QPC 2020 : une démarche scientifique pour une vaste ambition

07/12/2022

Guillaume Drago

Ecrit par
Guillaume DRAGO
Professeur à l'Université Paris 2 Panthéon-Assas,
membre du Comité scientifique QPC 2020

Les grandes institutions ont toujours de grandes ambitions. Le projet de recherche « QPC 2020 » a voulu répondre à une grande ambition : celle de marquer les dix ans de pratique de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) par les différents acteurs de cette procédure de contrôle de constitutionnalité. Depuis 2010, la QPC a pris dans le paysage juridictionnel et institutionnel français une place majeure en faveur de la promotion des droits fondamentaux constitutionnels. Il s'agissait donc de faire un premier bilan de cette procédure, de la jurisprudence QPC et de l'action des acteurs nombreux de ce processus de contrôle a posteriori de la loi.

Le projet « QPC 2020 » a été construit et conduit selon une démarche scientifique rigoureuse : composition d'un comité scientifique comprenant universitaires, magistrats, membres du Conseil constitutionnel ainsi que son secrétaire général et des chargés de mission, association du GIP Mission de recherche Droit et Justice(1), appel à projets, examen contradictoire par deux rapporteurs de chaque projet présenté, réunions avec les représentants des équipes de recherche, dialogue permanent, séminaire interne de restitution des recherches entreprises, colloque de présentation des résultats. Ce processus a permis un échange fructueux entre le Conseil constitutionnel et les milieux universitaires et de la recherche, tant dans la définition et la conduite du projet de recherche que dans les débats de fond sur le contenu des réponses à l'appel à projets.

Les deux axes majeurs de l'appel à projets portaient sur des thèmes assez différents, au premier abord seulement : les aspects sociologiques de la QPC, c'est-à-dire les acteurs de la QPC et l'évolution de leurs pratiques ; les jurisprudences QPC, avec l'intention de dresser des bilans thématiques sur les dix années d'exercice de cette procédure. Les réponses à l'appel à projets ont montré que ces deux aspects étaient nécessairement liés, tant la sociologie des acteurs de la QPC, justiciables, avocats, juges, pouvoirs publics est indubitablement liée aux questions de fond traitées par les décisions QPC.

Les seize projets retenus ont frappé le comité scientifique par leur diversité, allant de recherches fondamentales sur les caractères de la QPC au regard des principes du droit processuel, à des études de terrain portant sur les jurisprudences des ressorts juridictionnels, en passant par le traitement de thématiques juridiques spécifiques comme l'environnement, le droit de la culture, le droit pénal et la procédure pénale, les relations entre la QPC et l'économie, ou encore, sur un mode plus sociologique, sur la stratégie des avocats dans la procédure de QPC.

Les équipes et centres de recherche qui ont répondu à l'appel d'offres étaient variés par leur origine géographique, leur composition et leurs projets. On ne sera pas étonné d'y trouver un nombre significatif de juristes constitutionnalistes, même si l'interdisciplinarité était un critère de choix des projets. Mais les autres disciplines juridiques ainsi que la sociologie et l'économie ont été représentées, sans peser autant dans les projets que l'aurait souhaité le comité scientifique.

L'appréciation que je porte sur ce projet de recherches et ses résultats est positive mais elle doit aussi interroger. Il est clair que ce projet de recherches, porté et financé généreusement par le Conseil constitutionnel s'insère dans une logique institutionnelle et officielle qui a pu conduire à « lisser » certains résultats, sans pour autant porter atteinte à la liberté intellectuelle et de recherche des équipes ayant porté leurs projets. Ce constat est inévitable mais il n'a aucunement biaisé les résultats.

Le système de l'appel à projets comporte des avantages et des inconvénients. L'avantage est de « laisser venir » les projets et de les choisir au regard de la thématique qui a été conçue par le comité scientifique. La liberté de réponse a conduit à une certaine dispersion des thèmes, sur le plan tant du périmètre des projets que des objets d'études, parfois un peu restreints aux yeux du comité scientifique ou trop larges pour pouvoir être retenus. Le regret, et c'est un sentiment paradoxal pour un universitaire qui tient plus que tout à préserver la liberté intellectuelle et de recherche, est peut-être de ne pas avoir défini des thèmes plus précis et de solliciter directement des équipes de chercheurs, sur les sujets « qui fâchent », c'est-à-dire ceux qui forment la contestation de la QPC, de sa procédure, et des effets des décisions du Conseil constitutionnel : la place des cours suprêmes, Cour de cassation et Conseil d'État, dans le processus d'examen des QPC et la justification (ou la contestation ?) du « filtre » qu'elles exercent, les effets au fond d'une décision QPC (réserves d'interprétation, influence sur la jurisprudence des juridictions de fond, « effet utile », ...), pour ne citer que quelques interrogations. Mais on ne peut demander à une institution de pratiquer, par voie de chercheurs interposés, une sorte de « Séance de la flagellation » intellectuelle...

Ma conclusion sera celle d'un universitaire. Cet appel à projets et ses résultats soulignent l'utilité d'une relation étroite entre le Conseil constitutionnel et la doctrine, dont le regard critique (et parfois féroce !) ne peut que profiter d'une meilleure connaissance en profondeur de l'institution, de ses préoccupations, de ses interrogations, en apportant un regard extérieur qui doit être une stimulation pour le juge constitutionnel pour une meilleure promotion des droits fondamentaux constitutionnels au service des citoyens.

(1): GIP que le soussigné a eu l'honneur de fonder en 1994 et de diriger pendant ses quatre premières années.