Cour d'Appel de Pau

Arrêt du 15 avril 2010 n° 09/01027

15/04/2010

Renvoi partiel

DOSSIER N °09/01027

ARRÊT DU 15 Avril 2010

COUR D'APPEL DE PAU

CHAMBRE CORRECTIONNELLE

Arrêt prononcé publiquement le 15 Avril 2010, par Monsieur le Président SAINT-MACARY,

assisté de Monsieur LASBIATES, greffier, en présence du Ministère Public,

Sur appel d'un Jugement du TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE BAYONNE du 23 JUIN 2009.

PARTIES EN CAUSE DEVANT LA COUR :

[J M I]

Né le [DateNaissance 1] 1969 à [LOCALITE 2] ([LOCALITE 3]) Fils de [O I] et de [P Q]

De nationalité marocaine, marié [LOCALITE 4]

[adresse 5]

[LOCALITE 6]

Prévenu, intimé, comparant Libre

(Mandat de dépôt du 01/06/2009, Mise en liberté le 23/06/2009)

Assisté de Mme [A B C D], interprète en langue espagnole, qui a prêté serment en application de l'article 407 du Code de Procédure Pénale et de Maître FROGET François, avocat au barreau de BAYONNE.

[I I D]

Né le [DateNaissance 7] 1977 à [LOCALITE 8] ([LOCALITE 9])

Fils de [I O] et de [P Q] De nationalité espagnole, marié Vendeur ambulant

Demeurant [LOCALITE 10] ([LOCALITE 11])

Prévenu, intimé, comparant Libre (Mandat de dépôt du 01/06/2009, Mise en liberté le 23/06/2009)

Assisté de Mme [A B C D], interprète en langue espagnole, qui a prêté serment en application de l’article 407 du Code de Procédure Pénale et de Maître CAPDEVIELLE Colette, avocat au barreau de BAYONNE.

LE MINISTÈRE PUBLIC : non appelant

ADMINISTRATION DES DOUANES, PARTIE POURSUIVANTE JOINTE AU MINISTERE PUBLIC

Demeurant [adresse 12]

[LOCALITE 13]

Partie intervenante, appelante

Comparante, Représentée par Mme [T], inspecteur des douanes.

Vu l’ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d’Appel de PAU en date du 14 Décembre 2009

COMPOSITION DE LA COUR, lors des débats et du délibéré :

Président : Monsieur SAINT-MACARY,

Conseillers : Monsieur LE MAITRE, Monsieur PONS,

Le Greffier, lors des débats : Monsieur LASBIATES

MINISTÈRE PUBLIC : représenté aux débats par Monsieur PINEAU, Substitut Général.

RAPPEL DE LA PROCÉDURE :

Le TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE BAYONNE a été saisi en vertu de deux comparutions immédiates en application des articles 41, 137, 137-3, 144 (1° à 6°), 388, 393, 395 et 396 du Code de Procédure Pénale.

Il est fait grief à [J M I] :

D'avoir à [LOCALITE 14], le 29 mai 2009, et en tout cas sur le territoire national depuis temps non couvert par la prescription, importé de manière illicite des stupéfiants, en l’espèce du cannabis (14,440 kilogrammes de résine),

Délit prévu et réprimé par les articles 222-36, 222-40, 222-41,222-43, 2292-44, 222- 45, 222-47 à 222-50 du Code Pénal, L.5132-1, L.S132-7, R.5179 à R.S181 du Code de la Santé Publique, arrêté du 22 février 1999 modifié, Convention Internationale unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 ;

D’avoir à [LOCALITE 15], le 29 mai 2009, et en tout cas sur le territoire national depuis temps non couvert, transporté de manière illicite des stupéfiants, en l’espèce du cannabis (14,440 kilogrammes de résine),

Délit prévu et réprimé par les articles 222-37, 222-40, 222-41, 2222-43, 222-44, 222- 45, 222-47 à 222-50 du Code Pénal, L.5132-1, L.5132-7, R.5179 à R.5181 du Code de la Santé Publique, arrêté du 22 février 1999 modifié, Convention Internationale unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 ;

