L'effet utile des décisions QPC : un bilan critique

11/12/2022

L'effet utile des décisions QPC du Conseil constitutionnel : un bilan critique

Responsables scientifiques

Stéphane MOUTON
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, directeur de l’Institut Maurice Hauriou
Mathieu CARPENTIER
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole

Auteurs

Thomas BERTRAND
Doctorant à l’Université Toulouse 1 Capitole
Xavier BIOY
Professeur à l’Université Toulouse 1 Capitole
Mathieu CARPENTIER
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole
Amelia CROZES
Doctorante à l’Université Toulouse 1 Capitole
Marie EUDE
Doctorante à l’Université Toulouse 1 Capitole
Marie GLINEL
Doctorante à l’Université Toulouse 1 Capitole
Gaëlle LICHARDOS
Maître de conférences à l’Institut catholique de Toulouse
Olga MAMOUDY
Professeure de droit public, Université Polytechnique des Hauts de France - CRISS
Julien MARGUIN
Doctorant à l’Université Toulouse 1 Capitole
Zakia MESTARI
Doctorante à l’Université Toulouse 1 Capitole
Stéphane MOUTON
Professeur de droit public à l’Université Toulouse 1 Capitole, directeur de l’Institut Maurice Hauriou
Nicoletta PERLO
Maître de conférences à l’Université Toulouse 1 Capitole, membre de l’IRDEIC (Institut de recherche en droit européen, international et comparé)
Estelle POIZAT
Doctorante à l’Université Toulouse 1 Capitole
Jordan PUISSANT
Doctorant à l’Université Toulouse 1 Capitole

Dans le cadre du projet « QPC 2020 » lancé par le Conseil constitutionnel, il est apparu opportun aux membres de l'Institut Maurice Hauriou de dresser un bilan de l'« effet utile » des décisions du Conseil constitutionnel. C'est ce à quoi a été consacré le rapport que nous lui avons remis en janvier 2020, dont la présente étude se donne pour objectif de résumer les grandes lignes.

Nous entendrons ici la notion d'effet utile au sens précis(1) que cette notion revêt en droit du contentieux constitutionnel(2) français : une décision de non-conformité est dotée d'effet utile lorsqu'elle bénéficie à l'auteur de la QPC, qui peut l'invoquer dans le litige principal au cours duquel la QPC a été soulevée ; par extension, le bénéfice de l'effet utile est étendu aux instances en cours à la date de publication de la décision du Conseil. Prise de manière plus générale et moins technique, la notion d'« effet utile » pourrait renvoyer à l'étude des influences que les décisions prises sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution engendrent sur les différents acteurs constitutionnels. Que ce soit le législateur, le Gouvernement, les juges, voire le constituant même de manière indirecte, tous exercent des compétences qui peuvent être influencées par l'autorité de la chose jugée qui s'attache aux décisions du Conseil constitutionnel. Dès lors, l'un des enjeux posés par le sujet pourrait être d'analyser l'utilité, entendons, les bénéfices concrets que ces différents organes constitutionnels peuvent tirer de cette jurisprudence dans le but vertueux d'exercer leurs missions dans le plus grand respect de la Constitution. Cependant, et d'après les données fournies par le droit positif lui-même et les travaux scientifiques menés par la doctrine constitutionnelle, quelle que soit l'obédience théorique de ses membres, il nous est apparu que la question de l'effet utile renvoie à la problématique de l'utilité de la QPC pour le justiciable, à l'origine de ce recours juridictionnel, dont la présence constitue une innovation considérable dans le fonctionnement des institutions. Et de ce point de vue, dans le cadre d'un contentieux qui demeure objectif dans sa nature et sa portée, en dépit de sa dimension subjective et concrète à son déclenchement, l'analyse de l'effet utile pour le justiciable ne peut être appréhendée que sous l'angle des effets des décisions dans le temps.

En principe, l'effet d'une déclaration d'inconstitutionnalité est, si l'on s'en tient à une lecture littérale de la première phrase du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution(3), purement abrogatif : il en résulte une non-rétroactivité de principe, puisque, contrairement à l'annulation contentieuse, que l'on retrouve dans certains pays d'Europe(4), l'abrogation n'entraîne pas la disparition rétroactive des effets de la loi. Dans cette perspective, la non-rétroactivité devrait être la règle(5) ; mais, appliqué dans toute sa rigueur, ce principe aurait sans doute pour effet de dissuader les justiciables de recourir à la QPC, sauf à la rigueur à des fins purement dilatoires. C'est pourquoi le Conseil constitutionnel a fait pleinement usage des pouvoirs que lui confère la seconde phrase du second alinéa de l'article 62 de la Constitution(6), en renversant le rapport du principe à l'exception.

Selon le considérant (désormais, le paragraphe) de principe arrêté définitivement début 2011, « en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel »(7). Le principe est donc désormais que, par défaut, une décision d'inconstitutionnalité bénéficie à celui qui en est à l'initiative. Le bénéfice de la décision d'inconstitutionnalité est également étendu à l'ensemble des instances nées de l'application de la loi inconstitutionnelle et en cours à la date de la publication de la décision. Cette rétroactivité procédurale étendue est justifiée par des considérations d'égalité devant la justice constitutionnelle. Elle n'est cependant pas dénuée de problèmes : elle peut créer un effet d'aubaine pour des catégories entières de justiciables et elle est susceptible de porter atteinte à la « confiance légitime » que les tiers peuvent avoir en l'application de la loi. Cependant le principe même de l'extension de l'effet utile à l'ensemble des instances en cours est acquis ; il a été validé par la CEDH dans son arrêt Dolca c. Roumanie du 4 septembre 2002, et à notre connaissance, le Conseil constitutionnel n'a jamais réservé l'effet utile d'une décision d'inconstitutionnalité au seul auteur de la QPC(8).

La privation d'effet utile est par conséquent l'exception au principe de l'effet utile. En cas d'abrogation immédiate, le Conseil constitutionnel devra motiver la privation éventuelle de l'effet utile (souvent due à l'impossibilité de différer l'abrogation, notamment parce que la disposition contestée n'est déjà plus en vigueur). Et même en cas d'abrogation différée, où en principe la loi conserve l'ensemble de ses effets, y compris ceux qu'elle a produits pour l'auteur de la QPC, le Conseil constitutionnel mettra en œuvre un certain nombre de mécanismes destinés à préserver l'effet utile, préoccupation présente dès la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, Cristallisation des pensions.

A) Problématique retenue et objectifs de la recherche

1. Présentation générale

L'étude dont la présente note se donne pour objectif de résumer les orientations principales a été réalisée, principalement mais non exclusivement, par des chercheurs de l'Institut Maurice Hauriou de l'Université Toulouse 1 Capitole ; elle a pour objet de faire le point sur la pratique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel relative à l'effet utile de ses décisions. Il ne s'est pas agi de s'intéresser à l'ensemble des aspects de la question des effets dans le temps des décisions QPC, question qui est sans doute l'une des plus épineuses (certains diront : « insoutenables »(9)) qu'ait posée la création dans notre droit français de cette voie de droit nouvelle. De fait l'enjeu n'est pas exclusivement technique : l'objet n'est pas uniquement de faire l'inventaire des différents outils propres à préserver ou au contraire à détruire l'effet utile de la décision. Il s'agit également de s'interroger sur l'efficacité contentieuse d'un recours qui, s'il a été pensé pour rapprocher les citoyens de la Constitution(10), conduit parfois à des abrogations que l'on pourrait qualifier de platoniques(11)(c'est à dire sans effets concrets pour le justiciable à l'initiative du recours). Il s'agit donc de se demander ce que la question de l'effet utile révèle de la conception française du contentieux constitutionnel.

Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel est en effet, comme toute question préjudicielle(12), un contrôle incident, et donc « concret » par son origine(13) : il intervient à l'occasion d'une « instance » (article 61-1 de la Constitution). Cependant, quant aux modalités -- et à l'intensité du contrôle -- peu de choses séparent la manière dont le Conseil procède en DC et en QPC(14) : il s'agit d'un contrôle qui est, par sa nature, abstrait, dès lors que son objet n'est pas la manière dont la disposition législative contestée est appliquée à la situation juridique du requérant. Très souvent donc le contrôle QPC apparaît être un contrôle « par procuration » du contrôle DC et celui-ci, réciproquement, un contrôle « par anticipation » de celui-là(15). Dans cette perspective, il demeure inévitable que le Conseil constitutionnel soit amené à détourner son attention de la situation juridique concrète de l'auteur de la QPC. L'auteur de la QPC, en dépit de l'ardeur qu'y mettent parfois ses conseils lors de l'audience, ne peut demander au Conseil constitutionnel de statuer sur sa situation personnelle et subjective ; et c'est pourquoi cette dernière ne peut constituer le fondement d'une déclaration d'inconstitutionnalité. Or si la situation subjective de l'auteur de la QPC ne fait guère l'objet d'une appréciation in concreto au moment du contrôle, il en va autrement de la détermination des conséquences de ce contrôle, et, donc, de l'effet de la décision du Conseil constitutionnel. Lorsque l'auteur de la QPC obtient gain de cause, c'est-à-dire principalement(16) une déclaration d'inconstitutionnalité(17), il semble légitime qu'il bénéficie de la décision du Conseil, c'est-à-dire qu'il puisse, à tout le moins, l'invoquer dans l'instance à laquelle il est partie.

2. Enjeux et objectifs de l'étude

Le principal enjeu de l'étude est de déterminer si, au regard du cadre général et des paramètres définis ci-dessus, cette politique a donné lieu à des solutions cohérentes et systématisables. Deux principaux angles d'analyse ont ainsi été retenus : tout d'abord la question de la concrétisation et de la subjectivisation du contrôle ; et celle de la hiérarchisation des droits fondamentaux.

2.1. L'effet utile et la concrétisation et subjectivisation du contrôle

En premier lieu, la question de l'effet utile peut contribuer à révéler l'étendue et les limites de la concrétisation comme de la subjectivisation du contrôle effectué par le Conseil constitutionnel. Quant à l'objet-même du contrôle, il n'est pas de censurer les applications inconstitutionnelles de la loi, mais la loi inconstitutionnelle elle-même, ce en quoi le contrôle que le Conseil exerce demeure bien abstrait ; cet objet n'est pas davantage de prendre en compte la situation subjective de l'auteur de la QPC ou d'assurer le respect de ses droits subjectifs. Cependant, une réflexion sur l'effet de ce contrôle invite à s'interroger sur la part de concrétisation et de subjectivisation qui entre en jeu lorsque le Conseil constitutionnel décide (ou non) d'attribuer à sa décision un effet utile.

Un marqueur intéressant peut être de ce point de vue la qualité de l'auteur de la QPC. Si la partie requérante est, dans une majorité de cas, une personne physique, il arrive également fréquemment qu'elle soit, par exemple, une association ou une société(18). Les objectifs poursuivis par les différents types de requérants ne sont pas les mêmes : alors qu'une personne physique ou une société souhaite généralement obtenir une modification de sa situation de droit subjective, une association pourra poursuivre une finalité plus objective (l'abrogation d'un texte produisant des effets sociaux à ses yeux problématiques).

2.2. L'effet utile et la hiérarchisation des droits fondamentaux

En second lieu, la question de l'effet utile des décisions permet de s'interroger sur une éventuelle hiérarchie matérielle des règles et principes constitutionnels entre eux, notamment en ce qui concerne les droits et libertés fondamentaux. On sait que dans certaines jurisprudences constitutionnelles, certains droits ou certains principes jouent un rôle fondamental et sont intangibles ; ils ne peuvent ainsi être mis en balance avec d'autres principes dans le contrôle de proportionnalité. Il en va ainsi par exemple de la dignité de la personne humaine dans l'interprétation systémique faite par la Cour constitutionnelle fédérale allemande de l'ensemble des droits fondamentaux protégés par la Constitution, qui trouvent tous en un sens leur source dans la dignité humaine. Rien dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel ne permet d'avancer avec autant d'assurance que certains principes constitutionnels joueraient un tel rôle (pas même le principe de dignité de la personne humaine, dégagé en 1994 et qui n'a depuis lors donné lieu, sauf erreur de notre part, à aucune censure). Cependant, l'hypothèse de départ que nous avons formulée est que la propension plus ou moins grande à conférer à sa décision un effet utile dépend du droit ou liberté (ou du type de droits ou libertés) sur le fondement desquels l'inconstitutionnalité a été prononcée. Autrement dit, plus le Conseil est enclin à protéger l'effet utile de sa décision, plus le droit ou la liberté auxquels la disposition censurée porte atteinte est importante à ses yeux. C'est cette hypothèse qui a guidé le plan de la première partie de la présente étude, même si elle n'a pas été pleinement vérifiée, hormis en ce qui concerne les droits et libertés relatifs à la matière pénale.

B) Choix méthodologiques

Pour mener à bien ce travail de recherche, nous avons pris le parti de procéder en deux temps.

Dans la première partie, nous avons tout d'abord procédé à une analyse systématique de l'attribution ou non par le Conseil constitutionnel d'un effet utile à ses décisions d'inconstitutionnalité en fonction des grands types de droits ou libertés qui en constituent le fondement. C'est pourquoi la première partie de l'étude est consacrée à cinq études particulières procédant par grands blocs de droits et libertés : le principe d'égalité, les libertés économiques (principalement la liberté d'entreprendre), les droits et libertés en matière de droit pénal et de procédure pénale (articles 8 et 9 DDHC, article 66 de la Constitution), la liberté personnelle, et les droits tirés de l'article 16 DDHC. L'idée directrice qui a guidé ce choix est l'hypothèse selon laquelle l'effet utile est un marqueur de l'importance plus ou moins grande que le Conseil entend donner à certains droits, dont l'effectivité est peut-être plus impérieuse. En réalité, sauf en matière pénale -- et, à vrai dire, en droit pénal substantiel uniquement -- cette hypothèse ne s'est pas pleinement réalisée.

Pour mener à bien ce travail, nous avions confié à des groupes de travail la tâche de réaliser un relevé quantitatif des différentes décisions pertinentes, puis de réaliser une analyse globale des principaux traits qui s'en dégagent. Pour ce faire, nous avons tout d'abord opéré une cartographie des différentes hypothèses dans lesquelles on peut parler d'effet utile : selon que la disposition est encore en vigueur ou non ; selon que la disposition est abrogée immédiatement ou de manière différée ; selon qu'elle reçoit une réserve transitoire ou bénéficie de la technique du sursis à statuer assorti d'une injonction au législateur. C'est sur la base des différents critères ainsi dégagés qu'a été réalisée, entre septembre 2018 et janvier 2019, une recension quantitative exhaustive des décisions pertinentes, qui a été communiquée au Conseil dans le rapport d'étape que nous lui avons remis début 2019.

Ensuite nous avons adressé aux différents groupes quatre questions, auxquelles les études devaient, dans une part variable, apporter une réponse :

  • Le droit/liberté étudié pose-t-il des problèmes spécifiques en matière d'effet utile (par exemple : « abrogation en tant que ne pas » ; en matière de procédure pénale, conséquences excessives pour l'ordre public d'une abrogation immédiate etc.) ?

  • Le Conseil constitutionnel emploie-t-il des outils spécifiques pour préserver l'effet utile (par exemple : réserves transitoires) ?

  • Lorsque l'effet utile est refusé, quelle en est la motivation ? Celle-ci semble-t-elle suffisante/adéquate ?

  • La jurisprudence du Conseil constitutionnel, en ce qui concerne l'effet utile des décisions prises sur le fondement du droit/liberté étudié, semble-t-elle cohérente ?

