Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 10 juin 2010 n° 10/53/83

10/06/2010

Renvoi partiel

REPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

ARRÊT DU 10 JUIN 2010

(n° 107, 6 pages)

TRANSMISSION DE LA QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

RG n° 10/05347 et n° 10/53/83 (QPC) RG n° 2008/09851 (Dossier au Fond)

Demanderesses à la question prioritaire de constitutionnalité :

- La société SITA FD, S.A. | prise en la personne de son représentant légal dont le siège social est : [LOCALITE 1]

- La société K20, S.A. prise en la personne de son représentant légal dont le siège social est : [adresse 2] [LOCALITE 3]

représentées par la SCP DUBOSCAQ - PELLERIN, avoués associés près la Cour d’Appel de PARIS assistées de Maître Thierry GALLOIS,

avocat au barreau de PARIS

SEL d’avocats interbarreaux

[adresse 4]

Défenderesses à la question prioritaire de constitutionnalité :

- DIRECTION NATIONALE DU RENSEIGNEMENT ET DES ENQUÊTES DOUANIÈRES - DNRED

M. Le Directeur, Chef de Service

Agence de poursuites

[adresse 5]

représentée par Maître Ralph BOUSSIER, avocat au barreau de PARIS

S.C.P.A.. NORMAND & ASSOCIES

[adresse 6]

MINISTÈRE PUBLIC :

L'affaire a été communiquée au ministère public, représenté lors des débats par François VAISSETTE, substitut avocat, qui a fait connaître son avis.

 

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 20 mai 2010, en audience publique, devant la Cour composée de :

- M. Thierry FOSSIER, Président

- M. Christian REMENIERAS, Conseiller

- Mme Hélène J OURDIER, Conseillère

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : M. Benoît TRUET-CALLU

ARRÊT :

- Contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l’arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxigme alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

- signé par M. Thierry FOSSIER, président et par M. Benoît FRUET-CALLU, greffier.

Vu l'article 23-] de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel;

Vu les articles 126-1 et suivants du Code de Procédure Civile ;

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé le 1° avril 2010 :

Vu les observations formulées à l'audience par la demanderesse, SA SITA FD, sur la question prioritaire de constitutionnalité, renvoyant à des conclusions écrites récapitulatives du 20 mai 2010 ;

Vu la communication du dossier au ministère Public :; Vu l'avis du ministère public en date du 17 mai 2010 ;

Les activités polluantes au sens du code des douanes incluent notamment les installations thermiques, les aéronefs, les lubrifiants, les lessives, les extractions de matériaux, les antiparasitaires à usage agricole, certains déchets (ménagers ou industriels). Sur ce dernier cas, les redevables de la taxe sont, selon l'article 266 sexies I du code des douanes, créé par l'article 45 de la loi de finances du 30 décembre 1988 - et modifié par la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 (version applicable à l'espèce) :

1. Tout exploitant d'une installation de stockage de déchets ménagers et assimilés ou tout exploitant d'une installation d'élimination des déchets industriels spéciaux par incinération, coincinération, stockage, traitement physico- chimique ou biologique non exclusivement utilisée pour les déchets que l'entreprise produit (...).

8. a. Tout exploitant d'un établissement industriel ou commercial ou d'un établissement public à caractère industriel et commercial dont certaines installations sont soumises à autorisation au titre du livre V (titre ler) du code de l'environnement:

b. Tout exploitant d'un établissement mentionné au (a) dont les activités, figurant sur une liste établie par décret en Conseil d'Etat après avis du Conseil supérieur des installations classées, font courir, par leur nature ou leur volume, des risques particuliers à l'environnement".

Dans le cas des déchets, le fait générateur de la taxe selon l'article 266 septies du code des douanes, créé par l'article 45 de la loi de finances du 30 décembre 1998 précitée- et modifié par la-loi-n°-99:1140-du-29-décembre-1999 -{version-applicable-à l'espèce} est-constitué par:

1. - La réception des déchets par les exploitants mentionnés au | du I de l'article 266 sexies ;

8.a - la délivrance de l'autorisation prévue par les articles L 512-1 et L 512-8 du code de _

—-b. l'exploitation au cours d'une année civile d'un établissement mentionné au b du-8 du I de l'article" 266 sexies"

Ces textes ont été modifiés entre les faits de l'espèce et le présent arrêt mais sans que ces modifications obèrent les termes du présent débat.

Le 15 septembre 2004, l'administration des douanes a notifié à la société SITA FD qu'elle aurait commis une infraction au code des douanes pour n'avoir pas déclaré comme déchets taxables des matériaux inertes, reçus en 2001, 2002 et 2003 comme matériaux de couverture (recouvrement réputé étanche des décharges) sur ses sites de déchets ménagers de [LOCALITE 7] et de [LOCALITE 8].

