Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 mars 1997 par un groupe de députés et un groupe de sénateurs de la loi portant diverses dispositions relatives à l'immigration. Les deux saisines mettaient en cause onze articles de la loi.
Les requérants contestaient, en premier lieu, la conformité à la Constitution de l'article 1er de la loi modifiant les conditions dans lesquelles est visé le certificat d'hébergement exigible d'un étranger pour une visite privée sur le territoire. Cette disposition était exclusivement critiquée en tant qu'elle autorise le représentant de l'Etat dans le département, désormais compétent à la place du maire pour viser un tel certificat, à refuser son visa au cas où " les demandes antérieures de l'hébergeant font apparaître un détournement de la procédure au vu d'une enquête demandée par le représentant de l'Etat aux services de police ou unités de gendarmerie ".
Dès lors qu'il est toujours loisible à l'administration, même en l'absence de texte, de rejeter une demande entachée de fraude, ce nouveau motif de refus de visa d'un certificat d'hébergement a été déclaré conforme à la Constitution. Cependant, l'expression " détournement de procédure " doit être entendue comme visant une demande entachée de fraude à la loi, laquelle fraude devra, conformément à la jurisprudence du juge administratif, et sous le contrôle de ce dernier, être établie de façon certaine. et fondée sur des critères " objectifs et rationnels ".
Le Conseil constitutionnel a également rejeté les griefs relatifs aux moyens dont la loi dote l'administration pour instruire les demandes de visa présentées par les hébergeants. En ce qui concerne, en premier lieu, les enquêtes de police et de gendarmerie expressément prévues par l'article 1er, il a précisé qu'il s'agissait d'enquêtes administratives et qu'elles devaient être strictement limitées à la recherche d'informations nécessaires à la preuve de la fraude. Quant au traitement informatique des certificats d'hébergement, qui avait fait l'objet de larges débats parlementaires, le Conseil constitutionnel s'est borné à observer que la loi n'en faisait pas mention : les griefs dirigés à son encontre sont donc qualifiés d'inopérants. Le Conseil constitutionnel a toutefois ajouté qu'au cas où de tels fichiers seraient établis, ils devraient être soumis aux dispositions protectrices de la liberté individuelle prévues par la législation relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Les requérants mettaient en cause, en deuxième lieu, la conformité à la Constitution des articles 8-1, 8-2 et 8-3 insérés par l'article 3 de la loi après l'article 8 de l'ordonnance n° 45-2658 du 2 novembre 1945 relative aux conditions d'entrée et de séjour des étrangers en France.
Le nouvel article 8-1 de l'ordonnance permet aux services de police et aux unités de gendarmerie de retenir le passeport ou le document de voyage des personnes de nationalité étrangère en situation irrégulière. Le Conseil constitutionnel a rejeté les griefs dirigés contre ces dispositions au bénéfice des considérations et sous les réserves d'interprétation suivantes.
Il a, en premier lieu, indiqué, comme il l'avait fait dans la décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, que si le législateur peut prendre à l'égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle, parmi lesquels figurent la liberté d'aller et venir et la liberté du mariage, reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République.
Il a, en second lieu, relevé que la disposition critiquée, dont le seul objet est de garantir que l'étranger en situation irrégulière sera en possession du document permettant d'assurer son départ effectif du territoire national, ne saurait en aucune façon faire obstacle en particulier à l'exercice par l'étranger du droit de quitter le territoire national, composante de la liberté d'aller et venir. En conséquence, l'autorité administrative devra, à toute demande de l'étranger de restitution du document retenu en vue de son départ effectif du territoire national, lui remettre sans délai ledit document, au lieu où il quittera le territoire.
Par ailleurs, le récépissé remis à l'étranger doit lui permettre d'exercer les libertés et droits qui ne sont pas subordonnés à la régularité de son séjour.
Enfin, le Conseil constitutionnel a rappelé que la retenue du document est soumise au contrôle du juge administratif, auquel il appartiendra le cas échéant de vérifier si sa durée est strictement proportionnée aux besoins de l'autorité administrative et qui pourra, s'il y a lieu, prononcer un sursis à exécution.