D’avoir à [LOCALITE 16], le 29 mai 2009, et en tout cas sur le territoire national depuis temps non couvert par la prescription, détenu de manière illicite des stupéfiants, en l’espèce du cannabis (14,440 kilogrammes de résine),

Délit prévu et réprimé par les articles 222-37, 222-40, 222-41,222-43, 222-44, 222- 45, 222-47 à 222-50 du Code Pénal, L.5132-1, L.5132-7, R.5179 à R.S181 du Code de la Santé Publique, arrêté du 22 février 1999 modifié, Convention Internationale unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 ;

D'avoir à [LOCALITE 17], le 29 mai 2009, et en tout cas sur le territoire national depuis temps non couvert par la prescription, importé sans déclaration préalable des marchandises prohibées, en l’espèce du cannabis (14,440 kilogrammes de résine) avec cette circonstance que ces marchandises sont dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publique,

Délit prévu et réprimé par les articles 38, 414, 417 et suivants, 423 et suivants, 432 bis et 435 du Code des Douanes et arrêté ministériel du 29 juillet 2003 ;

Il est fait grief à [I I D] :

D'avoir à [LOCALITE 18], le 29 mai 2009, et en tout cas sur le territoire national depuis temps non couvert par la prescription, importé de manière illicite des stupéfiants, en l’espèce du cannabis (14,440 kilogrammes de résine),

Délit prévu et réprimé par les articles 222-36, 222-40, 222-41, 222-43, 222-44, 222- 45, 222-47 à 222-50 du Code Pénal, L.5132-1, L.5132-7, R.S179 à R.S181 du Code de la Santé Publique, arrêté du 22 février 1999 modifié, Convention Internationale unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 ;

D'avoir à [LOCALITE 19], le 29 mai 2009, et en tout cas sur le territoire national depuis temps non couvert, transporté de manière illicite des stupéfiants, en l’espèce du cannabis (14,440 kilogrammes de résine),

Délit prévu et réprimé par les articles 222-37, 222-40, 222-41, 222-43, 2292-44, 222- 45, 222-47 à 222-50 du Code Pénal, L.5132-1, L.5132-7, R.5179 à R.S181 du Code de la Santé Publique, arrêté du 22 février 1999 modifié, Convention Internationale unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 ;

D’avoir à [LOCALITE 20], le 29 mai 2009, et en tout cas sur le territoire national depuis temps non couvert par la prescription, détenu de manière illicite des stupéfiants, en l’espèce du cannabis (14,440 kilogrammes de résine),

Délit prévu et réprimé par les articles 222-37, 222-40, 222-41, 222-43, 2229-44, 222- 45, 222-47 à 222-50 du Code Pénal, L.5132-1, L.5132-7, R.5179 à R.5181 du Code de la Santé Publique, arrêté du 22 février 1999 modifié, Convention Internationale unique sur les stupéfiants du 30 mars 1961 ;

D’avoir à [LOCALITE 21], le 29 mai 2009, et en tout cas sur le territoire national depuis temps non couvert par la prescription, importé sans déclaration préalable des marchandises prohibées, en l’espèce du cannabis (14,440 kilogrammes de résine) avec cette circonstance que ces marchandises sont dangereuses pour la santé, la moralité ou la sécurité publique,

Délit prévu et réprimé par les articles 38, 414, 417 et suivants, 423 et suivants, 432 bis et 435 du Code des Douanes et arrêté ministériel du 29 juillet 2003 ;

LE JUGEMENT :

Le TRIBUNAL CORRECTIONNEL DE BAYONNE par jugement contradictoire, en date du 23 JUIN 2009

- a prononcé la nullité de l’ensemble de la procédure,

- a ordonné la remise en liberté des prévenus.

LES APPELS :

Appel a été interjeté par :

L'ADMINISTRATION DES DOUANES, PARTIE POURSUIVANTE JOINTE AU MINISTERE PUBLIC, le 30 juin 2009, contre [J M I] et [I I D] son appel étant limité aux dispositions douanières.