La seconde partie (tant au plan chronologique qu'au plan de l'organisation de l'ouvrage) est consacrée à cinq études transversales, qui suivent plusieurs objectifs distincts. Cela lui confère un caractère quelque peu disparate, qui n'est pas pour autant dirimant. Il se justifie par la nécessité de mettre en lumière certains aspects qui ne peuvent être capturés par l'approche par grands blocs de droits et libertés développée dans la première partie. Il permet également de tirer les conclusions générales pouvant se dégager de cette dernière. Ainsi il nous est apparu opportun de réserver un traitement à certaines matières dans lesquelles la détermination de l'effet utile répond ainsi à une problématique particulière : c'est pourquoi nous avons consacré une étude spécifique à la matière fiscale ainsi qu'à la jurisprudence relative à l'état d'urgence ; cette dernière permet également de s'interroger sur le poids du contexte dans la détermination de l'effet utile. Quant aux conclusions générales dégagées dans la seconde partie, elles dressent un bilan de l'effet utile comme outil inachevé de subjectivisation du contrôle, et elles visent à proposer, en conséquence, quelques pistes pour l'amélioration de la motivation du Conseil sur ce point.

C) Terrains ou données ayant servi de support à la recherche dans une présentation anonymisée

Le principal terrain de l'étude a été l'analyse des décisions du Conseil constitutionnel, (mais aussi, de manière moins systématique, des décisions des juridictions judiciaires et administratives). Ce choix se justifie principalement par la volonté de proposer au Conseil constitutionnel certaines modifications susceptibles d'améliorer son approche de l'effet utile. Certes, le Conseil constitutionnel n'est pas pleinement maître de l'exécution effective de ses décisions par les autorités administratives ou juridictionnelles(19). Cependant l'un des aspects qui explique les difficultés dans lesquelles se trouvent les juridictions et autorités en charge de l'exécution des décisions du Conseil constitutionnel est l'extrême laconisme qui guide sa motivation relative à l'effet de ses décisions en général, et à leur effet utile en particulier. C'est pourquoi nous avons fait le choix de concentrer l'analyse sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel, plutôt que sur sa réception par les juridictions et autorités administratives. Le choix contraire nous eût assurément amené à recueillir des données personnelles, à les traiter et, le cas échéant, à les réutiliser. Tel n'a pas été le cas ici. Par ailleurs, nous n'avons pas révélé l'identité des parties lorsque le Conseil constitutionnel avait fait le choix (systématique pour les personnes physiques) d'en anonymiser le patronyme.

D) Principales conclusions de la recherche

Les principales conclusions de la recherche sont au nombre de deux. Celles-ci ont révélé un manque de cohérence dans la politique jurisprudentielle du Conseil constitutionnel relative à l'effet utile ; elles ont par ailleurs relevé des insuffisances dans la motivation, par le Conseil, de son choix de conférer ou non à une décision un effet utile.

1) Un manque de cohérence

La question de l'effet dans le temps d'un régime juridique quelconque est l'une des plus complexes que nos systèmes juridiques aient fournies à ses destinataires ; la détermination des effets des décisions QPC, qui, lorsqu'elles concluent à la non-conformité, modifient l'ordonnancement juridique en vigueur, n'échappe pas à cette règle. Si les principes qui guident, de manière expresse ou implicite, ce choix sont aisés à saisir, leur mise en œuvre concrète n'est parfois guère aisée à appréhender.

1.1. Des éléments de mise en cohérence

1.1.1. Des principes à mettre en balance

La question de l'effet utile met en jeu au moins cinq principes : le principe d'efficacité contentieuse, qui fait obstacle à ce que l'exercice réussi d'une voie de droit soit purement platonique ; la sécurité juridique, qui fait obstacle à ce que des situations cristallisées soient remises en cause ; le principe d'égalité devant la justice (constitutionnelle), qui impose l'extension du bénéfice de la décision aux autres instances et/ou situations en cours ; le respect de l'autorité de la chose jugée, qui fait obstacle à ce que des affaires jugées définitivement (prescrites et/ou forcloses) soient rouvertes indument ; la prohibition de l'abus de droit qui fait obstacle à ce qu'un justiciable tire un profit excessif d'une décision d'inconstitutionnalité. A ces principes, s'ajoutent l'ensemble des règles et principes ou objectifs constitutionnels qu'une application rétroactive de la décision d'inconstitutionnalité pourrait heurter. Si le principe d'égalité devant la justice est appliqué de manière constante par le Conseil constitutionnel (qui n'a jamais réservé l'effet utile au seul auteur de la QPC, aux dépens des autres justiciables engagés dans des instances en cours à la date de la décision(20)), les autres principes reçoivent une application variable, déterminée par une mise en balance parfois peu aisée à saisir. C'est la raison pour laquelle il a été difficile de dégager des tendances lourdes.

1.1.2. Une première piste : l'effet utile des droits substantiels et procéduraux

Ainsi, il n'est pas paru frappant que le Conseil constitutionnel souhaitât accorder une plus grande effectivité à certains droits et libertés plutôt qu'à d'autres. On peut cependant dégager, de manière prudente, la conclusion selon laquelle lorsque les décisions portent sur des droits substantiels, l'effet utile est supérieur à celui qui est accordé aux décisions concernant des règles de procédure. Ainsi, le principe d'égalité donne généralement lieu à des décisions largement dotées d'effet utile (à plus de 80 %, y compris lorsque l'abrogation est différée). De la même manière, en droit pénal « substantiel » (incrimination et peine), l'étude relative au bloc pénal montre que l'effet utile a été accordé à la quasi-totalité (sauf deux) des décisions fondant l'inconstitutionnalité sur l'article 5 et les articles 8 et 9 de la DDHC (légalité, nécessité proportionnalité des délits et peines). Le Conseil constitutionnel n'a d'ailleurs que rarement usé de l'abrogation différée en matière pénale ; il y était parfois contraint lorsque la structure du contentieux l'y invitait, par exemple lorsque, comme en matière de non bis in idem, l'inconstitutionnalité concernait la combinaison de deux dispositions qui, prises isolément, sont conformes à la Constitution(21).

En revanche, les règles de procédure (relatives à la compétence ou à la composition d'un organe, à la procédure suivie devant lui, ou encore aux délais et voies de recours) ont donné beaucoup plus rarement lieu à un effet utile des décisions. Ainsi, sur les 9 décisions d'abrogation relatives à la liberté individuelle (article 7 de la DDHC et article 66 de la Constitution), 5 sont privées d'effet utile. De la même manière, sur les 68 décisions d'inconstitutionnalité fondées sur l'article 16 de la DDHC, seules 37 sont dotées d'effet utile, soit seulement 54 % des décisions.

Cette hypothèse, qui se dégage du bilan statistique effectué par les diverses études qui composent la première partie du rapport, repose sur le postulat selon lequel le Conseil constitutionnel, conformément au principe de prohibition de l'abus de droit, souhaite éviter les effets d'aubaine indus. La violation d'un droit substantiel semble entraîner la nécessité de remédier aux situations nées de l'application de la disposition, d'où la possibilité offerte à l'auteur de la QPC (ainsi qu'aux autres justiciables placés dans la même situation) de bénéficier de la décision d'inconstitutionnalité dès lors qu'une instance est en cours. En revanche, la violation d'un droit procédural semble affecter à un moindre degré la gravité de la situation du requérant, qui procède généralement d'autres normes juridiques (par ex., en matière pénale, de la loi pénale). L'effet utile accordé aux décisions relatives à la procédure aurait pour effet d'annuler certains actes de procédure.

1.2. Un manque de cohérence persistant

Plusieurs éléments accentuent l'impression d'un manque de cohérence de la politique jurisprudentielle de l'effet utile. Il est certain que la masse contentieuse à laquelle a été subitement confronté le Conseil constitutionnel depuis 2010 n'a pas favorisé l'élaboration de règles systématiques en la matière.

