Conformité - réserve
Décision n° 2025-1129 QPC du 28 mars 2025
M. Rachadi S.
(Démission d’office d’un conseiller municipal ayant été condamné à une peine complémentaire d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire)
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 3 janvier 2025 par le Conseil d’État (décision n° 498271 du 27 décembre 2024) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Rachadi S. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du 1° de l’article L. 230 du code électoral et de l’article L. 236 du même code, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2001-1248 du 21 décembre 2001 relative aux chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes.
Dans sa décision n° 2025–1129 QPC du 28 mars 2025, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme, sous une réserve d’interprétation, le renvoi opéré au sein de l’article L. 236 du code électoral1, dans cette rédaction, au 1° de l’article L. 230 du même code.
I. – Les dispositions renvoyées
A. – Objet des dispositions renvoyées
Selon l’article L. 44 du code électoral, « Tout Français et toute Française ayant la qualité d’électeur peut faire acte de candidature et être élu, sous réserve des cas d’incapacité ou d’inéligibilité prévus par la loi ».
Les cas d’inéligibilités sont d’abord liés à l’exercice de fonctions ou d’activités dont le législateur estime qu’elles sont objectivement susceptibles d’altérer le choix de l’électeur ou l’indépendance du candidat2.
L’inéligibilité peut également constituer une sanction prononcée, selon les cas, par le juge électoral à l’encontre d’un élu ou du candidat à une élection à la suite de manquements à des règles du droit électoral3 ou par le juge pénal à titre de peine complémentaire4.
1. – Le régime applicable à la peine d’inéligibilité
De longue date, la loi reconnaît au juge pénal la possibilité de prononcer, à titre de peines complémentaires5, des peines privatives ou restrictives de droits. En ce sens, l’article 131-10 du code pénal dispose, depuis l’entrée en vigueur du nouveau code pénal, que, « Lorsque la loi le prévoit, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs peines complémentaires qui, frappant les personnes physiques, emportent interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit (…) ».
Au nombre de ces peines complémentaires figurent différentes interdictions susceptibles d’affecter la capacité juridique de la personne condamnée6. Erigées en peines par le code pénal de 1992, ces interdictions ont pour caractéristique commune de poursuivre une double finalité, à la fois rétributive et préventive7.
Parmi ces interdictions, l’interdiction des droits civiques, civils et de famille8 est prévue à l’article 131-26 du code pénal. Elle peut notamment entraîner la privation du droit de vote (1° de l’article 131-26) et du droit d’être élu (2°).
La juridiction pénale, qui peut prononcer l’interdiction de tout ou partie des droits visés à l’article 131-269, ne peut la prononcer qu’à titre temporaire10 : sa durée ne peut excéder dix ans en cas de condamnation pour crime et cinq ans en cas de condamnation pour délit.
a. – Une peine complémentaire à caractère obligatoire
* La peine d’inéligibilité, qui peut être prononcée en application du 2° de l’article 131-26 du code pénal, était initialement prévue à titre facultatif dans les cas où elle était encourue à titre de peine complémentaire.
– La loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique11 en a d’abord fait, de manière dérogatoire, une peine complémentaire obligatoire en cas de condamnation pour certaines infractions à la probité12 : atteintes à l’administration publique commises par des personnes exerçant une fonction publique, d’une part13, et atteintes à l’administration publique par les particuliers, d’autre part14.
Il s’agissait ainsi de « rendre le prononcé de l’inéligibilité plus systématique »15, « de faire en sorte que la peine complémentaire d’inéligibilité soit appliquée plus fréquemment en cas de condamnation pénale pour manquement à la probité »16.
– La loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 pour la confiance dans la vie politique a ensuite étendu cette peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité à tout crime et à un nombre accru de délits dépassant le seul périmètre des délits à la probité17. La liste de ces délits figure au paragraphe II de l’article 131-26-2 du code pénal ainsi créé.
Saisi de la constitutionnalité de ces dispositions, qu’il a admise sous une réserve d’interprétation et après avoir censuré leur application à certains délits de presse, le Conseil constitutionnel a relevé que le législateur entendait, ce faisant, « renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants » et qu’il avait « ainsi retenu, d’une part, l’ensemble des crimes et certains délits d’une particulière gravité et, d’autre part, des délits révélant des manquements à l’exigence de probité ou portant atteinte à la confiance publique ou au bon fonctionnement du système électoral »18.
La durée maximale de l’inéligibilité prononcée a, à cette occasion, été portée à dix ans en matière délictuelle, dans les cas prévus par la loi, « pour la personne exerçant une fonction de membre du Gouvernement ou un mandat électif public au moment des faits »19, la condamnation étant mentionnée au bulletin n° 2 du casier judiciaire pendant toute la durée de l’inéligibilité20.
* « Obligatoire mais pas automatique » comme le relevaient dès 2016 les débats parlementaires21, la peine doit être prononcée par le juge, lequel demeure libre, dans les limites fixées par la loi, d’en moduler la durée.
Le paragraphe III de l’article 131-26-2 du code pénal prévoit en outre que « la juridiction peut, par une décision spécialement motivée, décider de ne pas prononcer la peine (…), en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur »22.
Il se déduit de cet article et de l’article 485-1 du code de procédure pénale (CPP), selon lequel la motivation doit également porter sur le choix de la peine « sauf s’il s’agit d’une peine obligatoire », que le juge pénal n’est plus tenu de motiver son choix de prononcer cette peine complémentaire d’inéligibilité23. Seul le choix inverse de ne pas la prononcer doit être spécialement motivé, conformément aux dispositions de l’article 131-26-2 du code pénal.
b. – Une peine complémentaire susceptible d’exécution provisoire
* Alors que les décisions de justice en matière civile sont exécutoires par provision24 – sauf la faculté pour les parties de saisir en référé le premier président de la cour d’appel en arrêt de cette exécution provisoire25 –, le principe est inverse en matière pénale.
Ainsi, aux termes du premier alinéa de l’article 708 du CPP, « L’exécution de la ou des peines prononcées à la requête du ministère public a lieu lorsque la décision est devenue définitive ». Corrélativement, l’appel des jugements rendus en matière correctionnelle a, en principe, un caractère suspensif26. Il en va de même concernant les peines alternatives et complémentaires prononcées en matière criminelle par la cour d’assises27.
Cependant, par dérogation, le législateur a prévu que l’exécution provisoire peut être ordonnée pour un certain nombre de peines alternatives et complémentaires.
Alors qu’elle était initialement conçue comme une faculté essentiellement limitée aux cas où est prononcé une peine d’emprisonnement ferme28 ou avec sursis en matière correctionnelle29 (la condamnation à une peine de réclusion criminelle valant quant à elle automatiquement titre de détention), l’exécution provisoire a été étendue à un plus grand nombre de peines par la loi n° 83-466 du 10 juin 198330.
Le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, M. Raymond Forni, expliquait ce choix par le constat que l’impossibilité dans laquelle pouvait se trouver le juge d’ordonner l’exécution provisoire des peines dites de « substitution », prévues alors par les articles 43-1 à 43-4 du code pénal – au nombre desquelles figurait l’interdiction des droits civiques, civils et de famille –, « constitu[ait] un obstacle à leur application qui conduit souvent le tribunal à leur préférer une peine d’emprisonnement »31.
En application du quatrième alinéa de l’article 471 du CPP, « Les sanctions pénales prononcées en application des articles 131-4-1 à 131-11 et 132-25 à 132–70 du code pénal peuvent être déclarées exécutoires par provision »32.
Il en va ainsi, notamment, du travail d’intérêt général ou du suivi de certains stages, de la détention à domicile, du sursis assortissant l’emprisonnement, des suspensions ou interdictions touchant les permis de conduire ou les véhicules, des interdictions de fréquenter certaines personnes ou lieux, d’exercer une profession ou de gérer certains biens, et des confiscations. Il en va également de l’ensemble des peines privatives ou restrictives de droits de l’article 131-10 du code pénal, dont l’interdiction des droits civiques, civils et de famille en général.
