Tribunal de grande instance de Nanterre

Jugement du 31 mars 2010 N° 009030041

31/03/2010

Renvoi partiel

Ministère Public C/ [C]

République française

Au nom du Peuple français

Tribunal de Grande Instance de Nanterre

14eme chambre

N° d'affaire : 1009030041

Jugement du : 31 mars 2010, n° :7

NATURE DES INFRACTIONS : CONDUITE D'UN VEHICULE SANS PERMIS en récidive,

TRIBUNAL SAISIT PAR : Procédure de comparution immédiate en application des articles 395 et suivants du Code de procédure pénale.

PERSONNE POURSUIVIE :

Nom : [C G]

Prénoms . [A-B]

Né le : [DateNaissance 1] 1980

Age : 29 ans au moment des faits

A : [LOCALITE 2] ([...])

Fils de

Et de : [F C]

Nationalité : française

Domicile : [adresse 3]

[LOCALITE 4] ([LOCALITE 5])

Profession

Antécédents judiciaires : déjà condamné

Situation pénale : retenu sous escorte

Comparution : comparant assisté de Me Pierre DEGOUL et de Me Pierre-Ann LAUGERY avocats du barreau de NANTERRE, commis d'office.

[A-B C] est prévenu :

-D'avoir à [LOCALITE 6] ([...]), le 29 mars 2010, en tout cas sur le territoire national et depuis temps n'emportant pas prescription, conduit un véhicule sans être titulaire du permis de conduire valable pour cette catégorie de véhicule. Ces faits ont été commis en état de récidive légale, ainsi qu'il résulte du jugement définitif prononcé par le Tribunal Correctionnel de Bobigny en date du 11 février 2010 pour des faits similaires ou assimilés, faits prévus par ART.L.221-2 $I, ART.L.221-1 AL.1, ART.R.221-1 $I AL.1 C.ROUTE. et réprimés par ART.L.221-2 C.ROUTE, et prévue et réprimée par les articles 132-8 à suivants du Code pénal en ce qui concerne la récidive,

A l'appel de la cause, le président a constaté l'identité du prévenu et a donné connaissance de l'acte qui a saisi le tribunal.

Puis il a averti le prévenu des dispositions de l'article 397 du Code de procédure pénale, celui-ci a déclaré en présence de l’avocat de permanence qu'il consentait à être jugé séance tenante.

Les débats ont été tenus en audience publique.

Avant toute défense au fond Me DEGOUL a sollicité l’examen de deux questions prioritaires de constitutionnalité déposées par deux écrits distincts et motivés et a été entendu en ses observations.

Me LAUGERY a soulevé in limine litis une exception de nullité après voir déposé des conclusions visées par le greffier et le président.

Le Ministère Public a été entendu en ses réquisitions sur les questions prioritaires de constitutionnalité et sur l’exception de nullité.

Le Tribunal a joint les incidents au fond.

Le président a donné connaïssance des faits motivant la poursuite.

Le président a instruit l'affaire et a interrogé le prévenu sur les faits et a reçu ses déclarations.

Le ministère public a été entendu en ses réquisitions.

Me Pierre-Ann LAUGERY avocat du barreau de NANTERRE, commis d'office, a été entendu en sa plaidoirie pour M [A-B C], prévenu.

M [A-B C], prévenu, a présenté ses moyens de défense et a eu la parole en dernier.

Le greffier a tenu note du déroulement des débats.

Le tribunal, après en avoir délibéré, a statué en ces termes.

MOTIFS

M. [C] a été poursuivi devant ce Tribunal pour conduite d’un véhicule sans permis et ce, en état de récidive légale.

La défense de M. [C] a déposé trois jeux de conclusions distincts, l’un relatif aux nullités qu’elle entend soulever, les deux autres relatifs à des questions prioritaires de constitutionnalité, l’une au regard de l’article 63-1, alinéa 1 du Code de procédure pénale (CPP), la seconde au regard de l’article 63-4, alinéa 1 à 6, du CPP.