[J M I], prévenu, a été assigné à la requête de Monsieur le Procureur Général, par acte en date du 26 octobre 2009 à parquet général (LRAR non réclamée), d'avoir à comparaître devant la Cour à l'audience publique du 25 mars 2010 ;

[I I D], prévenu, a été assigné à la requête de Monsieur le Procureur Général, par acte en date du 26 octobre 2009 à parquet général (AR signé le 11 janvier 2010), d'avoir à comparaître devant la Cour à l'audience publique du 25 mars 2010 :

ADMINISTRATION DES DOUANES, partie poursuivante jointe au Ministère Public, a été assignée à la requête de Monsieur le Procureur Général, par acte en date

du 2 décembre 2009, à sa personne, d’avoir à comparaître devant la Cour à l’audience publique du 25 mars 2010 ;

Madame [A B C D E], interprète en langue espagnole, a été invitée par courrier du 11 décembre 2009 à se présenter à l’audience publique du 25 mars 2010 devant la Cour :

DÉROULEMENT DES DÉBATS :

A l'audience publique du 25 mars 2010, Monsieur le Conseiller LE MAÏTRE a constaté l'identité des prévenus, par le truchement de l’interprète ;

Maître CAPDEVIELLE, Avocat de [I I D], prévenu, soulève deux questions prioritaires de constitutionnalité et dépose des conclusions en ce sens, ainsi que des conclusions de nullité, lesquelles ont été visées par le greffier, mentionnées par ce dernier aux notes d’audience et jointes au dossier ;

Maître FROGET, avocat de [J M I], prévenu, soulève deux questions prioritaires de constitutionnalité et dépose des conclusions en ce sens, ainsi que des conclusions de nullité, lesquelles ont été visées par le greffier, mentionnées par ce dernier aux notes d’audience et jointes au dossier ;

La Cour aborde en priorité la question de constitutionnalité ;

Maître CAPDEVIELLE, Avocat de [I I D], prévenu, entendue en ses questions prioritaires de constitutionnalité ;

Maître FROGET, avocat de [J M I], prévenu, entendu en ses questions prioritaires de constitutionnalité ;

L’Administration des Douanes en ses observations et qui dépose un dossier et des conclusions concernant la nullité de la procédure lesquelles ont été visées par le greffier, mentionnées par ce dernier aux notes d’audience et jointes au dossier ;

Monsieur Richard PINEAU, Substitut Général, en ses observations sur les questions prioritaires de constitutionnalité ;

[J M I] a eu la parole en dernier. [I I D] a eu la parole en dernier.

Puis la Cour a mis l’affaire en délibéré et le Président a déclaré que l'arrêt serait prononcé le 15 Avril 2010.

DÉCISION :

LES FAITS

Le 29 mai 2009 à 1 h 30, les agents des Douanes, en surveillance sur la plate- forme autoroutière «[LOCALITE 22]» à [LOCALITE 23] ([...]), procédaient au contrôle d’un autobus immatriculé en [LOCALITE 24] qui circulait dans le sens [LOCALITE 25] - [LOCALITE 26]. Le conducteur indiquait qu’il assurait la liaison entre ces deux pays et qu’il avait pour destination [LOCALITE 27]. Les agents faisaient intervenir le chien qui effectuait un marquage immédiat à hauteur de deux sacs en plastique, portant la marque «CARREFOUR.ES» mais ne comportant pas d’identification de propriétaire. Le chauffeur indiquait que ces sacs appartenaient à deux passagers identifiés comme étant [I J L] et [D I I].

L'ouverture de ces deux sacs permettait de découvrir deux cartons contenant chacun des plaquettes entourées de ruban adhésif qui se révélaient être de la résine de cannabis ; 1l y avait 14,440 kilogrammes de drogue (Procès-verbal n° 1 des douanes). Placés en retenue douanière (procès-verbal n° 3 et 4), les deux mis en cause indiquaient qu’ils étaient frères et qu’ils se rendaient ensemble à de [LOCALITE 28] à [LOCALITE 29] où ils allaient visiter de la famille. Ils avaient changé de bus à [LOCALITE 30].

Ils affirmaient que les sacs contenant la drogue ne leur appartenaient pas (procès- verbal n° 5 et 6 des douanes).