À ce titre, le juge pénal a donc la faculté d’assortir de l’exécution provisoire la peine d’inéligibilité prévue à l’article 131-26, lorsqu’il la prononce.
Cette exécution provisoire doit être expressément ordonnée par le juge qui, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, n’est pas tenu d’en motiver le choix33.
* Saisie à plusieurs reprises depuis 2018 de la constitutionnalité du quatrième alinéa de l’article 471 du CPP34, et notamment de l’absence de procédure permettant une telle suspension de l’exécution provisoire35, la Cour de cassation a, avec constance, refusé de renvoyer au Conseil des QPC dirigées contre ces dispositions après avoir écarté les griefs, qu’elle n’a pas jugés sérieux, tirés de la méconnaissance des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 (ensemble l’article 66 de la Constitution)36, des droits de la défense et du droit à un recours juridictionnel effectif37, comme de la présomption d’innocence, du droit d’éligibilité, de la séparation des pouvoirs, du principe de libre administration des collectivités locales et de la compétence que le législateur tire de l’article 34 de la Constitution38 .
En ce sens, dans un arrêt du 18 décembre 202439, elle a relevé :
– « [D]’une part, la faculté pour la juridiction d’ordonner l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité répond à l’objectif d’intérêt général visant à favoriser, en cas de recours, l’exécution de la peine et à prévenir la récidive » ;
– « D’autre part, une telle condamnation peut faire l’objet, selon le cas, d’un recours devant la cour d’appel ou la Cour de cassation » ;
– « Enfin, l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité ne peut être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation ».
2. – Les effets de la peine d’inéligibilité
a. – L’incidence sur l’éligibilité à une fonction publique élective
En privant la personne condamnée du droit d’éligibilité, la peine d’inéligibilité a, pour premier effet (direct) de faire obstacle à l’enregistrement de toute candidature de l’intéressé et, partant, à son élection à un mandat public40.
L’inéligibilité s’applique à l’ensemble des scrutins à des fonction publiques électives, et est reprise par certaines dispositions spécifiques à chacun d’eux :
– le premier alinéa du paragraphe II de l’article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962, pour l’élection du Président de la République41 ;
– l’article 5 de la loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen, pour les députés européens ;
– l’article L.O. 127 du code électoral, pour les députés ;
– l’article L.O. 296 du même code, pour les sénateurs ;
– l’article L. 340, pour les conseillers régionaux42 ;
– l’article L. 199, pour les conseillers départementaux ;
– le 1° de l’article L. 230 (les premières dispositions objet de la décision commentée) pour les conseillers municipaux.
Ce dernier texte, relatif spécifiquement à l’élection des conseillers municipaux, dispose ainsi que ne peuvent être conseillers municipaux « Les individus privés du droit électoral ».
b. – L’incidence sur les mandats en cours des élus locaux
* La peine d’inéligibilité prononcée a un second effet (indirect) portant sur les mandats électifs en cours des intéressés.
S’agissant des élus locaux, la peine complémentaire d’inéligibilité, même définitive, ne peut par elle-même entraîner la déchéance d’un mandat en cours. Celle-ci découle d’un acte pris par une autorité distincte du juge pénal qui, après avoir constaté la sanction prononcée par ce dernier, vient constater la fin du mandat.
Ainsi, s’agissant des conseillers municipaux43, l’article L. 236 du code électoral (les secondes dispositions objet de la décision commentée) prévoit que « Tout conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans un des cas d’inéligibilité prévus par les articles L. 230, L. 231 et L. 232 est immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet (…) ».
Un acte du préfet est ainsi nécessaire pour démettre de son mandat l’élu local condamné à une peine d’inéligibilité.
L’intéressé a la faculté de former une réclamation au tribunal administratif dans les dix jours de la notification de l’arrêté préfectoral et un recours au Conseil d’État, conformément aux articles L. 249 et L. 250 du code électoral.
Depuis la loi n° 95-125 du 8 février 199544, l’article L. 236 ajoute, dans sa seconde phrase, « Lorsqu’un conseiller municipal est déclaré démissionnaire d’office à la suite d’une condamnation pénale définitive prononcée à son encontre et entraînant de ce fait la perte de ses droits civiques et électoraux, le recours éventuel contre l'acte de notification du préfet n’est pas suspensif ».
Selon l’un des auteurs de l’amendement à l’origine de cette disposition, il s’agit ce faisant de mettre un terme à « la situation qui voit un élu déclaré démissionnaire d’office à la suite d’une condamnation pénale entraînant la perte de ses droits électoraux, mais qui, du simple fait que le recours contre l’acte de notification du préfet mettant fin à ses fonctions est suspensif, peut rester en fonctions jusqu’à ce que le tribunal administratif et le Conseil d’Etat aient statué », situation « à ce point aberrante que l’élu peut être amené à organiser les élections alors que lui-même est radié des listes électorales et inéligible (…) [L]’élu ainsi condamné ne doit pas pouvoir user, de manière artificielle, des délais ouverts par la procédure pour se maintenir en fonctions »45.
* La jurisprudence du Conseil d’État a précisé certaines modalités de mise en œuvre de ces dispositions et, notamment, les conséquences que l’administration doit tirer du prononcé d’une peine complémentaire d’inéligibilité dans le cas où elle est assortie de l’exécution provisoire.
Dans une décision du 20 juin 2012, il a jugé qu’il résulte des articles L. 230 et L. 236 du code électoral que, « dès lors qu’un conseiller municipal ou un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer démissionnaire d’office »46.
Ainsi, que l’inéligibilité résulte d’une condamnation définitive ou d’une condamnation non définitive mais assortie de l’exécution provisoire, le préfet est en situation de compétence liée et le contrôle du juge administratif réduit.
Le Conseil d’État a récemment, dans une décision du 29 mai 202447, confirmé sa jurisprudence en rappelant la compétence liée du préfet en la matière.
* La Cour de cassation comme le Conseil d’État avaient précédemment rejeté les QPC contestant la constitutionnalité de cet article L. 236 du code électoral.
Saisi du cas d’un conseiller municipal définitivement condamné à une peine d’inéligibilité, la Cour de cassation a jugé que la question ne présentait pas de caractère sérieux48, en reprenant pour partie la motivation qu’elle avait déjà développée pour écarter les QPC directement dirigées contre le principe même de l’exécution provisoire des peines prévu à l’article 471 du CPP49.
Saisi du cas d’une conseillère municipale condamnée notamment à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire, dont elle avait fait appel, mais à qui le préfet avait notifié sa démission d’office, le Conseil d’État a, pour sa part, successivement écarté :
– le grief tiré de la méconnaissance de la présomption d’innocence, en relevant que « les dispositions contestées de l’article L. 236 du code électoral n’ont pas pour effet de présumer coupable d’une infraction le conseiller municipal déclaré démissionnaire d’office par le préfet par suite de sa privation du droit électoral, dès lors que, lorsque son inéligibilité résulte d’une condamnation, celle-ci a déjà été prononcée par le juge répressif, y compris lorsqu’une telle condamnation n’est pas définitive et a été déclarée exécutoire par provision » ;
– et celui tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, en jugeant que « Les dispositions de l’article 236 du code électoral, y compris lorsqu’il en est fait application à la suite d’une condamnation déclarée exécutoire par provision, sont par elles-mêmes sans incidence sur la faculté, pour le conseiller municipal ainsi déclaré démissionnaire d’office, de porter devant le juge administratif toute contestation dirigée contre l’arrêté par lequel il a été déclaré démissionnaire d’office ainsi que, en tout état de cause, devant le juge judiciaire pour contester la décision le condamnant à une peine complémentaire de privation de son éligibilité »50.
c. – L’incidence sur les mandats en cours des parlementaires
* En vertu de l’article 26 de la Constitution, les membres du Parlement disposent d’un statut pénal protecteur, en particulier d’une inviolabilité qui, en matière criminelle et correctionnelle, impose, en l’absence de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive, une autorisation du bureau de l’assemblée pour toute arrestation ou toute autre mesure privative ou restrictive de liberté51.
