Renvoi
TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CRETEIL
Minute n° : 10/76 QPC 1 / Expropriation
Du : 15 Avril 2010
Affaire : LE DEPARTEMENT DU VAL DE MARNE / ESSO S.A.F
EXTRAIT DES MINUTES DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CRETEIL
DEPARTEMENT du VAL-de-MARNE
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JURIDICTION DE L'EXPROPRIATION
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LE TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CRETEIL (DEPARTEMENT du VAL-de-MARNE)
SIEGEANT AU PALAIS DE JUSTICE Rue Pasteur Valléry-Radot à CRETEIL
A RENDU LA DECISION DONT LA TENEUR SUIT :
Pour copie certifiée conforme, Délivrée le 15 Avril 2010
Le Greffier
JUGEMENT_DE TRANSMISSION D’UNE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE
(Références à rappeler)
MINUTE : 10 / 76 QPC 1
DU : JEUDI 15 AVRIL 2010
DOSSIER N° : 09 / 50 QPC 1
JURIDICTION DE L'EXPROPRIATION DU VAL DE MARNE
Juge : Madame BUCK
Greffier : Monsieur NEKKACHE
Le juge de l'expropriation du département du VAL DE MARNE, assistée du greffier de la juridiction, en application du décret n° 77-392 du 28 mars 1977 et du décret n° 77- 393 du 28 Mars 1977 portant respectivement codification des textes réglementaires concernant l'expropriation pour cause d'utilité publique, dans la procédure entre :
Le Département du Val de Marne, représenté par son président, en exercice domicilié en qualité audit Hôtel de Département, [adresse 1] - 94011 Créteil cedex,
ayant pour avocat Me LE SOURD DESFORGES du barreau de Paris, domicilié [adresse 2],
ET:
La société anonyme ESSO SAF, dont le siège social est situé [LOCALITE 3], [adresse 4], représentée par son président en exercice, domicilié en cette qualité audit siège.
ayant pour avocat la SCP CARBONNIER LAMZE et ASSOCIES du barreau de Paris, domiciliée [adresse 5] - [LOCALITE 6] .
En présence du commissaire du Gouvernement, représentant le Service France Domaines - Hôtel des Finances - 1 place du général Billotte - 94040 Créteil cedex.
Après avis du procureur de la République.
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Nous, Valentine BUCK, juge de l'expropriation au tribunal de grande instance de CRETEIL, désignée par ordonnance de monsieur le premier président de la cour d'appel de Paris, conformément aux dispositions de l'article R 13-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, assistée d'Ali NEKKACHE, greffier 1er garde de la juridiction désigné dans les conditions prévues à l'article R 13-10 du même Code,
Par arrêté interpréfectoral pris le 1er février 2005 par le préfet du Val de Marne et le préfet de l'Essonne, les travaux relatifs à l'aménagement du tramway entre [LOCALITE 7] et [LOCALITE 8] ont été déclarés d'utilité publique.
Par ordonnance du 6 décembre 2007, le juge de l’expropriation a déclaré immédiatement expropriée au profit du département du Val de Marne la parcelle cadastrée section P n°156 pour 454m2, sise 264/ [adresse 9] dans la commune de [LOCALITE 10], appartenant à la société ESSO S.A.F.
Par requête en date du 17 juillet 2009, le Département du Val de Marne a saisi le juge de l'expropriation afin que soit fixée l'indemnité de dépossession à la somme de 43.504 euros au profit de la société ESSO SAF. Il fait valoir que les permis de construire délivrés le 29 janvier 1992 et le 1er octobre 1996 prévoient la cession gratuite de l'emprise du futur aménagement de la [LOCALITE 11], dans la limite de 293 m2. Pour la surface complémentaire cédée au delà des 10% de la superficie totale, le Département offre au titre de l'indemnité principale la somme de 38.640 euros.
Par mémoires des 3 septembre 2009 et 18 février 2010, la société ESSO SAF demande de fixer le montant de l'indemnité correspondant à la valeur totale de la superficie expropriée, soit 454m2, à la somme de 1.110.938 euros.
Par ordonnance du 7 janvier 2010, le transport sur les lieux a été fixé au 4 mars 2010.
Par conclusions du 28 janvier 2010, le commissaire au gouvernement propose également de ne pas indemniser la partie du terrain sous emprise cédée gratuitement à la suite des permis de construire de 1992 et 1996.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 1er mars 2010, la société ESSO S.A.F. a soulevé la question de la constitutionnalité de la disposition de l’article L. 332-6-1, 2°e) du code de l'urbanisme.
À l'occasion du transport sur les lieux du 4 mars 2010, les parties ont été renvoyées à l'audience de plaidoirie fixée le 15 avril suivant afin qu'il soit statué sur cette question prioritaire de constitutionnalité.
Le procureur de la République a été avisé le 5 mars 2010.
Par mémoire visé par le greffe le 2 mars 2010, la société ESSO SAF soutient que la disposition litigieuse prévoit que parmi les contributions aux dépenses d'équipements publics prévues au 2° de l'article L. 332-6 et mises à la charge des bénéficiaires d'autorisation de construire, figurent “les cessions gratuites de terrains destinés à être affectés à certains usages publics qui, dans la limite de 10% de la superficie du terrain auquel s'applique la demande, peuvent être exigées des bénéficiaires d’autorisations portant sur la création de nouveaux bâtiments ou de nouvelles surfaces construites”.
Elle estime que la décision 85-189 DC du Conseil constitutionnel du 17 juillet 1985 relative à la loi du 18 juillet 1985 qui a introduit dans le code de l'urbanisme la disposition critiquée n’a pas jugé, dans ses motifs, cette disposition expressément conforme à la Constitution.
