• Commentaire QPC

Commentaire de la décision 99-416 DC

18/02/2023

Adoptée définitivement le 30 juin 1999, la loi portant création d'une couverture maladie (CMU) se compose de deux volets, tous deux substantiels. Le premier comprend les dispositions instituant la CMU proprement dite et des dispositions connexes. Le second rassemble diverses dispositions d'ordre sanitaire et social. Le recours dont a été saisi le Conseil constitutionnel à l'encontre de ce texte mettait principalement en cause la CMU, mais critiquait également d'autres dispositions.

I) La couverture maladie universelle

La loi remplace le régime de l'assurance personnelle par une affiliation automatique au régime général sous condition de résidence régulière. Cette affiliation doit permettre de couvrir l'ensemble de la population française par une assurance de base. S'y ajoute une couverture complémentaire gratuite, attribuée sous condition de ressources et assurée, au choix du bénéficiaire, par les caisses d'assurance maladie ou un organisme de protection complémentaire (société d'assurance, mutuelle, institution de prévoyance). Disparaissent donc les mécanismes de prise en charge des cotisations de l'assurance personnelle et l'aide médicale départementale.

La première série de griefs était tirée de ce que le dispositif créerait des ruptures d'inégalité entre assurés sociaux.

Ainsi, en prévoyant qu'au delà d'un certain plafond de revenus le droit à la couverture maladie universelle disparaît, la loi établirait un " seuil couperet " contraire au principe d'égalité.

Les requérants notaient que, si la loi ne fixe aucun plafond, renvoyant sur ce point au pouvoir réglementaire, il ressortait des déclarations gouvernementales que le bénéfice de la CMU serait accordé en-dessous de 3500 F par mois pour une personne seule, soit à un niveau inférieur au " seuil de pauvreté " fixé par l'INSEE à 3800 F. Si ses revenus sont supérieurs au plafond, soulignaient-ils, ne serait-ce que de quelques francs, elle en sera exclue quelle que soit sa situation sociale.

Cette argumentation manquait en fait s'agissant du premier étage de la CMU - l'affiliation au régime général sur critère de résidence. L'effet de seuil est incontestable, en revanche, pour la couverture complémentaire.

La saisine posait donc le problème de la compatibilité de l'effet de seuil avec le principe d'égalité dans l'exercice des droits sociaux.

La mise en oeuvre du principe proclamé par le 11e alinéa du préambule de 1946 aux termes duquel " la Nation garantit à tous... la protection de la santé " (et, plus généralement, la mise en oeuvre de tous les " droits-créances ") est nécessairement conditionnée par la situation économique et par les disponibilités financières de la collectivité. L'assurance maladie ne couvrant pas la totalité des dépenses, le solde peut parfois représenter, pour les personnes les plus modestes ne disposant pas d'une couverture complémentaire, une obligation financière insurmontable, à laquelle le système actuel d'aide médicale départementale ne permet pas de faire face de manière satisfaisante. Aussi la loi prévoit-elle, au bénéfice des personnes répondant à une condition de ressources, la prise en charge des frais correspondants, assortie de la dispense d'avance de ces frais. Il est de la nature même d'un dispositif qui tend à assurer aux personnes les plus démunies l'accès aux soins, en leur offrant une couverture complémentaire, de reposer sur une distinction entre celles qui correspondent à cette catégorie et celles qui n'en font pas partie. La fixation d'un plafond est donc impérative et inhérente aux finalités poursuivies.

Mais le législateur ne devait-il pas corriger les effets de seuil ?

Il est vrai que l'atténuation d'un effet de seuil a été portée par le Conseil constitutionnel au crédit d'une disposition instituant un plafond de ressources pour l'attribution des allocations familiales (n° 97-393 DC du 18 déc. 1997, loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, Rec. p. 320, sur l'article 23). Mais l'absence de dispositif de " lissage " des effets de seuil n'est pas pour autant inconstitutionnel.

En l'espèce, un tel " lissage " était impossible - ou d'une difficulté extrême - compte tenu des choix faits par le législateur pour la couverture complémentaire des bénéficiaires de la CMU : gratuité totale, dispense d'avance de frais, remboursement de l'organisme prestataire par un fonds public. Remettre en cause l'effet de seuil revenait à contester les options ainsi prises (une option toute différente avait été prise par le Sénat consistant à instituer une allocation personnalisée en matière de santé). Or, comme le rappelle la décision n° 99-416 DC, il n'appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s'est assignés le législateur auraient pu être atteints par d'autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l'objectif visé.

