Cour d'Appel de Paris

Arrêt du 28 mai 2010 n° 2010/01317

28/05/2010

Renvoi partiel

DOSSIER N° 2010/01317

MX09/31317

ARRET DU 28 mai 2010

COUR D'APPEL DE PARIS

PÔLE 7

TROISIÈME CHAMBRE DE L’INSTRUCTION

QUESTION PRÉJUDICIELLE DE CONSTITUTIONNALITÉ

ARRET

(n° 2 , 5 pages)

Prononcé en chambre du conseil le vingt-huit mai deux mil dix

REQUERANT :

[A B],

née le [DateNaissance 1] 1967 à [LOCALITE 2],

placée sous contrôle judiciaire

[adresse 3] - [LOCALITE 4],

Ayant pour avocats Me INCHAUSRE, 16 avenue Victoria - 75001 PARIS - Me BENAIEM, 5 Avenue de l'Opéra - 75001 PARIS - Me CHARRIERE-BOURNAZEL, 6/8 avenue de Messine - 75008 PARIS - Me DUPOND-MORETTI, Entrée : 5 Terrasse Sainte Catherine - 27 rue Royale - 59000 LILLE

Qualification des faits : violation de secret professionnel

(Dossier de nullité n°2010/01273)

COMPOSITION DE LA COUR

lors des débats, du délibéré et du prononcé de l'arrêt:

M. GUIGNARD, président

Mme BARBIER, conseiller

M. COIRRE, conseiller

tous trois désignés conformément à l'article 191 du Code de procédure pénale.

GREFFIER aux débats et au prononcé de l'arrêt : Mme PATRON-BELLET

MINISTÈRE PUBLIC

représenté aux débats et au prononcé de l'arrêt par Mme FRYDMAN, Avocat Général

DÉBATS

A l'audiencé. en chambre du conseil, le 14 mai 2010, ont été entendus :

M. GUIGNARD,. Président. en son rapport ;

Mme FRYDMAN, Avocat Général, en ses réquisitions ;

Maître INCHAUSPE, du mis en examen, et qui a eu la parole le dernier ;

RAPPEL DE LA PROCÉDURE

Par requête en date du 4 mars 2010 enregistrée au greffe de la chambre de l'instruction sous le numéro 2010/01317, Me BENAIEM, avocat de la personne mise en examen, à l’occasion d’une requête en nullité enregistrée sous le n°2010/01273, et par écrit séparé et motivé, a saisi la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris d’une question préjudicielle de constitutionnalité.

La date d’audience a été notifiée par lettre recommandée en date du 9 avril 2010:

- aux avocats du requérant,

- au requérant,

Le même jour, le dossier comprenant les observations écrites de M. le Procureur Général, en date du 12 mars 2010 a été déposé au Greffe de la Chambre de l’instruction et tenu à la disposition de l’avocat du requérant. :

Me INCHAUSPÉ, avocat de la personne mise en examen, a déposé le 12 mai 2010, au greffe de la chambre de l’instruction, un mémoire visé par le greffier, communiqué au ministère public et classé au dossier.

DÉCISION

Prise après en ävoir délibéré conformément à l'article 200 du Code de procédure pénale

EN LA FORME

Considérant que cette requête présentée par écrit distinct et motivé, et à l’occasion de la présentation d’une requête en nullité enregistrée sous le n° 2010/01273, conformément aux dispositions de l'article 23-1 de la loi organique du 10 Décembre 2009 relative à l’application de l’article 61-1 de la Constitution, est recevable.

AU FOND

Aux termes de la requête aux fins de formulation d’une question prioritaire de constitutionnalité présentée le 4 ami 2010, [B A], représenté par Me BENAIEM, avance que les articles 63-4 et 706-73 du Code de procédure pénale portent atteinte aux droits et libertés que la constitution garantit en ce qu’ils ne prévoient pas pendant toute la durée de la mesure privative de liberté, l’assistance du gardé à vue par un avocat lors des interrogatoires de police ou de gendarmerie, la possibilité pour l’avocat d’accéder à l’ensemble du dossier du gardé à vue ainsi que la possibilité pour lui de solliciter l’accomplissement d’actes d’enquête, qu’ainsi ils ne respectent pas le droit à un procès équitable : consacré par l’article 6 $ 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, alors que les dispositions de l’article 55 de la constitution prévoient que les règles dégagées notamment par la Convention Européenne des Droits de l’Homme doivent prévaloir sur la loi française, et sont contraires à l’article 66 de la constitution du 4 octobre 1958 dont il résulte que “nul ne peut être détenu arbitrairement”.

Le ministère public soutient que la question posée est applicable à la procédure seulement en ce qui concerne l’article 63-4 du Code de Procédure pénale, la qualification visée au dossier ne ressortant pas des dispositions de l’article 706-73 de ce même code.

S'agissant de l’article 63-4 du Code de procédure pénale, le ministère public expose que le Conseil constitutionnel s’est déjà prononcé sur la conformité à la constitution de ce texte, ayant statué à trois reprises sur des dispositions prises par le législateur l’ayant modifié ou complété en prévoyant la possibilité de différer le premier entretien avec un avocat pour des personnes placées en garde à vue pour des infractions déterminées par la loi.

Pour le ministère public, le conseil constitutionnel a ainsi implicitement validé à cette occasion les dispositions des six premiers alinéas de l’article 63-4 du code de procédure pénale prévoyant les modalités du droit d’accès à l’avocat pendant la garde à vue pour Les infractions de droit commun, lorsqu’il a validé les dispositions dérogatoires qui prévoient des limites au droit à l’avocat.