Les deux mis en cau$e étaient, ensuite, placés en garde à vue au commissariat de [LOCALITE 31] (procès-verbal 3520/04 et 05). Tous les deux contestaient dans un premier temps les faits et la possession de la drogue (procès-verbal 3520/06, 07, 18 et 19) ; dans une troisième audition, [D I I] indiquait que c'était son frère qui avait apporté les cartons dans le bus. Il ne savait pas ce qu’il y avait à l’intérieur et l’avait découvert lorsque les douaniers les avaient ouverts. Il s’était retrouvé «bloqué» et n’avait rien osé dire ; par la suite, son frère lui avait demandé de continuer à nier. Il se disait très en colère contre son frère de l’avoir mis dans cette situation (procès-verbal n° 20, 21 et 38).

Finalement, [I J L] reconnaissait l’achat et le transport de cannabis (Procès-verbal n° 21). Il l’avait acheté pour 4.000 Euros 1l y a un mois à [LOCALITE 32] à un inconnu. C’était lui-même qui avait confectionné les paquets qu’il devait remettre à [LOCALITE 33] à un homme prénommé [S]. Il devait recevoir en contrepartie 6.000 Euros et réaliser ainsi 2.000 Euros de bénéfice. Il mettait son frère hors de cause et affirmait que celui-ci n’était pas au courant du transport de cannabis. Il lui avait dit qu’il s’agissait de chocolat qu’il devait remettre à [S] (procès-verbal n° 23). Il avait demandé à son frère, lors de l’interpellation, de ne pas dire la vérité. Le chauffeur de bus ayant déclaré que c’était [D I I] qui avait transporté les cartons dans le bus, [I J M] affirmait le contraire et déclarait que le chauffeur s’était trompé (Procès-verbal n° 37) ce que confirmait, à nouveau, [D I I] (n° 38).

L’enquête ne permettait pas d’identifier le nommé [S] qui, selon [I J L] habiterait à [LOCALITE 34] ([...]).

*****

Les prévenus étaient présentés au Parquet le 1° juin 2009 et placés sous mandat de dépôt par le juge des libertés et de la détention dans l’attente de la comparution immédiate. Lors de l’audience du 2 juin 2009, ils demandaient un délai pour être jugés ; l’affaire était renvoyée au 16 juin 2009 et les prévenus étaient maintenus en détention.

À l’audience du 16 juin 2009, les avocats des prévenus déposaient des conclusions de nullité et le Ministère Public sollicitait le renvoi de l’affaire pour pouvoir y répondre. L’affaire était renvoyée au 23 juin 2009 et les prévenus étaient maintenus en détention.

À l’audience du 23 juin 2009, les avocats des prévenus ont à nouveau déposé des conclusions de nullité.

Maître CAPDEVIELLE, pour le compte de Monsieur [D I I], a soulevé deux exceptions de nullité : d’une part, le procès-verbal de notification de retenue douanière ne mentionne pas la durée légale de la retenue et n’a pas été porté à la connaissance des prévenus avec l’assistance d’un interprète alors qu’ils ne comprennent pas le français mais qu’ils s’expriment en espagnol ; d’autre part, le procès-verbal de notification concernant [D I I] n'est pas signé par lui sans qu’il en soit précisé les raisons.

Maître FROGET, pour le compte de [I J M], a soulevé la même exception de nullité que Maître CAPDEVIELLE s’agissant de l’absence d’un interprète en langue espagnole lors de la notification de la retenue douanière et a, en outre, soulevé l’absence de respect des dispositions de l’article 397-2 du Code de Procédure Pénale qui prévoit que lorsque la peine encourue est supérieure à sept ans d'emprisonnement, le prévenu, informé de ces droits, peut demander que l’affaire soit renvoyée à une audience qui devra avoir lieu dans un délai qui ne peut être inférieur à deux mois sans être supérieure à quatre mois. Or, le 2 juin 2009, l’affaire a été renvoyée au 16 juin sans qu’il soit justifié que Monsieur [D I I] ait été informé de ce droit.

Par jugement en date du 23 juin 2009, le Tribunal Correctionnel de BAYONNE :

- a rejeté la nullité tirée du non-respect de l’article 397-1 aux motifs que les droits de la défense avaient bien été respectés,

- a annulé l’ensemble de la procédure douanière et de la totalité de la procédure subséquente aux motifs qu’il n’est pas établi que les prévenus ont été informés de leurs droits dans une langue qu’ils comprenaient.