1.2.1. Les interactions entre le considérant de principe et le considérant d'espèce

Une première difficulté, intrinsèquement liée à la question de la motivation, tient à la part de non-dit ou d'implicite qui affecte la détermination des effets de la décision. La raison en est une forme de solution de continuité entre le considérant ou paragraphe de principe, inchangé depuis la décision n°2010-108 QPC, et le (ou les) considérant(s) d'espèce, qui détermine l'effet de la décision. Ainsi il est dit dans le considérant de principe « que si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ». Rien ne dit explicitement ici que par défaut (c'est-à-dire sauf exceptions dûment motivées dans le considérant d'espèce), l'abrogation immédiate est accompagnée d'effet utile et que l'abrogation différée en est dépourvue. L'abrogation immédiate prend en principe effet le jour de la publication de la décision ; elle est donc en principe aussi peu rétroactive que l'abrogation différée. On pourrait donc fort bien imaginer que, sauf lorsque le Conseil le précise explicitement dans le considérant d'espèce, la décision serait pourvue d'effet utile quand bien même l'abrogation serait différée. Il est vrai que depuis la première décision QPC, le considérant d'espèce élabore, en cas d'abrogation différée, des mécanismes destinés à « préserver l'effet utile » (en l'espèce le sursis à statuer avec injonction au législateur), ce qui implique en principe que par défaut, l'effet utile est détruit.

En va-t-il de même pour l'abrogation immédiate ? A priori, celle-ci est, sauf mention contraire(22), assortie d'effet utile. Le problème est que le considérant d'espèce se clôt désormais, en cas d'abrogation immédiate par une formule venant conférer explicitement un effet utile à la décision : celle-ci peut être invoquée, ou le cas échéant est applicable(23), dans « les instances en cours à cette date et dont l'issue dépend de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles »(24), ou encore dans les « instances non jugées définitivement »(25) ou encore dans les « affaires non jugées définitivement »(26). Se pose alors la question de savoir ce qu'il faut déduire de l'absence totale de mention de ce type dans le considérant d'espèce(27). Les juridictions du fond interprètent en général la décision QPC comme étant revêtue d'effet utile(28), alors qu'on aurait très bien pu tenir un raisonnement a contrario et estimer qu'en l'absence de mention expresse dans le considérant d'espèce, le principe purement abrogatif trouve à s'appliquer.

1.2.2. La question de l'effet utile renforcé : les affaires nouvelles

De la même manière, le Conseil constitutionnel, a, dans une poignée de décisions de 2014(29), modifié la formule du considérant d'espèce en précisant que la décision « est applicable aux affaires nouvelles ainsi qu'aux affaires non jugées définitivement à la date de publication de la décision du Conseil constitutionnel ». Il ne l'a ensuite plus utilisée, revenant soit à la formule « d'affaires » ou « d'instances non définitivement jugées ». Se pose alors la question de savoir ce que l'on entend par « affaire nouvelle ». En principe, dès lors que l'on a affaire à une abrogation immédiate (la question ne se posant pas pour une abrogation différée), la loi inconstitutionnelle ne saurait sauf exception continuer à créer des effets après la publication de la décision du Conseil. Comme l'a montré le professeur Sami Benzina(30), il ne peut donc y avoir « d'affaire nouvelle » qu'au sens où une situation juridique née de l'application de la loi antérieurement à la publication de la décision donne lieu à une instance prenant naissance après cette date : par exemple, une imposition décidée ou mise en recouvrement avant la décision QPC mais ne faisant l'objet d'une réclamation qu'après la publication de cette dernière. L'emploi de cette formule crée donc un certain effet d'aubaine, dès lors que, sous réserve des délais de recours, de prescription et de forclusion, son emploi laisse la possibilité à des justiciables de se prévaloir de la décision du Conseil constitutionnel alors même que la situation née des effets de la loi n'a donné lieu jusqu'alors à aucun litige ni à aucune contestation.

Le problème est que le Conseil constitutionnel ne fait plus mention des « affaires nouvelles » dans le considérant d'espèce. Que faut-il en déduire ? Si on s'en tient à un simple raisonnement a contrario, on devrait, lorsqu'il n'évoque que les affaires non définitivement jugées, en conclure que la décision du Conseil constitutionnel n'est en principe pas applicable aux affaires nouvelles : la décision n'a en effet qu'une fonction abrogative, et l'effet utile ne concerne, selon le considérant de principe, que « l'auteur de la QPC » et les instances en cours. Le problème ici est que la réalité est bien plus contrastée(31). Le Conseil n'a jamais paru se préoccuper de cette question : il arrive parfois au commentaire officiel (anciennement appelé commentaire aux Cahiers) de reprendre la formule « affaires nouvelles et affaires non jugées définitivement » alors même que la décision ne fait mention que des instances ou affaires non jugées définitivement(32).

Le Conseil d'État a d'ailleurs pu appuyer la thèse de l'effet utile « renforcé » bénéficiant même à ceux dont l'instance est introduite postérieurement à la décision du Conseil constitutionnel, alors même que ce dernier ne fait pas mention des affaires nouvelles. Ainsi dans l'avis contentieux du 26 février 2019 (certes propre à la matière fiscale), le Conseil d'État affirme que « lorsque le Conseil constitutionnel précise, dans une décision déclarant une disposition législative contraire à la Constitution, que cette déclaration d'inconstitutionnalité est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de publication de sa décision, cette déclaration peut être invoquée dans toutes les procédures contentieuses en cours, quelle que soit la période d'imposition sur laquelle porte le litige. Elle peut l'être aussi à l'appui de toute réclamation encore susceptible d'être formée eu égard aux délais fixés par les articles R. 196-1 et R. 196-2 du livre des procédures fiscales »(33).

La reconnaissance récente par le Conseil d'État(34), de la possibilité d'engager la responsabilité de l'État du fait des lois inconstitutionnelles renforce une telle interprétation, puisque l'instance dirigée contre l'État est nécessairement postérieure à la décision du Conseil constitutionnel. Certes, elle diffère de l'instance née de l'application de la loi (par exemple, dans les décisions du 24 décembre 2019, une loi intéressant les relations entre employeurs et salariés), qui peut avoir été antérieure. Mais il s'agit bien d'une « affaire nouvelle » au sens des décisions de 2014.

Le Conseil constitutionnel devrait donc clarifier ce point, comme le Conseil d'État l'y invite d'ailleurs.

1.2.3. Une insuffisante prise en compte des effets de la décision

Enfin, l'analyse des décisions d'inconstitutionnalité du Conseil constitutionnel révèle parfois une insuffisante prise en compte des effets concrets de sa décision. Même une décision qui revêt toutes les apparences de l'effet utile (déclaration d'inconstitutionnalité, abrogation immédiate, applicabilité à toutes les instances non définitivement jugées) s'avèrera in fine défavorable à l'auteur de la QPC, faute pour le Conseil constitutionnel de prêter une attention soutenue à la complexité des enjeux.

Les exemples abondent. L'un d'entre eux paraît devoir être évoqué ici. Dans sa décision n° 2018-709 QPC, le Conseil constitutionnel se prononçait sur les délais de recours contre un arrêté portant obligation de quitter le territoire français visant un étranger détenu(35). Le IV de l'article L. 512-1 du CESEDA prévoit en effet l'application à l'étranger détenu des délais prévus au III du même article consacré aux délais applicables à l'étranger placé en centre de rétention, à savoir un délai de recours de 48 heures à compter de la notification de l'arrêté, le recours faisant naître un délai de 72 heures imparti au juge pour statuer sur la demande. Le Conseil constitutionnel a jugé que le délai maximal global de 5 jours dans lequel le juge est amené à rendre sa décision était trop bref, et emportait violation de l'article 16 de la DDHC. Il a alors abrogé, avec effet immédiat, les dispositions contestées.

Le problème ici est double : tout d'abord il est étrange de prendre en compte le délai global, plutôt que le délai imparti à chaque acteur de l'instance. La décision du Conseil emporte la nécessité d'appliquer un délai global plus important, sans qu'on sache la part qui doit être impartie à chacune des « actions » (recours et jugement). Doit-on en déduire qu'un délai de recours de 48 heures suivi d'un délai de jugement de 6 mois serait conforme à l'article 16 ? Quid d'un délai de recours de 2 mois, suivi d'un délai de jugement de 72 heures ? Le choix du délai global n'apparaît pas de nature à éclairer les destinataires de la décision.