Les deux premiers alinéas de l'article 8-2 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 instaurent, dans une zone géographique comprise entre la frontière terrestre de la France avec les Etats parties à la Convention de Schengen et une ligne tracée à 20 kilomètres en deçà, une procédure de visite sommaire de certains véhicules.
Reprenant une démarche usuelle, le Conseil constitutionnel s'est attaché à vérifier que le législateur avait assuré la conciliation entre la recherche des auteurs d'infractions, objectif de nature constitutionnelle, et l'exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties, au nombre desquelles figure la liberté individuelle.
Il résulte de la présente décision, dans la droite ligne des précédentes (n° 76-75 DC du 12 janvier 1977 et n° 94-352 du 18 janvier 1995), que la possibilité de procéder à la fouille de véhicules doit être entourée de garanties effectives, faute de quoi serait porté atteinte à la liberté individuelle. Au cas présent, des garanties procédurales substantielles entourent le déroulement de la visite sommaire, du champ de laquelle sont en toute hypothèse exclues les voitures particulières : en premier lieu, il s'agit d'une opération de police judiciaire qui obéit aux règles de procédure pénale ; en deuxième lieu, l'accord du conducteur est nécessaire ; au cas contraire, le procureur de la République doit autoriser la visite en cause ; en troisième lieu, la durée de la visite, à laquelle assiste le conducteur, est limitée au temps strictement nécessaire, un exemplaire du procès-verbal établi étant remis au conducteur.
Eu égard à ces différentes garanties et sous une réserve d'interprétation (le conducteur du véhicule doit pouvoir aviser toute personne de son choix), les dispositions en cause ont été considérées comme conformes à la Constitution. Il en va de même s'agissant de l'application des dispositions susvisées au département de la Guyane, compte tenu notamment de sa situation en matière d'immigration clandestine.
Etait également critiqué par les saisissants l'article 8-3 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 ; en application du premier alinéa de cette disposition, est instauré le relevé des empreintes digitales des personnes qui sollicitent la délivrance d'un titre de séjour, sont en situation irrégulière ou font l'objet d'une mesure l'éloignement du territoire français, lesdites empreintes pouvant faire l'objet d'un traitement automatisé, dans les conditions prévues par la loi du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Ces mesures de police administrative ont été considérées par le Conseil constitutionnel comme ne portant pas d'atteinte excessive à la liberté individuelle, de nature à méconnaître la Constitution.
Par ailleurs, le second alinéa de l'article 8-3 prévoyait la possibilité, pour des agents expressément habilités des services du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale, de consulter les données du fichier automatisé des empreintes digitales géré par le ministère de l'intérieur et celles du fichier informatisé des empreintes digitales des demandeurs du statut de réfugié, en vue d'identifier un étranger qui n'a pas justifié des pièces sous couvert desquelles il est autorisé à circuler en France ou n'a pas présenté les documents, ni fourni les renseignements nécessaires à l'exécution d'une mesure d'éloignement du territoire.
Après avoir rappelé qu'il incombe au législateur d'assurer en toutes circonstances l'ensemble des garanties légales que comporte l'exigence constitutionnelle posée par le quatrième alinéa du préambule de la Constitution de 1946, le Conseil constitutionnel a considéré que, parmi les garanties essentielles du droit d'asile, figure la confidentialité des éléments d'information détenus par l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides. Le Conseil en a déduit que la possibilité donnée à des agents des services du ministère de l'intérieur et de la gendarmerie nationale d'accéder au fichier des empreintes digitales détenu par l'OFPRA privait d'une garantie légale une exigence de valeur constitutionnelle. Il a, en conséquence, déclaré partiellement contraire à la Constitution le second alinéa de l'article 8-3.
S'inscrivant dans la jurisprudence fixée par la décision précitée du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a ainsi réaffirmé la protection étendue dont doit bénéficier le droit d'asile.
Etaient ensuite critiqués par les requérants les articles 4 et 5 de la loi, qui modifient l'ordonnance du 2 novembre 1945 et prévoient que la carte de séjour temporaire ou la carte de résident d'un étranger peut lui être retirée par l'autorité administrative, s'il méconnaît les dispositions de l'article L. 341-6 du code du travail. Ces dispositions étaient arguées d'inconstitutionnalité au regard notamment de l'article 66 de la Constitution, ainsi que des articles 8 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.