Cette exigence assure l’effectivité de la séparation des pouvoirs.
Sous réserve de certaines particularités procédurales protectrices du mandat parlementaire52, elle ne fait cependant obstacle ni à l’engagement des poursuites ni à ce qu’un parlementaire soit condamné par le juge pénal, durant son mandat, à une peine complémentaire d’inéligibilité.
L’article L.O. 136 du code électoral prévoit à cet égard que « Sera déchu de plein droit de la qualité de membre de l’Assemblée nationale celui (…) qui, pendant la durée de son mandat, se trouvera dans l’un des cas d’inéligibilité prévus par le présent code »53.
Le député ou le sénateur en exercice condamné par une décision judiciaire à une peine de privation de son droit d’éligibilité en application des dispositions de l’article 131-26-2 du code pénal se voit ainsi déchu de son mandat54.
* Au nom de la séparation des pouvoirs, une décision du Conseil constitutionnel est nécessaire pour constater la déchéance de plein droit de son mandat d’un membre de l’Assemblée nationale ou du Sénat ainsi condamné55.
« La déchéance est constatée par le Conseil constitutionnel à la requête du bureau de l’Assemblée nationale ou du garde des sceaux, ministre de la Justice, ou, en outre, en cas de condamnation postérieure à l’élection, du ministère public près la juridiction qui a prononcé la condamnation »56.
Saisi sur le fondement de ces dispositions en tant que « juge de la déchéance », le Conseil constitutionnel subordonne de manière constante une telle déchéance en cas d’inéligibilité prononcée par le juge pénal à l’existence d’une condamnation devenue définitive57.
À trois reprises, le Conseil n’a ainsi pas fait droit à une demande de déchéance dans la mesure où la condamnation dont se prévalait l’autorité saisissante n’était pas encore définitive à la date où il statuait.
– La première concernait la situation de M. Flosse en 2009, dont la condamnation à une peine d’inéligibilité, bien qu’assortie de l’exécution provisoire, avait été frappée d’un pourvoi en cassation58. Le Conseil a alors décidé de surseoir à statuer jusqu’au prononcé de l’arrêt de la Cour de cassation59, avant de dire, par une nouvelle décision faisant suite à l’annulation de la condamnation60, qu’il n’y a lieu de statuer sur la requête, tout en précisant « qu’il appartiendra, le cas échéant, aux autorités mentionnées à l’article L.O. 136 du code électoral de saisir à nouveau le Conseil constitutionnel une fois la procédure devenue définitive »61.
– Le Conseil constitutionnel a suivi le même raisonnement dans sa décision n° 2021-26 D du 23 novembre 2021 pour rejeter la demande de déchéance s’agissant d’une condamnation frappée d’appel62.
– La dernière décision n° 2022-27 D du 16 juin 2022 précitée se situe dans le droit fil de ce précédent dont elle reprend le raisonnement comme la conclusion en rejetant la demande de déchéance63.
B. – Origine de la QPC et question posée
* Élu en juin 2020 conseiller municipal et conseiller communautaire, M. Rachadi S. avait été, par un jugement du 25 juin 2024 du tribunal correctionnel de Mamoudzou, reconnu coupable de prise illégale d’intérêts, soustraction, détournement ou destructions de biens d’un dépôt public et atteinte à la liberté d’accès ou à l’égalité des candidats dans les marchés publics. En répression, il avait été condamné à deux ans d’emprisonnement, dont un an avec sursis, à une amende de 50 000 euros et aux peines complémentaires d’interdiction d’exercer une fonction publique, pour une durée de deux ans, et d’inéligibilité, pour une durée de quatre ans. Ces deux peines complémentaires avaient été assorties par le tribunal de l’exécution provisoire. M. S. avait interjeté appel de ce jugement.
Par un arrêté du 27 juin 2024, le préfet de Mayotte avait déclaré M. S. démissionnaire d’office de ses mandats de conseiller municipal et de conseiller communautaire, en application des articles L. 230 et L. 236 du code électoral, entraînant ainsi également la perte de ses fonctions de maire de la commune.
M. S. avait formé un recours en annulation contre cet arrêté devant le tribunal administratif de Mayotte et posé, à cette occasion, une QPC relative au 1° de l’article L. 230 du code électoral et à l’article L. 236 du même code, tels qu’interprétés par le juge administratif. Faute pour le tribunal d’avoir statué dans le délai spécial de deux mois prescrit par l’article R. 120 du code électoral, M. S. avait porté son recours devant le Conseil d’État en application de l’article R. 121 du même code.
* Dans sa décision précitée du 27 décembre 2024, le Conseil d’État avait d’abord rappelé sa jurisprudence selon laquelle « Il résulte [des] dispositions combinées [des articles L. 230 et L. 236 du code électoral et de l’article 471 alinéa du CPP] que, dès lors qu’un conseiller municipal ou un membre de l’organe délibérant d’un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d’une condamnation devenue définitive ou d’une condamnation dont le juge pénal a décidé l’exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer immédiatement démissionnaire d’office ».
Il avait ensuite considéré que « Le moyen tiré de ce [que les dispositions contestées] portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au droit d’éligibilité, garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et l’article 3 de la Constitution, en tant qu’elles s’appliquent à des élus ayant fait l’objet d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision sur le fondement de l’article 471 du code de procédure pénale, alors que cette sanction n’est pas devenue définitive, soulève une question présentant un caractère sérieux »64.
Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.
II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
A. – Les questions préalables
* Le Conseil d’État n’ayant pas précisé, dans son arrêt de renvoi, la version dans laquelle les dispositions de l’article L. 230 du code électoral étaient renvoyées, il revenait au Conseil constitutionnel de la déterminer lui-même. Conformément à sa jurisprudence habituelle, selon laquelle la QPC doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée, le Conseil a jugé que, en l’espèce, il était saisi de cet article dans sa rédaction, actuellement en vigueur, résultant de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique (paragr. 1)65.
* Le requérant, rejoint par les deux intervenants au soutien de la QPC, considérait que, en prévoyant que doit être immédiatement déclaré démissionnaire d’office le conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité, y compris lorsque le juge pénal en a ordonné l’exécution provisoire, les dispositions renvoyées, telles qu’interprétées par une jurisprudence constante du Conseil d’État, méconnaissaient le droit d’éligibilité.
En ce sens, il faisait valoir que, selon lui, ces dispositions avaient pour effet de priver l’élu concerné de son mandat avant même qu’il ait été statué définitivement sur le recours contre sa condamnation, alors qu’aucune disposition ne garantissait en outre que le juge pénal ait pris en compte toutes les conséquences pour l’élu de l’exécution provisoire de la peine.
Constatant que la critique du requérant portait exclusivement sur « la procédure de démission d’office applicable à un conseiller municipal privé de son droit électoral » (paragr. 5), le Conseil constitutionnel en a déduit que la QPC portait sur le renvoi opéré, au sein de l’article L. 236 du code électoral, au 1° de l’article L. 230 du même code (même paragr.).
* Les deux intervenants qui venaient au soutien de la QPC développaient par ailleurs d’autres griefs entrant dans le champ des dispositions contestées66. L’un d’eux considérait que, pour les mêmes motifs, ces dispositions étaient contraires au droit à un recours juridictionnel effectif.
Tous deux soutenaient par ailleurs que ces dispositions instituaient une différence de traitement injustifiée entre les élus locaux et les élus nationaux, dès lors que, en vertu de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, la déchéance de plein droit du mandat d’un parlementaire ne peut intervenir qu’en cas de condamnation définitive à une peine d’inéligibilité. Selon eux, il en résultait une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant la justice.
Enfin, ils soutenaient que ces dispositions étaient entachées d’incompétence négative et méconnaissaient en outre le principe de libre administration des collectivités territoriales, le principe de la séparation des pouvoirs ainsi que l’article 2 de la Constitution.
