• Commentaire QPC

Commentaire de la décision 96-381 DC

18/02/2023

A la suite du vote de la révision constitutionnelle du 22 février 1996 instituant les lois de financement de la Sécurité sociale et de la loi organique du 23 juillet 1996 prise pour son application, les deux assemblées ont été conduites à modifier leurs règlements respectifs. Elles ont profité de l'occasion pour tirer les conséquences sur la procédure parlementaire du vote d'une loi modifiant l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires et tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement, afin, notamment, d'autoriser les commissions permanentes ou spéciales à disposer de pouvoirs reconnus aux seules commissions d'enquête.

En ce qui concerne la procédure relative aux lois de financement de la Sécurité sociale, les deux assemblées devaient mettre en oeuvre des règles d'irrecevabilité prévues par la loi organique du 23 juillet 1996, celle-ci ayant en effet entendu proscrire les " cavaliers sociaux ", c'est-à-dire les dispositions hors du champ des lois de financement de la Sécurité sociale tel que défini par l'antépénultième alinéa de l'article 34 de la Constitution et l'article L.O. 111-3 du code de la Sécurité sociale.

Les deux chambres ont choisi de transposer à la recevabilité sociale les dispositions de leurs règlements applicables à la recevabilité financière des amendements, la commission des affaires sociales du Sénat exerçant toutefois les responsabilités qui sont en matière financière dévolues à la commission des finances.

Le Conseil constitutionnel a considéré que cette transposition était conforme à la Constitution. Le Sénat ayant par ailleurs prévu que seraient appliquées aux propositions de loi déposées par les sénateurs les règles de recevabilité relatives aux amendements au regard du domaine des lois de financement de la Sécurité sociale, le Conseil constitutionnel a jugé que cette disposition n'était pas contraire à la Constitution, dès lors qu'elle doit être entendue sans préjudice de l'application d'une autre disposition du règlement imposant un contrôle de recevabilité systématique des propositions de loi par le Bureau du Sénat -ou certains de ses membres désignés par lui à cet effet- et antérieur à l'engagement de la procédure législative.

En ce qui concerne l'élargissement des pouvoirs d'information du Parlement, il revenait aux assemblées de tirer les conséquences du nouvel article 5 ter de l'ordonnance n° 58-1100 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires en vertu duquel les commissions permanentes ou spéciales peuvent demander à l'assemblée à laquelle elles appartiennent, pour une mission déterminée et une durée n'excédant pas six mois, de leur conférer les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête définies par l'article 6 de cette ordonnance, dans les conditions et limites fixées par cet article.

Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution les solutions retenues par les deux assemblées sous trois réserves, la dernière n'intéressant que le Sénat.

  • La première réserve, conforme à une jurisprudence traditionnelle en la matière (décisions n° 59-2 DC des 17, 18 et 24 juin 1959 et n° 90-275 DC du 6 juin 1990) a limité les pouvoirs d'enquête reconnus aux commissions permanentes et spéciales à l'exercice d'un simple rôle d'information des assemblées auxquelles elles appartiennent, pour permettre à chacune de ces dernières d'exercer, dans les conditions prévues par la Constitution, son contrôle sur la politique du Gouvernement ;
  • La seconde réserve, qui limite la durée d'exercice par une commission spéciale de pouvoirs d'enquête à la durée d'examen par le Parlement du texte qui a provoqué sa création nécessite quelques explications. L'article 5 ter de l'ordonnance précitée, en prévoyant que les commissions permanentes et spéciales pourront exercer les compétences reconnues aux commissions d'enquête par l'article 6 de cette ordonnance, dans les conditions et limites prévues par cet article, a implicitement transposé la règle limitant leur durée à six mois. Pour appliquer l'article 5 ter, les règlements de l'Assemblée nationale et du Sénat ont été conduits à rappeler cette durée de six mois. Conformes à l'ordonnance n° 58-1100, les modifications l'étaient-elles pour autant à la Constitution ? Pour répondre à une telle question le Conseil a certes tout d'abord rappelé que la conformité à la Constitution des règlements des assemblées parlementaires doit s'apprécier au regard tant de la Constitution elle-même que des lois organiques prévues par celle-ci ainsi que des mesures législatives prises, en vertu du premier alinéa de l'article 92 de la Constitution alors en vigueur, pour la mise en place des institutions et qu'entre dans cette dernière catégorie l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ainsi que les modifications apportées par la loi à ladite ordonnance, postérieurement au 4 février 1959. Mais il a toutefois précisé que ces dernières ne s'imposent à une assemblée parlementaire lorsqu'elle modifie ou complète son règlement qu'autant qu'elles sont conformes à la Constitution. La loi du 14 juin 1996 tendant à élargir les pouvoirs d'information du Parlement et à créer un office parlementaire d'évaluation des politiques publiques n'avait pas été, rappelons-le, soumise au Conseil constitutionnel.

En s'appuyant sur le 1er alinéa de l'article 43 de la Constitution aux termes duquel " les projets et propositions de loi sont, à la demande du Gouvernement ou de l'assemblée qui en est saisie, envoyés pour examen à des commissions spécialement désignées à cet effet ", le Conseil a pu en déduire que ces commissions cessent d'exister lorsque le Parlement s'est définitivement prononcé sur le texte qui a provoqué leur création ou lorsque ce dernier a été retiré. Dès lors, a considéré le Conseil, la durée maximale de six mois prévue dans les règlements des deux chambres ne saurait être entendue comme leur permettant de poursuivre leurs travaux au-delà de la date de la décision définitive du Parlement sur le texte qui a provoqué leur création ou de la date de retrait de ce dernier.

  • La troisième réserve, n'intéressant que le Sénat, consiste à préciser que l'ensemble des dispositions de l'article 6 de l'ordonnance doit s'appliquer à une commission permanente ou spéciale lorsqu'elle exerce les compétences d'une commission d'enquête. Le Conseil constitutionnel a en effet considéré qu'une telle précision résultait directement de l'article 5 ter de l'ordonnance qui dispose que les prérogatives des commissions d'enquête susceptibles d'être conférées aux commissions permanentes ou spéciales doivent l'être " dans les conditions et limites " prévues par ledit article 6. Or, si l'Assemblée nationale a jugé nécessaire de calquer l'intégralité du régime applicable aux commissions d'enquête, à l'exception de la procédure constitutive, ce n'est pas la solution qu'avait retenu le Sénat, les travaux préparatoires ne laissant à cet égard aucun doute sur ses intentions. C'est à cette interprétation des termes de l'ordonnance que répond donc la réserve du Conseil constitutionnel.