Ensuite -- et de manière cruciale -- le Conseil constitutionnel est resté complètement silencieux sur les délais devant être appliqués à l'avenir et dans les instances en cours. On s'étonne ainsi que le Conseil constitutionnel n'ait pas différé l'abrogation, de manière à permettre au législateur de définir un nouveau délai plus conforme à l'article 16 de la DDHC, quitte à mettre en œuvre de manière provisoire, par le biais d'une réserve transitoire, un délai susceptible d'être invoqué par le requérant pour éviter que sa demande soit jugée irrecevable pour tardiveté. L'abrogation immédiate fait ici naître une incertitude, qui ne sera pas favorable à l'auteur de la QPC.

Au silence du Conseil sur ce point, il a été suppléé par une brève mention dans le commentaire officiel, qui indique que les délais de droit commun sont applicables. Le problème naturellement est de savoir quels sont les délais de droit commun, tant en ce qui concerne la saisine du juge qu'en ce qui concerne sa décision. S'agit-il, pour le recours, du délai de 2 mois, qui est le délai standard de recours pour excès de pouvoir ? Le juge a quo, la Cour administrative d'appel de Douai, a jugé qu'il ressortait de la décision, « éclairée par son commentaire »(36), que ce délai de droit commun était précisément... le délai de 48 heures créé par le III de l'article L. 512-1 du CESEDA(37). Après tout, il s'agit bien du délai de droit commun en matière d'OQTF visant un étranger privé de liberté. Elle a donc déclaré tardif le recours de l'auteur de la QPC, et jugé sa requête irrecevable sur ce fondement.

Cette affaire a fait l'objet d'un pourvoi devant le Conseil d'État, et nous n'en connaissons pas l'issue à l'heure où ces lignes sont écrites. Elle nous semble cependant particulièrement symptomatique de l'insuffisante attention portée par le Conseil constitutionnel aux suites de sa décision.

2) Une motivation insuffisante

Si l'on part du principe que la décision d'inconstitutionnalité a un effet purement abrogatif, la négation de l'effet utile ne doit pas recevoir de motivation particulière, puisqu'elle se déduit de l'article 62 de la Constitution. En revanche, si, comme le Conseil constitutionnel a choisi de l'affirmer explicitement dès la décision n° 2010-108 QPC précitée, le principe abrogatif doit être tempéré de sorte que, par principe, la décision s'applique à l'auteur de la QPC ainsi qu'aux instances en cours à la date de la publication de cette dernière. Dans cette hypothèse, la négation de l'effet utile doit donner lieu à une motivation spéciale. Or la plupart des études particulières ont révélé un caractère laconique, parfois inexistant, de cette motivation.

Ainsi, il arrive que le Conseil constitutionnel ne donne aucune raison venant motiver la négation de l'effet utile. Cette absence de motivation est particulièrement problématique lorsque l'abrogation est immédiate. Ainsi, le Conseil constitutionnel n'indique pas pourquoi la déclaration d'inconstitutionnalité des dispositions confiant au tribunal la faculté de se saisir d'office aux fins d'ouverture de la procédure de redressement judiciaire n'était applicable qu'aux jugements d'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire rendus postérieurement à cette date(38).

Mais l'absence de motivation peut s'avérer problématique dans l'autre sens. Il arrive que le Conseil confère un effet exceptionnellement élargi à sa décision d'inconstitutionnalité, alors même qu'aucun motif n'est avancé afin de le justifier. Par exemple, le Conseil n'indique pas pourquoi il convient selon lui d'étendre l'effet utile de sa décision relative au harcèlement sexuel à l'ensemble des affaires, y compris celles jugées définitivement, ce qui porte naturellement atteinte au principe du respect de l'autorité de la chose jugée(39).

Lorsque la motivation de l'effet utile ou de sa négation est présente, elle apparaît souvent trop laconique pour être pleinement compréhensible par les justiciables. Il y a à cela plusieurs raisons. L'un des griefs parfois articulés contre le Conseil constitutionnel (mais aussi contre la jurisprudence administrative post-Association AC !) est le caractère essentiellement vague de certains éléments de motivation, à commencer par les « conséquences manifestement excessives »(40), dont le caractère manifeste n'est lui-même pas toujours manifeste. Cependant, l'une des principales sources de difficultés réside, selon nous, dans le télescopage, dans un même considérant d'espèce, de deux questions distinctes, qui devraient recevoir chacune une motivation différente(41). La première question est celle de savoir si l'abrogation est immédiate ou différée ; la seconde est celle de savoir si la décision doit se voir conférer une rétroactivité procédurale -- un effet utile. Or qu'il s'agisse de différer l'abrogation ou de priver la décision d'effet utile, ce sont typiquement les mêmes motifs qui sont avancés : soit les conséquences manifestement excessives ; soit l'atteinte portée à un principe ou objectif constitutionnel ; soit les deux(42).

Or ces deux questions correspondent à des enjeux essentiellement différents. La motivation sur le report de l'abrogation et sur la modulation des effets de la décision sur les situations postérieures à sa publication répond à des enjeux objectifs : l'exigence de sécurité juridique peut être mise à mal par une brutale disparition de la disposition déclarée inconstitutionnelle ; ou l'inconstitutionnalité n'affecte pas la loi prise absolument, mais « en tant » qu'elle s'applique -- ou qu'elle ne s'applique pas -- à certaines situations(43) ; ou encore, la contrariété de la situation résultant de l'abrogation avec les droits des tiers ou avec certains principes ou objectifs constitutionnels. Dans toutes ces situations, il existe des éléments d'appréciation objective, relevant de ce que l'on pourrait appeler l'ordre public contentieux. De fait, le report de l'abrogation n'est pas nécessairement défavorable aux intérêts de l'auteur de la QPC et des autres justiciables engagés dans des instances analogues. Bien au contraire, il est des situations dans lesquelles le requérant peut avoir, au vu de ses intérêts subjectifs, davantage intérêt à souhaiter que l'abrogation soit différée : c'est typiquement le cas lorsque le requérant réclame pour lui-même le bénéfice d'un traitement favorable qu'une loi réserve - au mépris, selon lui, du principe d'égalité - à un autre que lui(44).

En revanche la question de savoir si la décision doit ou non se voir attribuer une forme de rétroactivité procédurale au bénéfice de l'auteur de la QPC fait intervenir d'autres considérations. Certes, des éléments d'ordre public contentieux interviennent souvent : l'application de la déclaration d'inconstitutionnalité à l'auteur de la QPC est naturellement affectée par les « conséquences manifestement excessives » qui s'attachent à l'ensemble des applications analogues dans les affaires en cours ainsi que dans les affaires nouvelles, prises dans leur globalité. Cependant ces éléments objectifs devraient être mis en balance avec des éléments subjectifs, tirés de l'application du principe d'efficacité contentieuse, dont la remise en cause est elle-même susceptible d'affecter un droit subjectif du requérant, par exemple son droit à un recours juridictionnel effectif(45). De la même manière, on pourrait imaginer qu'une considération plus poussée de la situation concrète du requérant amène le Conseil constitutionnel à ne conférer un effet utile à sa décision qu'en tant qu'elle peut être invoquée par le seul auteur de la QPC, et ce aux dépens des autres justiciables engagés dans des instances en cours.

C'est précisément cette confusion entre deux enjeux distincts qui amène paradoxalement le Conseil constitutionnel à ne pas motiver les raisons pour lesquelles, alors même qu'il a différé l'abrogation, il décide de « faire cesser l'inconstitutionnalité » non seulement à la date de la publication, mais également en ce qui concerne les instances en cours, par le biais, par exemple, d'une réserve transitoire. Dès lors que le raisonnement relatif à l'effet utile suit la même grille d'analyse que celui relatif au report de l'abrogation, le Conseil se retrouve sans ressources argumentative pour expliquer que les effets du report soient partiellement neutralisés par une réserve transitoire.

