Appel à projets du Conseil 2010-2020 : 10 ans de QPC

14/12/2022

Appel à projets du Conseil constitutionnel. 2010-2020 : dix ans de QPC

En vue du dixième anniversaire de l'entrée en vigueur de la question prioritaire de constitutionnalité (1er mars 2010), le Conseil constitutionnel souhaite susciter et soutenir une série de travaux de recherche qui permette de dresser un bilan d'étape, fondé sur des données scientifiques rigoureuses tout en étant accessible à un public large. Ces travaux auront notamment pour objectif d'éclairer des aspects encore insuffisamment documentés de la QPC. Dans cette perspective, deux champs principaux ont été retenus : le premier vise à mieux connaître les aspects sociologiques de la QPC, à travers notamment les différents acteurs de la procédure (1) ; le second, à procéder à des bilans jurisprudentiels thématiques dans les principaux domaines juridiques concernés par les décisions QPC (2).

1/ Les aspects sociologiques de la QPC : les acteurs de la QPC et l'évolution de leurs pratiques

Cet appel à projets vise, à titre principal, à susciter des travaux s'inscrivant dans une démarche de sociologie juridique, concernant les cinq principales catégories d'acteurs de la procédure QPC : les justiciables, les avocats, les juridictions, le Parlement et le Gouvernement. Ces travaux auront pour fil directeur la volonté d'évaluer les multiples changements impliqués par l'entrée en vigueur de cette nouvelle voie de droit qu'est la QPC. Ces analyses devront notamment permettre de s'interroger sur la diffusion d'une « culture constitutionnelle » parmi ces acteurs au cours des dix dernières années.

1.1. Les justiciables et la QPC

En introduisant la procédure de QPC, l'objectif premier du constituant était de reconnaître aux citoyens un droit nouveau : celui de pouvoir contester la loi au regard des « droits et libertés que la Constitution garantit ». Cet objectif peut-il être considéré comme pleinement atteint ? Si le nombre de QPC transmises chaque année au Conseil constitutionnel ne diminue pas et démontre l'attractivité durable de cette récente voie de droit, la pratique révèle de nettes disparités dans son utilisation par les justiciables, qu'il s'agisse des domaines dans lesquels les QPC sont soulevées (fiscal, pénal, social...), du profil des requérants (personnes physiques ou morales -- entreprises, syndicats, ONG... --, caractéristiques sociologiques, provenance géographique, profil des avocats...) ou de celui des intervenants. Ces éléments conduisent à s'interroger sur les raisons de ces disparités et sur les éventuels obstacles -- procéduraux, financiers, socio-culturels... -- rencontrés par les justiciables dans l'accès à la procédure de QPC. A cet égard, une évaluation des différentes modalités de « l'effet utile » de la QPC pour les justiciables pourrait également être conduite. Plus largement, un travail de recherche pourrait être mené sur la représentation qu'ont les citoyens de la QPC, afin d'évaluer notamment la notoriété de cette procédure près de dix ans après son entrée en vigueur. A ce titre, le rapport des citoyens à la Constitution pourrait également être exploré : la QPC a-t-elle modifié la perception par les citoyens des droits et libertés constitutionnellement garantis ?

1.2. Les avocats et la QPC

Pour les avocats, la mise en œuvre de la QPC s'est traduite non seulement par de nouvelles pratiques procédurales et contentieuses mais aussi par l'ouverture d'un nouveau champ d'activité économique. Les travaux de recherche pourraient dès lors se concentrer sur deux aspects : d'une part, l'examen du rôle des avocats dans la procédure QPC et des stratégies contentieuses déployées ; d'autre part, l'analyse des conséquences de l'ouverture de cette nouvelle voie de droit sur la profession d'avocat (principales spécialités des avocats soulevant des QPC, répartition entre avocats aux conseils et avocats à la cour, répartition entre avocats des barreaux d'Ile-de-France -- plus particulièrement celui de Paris -- et avocats des autres barreaux, développement de pôles d'expertise au sein des cabinets...).

1.3. Les juridictions et la QPC

L'entrée en vigueur de la QPC a eu une incidence évidente sur les juridictions. Quelques travaux ont déjà analysé ses effets sur le fonctionnement du Conseil constitutionnel, du Conseil d'Etat et de la Cour de cassation : ces travaux pourraient être approfondis en analysant notamment les modifications que la QPC apporte à l'équilibre de l'architecture juridictionnelle française. S'agissant des juridictions ordinaires, les recherches ont été moins développées. Des travaux pourraient par conséquent examiner l'influence de l'entrée en vigueur de la QPC sur les juridictions ordinaires de première instance et d'appel : traitement des QPC et évolution des pratiques juridictionnelles. Ces travaux pourraient, par exemple, se concentrer sur un secteur géographique ou une juridiction spécifique (tribunal administratif, cour administrative d'appel, tribunal de grande instance, cour d'appel).