Elle fait valoir que cette disposition est, à titre principal, contraire au droit de propriété garanti à l’article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 aux motifs que la dépossession forcée ne répond pas à une nécessité publique légalement constatée et ne fait l'objet d'aucune juste et préalable indemnité. A titre subsidiaire, elle considère que cette disposition est contraire au droit de propriété garanti par l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en tant qu'elle n'identifie par l'utilité publique qui restreint ce droit de propriété, qu'elle ne répond pas aux exigences de proportionnalité par rapport à l'objectif poursuivi et n'est accompagnée d'aucune garantie de fond et de procédure.
Elle ajoute, de manière générale, que cette disposition porte également atteinte au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l’article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
Par avis visé par le greffe le 9 mars 2010, le procureur de la République a requis qu'il Soit ordonné la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation et qu'il soit sursis à statuer aux motifs notamment que la disposition contestée n'avait pas été manifestement déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 17 juillet 1985 et que l’article 17 de la de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 garantit le droit de propriété.
Par mémoire visé par le greffe le 13 avril 2010, le Département du Val de Marne demande, à titre principal, que cette question soit jugée irrecevable aux motifs qu'elle ne peut pas être valablement soulevée devant le juge de l'expropriation, juge judiciaire d'exception incompétent pour statuer sur le bien- fondé d'une cession de terrain à titre gratuit. Il considère alors que le juge de l'expropriation doit statuer sous la forme alternative et renvoyer les parties à mieux se pourvoir devant le juge administratif.
Il rétorque que cette disposition n’a pas pour objet de priver une personne de la propriété d’un bien mais de réglementer le droit de construire
A titre subsidiaire, il estime que cette disposition a déjà été jugée conforme à la Constitution par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 17 juillet 1985.
Il sollicite enfin la condamnation de la société ESSO S.A.F. au paiement d'une somme de 2.000 euros au titre de l’article 700 du code de procédure Civile.
Enfin, le commissaire du gouvernement a rédigé une note d'information sur le dispositif de la cession gratuite, visée par le greffe le 14 avril 2010.
La décision a été rendue à l'audience du 15 avril 2010.
MOTIFS :
En application de l'article 61-1 de la Constitution, lorsque, à l'occasion d'une instance devant notamment le juge de l'expropriation, il est soutenu qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés que la Constitution garantit, le Conseil Constitutionnel peut être saisi de cette question sur renvoi de Conseil d'Etat ou de la Cour de Cassation qui se prononce dans un délai déterminé.
Sur la recevabilité de la question prioritaire de constitutionnalité :
En application de l’article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, devant les juridictions relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de Cassation, le moyen tiré de ce qu'une disposition législative porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution est, à peine d'irrecevabilité, présenté dans un écrit distinct et motivé.
En l'espèce, le moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté par la société ESSO SAF le 1er mars 2010 dans un écrit distinct et motivé. Il est donc recevable.
Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité :
L'article 23-2 de l'ordonnance précitée dispose que la juridiction transmet sans délai la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation si les conditions suivantes sont remplies :
1° La disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure;
2°Elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs ou le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances;
3° La question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.
En l'espèce, la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, puisqu'elle est directement invoquée parles parties à l'appui de leurs offres où de leurs demandes de fixation du montant de l'indemnité d'expropriation.
En outre, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision n°85-189 DC du 17 juillet 1985 ne s’est pas prononcé expressément sur la conformité de la disposition litigieuse à la Constitution.
Enfin, elle n’est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce qu'elle repose sur une argumentation étayée.
Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante:
Les dispositions de l’article L. 332-6-1, 2°e) du code de l'urbanisme portent-elles atteinte au droit de propriété garanti parles articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de ce même texte?
Sur les autres demandes des parties et les dépens :
En application de l’article 23-1 de l'ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, lorsqu'une question est transmise, la juridiction sursoit à statuer jusqu’à réception de la décision de la Cour de cassation ou s’il a été saisi, du Conseil constitutionnel.
Il sera donc sursis à statuer sur l'ensemble des demandes des parties et les dépens seront réservés.
PAR CES MOTIFS:
Le juge de l'expropriation, statuant publiquement, par jugement contradictoire, insusceptible de recours indépendamment du jugement sur le fond,
- ORDONNE la transmission à la Cour de cassation la question suivante: Les dispositions de l'article L. 332-6-1, 2°e) du code de l'urbanisme portent-elles atteinte au droif de propriété garanti parles articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et au principe d'égalité devant les charges publiques garanti par l'article 13 de ce même texte?
- DIT que le présent jugement sera adressé à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires ou conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité;
- DIT que les parties seront avisées par tout moyen de la présente décision;
- SURSOIT à statuer sur les demandes des parties ;
- DIT que l'affaire sera rappelée à l'audience du 7 octobre 2010 à 09h30;
- RESERVE lies dépens;
- RAPPELLE que les parties disposent d’un délai d’un mois à compter de la décision de transmission pour faire connaitre leurs observations à la Cour de cassation et que ces observations sont signées par un avocat à la Cour de cassation dans les matières où la représentation est obligatoire devant la Cour de cassation:
- RAPPELLE que le premier président de la Cour de cassation ou son délégué, à la demande de l'une des parties ou d'office, peut, en cas d'urgence réduire ce délai d'un mois;
FAIT AU SIEGE DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE CRETEIL EN LA CHAMBRE DES EXPROPRIATIONS, le 15 AVRIL 2010.
Le greffier
Le juge de l'expropriation