B. – L’examen du grief tiré de la méconnaissance du droit d’éligibilité
1. – La jurisprudence constitutionnelle
* Dès 1982, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il résulte du rapprochement de l’article 3 de la Constitution et de l’article 6 de la Déclaration de 1789 que « la qualité de citoyen ouvre le droit de vote et l’éligibilité dans des conditions identiques à tous ceux que n’en sont pas exclus pour une raison d’âge, d’incapacité ou de nationalité, ou pour une raison tendant à préserver la liberté de l’électeur ou l’indépendance de l'élu »67.
Le droit d’éligibilité a ensuite été déduit du seul article 6 de la Déclaration de 1789 aux termes duquel la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Tous les citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents »68.
À l’aune de cette exigence, le Conseil constitutionnel a eu à connaître de dispositions organiques ou législatives instituant en matière électorale des règles d’inéligibilité affectant certaines fonctions.
Ainsi, par exemple, dans sa décision n° 2011-628 DC du 12 avril 2011, le Conseil était notamment saisi de nouvelles dispositions organiques fixant la liste des fonctions dont l’exercice entraîne une inéligibilité temporaire comme parlementaire.
Fixant le cadre de son contrôle, il a jugé que, « si le législateur organique est compétent, en vertu du premier alinéa de l’article 25 de la Constitution, pour fixer les conditions d’éligibilité aux assemblées parlementaires, il ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit en vertu de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur ».
Explicitant le cadre de son contrôle en la matière, il a alors relevé, « en premier lieu, qu’il résulte de ces exigences constitutionnelles que les dispositions fixant une inéligibilité sont d’interprétation stricte ; qu’ainsi, une inéligibilité ne saurait valoir pour l’ensemble du territoire national que de manière expresse ; (…) en second lieu, que le Conseil constitutionnel ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement ».
En l’espèce, il a jugé « qu’en fixant la liste des inéligibilités aux mandats parlementaires, le paragraphe II de l'article L.O. 132 a opéré une conciliation qui n’est pas manifestement disproportionnée entre les exigences constitutionnelles précitées ». Sous la réserve énoncée d’une interprétation stricte, il a jugé que ces dispositions ne sont pas contraires à la Constitution69.
* Dans deux décisions n° 2012-230 QPC du 6 avril 201270 et n° 2013-326 QPC du 5 juillet 201371, il a appliqué ce raisonnement au régime d’inéligibilité des élus locaux.
Après avoir rappelé « que le législateur est compétent, en vertu de l’article 34 de la Constitution, pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales et déterminer les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités territoriales ; que, d’une part, il ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit en vertu de l’article 6 de la Déclaration de 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur »72, le Conseil a souligné qu’il « ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation de même nature que celui du Parlement » et constaté que « les dispositions contestées ont opéré une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée entre les exigences constitutionnelles » du principe d’égalité devant le suffrage et de préservation de la liberté de l’électeur73.
2. – L’application à l’espèce
* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a commencé par examiner le grief tiré de la méconnaissance du droit d’éligibilité d’un élu municipal déclaré démissionnaire d’office à la suite d’une condamnation pénale assortie de l’exécution provisoire, ainsi que l’y invitait le Conseil d’État dans sa décision de renvoi. Ce dernier ayant considéré que ce grief présentait un caractère sérieux, au regard de sa jurisprudence constante, il revenait au Conseil de se prononcer sur les dispositions contestées, « en tant qu’elles s’appliquent à des élus ayant fait l’objet d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision sur le fondement de l’article 471 du code de procédure pénale, alors que cette sanction n’est pas devenue définitive »74.
Après avoir cité les termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, le Conseil a rappelé la compétence du législateur dans la détermination des règles organisant le régime électoral des élus locaux : celui-ci est « compétent, en vertu de l’article 34 de la Constitution, pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales ainsi que les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales » (paragr. 7).
À ce titre, comme il ressort de la jurisprudence constitutionnelle rappelée plus haut, le législateur est susceptible de limiter le droit d’éligibilité des citoyens. Pour autant, il « ne saurait priver un citoyen du droit d’éligibilité dont il jouit en vertu de l’article 6 de la Déclaration de 1789 que dans la mesure nécessaire au respect du principe d’égalité devant le suffrage et à la préservation de la liberté de l’électeur » (même paragr.).
* Le Conseil a ensuite décrit l’objet des dispositions contestées pour situer la critique dont il était ici saisi dans le cadre, plus général, que la loi prévoit en matière répressive en cas de condamnation d’une personne à une peine d’inéligibilité.
Pour ce faire, il a d’abord rappelé qu’« En vertu de l’article 131-26-2 du code pénal, sauf décision contraire spécialement motivée, la peine complémentaire d’inéligibilité est obligatoirement prononcée à l’encontre des personnes coupables d’un crime ou de certains délits » (paragr. 8). Puis, il a précisé que, sur le fondement du quatrième alinéa de l’article 471 du code de procédure pénale, le juge peut ordonner l’exécution provisoire de cette peine (paragr. 9).
Faisant ensuite le lien avec les dispositions renvoyées, le Conseil a souligné qu’« En application du 1° de l’article L. 230 du code électoral, les personnes privées du droit électoral en raison de leur condamnation à une telle peine ne peuvent être conseillers municipaux » (paragr. 10).
Il a enfin relevé que, « Selon les dispositions contestées de l’article L. 236 du même code, le conseiller municipal qui, pour une cause survenue postérieurement à son élection, se trouve dans ce cas d’inéligibilité doit être immédiatement déclaré démissionnaire par le préfet » (paragr. 11). Ainsi qu’il ressort de sa décision de renvoi de la présente QPC, le Conseil d’État a par ailleurs retenu une interprétation de ces dispositions qui l’a conduit à juger que le préfet est tenu de déclarer immédiatement démissionnaire d’office le conseiller municipal non seulement en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité devenue définitive, « mais aussi lorsque la condamnation est assortie de l’exécution provisoire » (paragr. 12).
Les dispositions contestées s’inscrivaient ainsi, en bout de chaîne, dans un ensemble plus large de dispositions répressives et procédurales conditionnant leur mise en œuvre.
La critique dont le Conseil constitutionnel était saisi ici ne portait pas, en tant que telle, sur les dispositions pénales de fond instituant une peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité, ni sur celles de procédure pénale par lesquelles le législateur a reconnu au juge répressif le pouvoir d’assortir certaines peines de l’exécution provisoire.
Compte tenu de l’effet propre de la procédure de démission d’office, qui porte seulement sur le mandat en cours de l’élu municipal, cette critique ne portait pas non plus sur l’effet qu’une telle peine assortie de l’exécution provisoire est également susceptible de produire à son égard en le privant de la possibilité de se porter ultérieurement candidat à des fonctions publiques électives.
* Pour apprécier la proportionnalité, au regard du droit d’éligibilité, de l’atteinte résultant ici de l’effet de la peine d’inéligibilité sur le mandat de l’élu municipal déclaré démissionnaire d’office, le Conseil constitutionnel s’est, en premier lieu, attaché à identifier l’objectif poursuivi par le législateur.
Le Conseil a considéré qu’en « garanti[ssant] l’effectivité de la décision du juge ordonnant l’exécution provisoire d’une peine d’inéligibilité afin d’assurer, en cas de recours, l’efficacité de la peine et de prévenir la récidive » (paragr. 13), les dispositions contestées poursuivent un double objectif constitutionnel.
« [D]’une part, elles mettent en œuvre l’exigence qui s’attache à l’exécution des décisions de justice en matière pénale » (paragr. 14), dont le Conseil n’avait pas encore eu l’occasion de souligner la valeur constitutionnelle – tout en ayant déjà reconnu à plusieurs reprises que le droit d’obtenir l’exécution des décisions de justice, en matière civile, découle du droit à un recours juridictionnel effectif protégé par l’article 16 de la Déclaration de 178975 –.
D’autre part, et dans le prolongement de la décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017 par laquelle il avait statué sur la peine complémentaire obligatoire d’inéligibilité76, le Conseil a constaté que les dispositions contestées « contribuent à renforcer l’exigence de probité et d’exemplarité des élus et la confiance des électeurs dans leurs représentants » (même paragr.), répondant ainsi à l’objectif que le législateur avait entendu poursuivre en instituant une telle peine. Le Conseil en a déduit que ces dispositions poursuivent également l’objectif de valeur constitutionnelle de sauvegarde de l’ordre public.