1.4. Le Parlement et la QPC

Le développement de la jurisprudence du Conseil constitutionnel lié à l'entrée en vigueur de la QPC a fortement étendu le cadre de référence juridique dans lequel s'effectue le travail du Parlement. Il s'agirait de mesurer l'influence depuis 2010 de ces nouvelles contraintes constitutionnelles sur le travail parlementaire.

Il conviendrait d'examiner les effets de la QPC d'une part, en amont, sur les travaux d'élaboration de la loi et les modalités de saisine a priori, d'autre part, en aval, sur la manière dont le Parlement tire les conséquences des censures décidées par le Conseil constitutionnel -- notamment l'intégration du raisonnement juridique du Conseil dans l'élaboration des nouvelles dispositions législatives, ainsi que la question du respect des délais fixés par le Conseil en cas d'abrogation différée sur le fondement de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution. Cette question constitue l'un des aspects de l'évaluation de l'effectivité des décisions QPC.

1.5. Le Gouvernement et la QPC

Il s'agirait, d'une part, d'examiner les incidences de la QPC sur le travail gouvernemental d'élaboration de la loi. D'autre part, le Gouvernement étant un acteur essentiel du procès constitutionnel en QPC en tant que partie chargée de défendre la constitutionnalité des dispositions législatives contestées, les travaux de recherche pourraient explorer l'évolution des pratiques des administrations et plus particulièrement du Secrétariat général du Gouvernement, notamment dans la définition des stratégies de défense contentieuse, la préparation des mémoires et la plaidoirie lors de l'audience publique. Enfin, il conviendrait d'examiner la manière dont les administrations s'emparent des décisions QPC et leur font produire les effets juridiques, budgétaires, administratifs ou organisationnels qui relèvent de leur compétence.

2/ Les jurisprudences QPC : bilans thématiques (2010-2020)

Ce second volet de l'appel à projets, plus proche des recherches déjà produites par la doctrine, se concentre sur le contenu des décisions QPC rendues depuis 2010. L'objectif consiste à susciter une série de travaux exposant l'évolution des décisions QPC rendues par le Conseil constitutionnel, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation dans chacun des principaux champs juridiques concernés : droit fiscal, droit pénal, droit social, droit de l'environnement, droit de la santé, droit de la famille, droit des étrangers, etc. Les travaux devront permettre de montrer dans quelle mesure un dialogue des juges s'est instauré entre le Conseil constitutionnel, d'une part, le Conseil d'Etat et la Cour de cassation d'autre part. Chaque bilan thématique pourra, dans la mesure du possible, être enrichi par trois dimensions transversales (qui peuvent, au demeurant, faire chacune l'objet d'une recherche distincte) :

  • Une approche comparatiste, afin notamment de déterminer si, et dans quelle mesure, la QPC a rapproché notre contrôle de constitutionnalité de celui des autres pays européens ;

  • Un éclairage sur l'évolution de la jurisprudence du Conseil constitutionnel au regard de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne et de la Cour européenne des droits de l'Homme ;

  • Un examen de l'évolution des décisions QPC aménageant les effets dans le temps en application de l'article 62, alinéa 2, de la Constitution.

Intérêts pratiques

L'objectif est d'aboutir à ce que les travaux de recherche, d'une part, soient restitués par leurs auteurs à l'occasion d'un grand colloque international organisé par le Conseil constitutionnel en mars 2020, et, d'autre part, soient publiés -- sous une forme à déterminer -- dans un ouvrage édité par le Conseil constitutionnel pour les dix ans de la QPC. En outre, les enseignements issus de ces travaux de recherche ont vocation à susciter ou nourrir une réflexion sur l'amélioration du fonctionnement de la QPC, qu'il s'agisse d'éventuelles évolutions des textes encadrant la procédure, ou de réalisations concrètes telles que l'élaboration d'une base de données recensant et analysant les décisions QPC de l'ensemble de la chaîne juridictionnelle (juridictions du fond, Conseil d'Etat et Cour de cassation, Conseil constitutionnel).

Modalités

Si la seconde partie de cet appel à projets (bilans jurisprudentiels) s'adresse aux disciplines juridiques, la première (aspects sociologiques de la QPC) a vocation à mobiliser plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales. Les équipes pluridisciplinaires, faisant éventuellement appel à un chercheur étranger, seront en conséquence privilégiées. Les travaux devront mêler approche empirique et réflexion juridique, ainsi qu'intégrer, dans la mesure du possible, une dimension de droit comparé. Les chercheurs dont les projets seront retenus pourront notamment s'appuyer sur les données et documents dont disposent les services du Conseil constitutionnel.

Il est enfin important de souligner que les travaux réalisés dans le cadre de ce projet de recherche devront s'inscrire dans une démarche pédagogique : si la rigueur scientifique constitue la première des qualités attendues, l'accessibilité au plus grand nombre est également souhaitée, notamment en vue de la diffusion des principaux enseignements de ces travaux à un public dépassant la seule communauté juridique.