Le Conseil constitutionnel a d'abord rappelé, dans des termes analogues à ses précédentes décisions (n° 82-248 DC du 17 janvier 1989 et n° 89-260 DC du 28 juillet 1989), les conditions auxquelles est subordonnée la constitutionnalité de dispositions législatives instituant des sanctions administratives : la sanction doit être exclusive de toute privation de liberté ; elle doit s'accompagner de mesures destinées à assurer les droits et les libertés constitutionnellement garantis, et respecter en particulier, à l'instar des sanctions pénales, le principe de la légalité des délits et des peines, celui de la nécessité des peines, celui de la non-rétroactivité de la loi d'incrimination plus sévère et celui des droits de la défense.
Le manquement aux obligations posées par l'article L. 341-6 du code du travail étant d'ores et déjà sanctionné sur le plan pénal, il s'est ensuite attaché à vérifier si l'institution par le législateur d'un régime cumulatif de sanctions pénales et administratives répondait à l'exigence de la nécessité des peines.
Cette vérification l'a conduit à faire application d'une jurisprudence dégagée dans la décision n° 86-215 DC du 3 septembre 1986 à propos des sanctions pénales, en vérifiant, au cas d'espèce, si les sanctions administratives n'étaient pas entachées, compte tenu des sanctions pénales le cas échéant applicables, d'une disproportion manifeste. A défaut d'une telle disproportion, il a rappelé qu'il ne lui appartenait pas de substituer sa propre appréciation à celle du législateur en ce qui concerne la nécessité des sanctions. Il a donc écarté le grief.
Enfin, s'agissant du grief tenant à la violation des droits de la défense, motif pris du silence de la loi sur la procédure applicable au prononcé des sanctions nouvellement instaurées, le Conseil a indiqué que le principe constitutionnel des droits de la défense s'impose à l'autorité administrative, même dans le silence de la loi.
L'article 6 de la loi qui modifie les conditions dans lesquelles est délivrée de plein droit la carte de séjour temporaire fixées par l'article 12 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945 était également argué d'inconstitutionnalité. Il s'agit des diverses mesures improprement qualifiées de " régularisation " de la situation de certaines catégories d'étrangers.
Dans tous les cas, la délivrance d'une telle carte est subordonnée à la condition que la présence de l'intéressé sur le territoire ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Comme il en avait décidé dans sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a estimé que cette condition n'était pas contraire à la Constitution, dès lors qu'aucune règle de valeur constitutionnelle n'assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d'accès et de séjour sur le territoire national et que par ailleurs la sauvegarde de l'ordre public constitue un objectif à valeur constitutionnelle.
S'agissant de la prohibition de la délivrance d'une carte de séjour à l'étranger " qui vit en état de polygamie ", le Conseil constitutionnel a précisé que cette restriction n'était applicable qu'aux étrangers vivant en France dans cet état. Aux requérants, qui faisaient valoir que l'état de polygamie ne saurait être opposé aux femmes (qui, le plus souvent, le subissent), le Conseil constitutionnel a répondu que, s'agissant de la constatation d'une situation objective, il ne saurait être opéré, pour l'application de cette disposition, de différence entre les hommes et les femmes.
Le 4° de l'article 12 bis était critiqué en tant qu'il soumet la délivrance d'une carte de séjour temporaire au conjoint d'un ressortissant français à la condition que le mariage ait été contracté depuis au moins un an et que la communauté de vie des époux n'ait pas cessé. Compte tenu des objectifs d'intérêt public que s'est assignés le législateur, cette double condition n'a pas été regardée par le Conseil comme portant une atteinte excessive au droit à une vie familiale normale.
Le Conseil constitutionnel, en revanche, a formulé une réserve d'interprétation en ce qui concerne le 5° de l'article 12 bis qui subordonne la délivrance d'une carte de séjour temporaire au père et à la mère d'un enfant de moins de seize ans à la condition que celui-ci subvienne effectivement aux besoins de son enfant. Pour ne pas porter atteinte au droit de l'étranger à une vie familiale normale, doit être regardé comme satisfaisant à cette condition le père ou la mère " qui a pris les mesures nécessaires, compte tenu de ses ressources, pour assurer l'entretien de l'enfant ". C'est dire que cette condition ne doit pas être comprise dans une acception strictement matérielle et qu'en tout état de cause doivent être prises en considération par l'administration et, le cas échéant, par le juge, les ressources financières de l'intéressé.