SUR LES QUESTIONS PRIORITAIRES DE CONSTITUTIONNALITÉ

1. Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 63-I alinéa 1 du Code de procédure pénale :

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, la défense de M. [C] saisit la juridiction sur le fondement de l’article 61-1 de la Constitution, d’un moyen soulevant l’inconstitutionnalité de l’article 63-1 alinéa 1 du CPP.

M. [C] soutient, en bref, que les dispositions précitées portent atteinte au droit à une procédure juste et équitable garanti par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 ainsi que par les articles 2, 4, 6, 9 et 16 du même texte et les articles 1°’, 34 et 66 de la Constitution .

Dans son avis exprimé le 31 mars 2010, le ministère public soutient qu’il n’y a pas lieu à transmission, la question ayant déjà été posée à la Cour de cassation .

Sur ce

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution:

Le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 31 mars 2010 dans un écrit distinct des conclusions de M. [C], et motivé . Il est donc recevable.

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation :

Dans l’affaire en cause ici, la disposition contestée est applicable au litige en ce que le prévenu a bien été placé en garde à vue . Elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil Constitutionnel, et n’est pas dépourvue de caractère sérieux, en ce qu’elle concerne les droits effectifs de la personne gardée à vue.

Il y a donc lieu de transmettre à la Cour de cassation la question suivante dont le moyen soulevé est nouveau :

L'article 63-1 alinea 1 du code de procédure pénale porte-il atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 au regard du droit à un procès juste et équitable ?

Sur le sursis à statuer

- Le prévenu est présenté au tribunal selon la procédure de comparution immédiate, il n’y a pas lieu de surseoir à statuer au fond, conformément aux dispositions de l’article 23-3 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958.

2.Sur la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 63-4 alinéa I à 6 du Code de procédure pénale :

En application de l’article 23-1 de l’ordonnance n°58-1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil Constitutionnel, M. [C] saisit la juridiction sur le fondement de l’article 61-1 de la constitution, d’un moyen soulevant l’inconstitutionnalité de l’article 63-4 alinéa 1à 6 du CPP.

La défense de M. [C] soutient que les dispositions précitées portent atteinte aux droits de la défense et au droit à une procédure juste et équitable en violation de l’article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789, constituent une atteinte disproportionnée à des droits et libertés garantis par les articles 34 et 66 de la Constitution et par l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 précitée et créent une rupture d’égalité devant la loi contrairement à l’article 16 de la même Déclaration .

Dans son avis exprimé le 31 mars 2010, le ministère public soutient que la Cour de cassation a déjà été saisie de la question .

Sur ce

Sur la recevabilité du moyen tiré de l'atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution:

En l’espèce, le moyen tiré de l’atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution a été présenté le 31 mars 2010 dans un écrit distinct des conclusions de M. [C], et motivé. Il est donc recevable .

Sur la transmission de la question prioritaire de constitutionnalité à la Cour de cassation:

La disposition contestée est applicable au présent litige en ce que le prévenu a été placé en garde à vue et a vu sa garde à vue prolongée.

En application de l’article R49-26 du CPP, le juge n’est pas tenu de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, une disposition législative dont la Cour de cassation ou le Conseil Constitutionnel est déjà saisi .

En l’espèce la Cour de cassation est saisie, depuis le 4 mars 2010, sous les références : E10-90.020 ; D 10-90.019; C10-90.018 ; B10-90.017 ; A 10-90.016 ; ZI10-90.015 ; Y 10-90.014 X10-90.013 W10-90.012 V10-90.011 ; U10- 90.010 ; T10-90.009 ; S10-90.008 ; R10-90.007 ; Q10-90.006 ; T10-90.006; et P10-90.005, d’une question prioritaire de constitutionnalité mettant en cause, par les mêmes motifs, la même disposition législative, et n’a pas encore statué.

