Votée définitivement le 2 décembre 1999, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 a été déférée au Conseil constitutionnel, comme les trois précédentes, par plus de soixante députés et par plus de soixante sénateurs.
Étaient critiqués, outre la procédure législative suivie, pas moins de quinze articles parmi les quarante quatre que comportait le texte.
I. Pour les deux saisines la procédure législative a été irrégulière car la première lecture devant le Sénat s'est déroulée pendant 16 jours (du 2 au 18 nov.), alors que, aux termes du deuxième alinéa de l'article LO 111-7 du code de la sécurité sociale : " Le Sénat doit se prononcer, en première lecture, dans un délai de quinze jours après avoir été saisi. "
Le jour supplémentaire dont a ainsi bénéficié le Sénat en première lecture vicie-t-il la procédure ? La réponse est négative par parallélisme avec ce qui a été jugé pour les lois de finances (86-209 DC du 3 juill. 1986, Rec. p. 86, cons. 5) : le dépassement d'un délai ne vicie la procédure que s'il a pour conséquence de contrecarrer les lectures ultérieures, en raison de la nécessité pour le Parlement de se prononcer dans le délai global de cinquante jours fixé par l'article 47-1 de la Constitution. Ce n'a pas été le cas en l'espèce, les lectures ultérieures s'étant déroulées dans les conditions normales.
II. Les saisines soutenaient que les articles et 7 ne trouvaient pas leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale.
L'article 5 crée un " fonds de financement de la réforme des cotisations patronales " dont les dépenses consistent dans le versement aux régimes de sécurité sociale des montants correspondant à diverses réductions de cotisations sociales (allégements en faveur des bas salaires, aides à la réduction du temps de travail).
Les articles 6 et 7 définissent deux impositions (" contribution sociale sur le bénéfice des sociétés " et " taxe générale sur les activités polluantes ") qui, avec d'autres recettes, alimenteront le fonds.
L'ensemble de ce dispositif concourt de façon significative à l'équilibre financier des régimes obligatoires de base, puisque les sommes versées aux régimes de base par le fonds s'élèveront à plus de 60 milliards de francs en 2000 (et à 100 milliards à terme).
Les dispositions critiquées ont donc leur place dans une loi de financement de la sécurité sociale au titre du III de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale (n° 96-384 DC du 19 déc. 1996, Rec. p. 141, cons. 8; a contrario : n° 98-404 DC du 18 déc. 1998, Rec. p. 315, cons. 29).
III. Les députés requérants contestaient la " contribution sociale sur les bénéfices des sociétés " (CSB), définie à l'article 6 de la loi déférée 5, à plusieurs autres égards : la fixation d'un seuil serait contraire à l'article 13 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 en ce qu'elle interdirait toute progressivité en deçà du chiffre d'affaires retenu (50 MF); la catégorie des entreprises assujetties serait trop étroite; en l'absence de mécanisme de " lissage ", le seuil porterait atteinte au principe d'égalité devant l'impôt; enfin, la loi instaurerait des discriminations entre sociétés selon qu'elles sont ou non constituées sous forme de groupes. Ces griefs étaient tous infondés.
C'est pour des motifs d'intérêt général, liés aux caractéristiques socio-économiques des petites et moyennes entreprises, que sont exclues du champ d'application de la contribution les sociétés dont le chiffre d'affaires est inférieur au seuil de 50 MF et dont le capital est détenu, pour 75 % au moins, par des personnes physiques. Cette exclusion est fondée sur des critères objectifs et rationnels (n° 90-285 DC du 28 déc. 1990, Rec. p. 95, cons. 33) et les entreprises exonérées sont placées dans la même situation (n° 93-330 DC du 29 déc. 1993, Rec. p. 572, cons. 5).
Pour leur part, les entreprises assujetties sont redevables d'une contribution égale à 3,3 % de leur résultat imposable, taux qui n'est pas constitutif d'une rupture d'égalité devant les charges publiques (par exemple : n° 99-416 DC du 23 juill. 1999, cons. 22).
L' " effet de seuil " dénoncé est corrigé puisqu'est prévu un abattement de 5 MF sur l'impôt sur les sociétés, lequel sert de base à la CSB. Ce souci de " lisser " un effet de seuil ne laisse pas indifférent le Conseil constitutionnel (n° 97-393 DC du 18 déc. 1997, Rec. p. 320, cons. 35; n° 98-404 DC préc., cons. 26; n° 99-416 DC, préc., cons. 8).
