Éditorial de Thomas Lyon-Caen

20/06/2024

Thomas Lyon-Caen

Thomas Lyon-Caen,  président de l'Ordre des avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation


 Les avocats aux Conseils et la QPC

C'est un privilège, pour le président de l'Ordre des avocats aux Conseils que je suis, d'être en charge de l'éditorial de cette troisième lettre de la QPC.

Près de quinze ans après l'entrée en vigueur de l'importante réforme qui a consacré le droit fondamental du justiciable de voir assurer un contrôle de constitutionnalité a posteriori des lois en vigueur, il est bon de rappeler le rôle essentiel de l'avocat dans la vie et le développement de ce formidable outil au service des libertés individuelles et du droit.

Quoi qu'il pense de la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution d'une disposition législative (ou de son interprétation constante par la jurisprudence), un juge ne peut en effet se saisir d'office d'une QPC.

C'est dire combien le rôle des avocats est déterminant.

Les avocats aux Conseils se sont très tôt emparés de la QPC dans laquelle ils ont vu un moyen utile aux intérêts des justiciables qu'ils représentent.

Dès le 1er mars 2010, à peine le dispositif entré en vigueur, le Conseil d'État se voyait déjà saisi d'une première QPC mettant en cause la constitutionnalité des dispositions prévoyant la "cristallisation" des pensions des anciens combattants, ressortissants des pays et territoires autrefois sous souveraineté française.

Après renvoi du Conseil d'État, le Conseil constitutionnel rendait sa fameuse décision n° 2010-1 QPC du 28 mai 2010.

Quelque quinze ans plus tard, un regard rétrospectif révèle que ce sont tous les domaines du droit qui se sont trouvés "questionnés".

Plus de mille questions – à l'heure où ces lignes sont écrites, le site du Conseil constitutionnel affiche sa saisine n° 2024-1100 QPC - ont été posées.

Le droit pénal et la procédure pénale ont bien sûr constitué un champ d'exploration privilégié.

Mais l'inventivité des avocats a conduit le Conseil constitutionnel à se prononcer dans des domaines aussi divers que le droit de la famille, le droit de l'urbanisme, le droit de la sécurité sociale, le droit fiscal ou encore le droit douanier.

Le contrôle de constitutionnalité transcende les branches du droit : il s'applique tant en droit public qu'en droit pénal et en droit privé.

Rien d'étonnant alors à ce que la QPC ait trouvé dans l'avocat aux Conseils un public conquis.

L'avocat aux Conseils, spécialiste de la technique de cassation, est profondément un généraliste du droit. Il n'est pas spécialiste d'un domaine du droit ; il est spécialiste du contrôle. L'une de ses qualités essentielles réside dans son agilité à se mouvoir dans des matières diverses et variées.

Parce qu'ils sont fondamentalement généralistes, parce qu'ils pratiquent au quotidien le contrôle de légalité et la confrontation des normes devant le juge du droit, les avocats aux Conseils ont toujours joué un rôle moteur dans le développement de la QPC.

A quoi s'ajoute qu'une QPC peut être posée pour la première fois à hauteur de cassation, le nouveau regard que l'avocat aux Conseils porte sur le dossier lorsque celui-ci lui est transmis peut ici jouer à plein.

C'est d'ailleurs parfois l'arrêt de cour d'appel déféré à la censure du juge de cassation qui révélera un "questionnement" possible sur la constitutionnalité de telle ou telle disposition applicable au litige ou fondant les poursuites.

Parfois le questionnement pourra naître de ce que la cour d'appel n'a fait que se conformer à l'interprétation d'un texte résultant d'une jurisprudence constante de nos juridictions supérieures.

Ainsi, c'est en partie à l'initiative des avocats aux Conseils que le Conseil d'État et la Cour de cassation ont décidé que leur jurisprudence constante pouvait être également questionnée dans le cadre d'une QPC.

Comment ne pas voir dans cette faculté, pour nos juridictions supérieures, de questionner le Conseil constitutionnel sur la conformité de leur propre jurisprudence aux droits et libertés garantis par la Constitution une des formes les plus abouties de dialogue des juges ?

Quinze ans après sa création, la QPC demeure indéniablement utile et nécessaire dans notre État de droit, comme le démontrent, si besoin était, les déclarations d'inconstitutionnalité encore récemment prononcées (par ex. : Décision n° 2024-1091/1092/1093 QPC du 28 mai 2024 et Décision n° 2024-1090 QPC du même jour).

Elle est servie par une procédure entièrement contradictoire et un dispositif qui montre le souci du Conseil de recevoir la parole des uns et des autres.

L'audience au Conseil constitutionnel constitue ainsi un moment précieux pour l'avocat qui vient y plaider sa cause, et, derrière celle-ci, la cause du droit.

Filmées depuis l'origine pour être retransmises en direct puis en différé, les audiences sont, depuis quelques années, marquées par une plus grande interactivité.

Leur format est aujourd'hui d'une grande modernité.

Aux prises de parole d'une dizaine de minutes des avocats et du représentant du gouvernement, succèdent les questions des membres du Conseil constitutionnel qui peuvent les interroger sur le sens exact à prêter à telle ou telle disposition, sur leur portée ou encore sur les conséquences qu'emporterait une déclaration d'inconstitutionnalité dont les effets dans le temps ne seraient pas différés.

Pour les avocats et les avocats aux Conseils, une première audience rue de Montpensier est un moment qui compte dans une carrière.

Du reste, dès celle-ci passée, l'envie nous prend déjà de revenir.

Aucun doute : l'engouement des avocats aux Conseils pour la QPC n'est pas près de se tarir.

Mis à jour le 09/09/2024