SUR LES NULLITÉS SOULEVÉES

La défense de M. [C] soulève la nullité de la procédure aux motifs, d’une part, qu’il n’a pas été notifié à M. [C] qu’il avait droit au silence, ce qui est contraire à l’article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales (CESDHLF), étant relevé que les dispositions de l’article 63-1 du CPP ne respectent pas les exigences posées par cette Convention, telle qu’interprétée par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme “CEDH”; et, d’autre part, que la renonciation de [H. C] à l'assistance d’un avocat pendant sa garde à vue n’a pas été suffisamment éclairée, en violation des dispositions de l’article 6 paragraphe 3 de la CESDHLF).

La défense souligne, d’une manière générale que la CESDHLEF a été régulièrement ratifiée par la FRANCE et que le juge national est donc compétent pour contrôler la conventionnalité de la loi pénale interne.

Le Ministère public a fait valoir que le droit au silence n’était pas mentionné dans l’article 6 de la CESDHLEF et que, s’agissant du droit à l’assistance d’un conseil, cette notion devait s’apprécier au regard des circonstances de l’espèce et qu'ici, M. [C] a expressément indiqué, dans un premier temps, que “pour le moment”, Il ne désirait pas s’entretenir avec un avocat, puis, au moment de la prolongation de sa garde à vue, souhaité avoir un avocat d’office.

Sur le droit au silence

Le Tribunal observe que le texte même de l’article 6 de la CESDHLE, qui se lit:

1. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi, qui décidera, soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. Le jugement doit être rendu publiquement, mais l’accès de la salle d'audience peut être interdit à la presse et au public pendant la totalité ou u ne partie du procès dans l’intérêt de la moralité, de l’ordre public ou de la sécurité nationale dans une société démocratique, lorsque les intérêts des mineurs ou la protection de la vie privée des parties au procès l’exigent, ou dans la mesure jugée strictement nécessaire par le tribunal, lorsque dans des circonstances la publicité serait de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice.

2. Toute personne accusé d’une infraction est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie.

3. Tout accusé a droit notamment à :

a) être informé, dans le plus court délai, dans une langue qu’il comprend, et d’une manière détaillée, de la nature et de la cause de l’accusation portée contre lui;

b) disposer du temps et des facilités nécessaires à la préparation de sa défense;

c) se défendre lui-même ou avoir l’assistance d’un défenseur de son choix et, s’il n’a pas les , moyens de rémunérer un défenseur, pouvoir être assisté gratuitement par un avocat d'office, lorsque les intérêts de la justice l’exigent;

d) interroger ou faire interroger les témoins à charge et obtenir l’interrogation des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge;

e) se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience.

ne mentionne pas expressément le “droit au silence”; que ce droit ne figure pas davantage à l’article 63 du CPP; que les déclarations d’une personne mise en cause ne suffisent normalement pas, à elles seules, à asseoir la culpabilité de cette personne lorsque sa cause est entendue; que, dans le système procédural français, le suspect, comme le prévenu ou l’accusé, a le droit de mentir; qu’en l’espèce, il résulte des procès-verbaux d’audition de M. [C] que, s’il a répondu à des questions qui lui étaient posées, il s’est aussi exprimé librement et spontanément, ce qui a notamment permis d’enregistrer qu’il disposerait d’un permis de conduire belge.

La nullité soulevée ici doit donc être rejetée.

Sur le droit à l'assistance d’un avocat

La défense de M. [C] soutient, en bref, que le droit à l’assistance d’un _ avocat doit être effectif, que la renonciation à l’assistance d’un avocat doit être non seulement expresse mais encadrée suffisamment, que ce droit ne se limite pas à la possibilité pour un avocat de s’entretenir quelques minutes avec un conseil.