Le 29 septembre 2004 un avis de mise en recouvrement lui a été notifié par l'administration des douanes portant sur la somme de 941.217 euros à titre de redressement sur les quantités de matériaux inertes reçus en 2001, 2002 et 2003 sur les deux sites.

Par jugement en date du 15 avril 2008, le tribunal d'instance du 1 1ème arrondissement de Paris a annulé l'avis de mise en recouvrement opéré pour les matériaux inertes reçus pour les besoins de l'exploitation en 2001 et 2002 mais a validé le redressement concernant l'année 2003 ( soit un montant de 192.383 euros).

L'administration des douanes a interjeté appel. Au soutien de son appel, elle a fait valoir que la Cour d'appel d'Aix-en-Provence a, par quatre arrêts rendus en Janvier et février 2010, considéré que la loi de finances pour 1999 n° 98-1266 du 30 décembre 1998 assujettit à la taxe générale sur les activités polluantes les matériaux inertes reçus pour les besoins de l'exploitation par l'exploitant d'un centre de stockage de déchets ménagers.

La société SITA FD demande à la Cour de transmettre pour questions prioritaires de constitutionnalité les articles 266 sexies I et 266 septies du code des douanes issus de l'article 45 de la loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 et de la loi n°99-1 140 du 29 décembre 1999, en ce que ces dispositions ont pour effet dé soumettre à la taxe générale sur les activités polluantes les matériaux reçus par les exploitants de centre de stockage de déchets ménagers et assimilés aux fins de supprimer les effets nocifs sur l'environnement, ce qui est contraire aux objectifs de la loi qui ne vise qu'à pénaliser les activités polluantes.

La société SITA FD fait valoir l'existence d'une violation du principe d' égalité en ce que les articles 266 sexies I et 266 sépties issus de l'article 45 de la loi de finances n° 98-1266 du 30 décembre 1998 pour 1999 et de l'article 7 de la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 sont contraires aux objectifs poursuivis par le législateur et au principe d'égalité en ce qu'elles pénalisent les opérations portant sur les matériaux inertes qui ne visent qu'à réduire ou supprimer les dommages pouvant être causés à l'environnement et en ce qu'elles traitent différemment les matériaux inertes selon qu'ils servent de matériaux de couverture - cas où ils sont taxés - ou selon qu'ils sont mis en dépôt dans les alvéoles ou casiers d'un centre de stockage de déchets inertes - cas où ils ne sont pas taxés -

La requérante fait ensuite valoir que les articles 55 et 88-1 de la Constitution, ensemble l'article 288 TFUE, font obligation aux autorités nationales, lorsqu'elles font référence dans leurs textes à une notion de droit européen, d'en donner une acception conforme à celle que retient le droit européen (CICE 13.11.1990, Marleasing) ; qu'en l'occurrence, le code des douanes n'a pas respecté la notion de déchets inertes que donne une directive n ° 99-31 du 26 avril 1999 (15° considérant et art. 3), ni le régime de la mise en décharge édicté par la même directive.

La requérante expose enfin que le principe de clarté de la loi qui découle de l'article 34 de la Constitution, et l'objectif de valeur constitutionnelle d'intelligibilité de la loi, qui découle des articles 4, 5, et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789,-imposent.au_ . législateur, afin de prémunir les sujets de droits contre une interprétation contraire à la Constitution ou contre le risque d'arbitraire ou d'inégalité de traitement, d'adopter des dispositions suffisamment précises et des formules non équivoques ainsi que l'a rappelé la jurisprudence du Conseil constitutionnel dans sa décision n°2001:455-DC ; que les contradictions les insuffisances et les modifications nombreuses de la loi, singulièrement quant à la définition et le régime des déchets, sont contraires à cette exigence constitutionnelle.

En réponse, à la barre, l'administration des Douanes soutient que la question soulevée est dépourvue de tout caractère sérieux.

Monsieur le Procureur Général conclut de même.

Immatriculée le 16 juin 2008, la société K 20 a repris partiellement les actifs de la société SITA FD, à l'effet du 1° janvier 2009. Elle est intervenue en cause d'appel au fond et s'est dite requérante à la question de constitutionnalité, au soutien de la société SITA FD. Les affaires seront jointes.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance en cours devant une juridiction, 1l est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantir, le Conseil constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation qui se prononce dans un délai déterminé.

Sur la recevabilité de la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité :

En application de l'article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.