Cette disposition était également critiquée par les requérants au regard du principe constitutionnel d'égalité. Selon eux, en effet, rien ne justifiait la distinction entre les parents d'enfants de moins de seize ans et les parents d'enfants ayant entre seize et dix-huit ans. Tel n'a pas été le point de vue du Conseil constitutionnel pour qui une telle différence de traitement se justifie par une différence de situation : d'une part, en effet, les enfants de plus de seize ans sont dotés d'une plus grande autonomie en se trouvant notamment dégagés de l'obligation scolaire ; d'autre part, la nouvelle législation sur la nationalité ouvre la possibilité aux enfants de seize ans d'acquérir la nationalité française par simple déclaration et ce quelle que soit l'attitude adoptée par leurs parents et la situation de ces derniers.
L'article 7 de la loi a fait l'objet d'une censure importante. Dans la rédaction soumise au Conseil, il soumettait le renouvellement de la carte de résident aux étrangers à une nouvelle condition : que leur présence sur le territoire ne constitue pas une menace pour l'ordre public.
Le Conseil a d'abord rappelé que, si le législateur peut, s'agissant de l'entrée et du séjour des étrangers, prendre des dispositions spécifiques destinées, notamment, à assurer la sauvegarde de l'ordre public, qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, il lui appartient de concilier cet objectif avec les libertés et droits fondamentaux reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République. Il a ensuite déduit du dixième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 (" La Nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ") que les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale et que les méconnaissances graves du droit au respect de leur vie privée sont, pour les étrangers comme pour les nationaux, de nature à porter atteinte à leur liberté individuelle.
Or la disposition critiquée rompait l'équilibre que la Constitution impose au législateur d'assurer entre les nécessités de l'ordre public et le droit au respect de la vie privée et familiale. En effet, observe en premier le Conseil constitutionnel, l'étranger qui sollicite le renouvellement de sa carte de résident peut se prévaloir d'une présence régulière sur le territoire français d'une durée de dix ans au moins. Dans la mesure où une telle stabilité est " de nature à avoir fait naître entre l'étranger et le pays d'accueil des liens multiples ", une simple menace pour l'ordre public ne saurait suffire à fonder un refus de renouvellement de la carte de résident. Quant à la menace grave pour l'ordre public elle autorise, rappelle en second lieu le Conseil, le préfet à procéder à tout moment à l'expulsion de l'étranger.
L'article 8 de la loi supprime la commission du séjour des étrangers que le préfet était tenu de consulter lorsqu'il envisageait de refuser un titre de séjour à certaines catégories d'étrangers. Les requérants soutenaient que cette suppression portait atteinte aux droits de la défense des intéressés, dès lors que cette commission, composée de magistrats, était le seul organe devant lequel l'étranger pouvait bénéficier d'un débat contradictoire. Conformément à une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel se borne à constater que le législateur est en droit, dans son domaine de compétence, d'abroger des dispositions législatives antérieurement promulguées, sous réserve de ne pas priver de garanties légales des principes de valeur constitutionnelle. L'espèce ne contrevient pas à cette règle puisque l'article 8 de la loi se borne à modifier une procédure administrative purement consultative et ne porte pas atteinte aux garanties juridictionnelles de droit commun.
Les dispositions des 1°, 2° et 6° de l'article 13 de la loi déférée, qui modifient l'article 35 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, étaient également critiquées.
Le 1° de l'article 13 permet de placer de nouveau en rétention administrative un étranger qui, ayant fait l'objet d'une décision de maintien au titre de l'un des cas visés aux 1° à 3° de l'article 35 bis de l'ordonnance, n'a pas déféré à la mesure d'éloignement dont il est l'objet dans un délai de sept jours suivant le terme du précédent maintien. Les requérants relevaient, à l'encontre de cette disposition, qu'aucune limitation dans le temps n'était prévue et que le nombre de placements successifs en rétention administrative pouvait être illimité.