De même, la disposition contestée prévoit que, lorsque des entreprises font partie d'un groupe au sens de l'article 223 A du code général des impôts, la contribution est due par la société-mère et assise sur l'impôt sur les sociétés afférent au résultat d'ensemble.
IV. L'article 7, qui étend la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), créée par l'article 45 de la loi de finances pour 1999, à de nouvelles assiettes et l'affecte au fonds institué par l'article 5, était critiqué, lui aussi, à d'autres titres que sa place dans une loi de financement de la sécurité sociale.
A. L'article 7 était d'abord présenté par les députés requérants comme contraire à l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 en ce qu'il réaffecterait, hors loi de finances, le produit d'une imposition existante. Le grief a été écarté.
Tout d'abord, il est loisible à une loi autre qu'une loi de finances d'instituer, de modifier ou de supprimer un impôt (n° 91-298 DC du 24 juill. 1991, Rec. p. 83, cons. 3 à 6). Il appartient seulement à la prochaine loi de finances d'en tirer les conséquences éventuelles sur les recettes de l'État, ce que fait en l'espèce la loi de finances pour 2000 (dont l'examen s'achevait au Parlement à la date à laquelle le Conseil s'est prononcé sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000).
En deuxième lieu, le législateur ordinaire peut affecter le produit d'un impôt à un établissement public (n° 82-152 DC du 14 janv. 1983, Rec. p. 31, cons. 3 et 4; 98-403 DC du 29 juill. 1998, Rec. p. 276, cons. 15; 98-405 DC du 29 déc. 1998, Rec. p. 326, cons. 66 et 67) et le fonds créé par l'article 5 de la loi déférée est bien un établissement public.
B. Aurait été en deuxième lieu méconnu le principe du consentement à l'impôt énoncé à l'article 14 de la Déclaration de 1789, en raison de la nouvelle affectation du produit de la TGAP. Mais cette affectation constitue un choix de gestion qui échappe au contrôle du Conseil constitutionnel (n° 94-351 DC du 29 déc. 1994, Rec. p. 140, cons. 17 et 18). Il existe d'ailleurs de nombreux précédents d'impositions dont l'affectation ne présente pas d'affinité évidente avec l'assiette (vignette automobile etc.). L'article 14 de la Déclaration a été respecté dès lors que le Parlement a été complètement informé des raisons du choix opéré et y a librement consenti par son vote.
C. Les députés requérants faisaient enfin grief à l'article 7 de comporter une délégation excessive au pouvoir réglementaire.
Le montant de la taxe effectivement perçue chaque année par établissement classé est égal au produit d'un tarif de base par un coefficient multiplicateur. En vertu de la disposition critiquée, le décret en Conseil d'État prévu au b du 8 du I de l'article 266 sexies du code des douanes fixe ce coefficient multiplicateur entre un et dix, pour chacune des activités exercées dans les installations classées, " en fonction de sa nature et de son volume ". De son côté, le paragraphe I.8.b de cet article 266 sexies assujettit les établissements classés figurant sur une liste établie par décret en Conseil d'État lorsqu'ils " font courir, par leur nature ou leur volume, des risques particuliers à l'environnement ".
Il ressort de ces dispositions combinées que le renvoi au décret est en l'espèce suffisamment encadré au regard de l'article 34 de la Constitution.
D'une part, en effet, l'échelle des coefficients est finie (n° 87-239 DC du 30 déc. 1987, Rec. p. 69, cons. 4).
D'autre part, les paramètres à prendre en compte par le pouvoir réglementaire pour arrêter un coefficient multiplicateur sur cette fourchette sont déterminés avec une précision suffisante : le coefficient devra refléter le risque que fait courir à l'environnement un établissement classé compte tenu de sa nature et de son volume d'activité (en ce sens : n° 87-237 DC du 30 déc. 1987, Rec. p. 63, cons. 11; n° 98-403 DC, préc., cons. 12 et 13).
V. La saisine des députés dénonçait l'insincérité affectant l'article 12 de la loi déférée, qui, en application du 2e du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale, prévoit, par catégorie, les recettes de l'ensemble des régimes obligatoires de base et des organismes créés pour concourir à leur financement.