E) Pistes de réflexion et propositions

Il résulte de nos travaux, tant des études particulières procédant par blocs de droits que des études transversales réalisées dans un second temps, que la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l'effet utile est essentiellement perfectible. C'est pourquoi nous avons tenté d'apporter notre modeste contribution à l'amélioration de la rédaction et de la motivation des décisions du Conseil constitutionnel en ce qui concerne la question de l'effet utile.

La première recommandation est de soumettre la question des effets dans le temps (en général) et de l'effet utile (en particulier) au contradictoire. Il arrive certes fréquemment qu'à l'audience, voire dans leurs écritures, les parties et leurs conseils, voire le représentant du Premier ministre, développent une argumentation relative aux effets dans le temps de la décision. Mais cela ne transparaît à aucun moment dans la décision(46), puisque, contrairement à ce qu'il met en œuvre au moment du contrôle au fond, qui repose sur une réponse à l'argumentation des parties, le Conseil constitutionnel statue sur l'effet de ses décisions sur le fondement de motifs qu'il élabore et articule seul. Cela n'incite guère, en retour, les parties et leurs conseils à développer une argumentation soutenue sur ce point, puisque le Conseil constitutionnel n'en fera pas cas dans le texte de la décision. La conséquence en est que la détermination des effets n'est pas forcément appréhendée dans toute sa complexité par le Conseil constitutionnel, qui ne peut se reposer sur les analyses des plaideurs. C'est d'ailleurs quelque chose qui distingue le Conseil constitutionnel de la juridiction administrative lorsqu'elle est amenée à moduler les effets de ses décisions, puisque le juge ne peut faire application de la jurisprudence « Association AC » qu'« après avoir recueilli sur ce point les observations des parties »(47).

La deuxième proposition, effectuée notamment par un certain nombre des auteurs des études consacrées aux blocs de droits fondamentaux, vise à réorganiser assez profondément la motivation du ou des considérants -- ou plutôt, des paragraphes -- d'espèce relatifs à l'effet des décisions (le paragraphe de principe pouvant lui-même être modifié de manière à retracer plus explicitement les étapes du test mis en œuvre). Il s'agirait de mettre en place un test en deux étapes qui seraient expressément distinguées. En premier lieu, le Conseil constitutionnel envisage la question du report ou non de l'abrogation, qu'il justifie, lorsqu'il reporte l'abrogation, sur le fondement de principes objectifs : sécurité juridique, droits des tiers, ordre public contentieux, objectifs à valeur constitutionnelle. C'est également à cette occasion qu'il envisage la question de l'éventuelle rétroactivité substantielle de la décision, c'est-à-dire de ses effets sur les situations juridiques nées soit antérieurement à la publication de la décision, soit (en cas d'abrogation différée) antérieurement à l'entrée en vigueur de l'abrogation, de l'application des dispositions déclarées inconstitutionnelles. Dans un second temps, le Conseil constitutionnel envisage la question de la rétroactivité procédurale de sa décision et indique dans quelle mesure elle peut être invoquée, ou, le cas échéant, est applicable, dans les instances en cours. Ici il met en balance des éléments objectifs et des éléments subjectifs (principe d'égalité devant la justice, principe d'efficacité contentieuse).

La troisième proposition tend à opérer une division du travail entre le juge constitutionnel et le juge a quo (et plus largement les juges devant lesquelles sont pendantes des instances nées de l'application de la disposition abrogée). Le Conseil constitutionnel pourrait ainsi, dans certaines circonstances, laisser aux juges ordinaires la possibilité d'effectuer une appréciation in concreto de l'applicabilité de la déclaration d'inconstitutionnalité au requérant (que l'abrogation soit immédiate ou différée, d'ailleurs). Le juge, prenant appui sur la décision d'inconstitutionnalité, aurait ainsi la possibilité, au regard de la situation du requérant, d'écarter l'application de la loi inconstitutionnelle dont le Conseil constitutionnel ne souhaite pas la disparition immédiate (et, par exemple, diffère pour cette raison l'abrogation). Le juge tant judiciaire(48) qu'administratif(49) sont désormais accoutumés à procéder à un contrôle concret de conventionnalité, sur le fondement, notamment, de la Convention européenne des droits de l'homme. Nous suggérons au Conseil constitutionnel de leur donner la possibilité d'effectuer un contrôle de constitutionnalité in concreto. Celui-ci, contrairement au contrôle de conventionnalité -- qui intervient pour écarter dans un cas spécifique une loi qui, prise abstraitement, demeure conforme à la Convention -- prendrait appui sur la déclaration d'inconstitutionnalité émise par le Conseil constitutionnel. Il aurait alors à déterminer si, eu égard à la gravité de l'inconstitutionnalité telle qu'elle résulte de l'examen au fond de la disposition par le Conseil constitutionnel, et eu égard aux principes susmentionnés (efficacité contentieuse, égalité devant le justice, sécurité juridique, prohibition de l'abus de droit), le maintien des effets de la loi litigieuse emporte, pour l'auteur de la QPC -- et, le cas échéant, pour les justiciables placés dans une situation analogue --, des conséquences manifestement excessives. Une telle division du travail nous semble devoir d'autant plus se justifier que, lorsque le Conseil constitutionnel diffère l'abrogation, les juridictions ordinaires n'ont pas hésité à en paralyser les effets par le biais d'un contrôle de conventionnalité des situations antérieures à l'entrée en vigueur de la loi nouvelle(50). Un tel contrôle, effectué avec l'aval du Conseil constitutionnel et prenant pour norme de référence la Constitution elle-même, ne nous semble pas, dès lors, illégitime.

Enfin, la quatrième proposition vise à inviter le Conseil constitutionnel à tirer les conséquences des décisions d'assemblée précitées du Conseil d'État du 24 décembre 2019 relatives à l'engagement de la responsabilité de l'État du fait des lois inconstitutionnelles. Dès lors qu'en réalité l'engagement de cette responsabilité est conditionné à une décision préalable du Conseil constitutionnel, celui-ci devrait l'évoquer désormais clairement dans les motifs, voire dans le dispositif, de sa décision. Il pourrait d'ailleurs en profiter pour régler définitivement la question des « affaires nouvelles », en déterminant les cas dans lesquels une déclaration d'inconstitutionnalité peut bénéficier au justiciable ayant engagé une instance postérieurement à la décision du Conseil constitutionnel, de manière à réguler les effets d'aubaine pouvant naître de son silence.

(1): C'est en ce sens que le Conseil constitutionnel l'emploie lui-même depuis la décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010, Consorts L. (Cristallisation des pensions).

(2): V. par ex. Michel Verpeaux, Contentieux constitutionnel, Paris, Dalloz, 2016, p. 167 ; Mathieu Disant, « Les effets dans le temps des décisions QPC », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 40, 2013, p. 69 ; Pascale Deumier, « Les effets dans le temps des décisions QPC : un droit des conséquences des décisions constitutionnelles », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 47, 2015, p. 67 ; Paul Mathonnet, « La QPC en matière pénale dispose-t-elle encore d'un effet utile ? » Actualité juridique Pénal, n°9, 2018 ; Sami Benzina, « Le champ d'application de l'effet utile des décisions QPC d'inconstitutionnalité », Actualité juridique Droit administratif, n°21, 2019.

(3): « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause. »

(4): C'est par exemple, en principe du moins, le cas en Allemagne, aux termes de la loi sur la Cour constitutionnelle fédérale (v. Loi organique relative à la Cour constitutionnelle fédérale (BVerfGG), art. 31, al. 1.), même si celle-ci réserve, en son art. 79, le cas des décisions passées en force de chose jugée qui, sauf en matière pénale, ne peuvent plus être remises en cause sur le fondement d'une décision de la Cour constitutionnelle fédérale. Cependant la Cour constitutionnelle a également mis en œuvre une forme de modulation de l'annulation, au moyen d'un outil prétorien, les « déclarations d'inconstitutionnalité », qui ne privent la loi de son applicabilité qu'ex nunc (v. sur ce point Olivier Jouanjan, « Les effets dans le temps des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale d'Allemagne », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 45, 2015, p. 92).

