Conformité - réserve
Le Conseil constitutionnel juge conformes à la Constitution sous une réserve d’interprétation des dispositions du code électoral organisant la procédure de démission d’office applicable à un conseiller municipal privé de son droit électoral à la suite d’une condamnation pénale
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 3 janvier 2025 par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1° de l’article L. 230 du code électoral et de l’article L. 236 du même code.
Le contexte législatif et l’objet des dispositions contestées
En vertu de l’article 131-26–2 du code pénal, sauf décision contraire spécialement motivée, la peine complémentaire d’inéligibilité est obligatoirement prononcée à l’encontre des personnes coupables d’un crime ou de certains délits.
Il résulte du quatrième alinéa de l’article 471 du code de procédure pénale que le juge peut ordonner l’exécution provisoire de cette peine.
En application du 1° de l’article L. 230 du code électoral, les personnes privées du droit électoral en raison de leur condamnation à une telle peine ne peuvent être conseillers municipaux.
Selon les dispositions contestées de l’article L. 236 du même code, le conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans ce cas d’inéligibilité est immédiatement déclaré démissionnaire d’office par le préfet.
Les critiques formulées contre ces dispositions
Il était notamment reproché à ces dispositions, telles qu’interprétées par la jurisprudence constante du Conseil d’État, de porter une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité en imposant que soit immédiatement déclaré démissionnaire d’office le conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité, y compris lorsque le juge pénal en ordonne l’exécution provisoire.
Au soutien de ce grief, il était soutenu que ces dispositions auraient pour effet de priver l’élu concerné de son mandat avant même qu’il ait été statué définitivement sur le recours formé contre sa condamnation, alors qu’aucune disposition ne garantirait en outre que le juge ait pris en compte toutes les conséquences pour l’élu de l’exécution provisoire de la peine.
La critique portait ainsi uniquement, en l’espèce, sur les dispositions relatives à la procédure de démission d’office applicable à un conseiller municipal privé de son droit électoral.
Il était également soutenu par l’une des parties intervenantes que, pour les mêmes motifs, les dispositions contestées étaient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif. Certaines parties intervenantes leur reprochaient par ailleurs d’instituer une différence de traitement injustifiée entre les élus locaux et les élus nationaux, dès lors que la déchéance du mandat d’un parlementaire ne peut intervenir qu’en cas de condamnation définitive à une peine d’inéligibilité. Il en résultait selon elles une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant la justice.
L’une des parties intervenantes soutenait la conformité à la Constitution de ces dispositions, au bénéfice le cas échéant de certaines réserves d’interprétation.
Le contrôle de ces dispositions
* Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit d’éligibilité
Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents ». Le législateur est compétent, en vertu de l’article 34 de la Constitution, pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales ainsi que les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales. Il ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit en vertu de l’article 6 de la Déclaration de 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur.
Au regard du cadre constitutionnel ainsi rappelé, le Conseil constitutionnel constate qu’il résulte de la jurisprudence constante du Conseil d’État, telle qu’elle ressort notamment de la décision de renvoi de la question prioritaire de constitutionnalité, que le préfet est tenu de déclarer immédiatement démissionnaire d’office le conseiller municipal non seulement en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité devenue définitive, mais aussi lorsque la condamnation est assortie de l’exécution provisoire.
Le Conseil constitutionnel relève ensuite, en premier lieu, que les dispositions contestées visent à garantir l’effectivité de la décision du juge ordonnant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité afin d’assurer, en cas de recours, l’efficacité de la peine et de prévenir la récidive.
Ce faisant, d’une part, ces dispositions mettent en œuvre l’exigence constitutionnelle qui s’attache à l’exécution des décisions de justice en matière pénale. D’autre part, elles contribuent à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants. Ainsi, elles mettent en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
Le Conseil examine, en second lieu, les garanties entourant cette procédure, et qui s’attachent au prononcé d’une telle peine assortie de l’exécution provisoire.
Ainsi, d’une part, la démission d’office ne peut intervenir qu’en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité expressément prononcée par le juge pénal, à qui il revient d’en moduler la durée, celui-ci pouvant, en considération des circonstances propres à chaque espèce, décider de ne pas la prononcer.
D’autre part, le juge décide si la peine doit être assortie de l’exécution provisoire à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne peut présenter ses moyens de défense, notamment par le dépôt de conclusions, et faire valoir sa situation.
Par une réserve d’interprétation, le Conseil juge que, sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur.
De l’ensemble de ces motifs, le Conseil constitutionnel déduit que, sous cette réserve, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité. Le grief tiré de la méconnaissance de cette exigence constitutionnelle doit donc être écarté.
* Sur le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif
Selon l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il résulte de cette disposition qu’il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction.
À cette aune, le Conseil constitutionnel relève que l’acte par lequel le préfet déclare démissionnaire d’office un conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire se borne à tirer les conséquences de la condamnation prononcée par le juge pénal. Il est ainsi sans incidence sur l’exercice des voies de recours ouvertes contre une telle décision.
Au surplus, l’intéressé peut former contre l’arrêté prononçant la démission d’office une réclamation devant le tribunal administratif ainsi qu’un recours devant le Conseil d’État. Il résulte par ailleurs de la jurisprudence constante du Conseil d’État que cette réclamation a pour effet de suspendre l’exécution de l’arrêté, sauf dans le cas où c’est à la suite d’une condamnation pénale définitive que la démission d’office est notifiée.
Le Conseil constitutionnel en déduit que le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif ne peut qu’être écarté.
* Sur le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi
Le principe d’égalité, garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.
Au regard de cette exigence constitutionnelle, le Conseil constitutionnel rappelle que, selon les articles L.O. 136 et L.O. 296 du code électoral, est déchu de plein droit de la qualité de membre du Parlement celui dont l’inéligibilité se révèle après la proclamation des résultats et l’expiration du délai pendant lequel elle peut être contestée ou qui, pendant la durée de son mandat, se trouve dans l’un des cas d’inéligibilité prévus par le même code.
En application de ces dispositions, il appartient au Conseil constitutionnel de constater la déchéance d’un membre du Parlement en cas de condamnation pénale définitive à une peine d’inéligibilité.
Le Conseil constitutionnel constate qu’il en résulte une différence de traitement entre les membres du Parlement et les conseillers municipaux quant aux effets, sur l’exercice d’un mandat en cours, d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision.
Il relève cependant que, en vertu de l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, ils votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement.
Dès lors, au regard de leur situation particulière et des prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution, les membres du Parlement se trouvent dans une situation différente de celle des conseillers municipaux.
Ainsi, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi.
Par ces motifs, le Conseil constitutionnel juge que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi doit être écarté.
Au total, les dispositions contestées ne méconnaissant aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil les déclare sous la réserve mentionnée ci-dessus conformes à la Constitution.