Selon les requérants, les ressources du fonds créé par l'article 5 ne seraient pas comptées; il y aurait de plus " inadéquation entre certaines dépenses et les recettes qui leur sont affectées par ailleurs ".
A. Le premier grief manquait en fait, car les différentes recettes du " fonds de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale " sont incluses dans les agrégats qui leur correspondent à l'article 12.
B. Le grief visant l'inadéquation entre les recettes du fonds de financement et ses dépenses ne résistait pas davantage à l'analyse. Si une partie des recettes du fonds est effectivement vouée à décroître au cours des années à venir, les prévisions figurant à l'article 12 sont celles de l'exercice 2000. Il appartiendra aux lois de financement de la sécurité sociale des années ultérieures de présenter les mesures nécessaires à l'équilibre financier du fonds pour l'exercice considéré.
VI. Pour la saisine des députés, l'article 15 de la loi déférée, qui tendait à faire bénéficier la caisse nationale des allocations familiales (CNAF) d'une garantie de ressources, sur la période courant du 1er janvier 1998 au 31 décembre 2002, enfreignait le principe de l'annualité applicable aux lois de financement de la sécurité sociale comme aux lois de finances.
Le grief a été accueilli, mais quelque peu requalifié. L'article 15 constituait en effet, contrairement à ce que soutenait le gouvernement, un " cavalier social ", c'est-à-dire une disposition étrangère au champ des lois de financement de la sécurité sociale, tel qu'il est défini par les I et III de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
La garantie prévue par l'article 15 au profit de la CNAF résidait entièrement dans un versement compensateur effectué par l'État à l'issue de la période de cinq ans expirant le 31 décembre 2002, c'est-à-dire inscrit en loi de financement de la sécurité sociale et en loi de finances pour 2003.
Une telle mesure, qui n'intéressait pas l'exercice 2000, ne pouvait se rattacher au I de l'article LO 111-3, lequel commence par " chaque année " et n'énumère que des dispositions afférentes à l'année à venir.
Le versement de 2003 ne se rattachait pas davantage au III de l'article LO 111-3 (" outre celles prévues au I, les lois de financement de la sécurité sociale peuvent prévoir des dispositions affectant directement l'équilibre financier des régimes obligatoires de base ou améliorant le contrôle du Parlement sur l'application des lois de financement de la sécurité sociale "), car l'équilibre financier auquel il est ainsi fait référence est sinon celui de l'année à venir (en l'espèce 2000), du moins celui des années à venir, lorsque les effets financiers d'une mesure se font sentir progressivement au cours d'une " montée en charge " pluriannuelle (en ce sens : n° 98-404 DC, préc., cons. 10). Mais il s'agissait de tout autre chose ici puisque la mesure prévue n'affectait que l'exercice 2003.
VII. Selon les sénateurs requérants, l'inscription (à hauteur de trois milliards de francs) au " fonds de réserve pour les retraites " d'une contribution de la Caisse des dépôts et consignations contrevenait à l'article 18 de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959. Elle constituait en effet à leurs yeux une " réaffectation " d'une recette non fiscale du budget de l'État, normalement retracée à la ligne n° 0110 (" produit des participations de l'État dans les entreprises financières ").
Cette argumentation se méprenait sur la portée du V de l'article 16 de la loi déférée. Celui-ci prévoit un prélèvement obligatoire exceptionnel sur la Caisse des dépôts et consignations, dont il affecte le produit à un établissement public : le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Le " fonds de réserve pour les retraites " constitue en effet une ligne budgétaire au sein du FSV, ainsi qu'il ressort du deuxième alinéa de l'article L. 135-1 du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du IV de l'article 2 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998.
VIII. Les députés requérants dénonçaient, dans les articles 21 et 22 de la loi déférée, des " débudgétisations " inconstitutionnelles.
L'article 21 de la loi transfère aux organismes d'assurance maladie la part à la charge de l'État des dépenses relatives au dépistage et au traitement de certaines maladies (SIDA en particulier) réalisés par les consultations de dépistage anonyme et gratuit et par les centres de planification ou d'éducation familiale. De son côté, l'article 21 fait prendre en charge par les régimes d'assurance maladie des dépenses liées aux cures de désintoxication.
