Tribunal des affaires de sécurité sociale du Havre (Régime autre que le régime agricole)

Jugement du 16 mai 2010, Recours n° 20800130

16/05/2010

Renvoi

E.M.

AFFAIRE FOURRE LAGADEC

C/

URSSAF [LOCALITE 1]

Recours n° 20800130

Audiences Publiques du Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale du Havre, tenues au Palais de Justice du HAVRE où siégeaient :

-Mme VINAS Juge au Tribunal de Grande Instance du Havre, Président,

- M. L'ARCHEVEQUE Assesseur assermenté, représentant les Travailleurs non salariés,

- M. : FORTIER Assesseur salarié assermenté,

Assistés de M. MARTINS, secrétaire assermenté,

Le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale a rendu la décision dont la teneur suit :

En la cause d’entre :

La société FOURRE LAGADEC SARL: domiciliée [adresse 2] [LOCALITE 3], demanderesse, représenté par Maître SAGON, avocat au barreau du Havre,

d'une part,

L'U.R.S.S.A.F. de [LOCALITE 4] sise [adresse 5] [LOCALITE 6], défenderesse non comparante, non représentée.

La C.A.R.S.A.T., sise [adresse 7] [LOCALITE 8], non comparante, non représentée,

d'autre part,

La CRAM du [LOCALITE 9], domiciliée [adresse 10] [LOCALITE 11], non comparante, non représentée,

La C.RA.M. de [LOCALITE 12], sise [adresse 13], [LOCALITE 14], non comparante, non n représentée,

La mission nationale de contrôle et d'audit des Organismes de Sécurité Sociale, sise [adresse 15] [LOCALITE 16], non comparante, non représentée :

En la cause,

Le tribunal des affaires de sécurité sociale,

Vu les convocations reconnues régulières adressées par le secrétaire,

Ouï Madame la Présidente en son rapport, et les parties en leur explications,

Vu l'article 23-1 de l'ordonnance 1°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel et suivants ;

Vu les articles 126-1 et suivants du Codé de Procédure Civile ;

Vu la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité déposée par un écrit distinct et motivé à l'audience du 16 mai 2010, par la société FOURRE LAGADEC,

En l'espèce, la société FOURRE LAGADEC prétend que l'article 47 de la loi n°2004- 1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005 et la circulaire réglementaire la complétant n°DSS/2C/2005/239 en date du 23 mai 2005 relative à à la contribution des entreprises au FCAATA, sont contraires à la Constitution.

La société requérante rappelle que l'article 41 de la loi n°98-1194 du 23 décembre 1958 de financement de la sécurité sociale pour 1999 a institué un fonds de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante chargé de financer l’allocation de cessation anticipée d’activité (FCAATA) pour les salariés ayant travaillé dans une entreprise listée comme ayant fabriqué ou traité de l'amiante : ou des matériaux contenant de l’amiante OU dans un port listé pour avoir manipulé de l'amiante.

La loi 1°2004- 1370 du 20 décembre 2004 prévoyait, dans le cas où le salarié n’était pas atteint par une maladie professionnelle liée à l’amiante, que le FCAATA serait financé par l’entreprise « succédant » à un établissement ou une entreprise ayant fabriqué ou traité l’amiante et figurant dans une liste établie par Décret, mais l’article 47 n'a pas défini la notion d'établissement exploité à la suite d’un autre, soif la notion d’« entreprise qui exploite » à la suite d’une autre, autrement dit l' « entreprise repreneuse ».

Une circulaire » n°DSS/2C/2005/239 en date du 23 mai 2005 du Ministère du travail pose le principe d’une contribution de la société nouvelle en cas de « reprise totale » d’une entreprise ou d’un établissement ayant été listé, et la contribution des entreprises in bonis ayant repris une entreprise placée en redressement ou liquidation judiciaire.

Selon la requérante, c'est dans ces conditions que l’article 101 de la loi n°2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009 annule l'article 47. de 2004 et par suite la circulaire de 2005. Le projet de loi n°1157 soulignait les difficultés d’identification des entreprises redevables et faisait valoir qu'elles constituaient un obstacle à la reprise de l’activité des sociétés en redressement ou en liquidation judiciaire. En conséquence, il a été proposé de la remplacer par une augmentation à due concurrence de la dotation de la branche AT-MP, supportée par une majoration des cotisations AT-MP de l'ensemble des employeurs.

L'absence de caractère rétroactif de la loi de 2008 maintient la contribution des entreprises reconnues comme étant redevables au sens des précédentes dispositions législatives et réglementaires.

La société requérante soutient que, compte tenu des objectifs assignés à la procédure de l'article 61-1 de la Constitution, une Question Prioritaire de Constitutionnalité peut porter sur une disposition législative abrogée, dès lors qu'elle est applicable au litige et que peuvent également faire l'objet d'une QPC les dispositions législatives qui impliquent les dispositions réglementaires contestées.