Il incombe toutefois au pouvoir réglementaire de fixer le plafond de ressources de manière à respecter les dispositions du 11e alinéa du préambule de 1946.

Les requérants voyaient une seconde rupture d'égalité entre assurés sociaux dans le fait qu'en raison " de l'affiliation obligatoire à certaines régimes, certaines personnes vont continuer à cotiser pour un régime de base alors que leurs revenus sont inférieurs au seuil d'accès à la CMU ".

Mais c'est parce qu'elle intervient dans un contexte marqué par l'hétérogénéité des protections sociales que la loi déférée fait apparaître une telle distorsion.

Le principe d'égalité ne saurait imposer au législateur, lorsqu'il s'efforce, comme en l'espèce, de réduire les disparités de traitement en matière de protection sociale, de remédier concomitamment à l'ensemble des disparités existantes. La différence de traitement dénoncée par les requérants entre les nouveaux bénéficiaires de la couverture maladie universelle et les personnes qui, déjà assujetties à un régime d'assurance maladie, restent obligées, à revenu équivalent, de verser des cotisations, est inhérente aux modalités selon lesquelles s'est progressivement développé l'assurance maladie en France ainsi qu'à la diversité corrélative des régimes, que la loi déférée ne remet pas en cause.

La deuxième série de griefs était tirée de ce que la CMU créerait d'importantes inégalités entre organismes de protection sociale complémentaire et caisses primaires d'assurance maladie.

Quatre discriminations étaient ainsi dénoncées.

Aux dires des requérants, la loi instaurait une concurrence déloyale entre organismes d'assurance maladie et organismes de protection sociale complémentaire en ce qui concerne la couverture médicale complémentaire, dans la mesure où les premiers, disposant du monopole de l'instruction des dossiers de demande de CMU, pourront inciter les intéressés à se détourner des seconds.

Le Conseil a considéré que le rôle exclusif conféré aux organismes d'assurance maladie par la loi déférée, en ce qui concerne l'instruction des demandes d'admission à la CMU, se justifiait par l'intérêt général qui s'attache à la mise en place d'un " guichet unique " en vue de favoriser l'exercice effectif de leurs droits par des personnes souvent désemparées face aux démarches administratives.

La désignation des caisses primaires dans cette fonction de " guichet unique " n'est donc pas contraire dans son principe à l'égalité. Elle pourrait l'être dans ses modalités si les caisses ne respectaient pas une stricte séparation entre leurs fonctions d'instruction et leurs activités de prestataires éventuels de la couverture médicale complémentaire. Mais la loi leur confie la mission d'informer les bénéficiaires de la CMU sur leurs droits, lesquels comprennent les possibilités de choix ouvertes aux intéressés en ce qui concerne leur couverture médicale complémentaire. C'est en stricte conformité avec cette mission que la " liste des organismes participants ", que la loi déférée charge l'autorité administrative d'établir, devra être communiquée par les CPAM aux demandeurs, de manière à ce que ceux-ci choisissent en connaissance de cause leur couverture médicale complémentaire.

La deuxième inégalité dénoncée résidait en ce que les dépenses afférentes à la couverture complémentaire des bénéficiaires de la CMU par les organismes de sécurité sociale seront intégralement remboursées à ceux-ci par le " fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie " créé par la loi, tandis que les mêmes dépenses, exposées par les organismes de protection sociale complémentaire, ne feront l'objet que d'un remboursement forfaitaire, fixé par la loi à 1500 F par an et par bénéficiaire.

Mais la différence de situation entre organismes de sécurité sociale et organismes complémentaires, eu égard à l'objet de la loi, justifie que, dans un cas, le remboursement soit intégral et, dans l'autre, forfaitaire.

En effet, si la loi ne contraint aucun organisme de protection sociale complémentaire à participer à la CMU, ni même à s'y maintenir, elle interdit en revanche aux caisses d'assurance maladie de refuser la prise en charge de la couverture complémentaire des bénéficiaires de la CMU.

Le remboursement des caisses au franc le franc se justifie en outre par le fait que, comme le précise la loi, les caisses interviennent pour le compte de l'État.