(5): V. notamment sur ce point Mathieu Disant, « Les effets dans le temps des décisions QPC », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 40, 2013, p. 69. Pour un point de vue contraire, v. Marc Guillaume, Question prioritaire de constitutionnalité, 2019, p. 159.

(6): « Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause ».

(7): Cons. const., déc. n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011, Mme Marie Christine D. et Cons. const., déc. n° 2010-108 QPC du 25 mars 2011, M. Jean-Pierre B. On notera que c'est la date de la publication qui compte et non celle du rendu de la décision.

(8): Olga Mamoudy, La modulation dans le temps des effets des décisions de justice en droit français, thèse dactyl., Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2013, p. 315.

(9): Marina Benigni et Emmanuel Cartier, « L'insoutenable question des effets dans le temps des décisions QPC » in Emmanuel Cartier, Laurence Gay et Alexandre Viala (dir.), La QPC, vers une culture constitutionnelle partagée ?, Paris, Institut Universitaire Varenne, coll. Colloques & Essais, 2016.

(10): V. par exemple, Olivier Duhamel, « La QPC et le citoyen », Pouvoirs, n°137, 201.

(11): Cette épithète est empruntée au contentieux administratif (concl. Romieu sur l'arrêt Martin de 1905, qui parle d'annulation platonique d'un acte détachable sans effet sur la validité du contrat que le requérant a pourtant intérêt à voir disparaître). Pour l'actualité de cette notion, voir Caroline Lantero, « Sécurité juridique et mutation des annulations platoniques », Actualité juridique Droit administratif, n°19, 27 mai 2019.

(12): Sur le caractère de question préjudicielle de la QPC, voir Xavier Magnon, « La QPC est-elle une question préjudicielle ? », Actualité juridique Droit administratif, n°5, 16 février 2015 ; Gatien Casu, « La QPC est-elle une question préjudicielle ? », in Julien Bonnet et Pierre-Yves Gahdoun, La QPC : une révolution inachevée ? Institut Universitaire de Varenne, coll. Colloques & Essais, 2016.

(13): Comme cela a été souligné en doctrine, la distinction entre le concret et l'abstrait est ambiguë, voire confuse. V. par ex. Laurence Gay, « Du contentieux a priori au contentieux a posteriori ; l'occasion manquée d'un contrôle concret de constitutionnalité en France ? », Annuaire international de justice constitutionnelle, 29, 2013, p. 55 ; Marthe Fatin-Rouge Stefanini, « La singularité du contrôle exercé a posteriori par le Conseil constitutionnel », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 38, 2013, p. 211-216 ; Mathieu Carpentier, « Pour de nouveaux »modèles« de justice constitutionnelle », Revue internationale de droit comparé, n° 1, 2016, p. 198-202. Ainsi la notion de « konkrete Normenkontrolle » en droit constitutionnel allemand est utilisé pour décrire la question préjudicielle. L'ambiguïté affectant la notion de contrôle concret invite donc à l'utiliser avec prudence.

(14): V. sur ce point la démonstration de Julien Bonnet, « Les contrôles a priori et a posteriori », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 40, 2013.

(15): V. sur ce point Stéphane Mouton, « Quel avenir pour le contrôle a priori ? », in Xavier Magnon et al., Le réflexe constitutionnel. Question sur la question prioritaire de constitutionnalité, Bruxelles, Bruylant, 2013, p. 189-213.

(16): Les réserves d'interprétation peuvent également voir leur effet modulé dans le temps (Cons. const., déc. n° 2010-62 QPC du 17 déc. 2010, M. David M.). Le Conseil lui-même parle d'effet utile de la décision de conformité sous réserve (Cons. const., déc. n° 2015-503 QPC du 4 décembre 2015, M. Gabor R.). De telles solutions sont néanmoins éparses, et leur systématisation est difficile. C'est pourquoi nous avons concentré notre attention sur l'effet utile des décisions d'inconstitutionnalité.

(17): Il se peut que le véritable but de l'auteur soit d'obtenir une réserve d'interprétation. C'est par exemple le cas lorsqu'il demande à bénéficier de l'extension d'une réserve d'interprétation formulée dans une décision précédente au bénéfice d'autres catégories de justiciables, de contribuables ou d'administrés. Il y est d'autant plus incité que le Conseil reconnaît désormais qu'un doute dans le champ d'application d'une réserve d'interprétation constitue un changement de circonstances autorisant le renvoi d'une nouvelle disposition QPC sur la disposition ayant fait l'objet de la réserve (v. deux décisions du 7 juillet 2017, n° 2017-643/650 QPC, M. Amar H. et autre et n° 2017-642 QPC, M. Alain C.)

(18): Selon les statistiques aimablement fournies par le Conseil constitutionnel, au 1er octobre 2019, 443 parties requérantes étaient des personnes physiques, tandis que 193 étaient des sociétés, 62 des associations et 35 des syndicats. Ces statistiques ne concernent que le premier auteur de la QPC : elles ne prennent ni en compte les parties requérantes dont l'instance a été jointe à la première partie par le juge de renvoi, ni la qualité des intervenants.

(19): V. sur ce point l'étude de Sébastien Ferrari, « L'exécution par le juge administratif des décisions QPC rendues par le Conseil Constitutionnel », Revue du droit public, n°6, 2015.

(20): Olga Mamoudy, La modulation dans le temps des effets des décisions de justice en droit français, thèse dactyl., Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, 2013, p. 315.

(21): Cons. const., déc. n° 2014-453/454 QPC et 2015-462 QPC du 18 mars 2015, M. John L. et autres.

(22): Le Conseil peut décider de priver sa décision de tout effet utile, alors même qu'il n'en reporte pas dans le temps l'entrée en vigueur. Lorsque l'application aux instances en cours heurterait un principe d'intérêt général ou aurait des conséquences manifestement excessives, le premier réflexe du Conseil est naturellement de reporter dans le temps l'abrogation (ou plutôt son entrée en vigueur). Cependant dans certaines hypothèses, un tel report est impossible ou impraticable. Il en va ainsi par exemple lorsque la disposition déclarée contraire à la Constitution a déjà disparu de l'ordre juridique, par exemple parce qu'elle a été abrogée ou modifiée par le législateur. Dans ce cas, le Conseil ne peut pas reporter l'abrogation d'une disposition déjà abrogée, et sa décision ne peut du reste avoir pour effet même de l'abroger. Dès lors le Conseil sera contraint de dénier explicitement tout effet utile à sa décision lorsque l'inapplication de la loi inconstitutionnelle aux instances en cours aurait des conséquences manifestement excessives (même justification, donc, que pour le report de l'abrogation) : v. pour un exemple récent, Cons. const., déc. n° 2016-567/568 QPC du 23 sept. 2016, M. Georges F. et autre ; ou encore Cons. const., déc. n° 2019-802 QPC du 20 sept. 2019, M. Abdelnour B. Cependant, cette négation de l'effet utile n'est parfois pas même motivée, ce qui est plus problématique (v. infra).

(23): Lorsque la décision est applicable aux instances en cours, le moyen tiré de l'inconstitutionnalité de la loi est d'ordre public et doit être relevé d'office par le juge ordinaire ; lorsqu'elle est seulement invocable, au contraire, le juge ne peut en principe pas la relever d'office.

(24): Cons. const., déc. n° 2010-33 QPC du 22 sept. 2010, Société Esso SAF.

(25): Cons. const., déc. n° 2011-174 QPC du 6 oct. 2011, Mme Oriette P.

(26): Cons. const., déc. n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, M. Gérard D.

(27): V. récemment Cons. const., déc. n° 2019-774 QPC du 12 avril 2019, Société Magenta Discount et autre.