Le Conseil constitutionnel a admis la conformité à la Constitution, sous plusieurs réserves d'interprétation, de la disposition en cause. Eu égard aux exigences de l'ordre public, il n'est pas porté d'atteinte excessive à la liberté individuelle dès lors que le législateur "doit être regardé comme n'ayant autorisé qu'une seule réitération d'un maintien en rétention, dans les seuls cas où l'intéressé s'est refusé à déférer à la mesure d'éloignement prise à son encontre". Par ailleurs, le Conseil a précisé qu'il incombera à l'administration, sous le contrôle du juge, de prendre en compte les changements de fait et de droit susceptibles d'être intervenus dans la situation de l'étranger entre la première décision de maintien en rétention et la seconde.
Le 2° de l'article 13 a pour objet de prolonger de 24 à 48 heures le délai au terme duquel le juge judiciaire doit être saisi en cas de décision de maintien en rétention administrative et de réduire de six à cinq jours le délai supplémentaire de maintien que son ordonnance peut ouvrir. Il a été considéré comme respectant les exigences posées par l'article 66 de la Constitution. Il convient de rappeler à cet égard que, dans sa décision n° 79-109 DC du 9 janvier 1980, le Conseil constitutionnel avait jugé que, s'agissant de la procédure de placement en rétention administrative, "la liberté individuelle ne peut être tenue pour sauvegardée que si le juge intervient dans le plus court délai possible", et considéré que la disposition qui subordonnait à la décision du juge le maintien en rétention au-delà de 48 heures était conforme à la Constitution.
Il a également estimé que la modification du délai de saisine du juge judiciaire ne fait pas en elle-même obstacle au droit de l'étranger de contester la décision administrative qui l'oblige à quitter le territoire national. Il a en conséquence écarté le grief relatif aux atteintes qui auraient été portées au droit des étrangers d'exercer un recours effectif contre ces arrêtés.
Etait enfin argué d'inconstitutionnalité le 6° de l'article 35 bis de l'ordonnance. Celui-ci permet au procureur de la République de demander au premier président de la cour d'appel ou à son délégué, saisi d'un appel formé par le préfet ou le ministère public contre les ordonnances du président du tribunal de grande instance ou de son délégué refusant la prolongation du maintien en rétention (éventuellement en assortissant ce refus d'une assignation à résidence), de donner un effet suspensif à l'appel.
Selon la disposition contestée, dans l'hypothèse où il lui apparaît que l'intéressé ne dispose pas de garanties de représentation effectives, le premier président ou son délégué décide sans délai s'il y a lieu de donner un effet suspensif à l'appel, au vu des pièces du dossier, par une ordonnance non motivée et insusceptible de recours. L'intéressé est maintenu à la disposition de la justice jusqu'à ce que cette ordonnance soit rendue et, si celle-ci donne un effet suspensif à l'appel, jusqu'à ce qu'il soit statué sur le fond.
Le Conseil constitutionnel a dans un premier temps posé le principe selon lequel il résulte de l'article 66 de la Constitution que, lorsqu'un magistrat du siège a décidé, par une décision juridictionnelle, qu'une personne doit être mise en liberté, il ne peut être fait obstacle à cette décision, même dans l'attente de la décision du juge d'appel. Il a ensuite combiné ce principe avec deux autres règles qu'il avait précédemment dégagées : d'une part (n° 80-127 DC des 19 et 20 janvier 1981 et n° 86-213 DC du 3 septembre 1986), il est loisible au législateur de prévoir des règles de procédure susceptibles de varier en fonction des faits, des situations et des personnes auxquelles elles s'appliquent, à la condition toutefois que ces différences ne procèdent pas de discriminations injustifiées et que des garanties égales soient assurées aux justiciables ; d'autre part, (n° 93-323 DC du 5 août 1993 et n° 93-326 DC du 11 août 1993), l'autorité judiciaire comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet.