Les dépenses ainsi transférées sont-elles de celles qui, par nature, présentent un caractère permanent pour l'État ? Si tel était le cas, le transfert se heurterait aux principes d'unicité et d'universalité budgétaires (n° 94-351 DC, préc., cons. 5 à 11). Ou bien sont-elles de celles qui, tout en ayant un caractère d'intérêt public, ne constituent pas des charges permanentes de l'État au sens de l'ordonnance organique du 2 janvier 1959 et peuvent être dès lors transférées à d'autres organismes (n° 95-369 DC du 28 déc. 1995, Rec. p. 257, cons. 14 à 16; n° 98-405 DC, préc., cons. 66) ?
C'est la seconde réponse qui s'imposait. En effet, tant le dépistage et le traitement du SIDA (déjà principalement pris en charge par l'assurance maladie) que les dépenses liées aux cures de désintoxication dans des établissements de santé, qui relèvent de soins médicaux et s'apparentent aux cures de sevrage alcoolique (déjà pris en charge par l'assurance maladie), peuvent légitimement apparaître en dépenses de l'assurance maladie.
IX. La saisine des députés voyait dans l'article 23 de la loi déférée, relatif aux centres de santé, une mesure étrangère au domaine des lois de financement de la sécurité sociale.
Il est certain que, pris isolément, le I de l'article 23, qui insère dans le code de la santé publique un article L. 765-1 définissant les centres de santé, serait un " cavalier social ".
Mais ce I est inséparable de la partie la plus substantielle de l'article 23, qui insère dans le code de la sécurité sociale les articles L. 162-32 à L. 162-32-3 dont la portée financière est manifeste (en ce sens : n° 96-384 DC, préc., cons. 8 et 11; n° 96-385 DC du 30 déc. 1996, Rec. p. 145, cons. 42; 97-393 DC, préc., cons. 53). Par accord national passé entre caisses d'assurance-maladie et organisations représentatives des centres de santé, l'article 23 instaure pour la première fois une régulation des dépenses d'assurance maladie induites par les centres de santé. L'effet attendu de ce dispositif est d'autant plus significatif pour l'équilibre financier des régimes de base que le montant des dépenses d'assurance maladie induites par les centres de santé est élevé (2,6 milliards de francs en 1998) et, surtout, connaît un fort rythme de progression annuelle (10 %).
X. Les deux saisines contestaient l'article 24 de la loi, qui réorganise complètement le dispositif de régulation des soins de ville.
Le nouveau dispositif confie la responsabilité première de la régulation des soins en ville à l'assurance maladie. Un objectif de dépenses d'honoraires des professionnels de santé lui est ainsi délégué.
L'article 24 étend en outre à l'ensemble des professionnels de santé les dispositions introduites par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 en vue de développer les réseaux de soins.
Il élargit le registre des actions possibles en vue de maîtriser la dépense (accords de " bon usage des soins ", " contrats de bonne pratique "...).
Chaque année, précise le I du nouvel article L. 162-15-2, inséré dans le code de la sécurité sociale par le XII de l'article 24 de la loi déférée, dans le respect des dépenses déléguées, une annexe à la convention nationale fixe, pour chaque profession de santé, notamment : "... 2° Les tarifs des honoraires, rémunérations et frais accessoires dûs aux professionnels par les assurés sociaux, en dehors des cas de dépassement autorisés par la convention, pour les médecins et les chirurgiens-dentistes... 3° ... b) Les modifications, dans la limite de 20 %, de la cotation des actes inscrits à la nomenclature établie pour les actes pris en charge par l'assurance maladie auxquelles les parties à la convention peuvent procéder... ".
En vertu du II du nouvel article L 162-15-2, les parties à chacune des conventions assurent le suivi des dépenses lors de la fixation de l'objectif des dépenses et au moins deux fois dans l'année : une première fois au vu des résultats des quatre premiers mois de l'année et une seconde fois au vu de ceux des huit premiers mois de l'année.
À défaut de convention, la CNAMTS et au moins une autre caisse nationale d'assurance maladie assurent ce suivi et consultent les syndicats représentatifs de la profession concernée.
