
par Denis de La Burgade, docteur en droit, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation
La note en délibéré n’effraie pas le Conseil constitutionnel. Cet écrit présenté après la fin de l’audience publique et dans le cadre du délibéré n’est pas la hantise de la juridiction constitutionnelle. L’usage de la note en délibéré, s’il résulte d’une simple tolérance (1), s’est peu ou prou normalisé dans le procès de la QPC (2).
1. Un usage toléré
Le Conseil constitutionnel n’est pas opposé au dépôt d’une note en délibéré, même si cette production n’est régie par aucun texte. S’il envisage la présentation de "premières observations" puis de "secondes observations" ayant pour objet de répondre aux premières (cf. art. 1er, al. 3 et 4), le règlement intérieur sur la procédure suivie pour les QPC n’admet pas formellement la note en délibéré. De sorte que la juridiction constitutionnelle pourrait l’ignorer, faire comme si une telle note n’existait pas. Pour autant, même si rien ne le prévoit, depuis 2011, le Conseil constitutionnel se montre transparent et vise, dans ses décisions, la note en délibéré avec sa date d’enregistrement, au même titre que les "observations communiquées" avec leur date d’enregistrement (art. 12, al. 1er), comme si la note avait la même valeur que ces observations. La note ainsi visée marque la prééminence de l’écrit qui ressurgit après l’audience publique (cf. M. Disant, "L’audience publique devant le Conseil constitutionnel", in Mélanges en l’honneur du professeur Dominique Rousseau, LGDJ, 2020, p. 82).
C’est sans doute par mimétisme avec les juridictions judiciaires et administratives et dans un souci de légitimation du procès de la QPC que la juridiction constitutionnelle a officialisé la note en délibéré. Le Conseil constitutionnel l’a fait dans sa décision n° 2011-200 QPC du 2 décembre 2011 (JCP A 2012, n° 2096, note D. de La Burgade) où, pour la première fois, il a visé la "note en délibéré" déposée par l’une des parties au procès après l’audience, ainsi que le "mémoire en réponse à la note" déposé par la partie adverse.
Depuis lors, la note en délibéré est devenue pratique courante. Son usage s’est banalisé, comme l’indique le professeur Dominique Rousseau dans son manuel de Droit du contentieux constitutionnel (LGDJ, coll. Précis Domat Droit Public, 12ème éd., 2020, n° 578). Le nombre de décisions QPC visant une note en délibéré est assez révélateur : en 2021, sur 75 décisions QPC rendues (entre la décision n° 202-871 QPC du 15 janvier 2021 et la décision n° 2021-958 QPC du 17 décembre 2021), 18 décisions (soit 24 %) font état d’au moins une note en délibéré ; en 2022, sur 67 décisions QPC rendues (entre la décision n° 2021-959 QPC du 7 janvier 2022 et la décision n° 2022-1029 QPC du 9 décembre 2022), 13 décisions (soit 19,5 %) font état du dépôt d’au moins une note en délibéré.
2. Un usage normalisé
La note en délibéré qui sert d’ultime réplique aux objections adverses, n’a pas forcément bonne réputation. Spontanément, elle peut être perçue par le Conseil constitutionnel comme une manœuvre dilatoire des parties, qui seraient tentées de reprendre une discussion après l’audience publique, en fournissant des éléments nouveaux au cours du délibéré. A cet égard, le dépôt d’une note en délibéré est susceptible de compliquer, voire de rallonger le procès de la QPC alors que celui-ci est enfermé dans un délai de jugement de trois mois. Il est d’ailleurs à noter que, pour sa part, la juridiction judiciaire a règlementé strictement le dépôt de la note en délibéré en matière civile, afin justement d’en prévenir les inconvénients et de déjouer les scrupules tardifs de certains plaideurs (cf. not. N. Fricero, "Notes en délibérés", JCl. Procédures civiles, fasc. 800-55, 2022, n° 4).
La note en délibéré n’en reste pas moins le passage obligé pour parfaire l’information de la juridiction constitutionnelle après l’audience publique et compléter utilement l’instruction sur un point précis. Le Conseil constitutionnel n’hésite d’ailleurs pas, dans le cadre des questions que ses membres sont autorisés à poser aux parties (et à leurs représentants) à l’issue de leurs observations orales lors de l’audience, à suggérer la production d’une note afin d’obtenir la précision, la donnée ou l’éclaircissement qui lui manque pour délibérer (cf. not. M. Verpeaux, "L’écriture des règles de procédures applicables devant le Conseil constitutionnel", in Mélanges en l’honneur du professeur Dominique Rousseau, LGDJ, 2020, p. 278). La note est devenue le moyen de répondre dans le détail à ces questions.
Le représentant d’une partie qui n’est pas en mesure, à l’audience, de répondre immédiatement ou complètement aux observations adverses ou aux questions qui lui sont adressées, peut alors proposer au Conseil constitutionnel de déposer d’une note en délibéré (cf. par ex. sur les modalités d’usage du droit de communication des inspecteurs de l’environnement, à la suite d’une question posée par un membre au représentant de la Première ministre lors de l’audience sur la décision n° 2023-1044 QPC du 13 avril 2023) ; et la note, qu’il importe de régulariser sans tarder après l’audience, sera communiquée aux autres parties par le greffe du Conseil qui pourront y répliquer sans délai.
Uti non abuti : l’axiome de modération vaut pour la note en délibéré comme pour tant d’autres choses. Il convient d’en user à bon escient, dans le seul souci de parachever le procès de la QPC, et non de le recommencer.