Au cas d'espèce, le Conseil constitutionnel a recensé l'ensemble des spécificités et garanties procédurales caractérisant la procédure instaurée. Il a ainsi souligné le rôle particulier dévolu au ministère public, la possibilité d'user de la procédure dans la seule hypothèse où l'étranger ne dispose pas de garanties de représentation effectives, l'intention du législateur étant d'assurer son maintien à la disposition de la justice ; il a également relevé que seul un magistrat du siège peut décider de donner à l'appel un effet suspensif, la saisine du premier président de la cour d'appel étant par ailleurs réalisée dès le prononcé de l'ordonnance du président du tribunal de grande instance et sa décision étant rendue sans délai ; par ailleurs, le Conseil a rappelé que l'article critiqué prévoit que le premier président se prononce au vu des pièces du dossier, parmi lesquelles figurent celles nécessaires à l'appréciation des garanties de représentation, sa décision étant limitée à cette seule appréciation.
Eu égard à ces caractéristiques, il a considéré que la disposition contestée n'était pas contraire à la Constitution.
Le Conseil s'est ensuite prononcé sur l'article 17 de la loi qui élargit le champ d'application de la rétention judiciaire prévue par l'article 132-70-1 du code pénal : si l'étranger est reconnu coupable de certaines infractions à la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers, le tribunal peut ajourner le prononcé de la peine en plaçant l'étranger sous le régime de la rétention judiciaire pour une durée de trois mois au plus, en lui enjoignant de présenter à l'autorité administrative compétente les documents de voyage permettant l'exécution de la mesure d'éloignement qui le vise ou de communiquer les renseignements permettant cette exécution.
Conformément à sa décision du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a rappelé que la rétention judiciaire n'est pas une peine et a donc écarté le grief tiré de la violation du principe de la nécessité des peines.
Il a estimé en outre qu'il n'y avait pas de rupture d'égalité entre les étrangers qui pouvaient précédemment se voir appliquer la rétention judiciaire et ceux à l'encontre desquels elle va désormais pouvoir être mise en oeuvre, dans la mesure où ils sont tous reconnus coupables d'infraction à la législation sur l'entrée et le séjour des étrangers et où ils sont tous visés par une mesure d'éloignement.
Etait également contesté l'article 18 de la loi, qui complète l'article 78-2 du code de procédure pénale en rendant possible, dans une zone comprise entre les frontières terrestres ou le littoral du département de la Guyane et une ligne tracée à 20 kilomètres en-deçà, le contrôle de l'identité de toute personne, selon les modalités prévues au premier alinéa de cet article, en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévus par la loi. Ces nouveaux contrôles d'identité, dont les conditions répondent aux exigences déjà posées par le Conseil dans la décision n° 93-323 DC du 5 août 1993, ont été considérés comme conformes à la Constitution..
En dernier lieu, les saisissants contestaient la conformité à la Constitution de l'article 19 de la loi.
Cet article insère dans le code de procédure pénale un article 78-2-1 qui permet aux officiers de police judiciaire et à certains agents de police judiciaire d'entrer dans des lieux à usage professionnel et dans leurs annexes, sauf s'ils constituent un domicile, sous certaines conditions et avec des pouvoirs limitativement énumérés dans le but de rechercher et de poursuivre les infractions aux articles L. 324-9 et L. 341-6 du code du travail.
Le Conseil constitutionnel, ainsi saisi d'un nouveau cas d'entrée dans des lieux privés à usage professionnel, s'est attaché à vérifier si étaient réunies les garanties qui doivent entourer la réalisation de telles opérations, comme il l'avait déjà fait pour d'autres procédures de visites et perquisitions dans ses décisions n° 83-164 DC du 29 décembre 1983, n° 84-184 DC du 29 décembre 1984 et n° 90-281 DC du 27 décembre 1990.
Eu égard à la nécessité de lutter contre le travail illégal, le législateur, a estimé le Conseil, a pu prévoir la possibilité de telles visites, dès lors qu'il les subordonnait à des réquisitions écrites du procureur de la République, prises pour une durée maximum d'un mois, précisant les lieux dans lesquels les contrôles se dérouleront et les infractions recherchées, qu'il exigeait que ces réquisitions soient présentées à la personne disposant des lieux ou à son représentant et qu'il imposait la rédaction d'un procès-verbal, étant relevé enfin que, s'agissant d'opérations de police judiciaire, leur déroulement se trouvait placé sous la direction du procureur, auquel il revient d'en suivre effectivement le cours.