Lorsqu'elles constatent que l'évolution de ces dépenses n'est pas compatible avec le respect de l'objectif, les parties à chacune des conventions déterminent, par une annexe modificative, les mesures de toute nature propres à garantir son respect et " notamment celles prévues au 3° du I, ainsi que, le cas échéant, les ajustements des tarifs prévus au 2° ".
À défaut d'accord entre les parties conventionnelles, ou en l'absence de convention, après consultation des syndicats représentatifs de la profession concernée et lorsque le montant des dépenses réalisées n'est manifestement pas de nature à permettre le respect de l'objectif fixé, la CNAMTS et au moins une autre caisse nationale signataire de la convention concernée déterminent lesdites mesures.
En cas de carence des caisses nationales, ou lorsqu'il apparaît que les mesures proposées ne sont manifestement pas de nature à permettre le respect de l'objectif des dépenses, un arrêté interministériel " fixe les tarifs et mesures mentionnés aux 2° et 3° (b) du I ".
Enfin, le XIII de l'article 24 insère dans le code de la sécurité sociale un article L. 162-15-4 qui prévoit qu'à défaut d'accord en cours d'année entre les médecins et les caisses, pour déterminer les mesures de nature à garantir en cours d'année le respect de l'objectif de dépenses, la CNAMTS et au moins une autre caisse nationale peuvent conclure, avec une organisation syndicale nationale de médecins d'une spécialité ou d'un groupe de spécialités, deux types de protocoles.
A. Les deux saisines dénonçaient essentiellement, dans ce dispositif, l'institution de " lettres-clés flottantes ", dont l'automaticité et le caractère uniforme, pénalisant les professionnels les plus soucieux d'économies, se heurterait aux mêmes objections constitutionnelles que celles ayant conduit à la censure prononcée par la décision n° 98-404 DC précitée du 18 décembre 1998 (cons. 16 à 19). Par ailleurs, présentant selon eux le caractère d'une " sanction collective ", le nouveau mécanisme de régulation était contraire aux principes de nécessité et de proportionnalité des sanctions et des peines, ainsi qu'à la présomption d'innocence.
Le Conseil a rejeté ces griefs comme inopérants.
D'une part, en effet, nous ne nous trouvons pas ici en présence d'un mécanisme de prélèvement obligatoire opéré ex post sur des rémunérations perçues individuellement, mais face à une procédure beaucoup plus classique de fixation conventionnelle a priori de tarifs professionnels, assortie, il est vrai, d'un pouvoir de substitution à deux étages (CNAMTS, État).
L'ajustement des lettres-clés s'insère dans un mécanisme qui, s'il tend certes au respect des objectifs de dépenses, n'impose aucun reversement individuel et n'est ni généralisé, ni automatique. Lorsque la valeur d'une lettre-clé change, ce n'est que pour l'avenir, dans une proportion d'ailleurs plafonnée à 20 %, et le changement peut ne toucher que certains des actes ou certains des professionnels concernés. Le précédent de la loi de financement pour 1999 n'est donc pas transposable.
D'autre part, la fixation infra annuelle de la valeur des lettres-clés ne présente aucunement le caractère d'une sanction. Cette qualification avait été écartée par la décision n° 98-404 DC à propos des précédents mécanismes de régulation, implicitement pour les soins de ville (cons. 18), explicitement pour le médicament (cons. 25). La qualification de sanction doit être écartée ici a fortiori (en ce sens également : Conseil d'État, 7 mai 1999, Fédération nationale des médecins radiologues et autres).
B. Était pareillement inopérante l'argumentation des sénateurs dirigée contre le XIII de l'article 24, car les " protocoles " mentionnés par cette disposition n'auront, comme le relevait le gouvernement dans ses observations, aucune force obligatoire. Peu importe dès lors que, pour telle ou telle spécialité, les protocoles soient conclus, comme le déplorait la saisine sénatoriale, avec des organisations de médecins " non reconnues comme représentatives ".
XI. Les sénateurs requérants voyaient dans le I de l'article 25, qui impose la motivation des prescriptions d'arrêts de travail et de transports sanitaires, une atteinte au secret médical constitutive d'une violation du principe du respect de la vie privée.