La troisième inégalité dénoncée tenait à ce que seuls les organismes de protection sociale complémentaire seront assujettis à la contribution créée par la loi en vue d'alimenter le " fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie ". Mais, à nouveau, la différence de situation entre ces organismes et les caisses de sécurité sociale - dont l'équilibre financier constitue, depuis la loi constitutionnelle n° 96-138 du 22 février 1996, une exigence constitutionnelle et qui sont le pilier majeur de la protection sociale - justifie la non imposition de ces dernières.

Toutefois, une rupture d'égalité devant les charges publiques pourrait être consommée au détriment des organismes assujettis si la contribution mise à leur charge était excessive. En effet, si l'article 13 de la Déclaration de 1789 n'interdit pas au législateur de mettre à la charge d'une ou plusieurs catégories socioprofessionnelles déterminées une certaine aide à une ou à plusieurs autres catégories socioprofessionnelles, il s'oppose à une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques (n° 85-200 DC du 16 janv. 1986, Rec. p. 9, cons. 16 à 19; n° 98-403 DC du 29 juill. 1998, Rec. p. 276, cons. 8). Mais ni l'assiette (montant hors taxes des primes et cotisations, déduction faite des annulations et remboursements) ni le taux (1,75 %) retenus en l'espèce ne révèlent de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

Une quatrième rupture d'égalité était tirée de ce que la loi dispose qu'à l'expiration de son droit à la couverture complémentaire, toute personne prise en charge par un organisme de protection sociale complémentaire au titre de la CMU reçoit de cet organisme " la proposition de prolonger son adhésion ou son contrat pour une période d'un an, avec les mêmes prestations et pour un tarif n'excédant pas un montant fixé par arrêté ".

La non soumission des organismes de sécurité sociale à une telle obligation se justifie par les raisons déjà exposées.

Reste, comme précédemment, l'éventualité d'une rupture de l'égalité devant les charges publiques au détriment des organismes de protection sociale complémentaire. En raison de la durée relativement brève de la prolongation (un an), dont l'objet social est indiscutable, et de l'existence d'une rémunération pendant cette période, la rupture caractérisée doit être écartée, sous réserve cependant que l'arrêté ne fixe pas le tarif à un niveau spoliateur.

Parachevant la série de griefs tirés d'une violation du principe d'égalité, les requérants dénonçaient la mise en cause de l'économie de contrats en cours par l'article 23 de la loi déférée.

L'article 23 de la loi déférée prévoit la résiliation de plein droit ou la modification des contrats souscrits auprès d'un organisme de protection sociale complémentaire par les personnes admises au bénéfice de la CMU. Cette disposition était jugée inconstitutionnelle en ce que le législateur n'avait pas prévu d'indemnisation.

La loi ne procédant à aucune expropriation, elle n'avait à prévoir aucun mécanisme d'indemnisation en application de l'article 17 de la Déclaration de 1789. L'article 17 n'implique pas, en effet, que " la loi ne puisse restreindre l'exercice du droit de propriété sans une indemnisation corrélative " (n° 83-162 DC des 19 et 20 juill. 1983, Rec. p. 19, cons. 22).

Mais la disposition critiquée posait-elle problème au regard de l'article 13 de la Déclaration, ainsi que sur le terrain, non invoqué par la saisine, du respect de l'économie des contrats en cours, dont le bouleversement peut porter atteinte à l'article 4 de la Déclaration (n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Rec. p. 258, cons. 29)...

Sur un terrain comme sur l'autre, l'intervention du législateur doit s'autoriser d'un motif d'intérêt général. Il existe en l'espèce, et il est même de rang constitutionnel, puisque la remise en cause des contrats en cours vise à mieux mettre en oeuvre le droit de chacun à la protection de la santé et à éviter que, prisonniers de contrats existants, ceux des bénéficiaires de la CMU qui disposent déjà d'une couverture médicale complémentaire (payante) soient moins bien traités que les autres (qui accèdent, eux, à une couverture complémentaire gratuite).

Toutefois, comme il a déjà été dit, la sujétion ainsi imposée, au nom de l'intérêt général, aux organismes de protection sociale complémentaire ne doit pas être abusive. Si tel était le cas, pourrait être en outre affectée la substance même de la liberté d'entreprendre. Or, de telles conséquences ne sont peut-être pas à exclure pour ceux d'entre eux qui ont pour ressortissants une majorité de personnes à faibles revenus.

