOSSIER N° 2010/05515

N° Parquet : M09/50548

ARRÊT DU 2 JUILLET 2010

COUR D’APPEL DE PARIS

PÔLE 7

TROISIÈME CHAMBRE DE L’INSTRUCTION

ARRÊT

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

(N° 6, 5 pages)

La Chambre de l’instruction de Paris

Réunie en chambre du conseil le 2 juillet 2010

a prononcé le présent arrêt en chambre du conseil le 2 juillet 2010

REQUÉRANT :

[A B],

né le [DateNaissance 1] 1991 à [LOCALITE 2]), de [E] et de [C D].

Ayant pour avocat Me Eric PLOUVIER, 73 boulevard de Sébastopol - 75002 Paris

QUALIFICATION DES FAITS : Vol avec arme et en réunion en état de récidive légale

(Dossier de demande de mise en liberté 2010/05218)

COMPOSITION DE LA COUR

lors des débats, du délibéré et du prononcé de l'arrêt :

M. GUIGNARD, président

Mme BARBIER, conseiller

M, COIRRE, conseiller

Tous trois désignés en application des dispositions de l'article 191 du Code de procédure pénale

GREFFIER : Mme PATRON-BELLET, Greffier, lors des débats et du prononcé de l'arrêt

MINISTÈRE PUBLIC : M. DAUVEL, Avocat Général, lors des débats et lors du prononcé de l'arrêt ;

DÉBATS

ont été entendus

M. GUIGNARD, président, en son rapport

M. DAUVEL, avocat général, en ses réquisitions

Me PLOUVIER, avocat de [B A] et qui a eu la parole en dernier

RAPPEL DE LA PROCÉDURE

Par requête enregistrée au greffe de la cour d’appel le 7 juin 2010 sous le numéro 2010/05515, Me PLOUVIER, avocat de la personne mise en examen requérante, à l’occasion du dépôt d’un mémoire dans la procédure de demande de mise en liberté en application des dispositions de l’article 207 du Code de procédure pénale enregistrée sous le numéro 2010/05218, et par écrit séparé, a saisi la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris d’une question prioritaire de constitutionnalité.

La date d’audience a été notifiée par lettre recommandée en date du 21 juin 2010

- à l’avocat du requérant - au requérant

le même jour, le dossier comprenant les observations écrites de M. Le Procureur Général en date du 8 juin 2010 a été déposé au greffe de la chambre de l’instruction et tenu à la disposition de l’avocat du requérant.

DÉCISION

Prise après en avoir délibéré conformément à l'article 200 du Code de procédure pénale

EN LA FORME

Considérant que cette requête présentée par écrit distinct et motivé, et à l’occasion de la présentation d’une demande mise en liberté en application de l’article 207 du code de procédure pénale enregistrée sous le n° 2010/05218, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de la loi organique du 10 Décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, est recevable.

AU FOND

Aux termes de la requête aux fins de formulation d’une question prioritaire de constitutionnalité présentée le 7 juin 2010, [B A] représenté par Maître Eric PLOUVIER prétend que F article 207 du Code de procédure pénale en ce qu’il prévoit :

“Lorsque la chambre de l’instruction décerne mandat de dépôt ou qu’elle infirme une ordonnance de mise en liberté ou de refus de prolongation de détention provisoire, les décisions en matière de détention provisoire continuent de relever de la compétence de collège de l’instruction (juge d’instruction) et du juge des libertés et de la détention sauf mention expresse de la part de la chambre de l’instruction disant qu’elle est seule compétente pour statuer sur les demandes de mise en liberté et prolonger, le cas échéant, la détention provisoire. Il en est de même lorsque la chambre de l’instruction ordonne ou modifie un contrôle judiciaire ou une assignation à résidence avec surveillance électronique.”

conduit à priver le justiciable d’un degré de juridiction lorsque la chambre se réserve le contentieux de la détention.

Se faisant, l’inconstitutionnalité de ces dispositions est en conséquence soulevée au regard du principe de double degré de juridiction instauré par la loi des 16 et 24 août 1790, cette loi proclamant les principes révolutionnaires organisant la justice qui ont pour la plupart valeur constitutionnelle aujourd’hui encore, ce principe de double degré de juridiction devant en conséquence également avoir valeur constitutionnelle, en tous les cas ainsi que devrait le considérer aux yeux du requérant le conseil constitutionnel qui ne sait pas encore prononcé sur la valeur constitutionnelle de ce principe de double degré de juridiction au pénal, ledit conseil devant nécessairement dans cette hypothèse relever le caractère inconstitutionnel des dispositions de l’article 207 du code de procédure pénale. L’inconstitutionnalité de l’article 207 du code de procédure pénale est également relevée au regard du principe de l’égalité devant la justice. Aux termes de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, selon son article 1 : les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit, selon son article 6 : la loi doit être la même pour tous et selon son article 16 : toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée...n’a point de constitution. Le principe de l’égalité devant la justice est également repris à la convention européenne des droits de l’homme qui interdit que les individus fassent l’objet d’une discrimination dans la jouissance des droits et libertés reconnus par le convention (article 14)

L’inconstitutionnalité de l’article 207 du code de procédure pénale est encore soulevée au regard de l’exigence de motivation des décisions de justice, cet article 207 n’imposant pas àla chambre de l’instruction de motiver les décisions réservant à la chambre le contentieux de la détention alors que cette exigence trouve là aussi son origine en droit interne dans la loi des 16 et 24 août 1790 et constitue une garantie fondamentale pour le justiciable en ce qu’elle permet de lutter contre les décisions de justice partiales et arbitraires, ladite exigence découlant aussi de l’article 6 de la convention européenne des droits de l’homme.