Les prévenus étaient remis en liberté.

Suivant déclaration du 30 Juin 2009, la Direction Générale des Douanes interjette appel de la décision.

*****

Renseignements

[I J L] indique qu’il demeure à [LOCALITE 35] en [LOCALITE 36] ; il est cuisinier, actuellement au chômage. Son casier judiciaire ne mentionne pas de condamnation.

[D I I] demeure à [LOCALITE 37] en [LOCALITE 38]. Il est vendeur ambulant et perçoit un revenu mensuel moyen de 1.200 €. Son casier judiciaire ne mentionne pas de condamnation.

*****

Devant la Cour, [I J M] et [D I I] sont présents et assistés de leurs avocats.

Avant tout débat au fond, les avocats des deux prévenus déposent des conclusions aux fins de nullité des procès-verbaux des douanes, de la rétention douanière et des gardes à vue ainsi que des mémoires aux fins de voir poser des questions prioritaires de constitutionnalité conformément aux dispositions de l’article 61-1 de la Constitution

L’Administration des Douanes, appelante du jugement indique verbalement à l’audience qu’elle s’en remet sur les demandes des prévenus tendant à voir saisir la Cour de Cassation d’une question prioritaire de constitutionnalité. Elle indique néanmoins que les dispositions de l’article 323 du Code des Douanes ont été respectées. Elle dépose des conclusions pour répondre aux exceptions de nullité soulevées par la défense concernant la validité de la rétention douanière.

 

Le Ministère Public indique qu’il n’est pas appelant du jugement. Il estime qu’il convient de saisir la Cour de Cassation de la question prioritaire relative à la constitutionnalité des dispositions de l’article 323 du Code des Douanes, cette question, présentant un caractère sérieux, n’ayant, semble-t-1l, jamais été tranchée par le Conseil Constitutionnel.

Les prévenus ont eu la parole en dernier.

MOTIVATION

Sur l’action publique

La Cour constate qu’elle n’est saisie que de l’action douanière dès lors que Île Ministère Public n’est pas appelant du jugement rendu le 23 juin 2009 par le Tribunal Correctionnel de BAYONNE.

Sur les questions prioritaires de constitutionnalité

Les Conseils des deux prévenus présentent dans deux séries de mémoires distincts deux questions prioritaires de constitutionnalité conformément aux dispositions de l’article 61-1 de la Constitution :

- l’une concernant la conformité à la Constitution des dispositions contenues dans l’article 323 du Code des Douanes.

- l’autre concernant la conformité à la Constitution des dispositions contenues dans l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale.

Lorsqu'elle est saisie de moyens contestant la conformité d'une disposition législative, aux droits et libertés garantis par la Constitution, la Cour, avant de saisir, le cas échéant, la Cour de Cassation, doit rechercher, conformément aux dispositions de l’article 23-2 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, tel que créé par l’article 1 de la loi organique n° 2009-1523 du 10 décembre 2009, s1 :

- la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure ou constitue le fondement des poursuites,

- elle n'a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement de circonstances,

- la question n'est pas dépourvue de caractère sérieux.

1. Sur l’article 323 du Code des Douanes

Ce texte prévoit les conditions dans lesquelles un agent des douanes peut, dans le cas où 1l constate une infraction douanière, procéder à la retenue d’une personne soupçonnée d’avoir commis cette infraction : après en avoir avisé immédiatement le Procureur de la République, l’agent des douanes peut procéder à une retenue de 24 heures sauf prolongation d’une même durée autorisée par le Procureur de la République.

 

Selon les avocats des prévenus, le fait que ce texte ne prévoie pas l’assistance d’un avocat à la personne faisant l’objet d’une retenue douanière contrevient directement aux droits reconnus expressément par la Constitution française de 1958 qui fait référence à la Convention Européenne des Droits de l'Homme : selon l’article 6 $ 3- C, “tout accusé a droit, notamment, à se défendre lui-même ou avoir l'assistance d'un défenseur de son choix”. Invoquant la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et de celle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, les prévenus estiment que l’absence de possibilité de recourir à la présence d’un avocat lors d’une retenue douanière viole les principes des droits de la défense impliquant le recours à une procédure juste et équitable.