Le Conseil s’est attaché, en second lieu, aux garanties légales entourant la procédure de démission d’office, eu égard à la compétence liée pesant sur l’administration en cas de privation du droit électoral résultant d’une condamnation pénale. Pour ce faire, il a été amené à prendre en compte le contexte législatif des dispositions contestées en examinant les règles applicables, en amont de la démission d’office, au prononcé par le juge pénal de la peine d’inéligibilité et à la faculté de l’assortir de l’exécution provisoire.
Ainsi qu’il l’avait déjà fait dans la décision n° 2017-752 DC précitée77, il a relevé, d’une part, que « la démission d’office ne peut intervenir qu’en cas de condamnation à une peine d’inéligibilité expressément prononcée par le juge pénal, à qui il revient d’en moduler la durée. Celui-ci peut, en considération des circonstances propres à chaque espèce, décider de ne pas la prononcer » (paragr. 15).
D’autre part, et dans le droit fil de sa récente décision n° 2024-1099 QPC du 10 juillet 2024 portant sur l’exécution provisoire d’une décision de condamnation pénale à une mesure de restitution en matière d’urbanisme78, le Conseil a insisté sur le fait que, même en présence d’une peine complémentaire obligatoire, le juge pénal « décide si la peine doit être assortie de l’exécution provisoire à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne peut présenter ses moyens de défense, notamment par le dépôt de conclusions, et faire valoir sa situation » (paragr. 16).
Si le juge demeure ainsi libre d’apprécier la nécessité d’assortir sa décision de condamnation de l’exécution provisoire en tenant compte des éléments qui peuvent être portés à sa connaissance à l’audience, le Conseil a toutefois énoncé une réserve d’interprétation visant à s’assurer qu’il procède à un contrôle de la proportionnalité de l’atteinte que l’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire est susceptible d’entraîner pour le conseiller municipal.
Il a ainsi jugé, de manière inédite, que « Sauf à méconnaître le droit d’éligibilité garanti par l’article 6 de la Déclaration de 1789, il revient alors au juge, dans sa décision, d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter à l’exercice d’un mandat en cours et à la préservation de la liberté de l’électeur » (paragr. 17).
C’est ainsi à l’aune des exigences d’égalité devant le suffrage et de liberté de l’électeur, qui « bornent » les atteintes au droit d’éligibilité dans la jurisprudence constitutionnelle, que le juge pénal auquel il appartient d’ordonner l’exécution provisoire devra examiner la proportionnalité de l’atteinte susceptible d’y être portée, en motivant sur ce point sa décision.
Le Conseil en a déduit que, sous cette réserve d’interprétation, les dispositions contestées ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit d’éligibilité et a donc écarté ce premier grief (paragr. 18).
C. – L’examen du grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif
1. – La jurisprudence constitutionnelle
* Aux termes de l’article 16 de la Déclaration de 1789 : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution ». Il en résulte qu’« il ne doit pas être porté d’atteinte substantielle au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction (…) »79.
Dans le cadre du contrôle qu’il opère sur le fondement du droit à un recours juridictionnel effectif, le Conseil constitutionnel ne tient pas compte de la qualification juridique conférée à l’acte pour déterminer s’il est susceptible d’être contesté devant un juge. Ainsi, tout acte, qu’il soit juridictionnel ou non juridictionnel, pris par une autorité publique, administrative ou judiciaire, peut être contrôlé au regard des exigences du droit à un recours effectif.
Pour apprécier la nécessité même de prévoir un recours juridictionnel, le Conseil est le plus souvent conduit à constater que l’acte en cause est susceptible d’emporter des conséquences, sinon défavorables, tout au moins certaines sur l’intéressé80. Ce contrôle lui permet de s’assurer de l’existence d’un lien suffisant entre l’acte et l’atteinte susceptible de résulter de l’absence de recours.
* Dans ce cadre, le Conseil constitutionnel juge avec constance que le caractère suspensif du recours n’est pas, en soi, une exigence constitutionnelle. Ainsi, dans sa décision n° 2011-203 QPC du 2 décembre 2011, le Conseil constitutionnel a jugé que « le caractère non suspensif d’une voie de recours ne méconnaît pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif garanti par l’article 16 de la Déclaration de 1789 »81.
Le Conseil n’a donc pas censuré les exigences procédurales particulièrement strictes encadrant les recours contre les perquisitions fiscales dès lors qu’un recours existait bien : « ces dispositions [notamment, le caractère non suspensif de l’appel], indispensables à l’efficacité de la procédure de visite et destinées à assurer la mise en œuvre de l’objectif de valeur constitutionnelle de lutte contre la fraude fiscale, ne portent pas atteinte au droit du requérant d’obtenir, le cas échéant, l’annulation des opérations de visite »82. Il a également pu juger, par exemple, qu’il était loisible au législateur de prévoir l’absence de caractère suspensif d’un recours contre un acte administratif83.
* Dans certains cas, le Conseil constitutionnel tient compte de l’absence de caractère suspensif d’un recours pour apprécier le respect de l’exigence d’effectivité d’un recours juridictionnel. En effet, si le caractère non suspensif d’un recours existant ne méconnaît pas « en lui-même » le droit à un recours juridictionnel effectif, il peut en aller différemment lorsque la décision contestée produit des effets irrémédiables et que l’absence de caractère suspensif se combine avec l’absence d’autres garanties procédurales, telles que l’existence d’une procédure contradictoire.
Ainsi, dans sa décision n° 2011–203 QPC du 2 décembre 2011 précitée, saisi de dispositions qui permettaient l’aliénation, en cours de procédure, par l’administration des douanes, sur autorisation d’un juge, des véhicules et objets périssables saisis, le Conseil a rappelé que le caractère non suspensif d’une voie de recours ne méconnaissait pas, en lui-même, le droit à un recours juridictionnel effectif. Il a toutefois constaté que la demande d’aliénation formée par l’administration, en application de l’article 389 du code des douanes, était examinée en l’absence de toute procédure contradictoire, et que l’exécution de la mesure d’aliénation revêtait un caractère définitif. Il a donc jugé que, « au regard des conséquences qui résultent de l’exécution de la mesure d’aliénation, la combinaison de l’absence de caractère contradictoire de la procédure et du caractère non suspensif du recours contre la décision du juge conduisent à ce que la procédure applicable méconnaisse les exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789 »84.
* Le Conseil constitutionnel n’avait, jusqu’à une période récente, pas été amené à se prononcer spécifiquement sur la conformité au droit à un recours juridictionnel effectif de dispositions relatives à l’exécution provisoire de décisions de justice.
Dans sa décision n° 2024-1099 QPC du 10 juillet 2024, il a statué sur des dispositions du code de l’environnement prévoyant la possibilité pour le juge pénal d’ordonner l’exécution provisoire d’une mesure de démolition prononcée à la suite d’une condamnation pour un délit commis en matière d’urbanisme.
Il a jugé : « D’une part, l’exécution provisoire d’une mesure de restitution ne peut être ordonnée par le juge pénal qu’à la suite d’un débat contradictoire au cours duquel la personne prévenue peut présenter ses moyens de défense et faire valoir sa situation »85. Ce faisant, et sans dénier l’effet irrémédiable qui peut résulter de l’exécution provisoire d’une mesure de démolition ordonnée par le juge pénal, le Conseil a considéré qu’une telle faculté offerte au juge traduisait une situation bien distincte des rares cas dans lesquels il a pu être saisi de dispositions ouvrant un recours qui n’était pas suspensif contre une décision prise à la suite d’une procédure non contradictoire.