La société: requérante soutient que le principe d'égalité oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes. Ainsi, une entreprise n ayant pas fait travailler au contact de l'amiante un salarié peut se voir contribuer au FCAATA, dès l'instant où elle a « succédé » à une entreprise ayant placé ce salarié au contact de l'amiante.

De même, une entreprise in bonis doit supporter les charges de la précédente entreprise placée en redressement ou en liquidation judiciaire, donc exonérée, alors qu’eu égard aux dispositions tant de l’article L661-6-II et de l’article L.621-63 al.3 du code de commerce, le cessionnaire d’ une entreprise en redressement ou en liquidation judiciaire ne peut se voir imposer plus d'engagements qu’il n’en à consenti au jour du jugement arrêtant le plan de cession dès lors qu’il n’est pas l’ayant cause à titre universel du débiteur et n’est pas tenu du passif de l'entreprise, antérieur à la cession.

La société requérante fait valoir que la loi de 2004 devait viser à responsabiliser les entreprises et non à les pénaliser afin de ne pas dissuader les entreprises de reprendre d’autres entreprises qui auraient exposé des salariés à l’amiante alors qu'en les contraignant à assumer les conséquences d’une charge résultant de reprises successives d’ établissements anciens utilisateurs de l’amiante, ces dispositions portent atteinte à la liberté d’ entreprendre.

Elle soutient que le manque de clarté de la loi. a entrainé des divergences d’ interprétation mais, qu'en outre, l’obscurité de la loi a contribué à ce que le législateur abandonne ses compétences au profit du Ministre n’ayant pas de pouvoir réglementaire pour agir en violation de l’article 34 de la Constitution du 4 octobre 1958, selon lequel « La loi fixe les règles concernant (...) l' assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures »

Quant à la circulaire ajoutant à la loi, elle : a fixé des règles nouvelles impératives et à caractère général et son auteur, ayant agi sans habilitation législative ou réglementaire, n’avait pas de compétence pour le faire ; elle contrevient ainsi à l’article 37 de la Constitution de 1958.

Vu avis du. ministère public en date du 13 mai 2011, requérant que la question soit transmise à la cour de cassation;

Le tribunal a accordé un délai d'une semaine pour permettre à la caisse de prendre connaissance des questions posées, laquelle n'a pas conclu en réponse.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la recevabilité de la demande d'examen de la question prioritaire de constitutionnalité :

En l'espèce, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été. présenté dans un écrit distinct et motivé.

La demande est donc recevable en la forme.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

Conformément à l’ article 23-2 de l'ordonnance précitée, il ressort de la procédure que :

- la disposition contestée n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel.

- la demande de question prioritaire de constitutionnalité n’est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce que la succession de textes en matière de contribution au FCAATA posent la question de l'égalité devant la loi et les charges publiques et de la légitimité de l'atteinte à la liberté d'entreprendre.

Il importe d'apprécier si le principe de sécurité juridique, issu de l'article 16 de la Déclaration de 1789, se heurte à l'atteinte aux situations juridiques acquises soulevée par les requérantes et si le risque de divergences de jurisprudence relève de l'appréciation de la cour de cassation dans sd mission d'unification ou si elle relève d'une question de constitutionnalité.

Il appartiendra également à la cour de cassation de déterminer si le défaut de qualité de la loi, quant à sa forme et quant à son domaine, peut être assimilé à un défaut de conformité à la constitution.

il y a a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante :

L'article 47 de la loi n°2004-1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005 et là circulaire réglementaire la complétant n°DSS/2C/2005/239 en date du 23 mai 2005 relative à la contribution des entreprises au FCAATA, porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution ?

Il convient donc de surseoir à statuer sur les demandes au fond des parties.

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, statuant publiquement par décision contradictoire, non susceptible de recours :

Ordonne la transmission à la Cour de cassation de la question suivante : L'article 47 de la loi n°2004-1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005 et la circulaire réglementaire la complétant n°DSS/2C/2005/239 en date du 23 mai 2005 relative à la contribution des entreprises au FCAATA, porte-t-elle atteinte aux droits et libertés garantis par la constitution ?

Dit que la présente décisions sera adressée à à la Cour de cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions présentées, par un écrit distinct et motivé, des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité ;

Dit que les parties seront avisées par lettre recommandée avec accusé de réception ;

Sursoie à statuer sur les demandes des parties ;

Dit que affaire sera rappelée à l'audience du 26 septembre 2011 à 9 heures 30.

Dit que le présent jugement vaut convocation à l'audience du 26 septembre 2011 à 9 heures 30.

Réserve les dépens.