Si cette éventualité se réalisait, c'est-à-dire si l'application de la disposition critiquée causait à tel ou tel organisme un préjudice anormal et spécial, la mise en jeu de la responsabilité de l'État du fait des lois conduirait toutefois à son indemnisation. Le Conseil constitutionnel relève à cet égard que le législateur " n'a pas entendu exclure toute indemnisation ", ce qui, conformément à la jurisprudence " la Fleurette " (CE, Ass., 14 janv. 1938, Rec. p. 25), aura précisément pour effet de permettre la réparation en cas de rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques.

Le dernier grief dirigé contre le volet " CMU " de la loi était tiré de ce que le législateur n'avait pas épuisé sa compétence en définissant les règles constitutives du " fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie ".

Aux termes de l'article 27 de la loi déférée, ce fonds est un établissement public national à caractère administratif.

Les requérants estimaient impossible de le ranger dans une catégorie existante compte tenu de la spécificité de sa mission. En conséquence, soutenaient-ils, la loi devait fixer l'ensemble de ses règles constitutives, alors qu'elle reste silencieuse sur les modalités d'exercice de sa tutelle, sur ses organes de direction, sur ses règles de gestion, et, de façon générale, sur la consistance de ses missions.

Le point de départ de cette argumentation était erroné, car le nouvel établissement public se rattache à une catégorie existante : celle des établissements publics administratifs nationaux dont la mission est de gérer des flux financiers entre État et organismes de protection sociale. Appartient aujourd'hui à cette catégorie le " fonds de solidarité vieillesse " institué par les articles L. 135-1 et suivants introduits dans le code de la sécurité sociale par la loi n° 93-936 du 22 juillet 1993. L'activité des deux établissements s' "exerce territorialement sous la même tutelle administrative " - celle de l'État - et leurs spécialités sont analogues.

II) Dispositions contestées en dehors de la CMU

La saisine visait également de nombreuses dispositions non liées à la " CMU ".

Les requérants mettaient d'abord en cause la procédure d'"opposition à tiers détenteur ", organisée par l'article 14 de la loi déférée.

En vertu de l'article 14, les organismes d'assurance maladie et maternité et les caisses d'assurance professionnelle des professions non salariées non agricoles, lorsqu'ils seront munis d'un titre exécutoire, pourront, au moyen d'une opposition, enjoindre aux tiers dépositaires de sommes appartenant au débiteur (banques par exemple) de leur verser - aux lieu et place de celui-ci - les fonds qu'ils détiennent.

Il était fait grief à ces dispositions de violer les droits de la défense en " renversant la charge de la preuve de sa non culpabilité vers l'assuré social, alors qu'à ce jour il appartenait aux organismes sociaux concernés de demander au juge la condamnation de l'assuré pour impayé ". L'intervention du juge " seulement a posteriori ", ainsi que la " concentration entre les mains du créancier de la délivrance du titre exécutoire et de l'exécution " seraient en outre contraires à l'article 6,

1, de la Convention européenne des droits de l'homme.

Les droits de la défense constituent un principe fondamental reconnu par les lois de la République (n° 76-70 DC du 2 déc. 1976, Rec. p. 39, cons. 2; n° 80-127 DC des 19 et 20 janv. 1981, Rec. p. 15, cons. 52; n° 88-248 DC du 17 janv. 1989, Rec. p. 18, cons. 35, etc.). Pour sa part le " droit au recours juridictionnel" reconnu par l'article 6,

1, de la Convention européenne des droits de l'homme trouve son fondement, en droit interne, dans l'article 16 de la Déclaration de 1789, relatif à la " garantie des droits " (n° 96-373 DC du 9 avr. 1996, Rec. p. 43, cons. 83).

Ni les droits de la défense, ni le droit au recours juridictionnel ne s'opposent au principe même de cette prérogative de puissance publique, traditionnelle en droit français, que constitue, pour une personne chargée d'une mission de service public, la possibilité de se délivrer à elle-même un titre exécutoire. Il s'agit là d'un corollaire du " privilège du préalable ", en vertu duquel les pouvoirs publics peuvent imposer leurs décisions aux particuliers sans avoir à se faire habiliter préalablement par un juge. Or, c'est contre cette possibilité que portait le grief, puisqu'il ne mettait en cause la nouvelle procédure d'opposition à tiers détenteur que dans l'hypothèse où l'organisme social concerné aurait décerné une contrainte valant titre exécutoire, et non dans celle où le titre exécutoire en possession de cet organisme serait un jugement.