S’appuyant sur la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le Conseil a relevé, d’autre part, « que le juge est tenu d’apprécier le caractère proportionné de l’atteinte que cette mesure est susceptible de porter au droit au respect de la vie privée et familiale de la personne prévenue, lorsqu’une telle garantie est invoquée »86. Comme le relève le commentaire de la décision, « Le prononcé d’une mesure de restitution n’est ainsi pas systématique, mais repose sur l’appréciation par le juge de la proportionnalité de cette mesure au regard des circonstances de l’espèce et notamment, lorsque la personne prévenue invoque le droit précité, de sa situation personnelle et familiale ».
Le Conseil constitutionnel en a déduit qu’au regard des conditions dans lesquelles l’exécution provisoire peut être ordonnée par le juge, les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit à un recours juridictionnel effectif.
2. – L’application à l’espèce
* Après avoir rappelé sa formule de principe applicable au droit à un recours juridictionnel effectif (paragr. 19), le Conseil constitutionnel a rapidement écarté le grief qui était soulevé à l’encontre des dispositions contestées de l’article L. 236 du code électoral car, ainsi qu’il l’a constaté, « L’acte par lequel le préfet déclare démissionnaire d’office un conseiller municipal condamné à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire se borne à tirer les conséquences de la condamnation prononcée par le juge pénal » (paragr. 20).
Il s’en suit que cet acte administratif « est sans incidence sur l’exercice des voies de recours ouvertes contre la décision de condamnation » (paragr. 20). En d’autres termes, les dispositions contestées n’ont ni pour objet ni pour effet de limiter les recours ouverts par le code de procédure pénale et n’en affectent aucunement les conditions d’exercice. Le grief des parties intervenantes était en cela tout à la fois inopérant et mal dirigé, en ce qu’il visait en réalité à contester les dispositions législatives applicables au prononcé de la peine d’inéligibilité, qui n’étaient pas soumises au Conseil constitutionnel.
Le Conseil a relevé, au surplus, qu’en application des dispositions contestées l’élu local « peut former contre l’arrêté prononçant la démission d’office une réclamation devant le tribunal administratif ainsi qu’un recours devant le Conseil d’État » (paragr. 21). Il a souligné en outre qu’au regard de la jurisprudence constante du Conseil d’État87, conforme à la lettre même de l’article L. 236 du code électoral88, « cette réclamation a pour effet de suspendre l’exécution de l’arrêté, sauf en cas de démission d’office notifiée à la suite d’une condamnation pénale définitive » (même paragr.).
Dès lors, le grief tiré de la méconnaissance du droit au recours ne pouvait qu’être écarté (paragr. 22).
D. – L’examen du grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité
* Pour finir, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur la critique développée par certaines parties intervenantes contre la différence de traitement entre élus locaux et élus nationaux résultant des dispositions contestées quant à l’incidence sur les mandats en cours d’une condamnation à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire.
Ce n’est pas la première fois que le Conseil était saisi d’une critique de cette nature. Dans la décision n° 2013-326 QPC du 5 juillet 2013 précitée, il avait été saisi de règles d’inéligibilité applicables au mandat de conseiller municipal qui étaient critiquées au motif qu’elles fixent pour les conseillers municipaux des règles d’inéligibilité différentes de celles relatives à l’élection des conseillers généraux (en application du 18° de l’article L. 195 du code électoral) et des parlementaires (en vertu du 22° de son article L.O. 132). Le Conseil avait toutefois relevé, pour écarter le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité, que « les mandats de conseiller municipal, de conseiller général ou de conseiller régional et de parlementaire sont différents ; qu’en elles-mêmes, les différences entre les règles fixant les conditions d’éligibilité à ces mandats ne méconnaissent pas le principe d’égalité »89.
* Au cas présent, après avoir énoncé sa formulation de principe relative au principe d’égalité devant la loi (paragr. 23), le Conseil a rappelé les dispositions régissant la déchéance des membres du Parlement et sa compétence propre en la matière.
Il a relevé en ce sens qu’il résulte des articles L.O. 136 et L.O. 296 du code électoral qu’« est déchu de plein droit de la qualité de membre du Parlement celui dont l’inéligibilité se révèle après la proclamation des résultats et l’expiration du délai pendant lequel elle peut être contestée ou qui, pendant la durée de son mandat, se trouve dans l’un des cas d’inéligibilité prévus par le même code » (paragr. 24).
Il a rappelé que, dans ce cadre, « il appartient au Conseil constitutionnel de constater la déchéance d’un membre du Parlement en cas de condamnation pénale définitive à une peine d’inéligibilité » (paragr. 25).
Le Conseil en a déduit l’existence d’« une différence de traitement entre les membres du Parlement et les conseillers municipaux quant aux effets, sur l’exercice d’un mandat en cours, d’une condamnation pénale déclarée exécutoire par provision » (paragr. 26).
Pour juger de la conformité au principe d’égalité devant la loi, il lui appartenait alors de vérifier si cette différence de traitement est fondée sur une différence de situation ou sur un motif d’intérêt général et en rapport direct avec l’objet de la loi.
Il a retenu la première branche de cette justification. À cet égard, dans le droit fil de plusieurs de ses décisions90, le Conseil a rappelé qu’« En vertu de l’article 3 de la Constitution, les membres du Parlement participent à l’exercice de la souveraineté nationale et, aux termes du premier alinéa de son article 24, ils votent la loi et contrôlent l’action du Gouvernement » (paragr. 27).
Il en a déduit que, « au regard de leur situation particulière et des prérogatives qu’ils tiennent de la Constitution, les membres du Parlement se trouvent dans une situation différente de celle des conseillers municipaux » (paragr. 28), et que, ce faisant, la différence de traitement critiquée en l’espèce est fondée sur une différence de situation en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’institue (paragr. 29).
Il a donc également écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi (paragr. 30).
En conséquence, et après avoir jugé que les dispositions contestées n’étaient pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissaient ni le principe de libre administration des collectivités territoriales, ni le principe d’égalité devant la justice, ni en tout état de cause l’article 2 de la Constitution et le principe de la séparation des pouvoirs, non plus qu’aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, le Conseil les a déclarées, sous la réserve d’interprétation fondée sur le droit d’éligibilité énoncée au paragraphe 17, conformes à la Constitution (paragr. 31).
_______________________________________
1 Sur la signification de ce renvoi, cf. infra, II./A.
2 Voir, par exemple, pour le scrutin municipal, l’article L. 231 du code électoral qui détermine une liste de fonctions publiques qui rendent une personne inéligible à ce scrutin dans le ressort où il exerce ou a exercé ces fonctions.
3 En droit électoral, l’inéligibilité peut être décidée par le juge électoral à la suite du constat de manœuvres frauduleuses portant atteinte à la sincérité du scrutin ou de manquements d’une particulière gravité aux règles de financement des campagnes électorales. Pour les élections locales, ce pouvoir de sanction revient au juge administratif (articles L. 118-3 et L. 118-4 du code électoral), tandis que pour les élections législatives et sénatoriales, c’est le Conseil constitutionnel qui, seul, peut prononcer de telles sanctions (articles L.O. 136-1 et L.O. 136–3 du même code).
4 Jusqu’en 2010, l’article L. 7 du code électoral prévoyait une interdiction d’inscription sur les listes électorales, qui constituait une peine automatique d’inéligibilité de cinq ans et non modulable, pour les personnes condamnées à un certain nombre d’infractions (la concussion, corruption passive et trafic d’influence commis par des personnes exerçant une fonction publique, la prise illégale d’intérêts, etc.). Toutefois le Conseil constitutionnel a déclaré cet article contraire au principe d’individualisation des peines, aux motifs notamment que « cette peine privative de l’exercice du droit de suffrage est attachée de plein droit à diverses condamnations pénales sans que le juge qui décide de ces mesures ait à la prononcer expressément » et « qu’il ne peut davantage en faire varier la durée » (décision n° 2010-6/7 QPC du 11 juin 2010, M. Stéphane A. et autres [Article L. 7 du code électoral], cons. 5).