Le ministère public fait également valoir que si la question était motivée par l’absence de dispositions prévoyant pour les avocats d’une part, d’avoir accès à la procédure, d’autre part, d’assister aux interrogatoires de la personne gardée à vue, cette question pourrait être considérée comme dépourvue de caractère sérieux, le Conseil constitutionnel ne pouvant déclarer non conformes à la Constitution des dispositions au motif qu’elles seraient insuffisantes ou incomplètes.

Enfin, ultime observation du ministère public, si les dispositions actuelles étaient déclarées non-conformes à la constitution et abrogées, 1l y aurait un vide juridique concernant l’intervention de l’avocat en garde à vue.

Le procureur général est donc d’avis qu’il n’y a pas lieu à transmission de la question présentée.

En réponse au ministère public, le mémoire déposé par Me INCHAUSPE au nom de [B A] fait observer que le Conseil constitutionnel ne s’est pas explicitement prononcé sur les six premiers alinéas de l’article 36-4 du Code de procédure pénale, que l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel dans sa version consolidé au 1° mars 2010 dispose que la conformité d’une disposition législative, d’une part, aux droits et libertés garanties par la Constitution et, d’autre part, aux engagements internationaux de la France correspond aux moyens dont la juridiction peut être saisie aux fins de question prioritaire de constitutionnalité, les termes de la requête présentée le 4 mars 2010 étant donc repris à cette fin, qu’enfin la jurisprudence du Conseil constitutionnel montre, exemples à l’appui, que son intervention ne se limite pas à l’examen de la compatibilité des règles effectives d’une loi mais porte également sur le contrôle de la loi au regard de ses manquements par rapport à cette compatibilité.

SUR CE, LA COUR

Considérant que l’article 706-73 du Code de procédure pénale ne fait pas référence aux faits prévus et réprimés aux articles 11 de Code de procédure pénale et 226-13 du Code pénal visés à la procédure ; qu’il convient en conséquence de dire la requête mal fondée en ce qui concerne le moyen soulevé à cette fin au titre de cet article ;

Considérant que les dispositions contestées de l’article 63-4 du Code de procédure pénale sont relatives à la procédure en cause puisqu’elles ont trait à la garde à vue, l’un des points de la requête en nullité ; que la demande de question prioritaire n’est pas dépourvue de caractère sérieux en ce qu’elle concerne le cadre défini à l’intervention de l’avocat en garde à vue au regard de l’article 66 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, référence prise des dispositions de l’article 55 de la constitution du 4 octobre 1958, et de l’article 66 de cette même constitution ;

Considérant que le Conseil constitutionnel ne s’est jamais prononcé sur la constitutionnalité des dispositions des six premiers alinéas de l' article 63-4 du Code de procédure pénale ;

Considérant qu’il échet, en conséquence de transmettre à la Cour de Cassation la question suivante :

"Il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer l’article 63-4 du Code de procédure pénale non conforme à la Constitution et/ou aux engagements internationaux de la France en ce qu’il ne prévoit pas pendant la durée de la mesure privative de liberté l’assistance du gardé à vue par un avocat lors des interrogatoires de police ou de gendarmerie, la possibilité pour l’avocat d’accéder à l’ensemble du dossier du gardé à vue ainsi que la possibilité de solliciter l’accomplissement d’actes d'enquête.”

Considérant que la requête aux fins de question prioritaire de constitutionnalité, conformément à l’article 23-3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre précitée, a été formulée à l’occasion d’une requête en nullité dont l’un des moyens est fondé sur la même question ; qu’il convient de surseoir à statuer sur cette requête en nullité, la personne mise en examen n’étant pas en détention provisoire et le sursis à statuer n’ayant pas de conséquences irrémédiables ou manifestement excessives pour ses doits ;

PAR CES MOTIFS

LA COUR,

Vu les articles 23-1 et suivants de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, R 49-21 à R 49-29 du Code de procédure pénale,

Statuant en chambre du conseil, par décision à signifier non susceptible de recours ;

EN LA FORME

DÉCLARE LA REQUÊTE RECEVABLE,

AU FOND

LA DIT MAL FONDÉE EN CE QUI CONCERNE LE MOYEN SOULEVÉ PAR RAPPORT AUX DISPOSITIONS DE L'ARTICLE 706-73 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE,

LA DIT BIEN FONDÉE EN CE QUI CONCERNE LE MOYEN SOULEVÉ PAR RAPPORT AUX DISPOSITIONS DE L’ARTICLE 63-4 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE,

ORDONNE LA TRANSMISSION À LA COURDE CASSATION DE LA QUESTION SUIVANTE :

“ Il est demandé au Conseil constitutionnel de déclarer l’article 63-4 du Code de procédure pénale non conforme à la Constitution et/ou aux engagements internationaux de la France en ce qu’il ne prévoit pas pendant la durée de la mesure privative de liberté l'assistance du gardé à vue par un avocat lors des interrogatoires de police ou de gendarmerie, la possibilité pour l’avocat d’accéder à l’ensemble du dossier du gardé à vue ainsi que la possibilité de solliciter l’accomplissement d’actes d’enquête.”

Dit que la présente décision sera adressée à la cour de cassation dans les : huit jours de son prononcé avec les observations du ministère public relatives à la question prioritaire de constitutionnalité

Sursoit à statuer sur la requête en nullité enregistrée sous le numéro 2010/01273 ;

Dit que cette affaire sera appelée à l’audience ultérieurement, lorsque la Cour de Cassation ou le Conseil Constitutionnel auront informé la Chambre de l’instruction de leur décision :

Dit que les parties seront avisées par lettres recommandées avec accusé de réception de la présente décision ;

Dit que le ministère public sera avisé par tout moyen de la présente décision.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,