Si le législateur peut conférer un effet exécutoire à certains titres délivrés par des personnes chargées d'une mission de service public, lorsque, au regard de l'intérêt général, il s'avère indispensable de déroger aux règles de droit commun relatives à la délivrance des titres exécutoires, il doit cependant garantir au débiteur le droit de contester, par un recours juridictionnel, tant le bien fondé desdits titres que les conditions dans lesquelles a lieu l'exécution. La décision ajoute que, lorsqu'un tiers peut être mis en cause (ici le tiers détenteur), un recours effectif doit lui être également assuré.

Ces conditions étaient remplies en l'espèce.

Ainsi, la contrainte décernée par l'organisme social peut faire l'objet d'une contestation devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Ce n'est que passé le délai pour former cette contestation que le contrainte acquiert un caractère de titre exécutoire. De même, l'opposition au tiers détenteur peut être elle-même contestée, dans le mois suivant sa notification, tant par le débiteur que par le tiers détenteur, devant le juge de l'exécution. Le paiement est différé pendant ce délai.

Les requérants reprochaient à l'article 36 de la loi déférée, relatif au " volet santé " de la carte d'assurance maladie, de porter atteinte au respect de la vie privée.

L'article 36 de la loi déférée modifie le code de la sécurité sociale pour préciser le contenu et les modalités d'utilisation du volet médical de la carte électronique individuelle inter-régimes (Vitale 2).

Les nombreuses précautions prises par le législateur, d'une part pour exercer pleinement la compétence que lui confie l'article 34 de la Constitution, d'autre part pour protéger la confidentialité des informations nominatives contenues dans le volet santé de la carte d'assurance maladie, précautions auxquelles s'ajoutent les garanties de droit commun apportées par l'article 21 de la loi du 6 janvier 1978 (pouvoirs de contrôle de la CNIL) et par les articles 226-16 à 226-4 du code pénal, conduisaient au rejet du grief.

La présente décision a fourni au Conseil constitutionnel l'occasion de préciser sa position quant au fondement constitutionnel du respect de la vie privée.

Le respect de la vie privée, dans le sens le plus général de cette expression, trouve son fondement dans l'article 2 de la Déclaration de 1789. Il est en effet inséparable de la liberté, que l'article 2 de la Déclaration range parmi les " droits naturels et imprescriptibles de l'homme ".

Comme la liberté d'aller et venir (cf. n° 99-411 DC du 16 juin 1999, cons. 20), le respect de la vie privée se distingue donc de la liberté individuelle mentionnée à l'article 66 de la Constitution.

Était également contesté l'article 41 de la loi, relatif à l'accès aux données permettant l'évaluation de la qualité des soins.

Insérant dans la loi du 6 janvier 1978, relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés, un chapitre V ter intitulé " Traitement des données personnelles de santé à des fins d'évaluation et d'analyse des activités de soins et de prévention ", l'article 41 de la loi déférée réorganise le cadre juridique de l'accès aux données de santé en vue de permettre l'évaluation du système de soins, y compris par des personnes extérieures à l'administration.

Aux termes des nouvelles dispositions : " les données issues des systèmes d'information visés à l'article L. 710-6 du code de la santé publique, celles issues des dossiers médicaux détenus dans le cadre de l'exercice libéral des professions de santé, ainsi que celles issues des systèmes d'information des caisses d'assurance maladie, ne peuvent être communiquées à des fins statistiques d'évaluation ou d'analyse des pratiques et des activités de soins et de prévention que sous la forme de statistiques agrégées ou de données par patient constituées de telle sorte que les personnes concernées ne puissent être identifiées ". Il ne peut être dérogé à cette règle que sur autorisation de la CNIL. Dans ce cas, les données utilisées ne doivent comporter ni le nom, ni le prénom des personnes, ni leur numéro d'inscription au répertoire national d'identification des personnes physiques. L'article 41 fixe de façon détaillée les modalités selon lesquelles et les critères au regard desquels la CNIL examine la demande.