L'assurance maladie n'ayant vocation à prendre en charge que les prestations médicalement justifiées de l'avis du contrôle médical, il est légitime d'imposer aux médecins prescripteurs de faciliter la tâche des médecins conseils des caisses, en indiquant sur la feuille de soins les éléments d'ordre médical justifiant leurs prescriptions d'arrêts de travail et de transports, deux domaines correspondant à des postes de dépense en forte croissance. Cette innovation sert l'exigence constitutionnelle qui s'attache à l'équilibre financier de la sécurité sociale (n° 97-393 DC, préc., cons. 23).
Mais il faut concilier cette exigence avec un autre impératif constitutionnel, qui découle de l'article 2 de la Déclaration de 1789 (n° 99-416 DC, préc., cons. 45; n° 99-419 DC du 9 nov. 1999, cons. 73) : le respect de la vie privée.
Cette conciliation est convenablement réalisée en l'espèce puisque la motivation a pour seuls destinataires les médecins conseils des caisses (des précautions matérielles devront cependant être prises à cet effet, indique la seule réserve d'interprétation que comporte la décision commentée) et que les médecins conseils sont eux-mêmes astreints au secret médical, y compris à l'égard des services administratifs des caisses, par l'article 104 du code de déontologie médicale 6 (n° 98-403 DC, préc., cons. 36; n° 98-405 DC, préc., cons. 60).
XII. Les deux saisines critiquaient l'article 29, qui, pour l'année 2000, substitue le taux de 2 % au taux " K " mentionné dans le tableau figurant à l'article L. 138-10 du code de la sécurité sociale, relatif à la régulation des dépenses de médicaments. Cette substitution reviendrait, selon les requérants, à méconnaître l'unicité de l'objectif national d'assurance maladie (ONDAM) dont la fixation s'impose à chaque loi de financement de la sécurité sociale en vertu du 4° du I de l'article LO 111-3 du code de la sécurité sociale.
Mais l'article 29 a pour seul objet et pour seul effet de déterminer le seuil de déclenchement de la " clause de sauvegarde " prévue à l'article L. 138-10 du code de la sécurité sociale. Il constitue un simple élément d'assiette d'une imposition des entreprises pharmaceutiques (n° 98-404 DC précitée, cons. 23 et 25).
XIII. Les députés requérants regardaient la " contribution exceptionnelle " mise à la charge des entreprises pharmaceutiques par l'article 30 de la loi déférée comme une " validation déguisée " d'un dispositif censuré par le Conseil d'État 7. Par sa " rétroactivité ", il encourait en outre la même censure que celle prononcée par le Conseil constitutionnel dans sa décision sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999 (n° 98-404 DC, préc., cons. 2 à 7).
Ici encore, l'argumentation était inopérante, car elle se méprenait sur la portée de la disposition contestée.
L'article 30 tire les conséquences de l'annulation par le Conseil d'État, pour contrariété au droit communautaire, du III de l'article 12 de l'ordonnance n° 96-51 du 24 janvier 1996 instituant, à la charge de l'industrie pharmaceutique, un prélèvement dont l'assiette était constituée du chiffre d'affaires au titre des spécialités pharmaceutiques remboursables, déduction faite des dépenses de recherche exposées en France.
Cette annulation conduisant à la restitution aux laboratoires pharmaceutiques des sommes recouvrées en 1996, soit environ 1,2 milliard de francs, le gouvernement a voulu compenser la perte en résultant pour l'assurance maladie.
Aussi l'article 30 crée-t-il une contribution exceptionnelle à la charge des laboratoires pharmaceutiques, destinée au financement de la CNAMTS. Cette contribution est assise sur le chiffre d'affaire des laboratoires pharmaceutiques réalisé en 1999 au titre des spécialités pharmaceutiques remboursables. Elle est exigible le 1er 2000. Son produit global sera équivalent aux sommes remboursées du fait de l'annulation.
L'article 30 ne valide nullement la contribution exceptionnelle annulée par le Conseil d'État. Celle-ci sera intégralement remboursée aux entreprises pharmaceutiques.
En outre, il n'est pas rétroactif (au sens strict du terme), puisque la nouvelle contribution est assise sur les chiffres d'affaires de 1999.
Par ailleurs, les critères d'imposition retenus, objectifs et rationnels, ne rompent pas l'égalité entre entreprises pharmaceutiques.
XIV. L'article 31 prévoit que l'autorisation de mise sur le marché d'une " spécialité générique " peut être délivrée avant l'expiration des droits de propriété intellectuelle s'attachant à la spécialité de référence, à condition que la commercialisation de cette spécialité générique n'intervienne qu'après expiration de ces droits.