Selon les éléments exposés dans les mémoires des avocats des prévenus, ce texte viole les droits fondamentaux de la personne garantis par la Constitution de 1958.

En l’espèce, n1 [I J M] ni [D I I], placés en retenue douanière le 29 mai 2009 de 1 h 45 à 11 heures, n’ont pu bénéficier de la présence d’un avocat ; 1ls n’ont pas pu, non plus, solliciter un examen médical ni aviser un membre de leur famille

La Cour constate que les critères de l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 sont remplis puisque :

- premièrement, l’article 323 du Code des Douanes est applicable à la procédure et a servi de fondement aux poursuites exercées à l’encontre de Monsieur [I J L] et de Monsieur [D I I],

- deuxièmement, l’examen à ce jour de la jurisprudence du Conseil Constitutionnel montre que l’article 323 du Code des Douanes n'a pas déjà été déclaré conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel. En tout état de cause, le tableau répertoriant les dispositions déclarées conformes à la Constitution ne mentionne pas ce texte,

- troisièmement, la question n'est manifestement pas dépourvue de caractère sérieux puisqu'elle pose la question du respect des droits de la défense et des libertés individuelles dans une procédure douanière dérogatoire du droit commun. Les éléments de la cause démontrent qu’il ne s’agit pas d’une procédure dilatoire de la part des prévenus présents en personne lors de l’audience de la Cour alors même qu'ils avaient été libérés et qu’ils habitent en [LOCALITE 39].

Il résulte des recherches effectuées par la Cour que cette question de la conformité des dispositions de l’article 323 du Code des Douanes n’a pas encore été soumise à la Cour de Cassation en vue de la saisine éventuelle du Conseil Constitutionnel ; en conséquence, la question prioritaire de constitutionnalité, telle qu’elle résulte des mémoires des avocats des prévenus, en ce qu’ils évoquent une atteinte aux droits et liberté que garantie la Constitution, sera transmise à la Cour de Cassation conformément aux dispositions des articles 23-2 et 23-3 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 ; dans l’attente, la Cour surseoira à statuer jusqu'à réception de la décision de la Cour de cassation ou, s'il a été saisi, du Conseil constitutionnel.

2. Sur l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale

Dès lors que la Cour n’est saisie, par l’appel de |’ Administration des Douanes, que de l’action douanière, la question de la légalité des dispositions de l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale ne peut pas se poser en l’espèce puisque s’inscrivant dans le cadre de l’action publique. La disposition contestée n’est donc pas applicable au litige ou à la procédure au sens l’article 23-2 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958.

En conséquence, la demande des parties tendant à faire poser la question prioritaire de constitutionnalité de cet article du Code de Procédure Pénale sera rejetée sur ce point.

PAR CES MOTIFS

LA COUR, après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Statuant publiquement, par arrêt contradictoire non susceptible de recours, Reçoit les appels comme réguliers en la forme,

Au fond,

Avant dire droit,

Ordonne la transmission à la Cour de Cassation de la question suivante : les dispositions prévues par l’article 323 du Code des Douanes et relatives à la retenue douanière portent-elles atteintes aux droits et libertés fondamentales de la personne garantis par la Constitution de 1958 et notamment le droit à l’assistance d’un avocat et le droit à un procès équitable ?

Dit que la présente décision sera adressée par le Greffe à la Cour de Cassation dans les huit jours de son prononcé avec les mémoires et conclusions des parties relatifs à la question prioritaire de constitutionnalité.

Sursoit à statuer sur l’appel de |’ Administration des Douanes.

Constate que la Cour n’est pas saisie de l’action publique.

En conséquence,

Dit n’y avoir lieu à poser la question prioritaire de constitutionnalité relative à la garde à vue, article 64-3 du Code de Procédure Pénale.

Renvoie l’examen de la présente affaire à l’audience du JEUDI 20 JANVIER 2011 à 13 H 30.

Le présent arrêt a été rendu en application de l’article 485 dernier alinéa du code de procédure pénale et signé par Monsieur le Président SAINT-MACARY et par Monsieur LASBIATES, greffier, présents lors du prononcé.