Invoquant l'article 11 de la Déclaration de 1789, les requérants soutenaient qu'en subordonnant la communication " de données anonymes " à un avis conforme de la CNIL, l'article 41 de la loi déférée portait atteinte à la liberté de l'information. De plus, poursuivaient-ils quelque peu contradictoirement, " l'obligation faite au demandeur d'obtenir l'avis positif de la CNIL ne paraît pas être une garantie suffisante pour éviter la rupture de l'anonymat et on peut s'interroger sur la compétence de la CNIL pour déterminer, selon les termes mêmes de la loi, le sérieux et les références des demandeurs. "

La première branche de l'argumentation manquait en fait puisque les données sont librement transmissibles lorsqu'elles ne sont ni directement, ni indirectement nominatives (ce qui est toujours le cas de statistiques à un niveau d'agrégation suffisant). Ce n'est que lorsque les personnes concernées sont identifiables que, par dérogation à cette règle de libre communication, l'intervention de la CNIL est prévue, ce qui est bien légitime s'agissant de protéger des données personnelles dans un domaine aussi sensible que celui de la santé.

La deuxième branche de l'argumentation invitait en réalité le Conseil constitutionnel à substituer son appréciation à celle du législateur notamment quant à l'aptitude de la CNIL à exercer sa nouvelle mission et, en particulier, à concilier l'exigence de transparence administrative et la protection des données personnelles. Le Conseil y a répondu qu'il appartenait au législateur d'instituer une procédure propre à sauvegarder le respect de la vie privée des personnes, lorsqu'est demandée la communication de données de santé susceptibles de permettre l'identification de ces personnes. En subordonnant cette communication à l'autorisation de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, le législateur, sans méconnaître l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, a fixé en l'espèce des modalités assurant le respect de la vie privée.

Le recours mettait enfin en cause la régularité de la procédure législative à l'issue de laquelle a été complété le titre V au Parlement.

Les auteurs de la saisine faisaient grief au titre V de la loi d'être sans rapport direct avec l'objet de cette dernière et de constituer en lui-même une loi portant diverses mesures d'ordre social, adoptée en " contradiction avec les règles tant de présentation que d'examen des projets de loi ordinaires ". Selon eux, le titre V méconnaissait la distinction entre les projets et propositions de loi, d'une part, et les amendements, d'autre part.

Le projet de loi portant création d'une couverture maladie universelle a été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 3 mars 1999, après délibération du Conseil des ministres du même jour, le Conseil d'État ayant rendu son avis le 25 février 1999. Il comportait dès l'origine un titre IV (devenu V) intitulé " modernisation sanitaire et sociale ", qui regroupait diverses dispositions d'ordre sanitaire et social.

Au cours de la procédure législative, mais avant la réunion de la commission mixte paritaire, de nombreuses dispositions, parfois substantielles (comme l'article 65 sur les transferts et regroupements d'officines de pharmacie), ont été introduites dans ce titre par voie d'amendement.

Le procédé n'est sans doute pas de bonne méthode législative. Toutefois, les amendements incriminés ne sont pas dénués de lien avec le texte en discussion (n° 90-287 DC du 16 janv. 1991, Rec. p. 24, cons. 2 à 8) et ne dépassent ni par leur objet, ni par leur portée, les limites inhérentes au droit d'amendement (n° 86-225 DC du 23 janv. 1987, Rec. p. 13, cons. 8).

Une seule des dispositions contestées encourait la censure. C'était aussi la seule à avoir été introduite dans le texte après la commission mixte paritaire. Il s'agissait de l'article 42, relatif au contenu de l'étiquetage des denrées alimentaires préemballées. Issu d'un amendement adopté après échec de la commission mixte paritaire, il était sans relation directe avec aucune des dispositions du texte en discussion. Son adoption n'était pas davantage justifiée par la nécessité d'une coordination avec d'autres textes en cours d'examen au Parlement. En conséquence, en application de la jurisprudence récente mais désormais bien établie sur les " amendements tardifs ", il y avait lieu de déclarer cet article contraire à la Constitution (n° 98-402 DC du 25 juin 1998, Rec. p. 269, cons. 2 à 4; n° 98-403 DC du 29 juill. 1998, Rec. p. 276, cons. 48 à 53; n° 99-414 DC du 8 juill. 1999, cons. 13).