Le Tribunal observe que, dès son placement en garde à vue, M. [C] a été clairement avisé de son droit à s’entretenir avec un avocat dès le début de cette mesure; que M. [C], dont il faut bien observer au demeurant qu’il a été confronté à plusieurs reprises à la procédure pénale, y compris pour des faits de nature criminelle, a répondu, sans aucune ambiguïté que “Pour le moment, (Il) ne désir(ait) pas s’entretenir avec un avocat” et précisé même qu’il n’envisageait pas de recourir à ce droit si la garde à vue était prolongée; que, nonobstant, lorsque la prolongation de cette mesure lui sera notifiée, Il sollicitera un entretien avec un avocat; que cet entretien aura bien lieu. Ainsi, M. [C] ne peut en aucune mesure alléguer qu’il n’a pu bénéficier du droit effectif à l’assistance d’un avocat. La nullité soulevée ici est également rejetée.

AU FOND

M. [C] affirme qu’il est détenteur d’un permis belge, qu’il aurait obtenu depuis sa dernière condamnation par le tribunal de grande instance de BOBIGNY, pour des faits de défaut de permis de conduire, le 10 février 2010, et la date de son interpellation dans la présente affaire, le 29 mars 2010.

Outre que le délai pour obtenir ce permis belge paraît excessivement court, il est constant que M. [C] n’est pas en mesure de présenter ce document, ni même de fournir les précisions qui permettraient de savoir où le retrouver.

En tout état de cause, ce document ne saurait valoir permis de conduire en FRANCE, compte tenu de la date de son obtention, de sa non-transformation en permis de conduire français, [H; C] étant de nationalité française et résident habituellement en FRANCE.

Les faits sont donc établis.

M. [C] se trouve en état de récidive légale.

Il est en cours d’acquérir un logement et travaille en qualité de “conducteur de travaux”.

Dans ces conditions, il convient de lui infliger une peine de 150 jours amende à 12 euros.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, en matière correctionnelle, en premier ressort et par jugement contradictoire à l'encontre de [A-B C], prévenu ;

ORDONNE la transmission à la Cour de cassation la question suivante dont le moyen soulevé est nouveau :

L'article 63-1 alinea 1 du code de procédure pénale porte-il atteinte aux droits et libertés garantis par l’article 16 de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 au regard du droit à un procès juste et équitable ?

DIT n’y avoir lieu à transmission de la question prioritaire de constitutionnalité relative à l’article 63-4 alinéa 1 à 6 du code de procédure pénale.

Vu l’article 23-3 de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958,

DIT n’y avoir lieu à surseoir à statuer.

SUR L'ACTION PUBLIQUE :

REJETTE les exceptions de nullité soulevées par M. [A-B C].

DECLARE [A-B C D] pour les faits qualifiés de :

-CONDUITE D'UN VEHICULESANS PERMIS en récidive, faits commis le 29 mars 2010, à [LOCALITE 7] ([...]).

Vu les articles susvisés :

[E A-B C] à une AMENDE SOUS FORME DE JOURS-AMENDE au nombre de 150 et d'un montant unitaire de DOUZE EUROS (12 euros).

La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 90 euros dont est redevable le condamné.

Le président avise [A-B C] que s'il s'acquitte du montant du droit fixe de procédure et/ou du montant de l'amende dans un délai d'un mois à compter de la date à laquelle cette décision a été prononcée, ce montant sera minoré de 20 % sans que cette diminution puisse excéder 1500 euros conformément aux articles 707-2 et 707-3 du code de procédure pénale. Le président l'informe en outre que le paiement de l'amende et du droit fixe de procédure ne fait pas obstacle à l'exercice des voies de recours.

Dans le cas d'une voie de recours contre les dispositions pénales, il appartient à l'intéressé de demander la restitution des sommes versées.

A l'audience du 31 mars 2010, 13h32, 14eme chambre, le tribunal était composé

de :

Président : M. Olivier FOURMY vice-président

Assesseurs : M. Jacques MONTEIL juge

M. Benoit BOULET-GERCOURT juge

Ministère Public : MME. Isabelle REGNIAULT vice-procureur de la République

Greffier : MME. Patricia LAMARRE greffier

Et la minute du présent jugement a été signée par M. FOURMY, Président Mme LAMARRE, greffier, présent lors du prononcé.

LE GREFFIER