Le dernier alinéa de l'article 31 dispose, pour sa part, que les études de biodisponibilité tendant à démontrer la bioéquivalence avec une spécialité de référence, en vue de la délivrance d'une autorisation de mise sur le marché, sont considérées comme des " actes expérimentaux ", au sens de l'article L. 613-5 du code de la propriété intellectuelle, et donc libres de droits.
Pour la saisine sénatoriale, l'article 31 (issu d'un amendement adopté par l'Assemblée nationale) était un " cavalier social ". La saisine estimait en outre le dernier alinéa de l'article 31 contraire aux engagements internationaux de la France en matière de propriété intellectuelle.
Il n'était pas douteux que le dernier alinéa de l'article 31 fût un cavalier social, son incidence sur l'équilibre financier des régimes de base étant insaisissable (en ce sens : n° 98-404 DC, préc., cons. 29).
En revanche, le reste de l'article 31 (séparable de son dernier alinéa) est de nature à avoir une incidence significative sur les comptes de l'assurance maladie, en hâtant la commercialisation des spécialités génériques, dont les prix modérés influent à la baisse sur les dépenses de médicaments.
XV. Aux termes du paragraphe IX de l'article 33 : " Sous réserve des décisions de justice passées en force de chose jugée, les actes pris en application de l'arrêté du 28 avril 1999 pris en application des articles L. 162-22-1 et L. 162-22-2 du code de la sécurité sociale et fixant l'objectif des dépenses d'assurance maladie des établissements relevant de l'article L. 701-16-2 du code de la santé publique pour l'année 1999 sont validés en tant que leur légalité serait contestée pour un motif tiré de l'illégalité de cet arrêté ". L'arrêté du 28 avril 1999 avait notamment pour objet, à défaut d'accord dans les conditions prévues par le premier alinéa de l'article L. 162-22-2 du code de la sécurité sociale, de diminuer les tarifs pratiqués par les établissement privés de santé pour l'année 1999.
Si le législateur, dans un but d'intérêt général, a la faculté de valider un acte dont le juge administratif est saisi, afin de prévenir les difficultés qui pourraient naître de son annulation, c'est à plusieurs conditions : respect des décisions de justice passées en force de chose jugée; respect du principe de non rétroactivité des peines et sanctions plus sévères; but d'intérêt général suffisant, qui, en particulier, ne saurait se réduire à un enjeu financier limité; caractère non inconstitutionnel de l'acte validé sauf à ce que le motif de la validation soit lui-même de rang constitutionnel (sur tous ces points, cf. n° 97-390 DC du 19 nov. 1997, Rec. p. 254, cons. 3, AJDA 1997, p. 963; n° 97-393 DC, préc., cons. 47 à 52, AJDA 1998, p. 127,
8); mais aussi à la condition de définir strictement la portée de la validation, puisque celle-ci détermine l'exercice du contrôle de la juridiction saisie (n° 95-363 DC du 11 janv. 1995, Rec. p. 159, cons. 9). La validation doit donc être " ciblée " et non purger l'acte en cause de toutes ses illégalités possibles, alors surtout, comme en l'espèce, qu'est imminente la décision du juge compétent en dernier ressort pour se prononcer sur cet acte.
Une validation ne saurait avoir pour effet, sous peine de méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs et le droit de tout citoyen à un recours juridictionnel, qui découlent tous deux de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, de priver le juge de tout contrôle sur l'acte validé, quelle que soit l'irrégularité invoquée par les requérants.
Or le Conseil d'État, saisi de l'arrêté du 28 avril 1999, ne s'était pas encore prononcé sur sa légalité lorsque la loi déférée a été définitivement adoptée (il l'a fait depuis : la plus grande partie de l'arrêté, notamment les dispositions relatives aux tarifs, a été annulée, à la demande de l'Union hospitalière privée et d'autres requérants, le 17 décembre 1999).
Dans ces conditions, en prévoyant la validation des actes pris en application de cet arrêté " en tant que leur légalité serait contestée pour un motif tiré de l'illégalité de cet arrêté ", sans préciser le motif d'irrégularité dont il entendait purger l'arrêté contesté, le législateur a méconnu l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.