5 Ou, le cas échéant, à titre de peine principale (voir le premier alinéa de l’article 131-11 du code pénal).
6 Voir les articles 131-19 et suivants du code pénal.
7 Le professeur Jacques-Henri Robert, dans son manuel Droit pénal général, PUF, 5e édition, 2001, p. 410 et suivantes, relève ainsi la « large part » que fait le droit positif contemporain aux « incapacités inspirées par la doctrine positiviste et qui ne tendent plus à déshonorer le condamné, mais à l’écarter d’une multitude d’activités, le plus souvent professionnelles, dans l’exercice desquelles on redoute qu’il ne devienne dangereux ».
8 Autrefois automatique en cas de condamnation pour crime (du fait de l’application de la dégradation civique), et pouvant être prononcée dans les cas prévus par la loi en matière correctionnelle (article 42 de l’ancien code pénal), elle consistait notamment « Dans la privation du droit de vote, d'élection, d'éligibilité, et en général de tous les droits civiques et politiques, et du droit de porter aucune décoration » (selon le 2° de l’article 34 du même code).
9 L’interdiction des droits civiques, civils et de famille peut également porter sur « Le droit d’exercer une fonction juridictionnelle ou d’être expert devant une juridiction, de représenter ou d’assister une partie devant la justice » (3° de l’article 131-26 du code pénal), « Le droit de témoigner en justice autrement que pour y faire de simples déclarations » (4°) et « Le droit d’être tuteur ou curateur » (5°).
10 L’interdiction des droits civiques, civils et de famille se distingue en cela d’autres interdictions, comme celles d’exercer une fonction publique ou d’exercer une profession, qui peuvent être perpétuelles.
11 Anciens articles 432-17 et 433-22 du code pénal, dans leur rédaction résultant de l’article 19 de la loi n° 2016–1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique.
12 Exposé sommaire de l’amendement n° CL477, à l’origine du texte, déposé par M. Sébastien Denaja, rapporteur, le 23 mai 2016, et adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale en première lecture.
13 À savoir les délits de concussion, corruption passive, trafic d’influence, prise illégale d’intérêts, atteinte à la liberté d’accès et à l’égalité des candidats dans les marchés publics et les délégations de service public, soustraction et détournement de biens (dernier alinéa de l’article 432‑17 du code pénal).
14 Délits de corruption active et trafic d’influence commis par des particuliers (dernier alinéa de l’article 433‑22).
15 Exposé sommaire de l’amendement n° CL477, précité.
16 Assemblée nationale, séance publique, compte-rendu des débats, 2e séance du 7 juin 2016.
17 Sont concernés les atteintes à l’intégrité de la personne, les agressions sexuelles, le harcèlement moral, les discriminations, l’escroquerie, l’abus de confiance, les actes de terrorisme, les atteintes à la confiance publique, les manquements au devoir de probité, les atteintes à l’administration publique, les atteintes à l’action de la justice, la fraude électorale, le financement illégal de la vie politique, la fraude fiscale, les atteintes à la transparence des marchés, le recel, le blanchiment, les délits de presse, la participation à une association de malfaiteurs, etc. Par coordination, les anciennes dispositions des articles 432-17 et 433-22 du code pénal créées par la loi du 9 décembre 2016 précitée ont été supprimées.
18 Décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017, Loi pour la confiance dans la vie politique, paragr. 8.
19 Alors que, dans le cas général, par effet du renvoi à l’article 131-26-1 du code pénal opéré par ce nouvel article 131-26-2, l’inéligibilité vaut en principe pour une durée maximale de dix ans en cas de condamnation pour crime et de cinq ans en cas de condamnation pour délit.
20 Article 131-26-2 du même code.
21 Voir l’exposé sommaire de l’amendement n° CL477 du 23 mai 2016 et le compte-rendu des débats à l’Assemblée nationale du 7 juin 2016, précités.
22 Dans sa décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017 précitée, le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que « la peine d’inéligibilité doit être prononcée expressément par le juge, à qui il revient d’en moduler la durée », et qu’il lui est loisible, « en considération des circonstances de l’infraction et de la personnalité de son auteur », de « décider de ne pas prononcer cette peine » (paragr. 9). Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’individualisation des peines a donc été écarté (paragr. 10).
23 Cass. crim., 19 avril 2023, n° 22-83.355 : « il résulte de l’article 485-1 du code de procédure pénale que les juges n’ont pas à motiver le choix de la peine, au regard des dispositions des articles 132-1 et 132-20 du code pénal, lorsque celle-ci est obligatoire, ce qui est le cas de la peine d’inéligibilité depuis la loi n° 2017-1339 du 15 septembre 2017 » (point 19).
24 L’article 514 du code de procédure civile (CPC) énonce ainsi que « Les décisions de première instance sont de droit exécutoires à titre provisoire à moins que la loi ou la décision rendue n’en dispose autrement ». Aux termes de l’article 514-1, le juge peut alors « écarter l’exécution provisoire de droit, en tout ou partie, s’il estime qu’elle est incompatible avec la nature de l’affaire ». Par exception, l’article 515 prévoit par ailleurs que, « Lorsqu’il est prévu par la loi que l’exécution provisoire est facultative, elle peut être ordonnée, d’office ou à la demande d’une partie, chaque fois que le juge l’estime nécessaire et compatible avec la nature de l’affaire ».
25 Lorsqu’il existe un moyen sérieux d’annulation ou de réformation et que l’exécution risque d’entraîner des conséquences manifestement excessives (article 514-3 du CPC).
26 Article 506 du CPP.
27 Voir l’article 367 du CPP.
28 Via la délivrance d’un mandat de dépôt ou d’arrêt à l’audience par la juridiction correctionnelle.
29 Ancien article 738 du CPP. Certains textes spéciaux prévoyaient aussi l’exécution provisoire en cas de suspension ou d’annulation du permis de conduire (ancien article L. 13 du code de la route) ou de confiscation spéciale prononcée à titre principal (article 43-5 de l’ancien code pénal).
30 Loi n° 83-466 du 10 juin 1983 portant abrogation ou révision de certaines dispositions de la loi n° 81-82 du 2 février 1981 et complétant certaines dispositions du code pénal et du code de procédure pénale (article 35).
31 Rapport n° 1032 de M. Raymond Forni fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, déposé le 19 juillet 1982.
32 En outre, l’exécution provisoire d’autres sanctions pénales peut être ordonnée sur le fondement de textes répressifs particuliers lorsqu’ils la prévoient pour les peines qu’ils instituent. Ainsi, le législateur a prévu que « L'exécution provisoire des peines complémentaires prononcées en application du [code de l'environnement] peut être ordonnée » (article L. 173-10 du code de l’environnement). Des dispositions spécifiques ont été prévues pour autoriser l’exécution provisoire de certaines mesures et peines décidées spécifiquement à l’encontre d’un mineur (articles L. 111-4 et L. 123-2 du code de la justice pénale des mineurs).
33 Cass. crim., 19 avril 2023, précité : « ni l’article 485-1 du code de procédure pénale ni aucune autre disposition législative ne prévoient l’obligation pour les juges de motiver le choix d’assortir une peine d’inéligibilité de l’exécution provisoire » (point 20).
34 Voir Cass. crim., 4 avril 2018, n° 17-84.577 ; 21 septembre 2022, n° 22-82.377 ; 18 décembre 2024, 24-83.556.
35 Cass. crim., 18 décembre 2024, précité.
36 Cass. crim., 4 avril 2018, précité.
37 Cass. crim., 21 septembre 2022, précité.
38 Cass. crim., 18 décembre 2024, précité.
39 Ibidem, points 5 à 7.
40 Conformément à l’article L. 44 du code électoral, précité.
41 Qui rend applicable, notamment, les règles fixées aux articles L. 6, L.O. 127 et L. 199 du code électoral.
42 Par renvoi à l’article L. 199 du code électoral applicable à l’élection des conseillers départementaux.
43 L’ensemble de ces dispositions sont rendues applicables au mandat de conseiller communautaire (pour un EPCI) en vertu de l’article L. 273-4 du code électoral. Des dispositions similaires sont spécialement prévues pour les autres mandats locaux : à l’article L. 205 du code électoral pour les conseillers départementaux et à l’article L. 341 du même code pour les conseillers régionaux.