(28): V. par exemple CE, 30 mai 2018, N° 400912, où le Conseil d'État, tirant les conséquences de la décision n° 2016-591 QPC du 21 octobre 2016, Mme Helen S., affirme que « alors même qu'elle ne comporte aucune prescription sur les effets produits par les dispositions législatives déclarées contraires à la Constitution, il résulte de l'ensemble de ses motifs que Mme B., qui, conformément au principe rappelé par le Conseil constitutionnel, doit bénéficier de la déclaration d'inconstitutionnalité, est fondée » à en réclamer le bénéfice.

(29): Cons. const., déc n° 2013-360 QPC du 9 janvier 2014, Mme Jalila K. ; Cons. const., déc. n° 2014-374 QPC du 4 avril 2014, *Société Sephora *; Cons. const., déc. n° 2014-375 et autres QPC du 21 mars 2014, *M. Bertrand L. et autres *; Cons. const., déc. n° 2014-390 QPC du 11 avril 2014, M. Antoine H. ; Cons. const., déc. n° 2014-391 QPC du 25 avril 2014, Commune de Thonon-les-Bains et autre.

(30): Sami Benzina, L'effectivité des décisions QPC du Conseil constitutionnel, Paris, LGDJ, 2017, p. 269.

(31): Voir pour des doutes à ce sujet, Laura Daydie, « La détermination des effets des décisions QPC : illustration d'un usage perfectible de la Constitution », RFDC, n° 113, 2018, p. 40.

(32): V. par exemple le Commentaire sur Cons. const., déc. n° 2018-737 QPC du 5 octobre 2018, M. Jaime Rodrigo F.

(33): CE, avis, 26 février 2019, Société Bourgogne Primeurs, n° 425509, avec la très éclairante note de Sami Benzina, « Le champ d'application de l'effet utile des décisions QPC d'inconstitutionnalité », précitée. V. également l'étude de M. Jordan Puissant dans le rapport que nous avons remis au Conseil constitutionnel.

(34): CE, Ass., 24 déc. 2019, Société Paris Clichy, n° 425981 ; CE, Ass., 24 déc. 2019, Société hôtelière Paris Eiffel Suffren, n° 425983 ; CE, Ass., 24 déc. 2019, n° 428162.

(35): Cons. const., déc. n° 2018-709 QPC du 1er juin 2018, Section française de l'Observatoire international des prisons et autres. La QPC soulevée par l'association requérante avait été jointe par le Conseil d'État à une autre QPC, soulevée par une personne physique, et qui lui avait été transmise par la Cour administrative d'appel de Douai. On notera que le Conseil d'État n'hésite pas à joindre des QPC alors qu'il n'en connaît pas au même tire (dans le premier cas comme juge de premier et dernier ressort, dans le second comme juge du filtre...).

(36): On n'insistera pas assez sur le caractère ahurissant de cette mention, extrêmement rare, que la Cour administrative d'appel de Douai a jugé utile d'inclure dans son arrêt. Une décision de justice devrait être compréhensible indépendamment des éléments de doctrine organique qui l'accompagnent.

(37): CAA Douai, 4 avril 2019, n° 18DA01779 et n° 18DA00340.

(38): Cons. const., n° 2012-286 QPC du 7 déc. 2012, Société Pyrénées services et autres ; il a réitéré cette absence de motivation dans d'autres décisions relatives à la saisine d'office : Cons. const., déc. n° 2013-352 QPC du 15 nov. 2013, Société Mara Télécom et autre (concernant les mêmes règles dans leur rédaction applicables à la Polynésie française) ; Cons. const., déc. n° 2013-368 QPC du 7 mars 2014, Société Nouvelle d'exploitation Sthrau hôtel, relative à la procédure de liquidation judiciaire.

(39): Cons. const., déc. n° 2012-240 QPC du 4 mai 2012, M. Gérard D.

(40): Mathieu Disant parle sur ce point de « standard nébuleux » dont la mise en œuvre est « une affaire relative et contingente qui clôt un raisonnement impliquant une série de référents multiples et à nature variable » (Mathieu Disant, « Les effets dans le temps des décisions QPC », cit., p. 67). Emmanuel Cartier et Marina Benigni parlent de « formule elliptique » (Marina Benigni et Emmanuel Cartier, « L'insoutenable question des effets dans le temps des décisions QPC », cit., p. 237).

(41): V. sur ce point Pascale Deumier, « Les effets dans le temps des décisions QPC : un droit des conséquences des décisions constitutionnelles », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 47, 2015, p. 74.

(42): Voir par exemple, pour une décision récente d'abrogation immédiate avec privation d'effet utile : « la remise en cause des mesures ayant été prises sur le fondement des dispositions déclarées contraires à la Constitution méconnaîtrait les objectifs de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l'ordre public et de recherche des auteurs d'infractions et aurait ainsi des conséquences manifestement excessives » (déc. n° 2019-802 QPC précitée).

(43): Voir pour un exemple récent la décision n° 2019-799/800 QPC du 6 septembre 2019, Mme Alaitz A. et autre. La disposition législative (telle qu'interprétée par la chambre criminelle de la Cour de cassation) qui subordonne la libération de personnes condamnées pour crimes ou délits terroristes à l'accomplissement de mesures probatoires est contraire à la Constitution en tant qu'elle prive les étrangers faisant l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire ou d'une interdiction du territoire, qui ne sont pas éligibles à l'accomplissement de telles mesures, de tout bénéfice de la libération conditionnelle. Ici le contrôle est concrétisé dans la mesure où est pris en considération un contexte type d'application dans lequel l'application (ou plutôt son inapplicabilité) de la loi est contraire à la Constitution. Dans de telles hypothèses cependant, l'abrogation est généralement différée afin de ne pas rendre impossible l'application de la loi aux situations pour lesquelles elle est en principe conforme à la Constitution.

(44): V. par ex. Cons. const., déc. n° 2015-492 QPC du 16 octobre 2015, Association Communauté rwandaise de France.

(45): Dans la décision Chessa (CEDH, 6 février 2018, Chessa c/. France, req. n° 76186/11), dont la motivation est, s'agissant d'une décision sur l'irrecevabilité, elle-même elliptique, la CEDH a examiné la conformité du dispositif français de report de l'abrogation en tant qu'il prive la décision d'effet utile au seul article 5 de la Convention. Il serait intéressant de confronter la privation d'effet utile aux articles 6 et 13 de la Convention.

(46): V. sur ce point Mathieu Disant, « Les effets dans le temps des décisions QPC », cit., p. 68 ; Marina Benigni et Emmanuel Cartier, « L'insoutenable question des effets dans le temps des décisions QPC », cit., p. 236 ; Olga Mamoudy, La modulation dans le temps des effets des décisions de justice en droit français, op. cit., p. 169.

(47): CE, Ass., 11 mai 2004, Association AC !, n° 255886.

(48): Cass. Civ 1ère, 4 décembre 2013, n° 12-26066.

(49): CE, Ass., 31 mai 2016, Gonzalez Gomez, n° 396848.

(50): V. par ex. Cass., Ass., 15 avr. 2011, n° 10-17049 et n° 10-30242, qui fait application de la jurisprudence Brusco de la CEDH (CEDH, 14 o

ct. 2010, Brusco c./ France, req. n° 1466/07) pour faire échec à l'abrogation différée voulue par le Conseil constitutionnel dans la décision « Garde à vue » (Cons. const., déc. n° 2010-14/22 du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres) ; ou encore CE, 10 avr. 2015, Société Red Bull on Premise et autre, n° 379955, suite à la décision Red Bull du Conseil constitutionnel (Cons. const., déc. n° 2014-417 QPC du 19 septembre 2014 Société Red Bull On Premise et autre).

« L'effet utile des décisions QPC du Conseil constitutionnel : un bilan critique », Titre VII [en ligne], Hors-série, QPC 2020 : les dix ans de la question citoyenne, octobre 2020. URL complète :