Le requérant demande donc la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité suivante : “L’article 207 du code de procédure pénale qui donne à la chambre de l’instruction la possibilité de se réserver le contentieux de la détention privant ainsi le justiciable du droit à un second examen en appel de ses demandes de mise en liberté est-il contraire au principe du double degré de juridiction, lequel doit se voir reconnaître une valeur constitutionnelle ?

Subsidiairement, cet article est-il contraire au principe de l’égalité devant la justice prévu par les articles 1, 6 et 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, au principe du double degré de juridiction et à l’exigence de motivation des décisions de justice ?”

* * *

Le ministère public soutien que la requête aux fins de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité est recevable, que cependant l’article 207 du code procédure pénale n’est pas contraire au principe de l’égalité devant la loi, étant applicable à tous les mis en examen, que le principe de double degré de juridiction est une principe d’organisation judiciaire qui ne résulte d’aucune disposition de valeur constitutionnelle, étant à l’inverse garanti par des dispositions de valeur conventionnelle, l’article 14-5 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques et l’article 2.1 du protocole additionnel de la Convention européenne des Droits de l’homme, échappant de ce fait au contentieux qui peut être soumis au Conseil Constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. De même, le ministère public considère que les articles 1er, 6 et 16 de la DDHC sont improprement évoqués, aucun de ces textes ne servant de fondement au principe du double degré de juridiction. In fine, le ministère public relève que le principe de double degré de juridiction n’a d’effet que par rapport à l’interdiction d’une déclaration de culpabilité non susceptible d’un second examen par une juridiction supérieure, question qui n’est pas de mise dans le cas d’espèce. En conclusion; le ministère public requiert qu’il soit dit n’y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité, ladite question ne lui apparaissant pas présenter un caractère sérieux.

* * *

SUR CE, LA COUR Considérant que les dispositions contestées de l’article 207 du Code de procédure pénale sont relatives à la procédure en cause puisqu’elles ont trait à la faculté que la chambre a exercée en l’espèce de se réserver le contentieux de la détention ; que la demande de question prioritaire n’est pas dépourvue de caractère sérieux en ce qu’elle concerne le fait qu’il résulte de ces dispositions que le requérant ne dispose plus dans ce cadre d’un recours à un nouvel examen devant une juridiction supérieure des décisions prises ainsi à son encontre au titre de la détention provisoire, le requérant soulevant le caractère contraire dé ces dispositions au principe du double degré de juridiction résultant de la loi des 16 et 24 août 1790 et de l’égalité devant la loi posée aux articles 1er, 6 et 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et relevant que la réserve à la chambre de l’instruction du contentieux de la détention provisoire est en outre prononcée par une décision non motivée ; Considérant que le Conseil constitutionnel ne s’est jamais prononcé sur la constitutionnalité des dispositions de l’article 207 du code de procédure pénale ;

Considérant qu’il échet, en conséquence de transmettre à la Cour de Cassation la question suivante :

“ Il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution les dispositions de l’article 207 du code de procédure pénale qui donnent à la chambre de l’instruction la possibilité de se réserver le contentieux de la détention, privant ainsi le justiciable du droit à un second examen en appel de ses demandes de mise en liberté en contradiction au principe du double degré de juridiction, lequel doit se voir reconnaître une valeur constitutionnelle, et subsidiairement en contradiction au principe de l’égalité devant la justice, prévu par les articles 1,6 et 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et à l’exigence de motivation des décisions de justice.”

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Vu les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, R 49-21 à R 49-29 du Code de procédure pénale,

Statuant en chambre du conseil, par décision à signifier non susceptible de recours ;

EN LA FORME

DÉCLARE LA REQUÊTE RECEVABLE,

AU FOND

LA DIT BIEN FONDÉE,

ORDONNE LA TRANSMISSION À LA COUR DE CASSATION DE LA QUESTION SUIVANTE :

“ Il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer non conforme à la Constitution les dispositions de l’article 207 du code de procédure pénale qui donnent à la chambre de l’instruction la possibilité de se réserver le contentieux de la détention, privant ainsi le justiciable du droit à un second examen en appel de ses demandes de mise en liberté en contradiction au principe du double degré de juridiction, lequel doit se voir reconnaître une valeur constitutionnelle, et subsidiairement en contradiction au principe de l’égalité devant la justice, prévu par les articles 1,6 et 16 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et à l'exigence de motivation des décisions de justice.”

Dit que la présente décision sera adressée à la cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les observations du ministère public relatives à la question prioritaire de constitutionnalité

Rappelle qu’il n’y a eu lieu à surseoir à statuer lors de l’examen de la procédure enregistrée sous le numéro 2010/ 05218 à 1 ’ occasion de laquelle la requête aux fins de question prioritaire de constitutionnalité a été présentée, cette procédure ayant trait à la détention provisoire du requérant ;

Dit que les parties seront avisées par lettres recommandées avec accusé de réception de la présente décision ;

Dit que le ministère public sera avisé par tout moyen de la présente décision.

LE GREFFE

LE PRÉSIDENT,