En l'espèce, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté dans un écrit distinct et motivé.

La demande est donc recevable en la forme. Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

L'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :

- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ;

- elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil Constitutionnel, sauf changement de circonstances ;

- la demande de question prioritaire de constitutionnalité n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu'elle et relative aux conditions de mise en recouvrement de la taxe générale sur les activités polluantes.

Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel :

- Si la loi n° 98-1266 du*30 décembre 1998 relative à la loi de finances pour 1999 a été déférée au Conseil constitutionnel (décision n° 98-405 DC du 29 décembre 1998), en revanche l'article 45 de cette même loi applicable aux faits de la présente cause n'a pas été soumis à la censure dudit Conseil ;

- S'agissant de la loi n° 99-1140 du 29 décembre 1999 l'article 7 a bien été déféré au Conseil constitutionnel ( décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999) qui l'a reconnu conforme à la constitution mais les moyens invoqués-alors portaient sur d'autres chefs-que ceux visés dans la présente saisine. Il convient en conséquence de considérer que le Conseil Constitutionnel ne s'est pas prononcé dans ses motifs sur la question en cause ;

- En toute hypothèse, le contrôle de constitutionnalité d'une loi, même ancienne, s'effectue au regard des normes constitutionnelles applicables au jour où le juge se prononce. En l'occurrence, les-«objectifs-de ta loi» expressément invoqués au soutien d'une partie de la démonstration de la requérante, ont été modifiés par la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la charte de l'environnement, postérieure à l'examen de ces textes par le Conseil Constitutionnel.

Sur le caractère sérieux des questions

Sont dépourvues de sérieux la question relative à l'intelligibilité des notions de déchets et de déchets inertes puisqu'elles sont définies par des directives communautaires, ainsi que la question relative à la transposition adéquate de ces définitions par le droit national, qui ne relève pas du contrôle de constitutionnalité mais d’un éventuelle analyse de droit européen, dont la charge incomberait au juge du fond.

En revanche, les questions suivantes n'apparaissent pas dénuées de sérieux :

- les articles 266, sexiès I (1 et 8, a et b) et 266, septiès (1 et 8, a et b) du code des douanes conduiraient à traiter différemment des substances de même nature (les matériaux inertes) selon qu'elles servent de matériaux de couverture, enfouissement, recouvrement, infrastructure dans des installations de stockage ou d'élimination de déchets ménagers ou industriels soumises à la législation des installations classées ou selon qu'elles sont mises en dépôt dans une installation de stockage de déchets inertes ; la différence de traitement ainsi instituée correspond- elle à des situations différentes au regard de l'objet poursuivi par la loi qui doit être conforme à l'objectif de valeur constitutionnelle défini par l'article 4 de la Charte de l'environnement aux termes duquel : "Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi" ?

- les mêmes dispositions en ce qu'elles traiteraient différemment les mêmes matériaux selon qu'ils sont mis en dépôt ou qu'ils sont déstockés et utilisés comme matériaux, par exemple de couverture, méconnaissent-elles le principe d'égalité devant les charges publiques ?

Sur les autres demandes :

En application des dispositions de l'article 23-3 de l'ordonnance n°58-14067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, lorsqu'une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a déjà été saisi, du Conseil constitutionnel.

Le cours de l'instruction n'est pas suspendu et la juridiction peut prendre les mesures provisoires ou conservatoires nécessaires. En outre, lorsque le sursis à statuer risquerait d'entraîner des conséquences irrémédiables' ou manifestement excessives pour les droits d'une partie, la juridiction qui décide de transmettre la question peut statuer sur les points qui doivent être immédiatement tranchés.

En l'espèce, aucun élément ne rend nécessaire que soient ordonnées des mesures provisoires où conservatoires, ni que des points du litige soient immédiatement tranchés.

Les parties seront donc renvoyées devant le juge du fond pour solliciter le sursis.

PAR CES MOTIFS

La Cour, statuant publiquement, par décision contradictoire, non susceptible de recours ;

Ordonne la jonction des affaires n° 10.05347 et 10.053683 ;

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : L'article 266 sexiès I (1 et 8, a et b) et l’article 266 septiès (1 et 8, a et b) du code des douanes (version applicable à l'espèce) portent-1ls atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution et par la Charte de l'environnement qui y est adossée ?

Dit que la présente décision sera adressée à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions présentées, par un écrit distinct et motivé, des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Dit que les parties et le ministère public seront avisés par tout moyen de la présente décision ;

Laisse à chacun la charger des dépens qui auront été exposés.

LE GREFFIER, LE PRÉDIDENT, Benoit TRUET-CALLU Thierry FOSSIER