Avant-propos du président Laurent Fabius

07/12/2022

Laurent Fabius

Écrit par

Laurent FABIUS

Président du Conseil constitutionnel

QPC 2020 - Les 10 ans de la question citoyenne

La révision de la Constitution intervenue en 2008 a donné à nos concitoyens un droit nouveau avec la création de la question prioritaire de constitutionnalité. Communément appelée « QPC », elle est entrée en vigueur en 2010. En cette année 2020, nous célébrons les dix ans de cette procédure que j'aime appeler « la question citoyenne » car elle permet à tous ceux auxquels on souhaite appliquer une loi au cours d'un procès de s'y opposer s'ils estiment qu'elle est contraire aux grands principes protégés par la Constitution.

La création de cette procédure a été à l'origine d'une véritable « révolution de velours » dans notre ordre juridique. Elle a également transformé le Conseil constitutionnel lui-même, dont elle représente désormais environ 80 % de l'activité.

Dans la perspective de ce dixième anniversaire, le Conseil constitutionnel a initié il y a deux ans, non sans audace diraient certains, un vaste programme de recherche destiné à établir en toute transparence un bilan juridique et sociologique de la QPC. Deux cents chercheurs répartis en seize équipes ont étudié la réalité de sa mise en œuvre, ainsi que la perception qu'en ont les différents publics concernés.

À l'issue de ces travaux, nous disposons d'outils inédits et précieux qui, mis bout à bout, représentent plus de quatre mille pages de rapports. Ce numéro hors-série de Titre VII en donne la synthèse sous la plume de leurs auteurs, que je tiens à remercier pour la qualité de leurs travaux. S'agissant de la méthode de recherche, se vérifie ici combien il est précieux de croiser réflexion théorique et regard pratique, de même qu'il est fructueux de rapprocher les regards des juristes et des sociologues. Sur le fond, l'importance des questions traitées ne pourra manquer de retenir le lecteur, aussi bien en ce qui concerne le perfectionnement de la protection des droits fondamentaux qu'a permis la mise en place de la QPC que le mouvement de constitutionnalisation des différentes branches du droit qu'elle a accéléré.

Ces résultats de recherche ont été mis en discussion lors d'un séminaire organisé par le Conseil constitutionnel. Ont été réunis le 5 mars 2020 plus de cinquante chercheurs, l'ensemble des membres du Conseil constitutionnel et les membres du Comité scientifique du projet QPC 2020 présidé par notre collègue Nicole Maestracci. Cette journée a permis d'évaluer les progrès obtenus grâce à la QPC et les marges possibles d'amélioration de la procédure.

Dans la perspective des 10 ans de la question citoyenne, le Conseil constitutionnel a également souhaité connaître la perception par l'opinion publique de cette procédure. Nous avons fait réaliser un sondage auprès de mille personnes, dont il ressort que plus de 80 % des Français en ont une perception positive car ils y voient une avancée au profit des citoyens. Il reste que leur connaissance de la procédure est encore assez faible.

Cet écart entre le succès avéré de cette nouvelle voie de recours sans qu'il s'agisse de négliger ses perfectionnements possibles, et la relative méconnaissance qui peut exister de la part des titulaires du droit à agir par voie de QPC nous oblige tous, y compris bien sûr le Conseil constitutionnel.

Beaucoup de chercheurs ont appelé notre attention sur l'intérêt de renforcer la motivation de nos décisions sous certains aspects. Mes collègues et moi sommes conscients de cette attente et, après y avoir déjà beaucoup travaillé, nous sommes déterminés à continuer à y répondre.

Un nombre important d'observations ont porté à juste titre sur le mécanisme du filtre ou plutôt des filtres. À cet égard, il faut reconnaître que, autant la jurisprudence du Conseil constitutionnel, du Conseil d'État ou de la Cour de cassation peut être consultée sans difficulté, autant les praticiens souffrent de l'absence d'une véritable base de données des décisions QPC rendues par les juges du fond. Il conviendrait qu'un tel outil puisse être mis en place pour que, dans le futur, chacun puisse plus aisément connaître la jurisprudence des deux ordres de juridiction et vérifier notamment si des QPC ont déjà été soumises aux juges du fond.

La question de l'effet utile des décisions QPC est également revenue régulièrement dans les réflexions des équipes de recherche. Certaines pistes d'amélioration ont pu être identifiées par les chercheurs, comme la possibilité de dissocier et de motiver davantage la question de l'éventuel report des effets de l'abrogation dans le temps et celle des effets de la décision pour le requérant ou pour les personnes placées dans la même situation que lui. En toute hypothèse, la consécration récente du régime de responsabilité de l'État du fait de la loi jugée inconstitutionnelle renouvelle les interrogations sur les effets des décisions du Conseil.

Enfin, comme plusieurs études l'ont souligné, des voies de progrès majeures demeurent manifestement en ce qui concerne l'information générale sur la QPC et la formation des professionnels du droit à sa pratique. Le choix de déposer une QPC dans un procès dépend pour une large part de la capacité de l'avocat à l'intégrer dans la stratégie contentieuse proposée à son client. Dès lors, pour accroître l'accès à cette voie de droit, il paraît utile de déployer des efforts importants en direction des juristes en général et des avocats en particulier. De même, la formation des juges du fond gagnerait à être renforcée tant au stade de la formation initiale que de la formation continue. En prenant le parti depuis bientôt deux ans de tenir régulièrement certaines de ses audiences publiques en région, le Conseil constitutionnel prend déjà sa part à cette démarche nécessaire mais il continuera de faire tout ce qui est en ses moyens pour encourager et fédérer les bonnes volontés en ce sens.

Les suites pouvant être données aux importants travaux que nous devons aux équipes de recherche qui s'expriment librement dans le présent ouvrage sont donc très diverses. Il nous faut inscrire dans le temps la démarche ainsi initiée. Un recul de dix années concernant l'efficience d'une procédure juridictionnelle est une durée relativement courte. Seul un travail de suivi périodique de la QPC nous permettra à l'avenir, avec tous ceux qui ont en partage la préoccupation du succès de cette procédure, de vérifier la réalité qu'elle permet des progrès de la protection des droits et libertés garantis par notre Constitution.

Il est dès à présent important que, par la lecture de ce numéro spécial, chacune et chacun puisse prendre connaissance des résultats de recherche du projet QPC 2020 et s'interroger sur les pistes d'évolution évoquées.
Bonne lecture à tous.