44 Loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative.
45 Amendement n° 84 rect. déposé par M. Guy Allouche et autres, adopté au Sénat en séance publique en deuxième lecture (Compte-rendu des débats, séance du 13 décembre 1994).
46 CE, 20 juin 2012, n° 356865.
47 CE, 29 mai 2024, n° 492285. Saisi dans le cadre d’un référé-suspension par lequel une élue locale demandait au juge de suspendre l’exécution de l’arrêté la déclarant démissionnaire d’office de son mandat de conseillère municipale à la suite d’une condamnation à une peine d’inéligibilité assortie de l’exécution provisoire, le Conseil d’État a jugé, en se fondant sur les dispositions combinées des articles L. 230 et L. 236 du code électoral ensemble l’article 471, alinéa 4, du CPP : « Il résulte de ces dispositions que, dès lors qu'un conseiller municipal ou un membre de l'organe délibérant d'un établissement public de coopération intercommunale se trouve, pour une cause survenue postérieurement à son élection, privé du droit électoral en vertu d'une condamnation devenue définitive ou d'une condamnation dont le juge pénal a décidé l'exécution provisoire, le préfet est tenu de le déclarer immédiatement démissionnaire d'office » (point 7).
48 Cass. crim., 7 mai 2024, n° 23-86.075. La Cour a jugé que, « à supposer que la disposition contestée porte atteinte à la séparation des pouvoirs, il ne saurait résulter de ce qu'un élu, condamné pénalement à une peine d'inéligibilité, laquelle peut toujours être écartée par le juge, doive démissionner, une atteinte disproportionnée à la libre administration des collectivités territoriales ou, s'il s'en distingue, au principe de libre exercice du mandat local ». Elle relève par ailleurs que, s’agissant de dispositions édictant un principe similaire à celui critiqué, « il résulte de la décision n° 2007-547 DC du 15 février 2007 que le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les articles L.O. 494, L.O. 521 et L.O. 549 du code électoral, lesquels prévoient que le conseiller territorial de Saint-Barthélemy, de Saint-Martin ou de Saint-Pierre-et-Miquelon qui, pendant la durée de son mandat, se trouve frappé par une condamnation pénale devenue définitive prononcée à son encontre et entraînant de ce fait la perte de ses droits civiques, civils et de famille, est déclaré démissionnaire par arrêté du représentant de l'Etat, soit d’office, soit sur réclamation de tout électeur ».
49 Voir Cass. crim., 18 décembre 2024, précité, point 9.
50 CE, 29 mai 2024, n° 492285, précité, points 10 à 12.
51 Article 26, alinéas 2 et 3, de la Constitution : « Aucun membre du Parlement ne peut faire l’objet, en matière criminelle ou correctionnelle, d’une arrestation ou de toute autre mesure privative ou restrictive de liberté qu’avec l’autorisation du Bureau de l’assemblée dont il fait partie. Cette autorisation n’est pas requise en cas de crime ou délit flagrant ou de condamnation définitive. / La détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du Parlement sont suspendues pour la durée de la session si l’assemblée dont il fait partie le requiert ».
52 Troisième alinéa de l’article 26 de la Constitution, précité.
53 Ces dispositions sont rendues applicables aux sénateurs par le renvoi opéré par l’article L.O. 296 du code électoral.
54 Par exemple, décision n° 2022-27 D du 16 juin 2022, Demande tendant à la déchéance de plein droit de M. Michel FANGET de sa qualité de membre de l’Assemblée nationale, paragr. 4. Pour juger en ce sens le Conseil se fonde sur la combinaison les articles L.O. 296, L.O. 127 et L.2 du code électoral. Jusqu’en 2011, l’article L.O. 130 du code électoral prévoyait « plus directement » : « Sont en outre inéligibles : / 1° les individus privés par décision judiciaire de leur droit d’éligibilité, en application des lois qui autorisent cette privation ».
55 Jusqu’en 1958, la déchéance était constatée par chaque assemblée, celle-ci étant juge de l’éligibilité de ses membres. L’article 80 de la loi du 15 mars 1849 disposait ainsi : « Sera déchu de la qualité de représentant du peuple tout membre de l’Assemblée nationale qui, pendant la durée de son mandat législatif, aura été frappé d’une condamnation emportant (…) l’incapacité d’être élu. La déchéance sera prononcée par l’Assemblée nationale, sur le vu des pièces justificatives ». Ce texte a ensuite été adapté au second Empire par le décret organique du 2 février 1852 et son principe a été confirmé par l’article 10 de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 et l’article 8 de la Constitution du 27 octobre 1946. En 1958, l’article 59 de la Constitution a confié au Conseil constitutionnel le soin de statuer, en cas de contestation, sur la régularité de l’élection des députés et des sénateurs. Suivant la même logique, l’article 8 de l’ordonnance n° 58-998 du 24 octobre 1958 portant loi organique relative aux conditions d’éligibilité et aux incompatibilités parlementaires a fait de lui le seul organe compétent pour prononcer la déchéance d’un parlementaire (disposition codifiée en 1964 à l’article L.O. 136 du code électoral).
56 Deuxième alinéa de l’article L.O. 136 du code électoral. Sur ce fondement, le Conseil a, à seize reprises, constaté la déchéance de plein droit de parlementaires définitivement condamnés à une peine d’inéligibilité. La première déchéance a été prononcée en 1960 (décision n° 60-1 D du 12 mai 1960, Demande tendant à la déchéance de plein droit de Monsieur Pouvanaa TETUAAPUA dit OOPA de sa qualité de membre de l’Assemblée nationale).
57 Décision n° 60-1 D du 12 mai 1960 précitée, cons. 3 et 4. Voir ensuite les décisions nos 61-2 D du 18 juillet 1961, 64-3 D du 17 mars 1964, 94-5 D du 3 novembre 1994, 95-6 D du 12 mai 1995, 95-7 D du 18 janvier 1996, 96-9 D du 12 juillet 1996, 96-10 D du 5 septembre 1996, 97–11 D du 10 septembre 1997, 2000-12 D du 4 mai 2000, 2001-13 D du 16 janvier 2001, 2001-15 D du 20 septembre 2001, 2009-20 D du 6 août 2009, et 2014-22 D du 16 septembre 2014.
58 Décision n° 2009-21S D du 22 octobre 2009, Demande tendant à la déchéance de plein droit de Monsieur Gaston FLOSSE de sa qualité de membre du Sénat, cons. 4.
59 Ibid., cons. 5.
60 Cass. crim., 16 juin 2010, n° 09-86.558.
61 Décision n° 2009-21 D du 29 juillet 2010, Demande tendant à la déchéance de plein droit de Monsieur Gaston FLOSSE de sa qualité de membre du Sénat, cons. 2.
62 Décision n° 2021-26 D du 23 novembre 2021, Demande tendant à la déchéance de plein droit de M. Jean-Noël GUÉRINI de sa qualité de membre du Sénat, paragr. 4.
63 Décision n° 2022-27 D du 16 juin 2022 précitée, paragr. 5 et 6.
64 CE, 27 décembre 2024, n° 498271, précité, paragr. 5 et 8
65 Le Conseil d’État avait en revanche implicitement déterminé la version de l’article L. 236 du code électoral renvoyé en citant cet article tel que modifié par la loi n° 2001-1248 du 21 décembre 2001 relative aux chambres régionales des comptes et à la Cour des comptes.
66 La troisième partie intervenante soutenait la conformité à la Constitution de ces dispositions, au bénéfice, le cas échéant, de réserves d’interprétation.
67 Décision n° 82-146 DC du 18 novembre 1982, Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l'élection des conseillers municipaux et aux conditions d'inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales, cons. 6 et 7.
68 Voir, en tout premier lieu, de manière incidente, décision n° 99-420 DC du 16 décembre 1999, Loi organique relative à l'inéligibilité du Médiateur des enfants.
69 Décision n° 2011-628 DC du 12 avril 2011, Loi organique relative à l'élection des députés et des sénateurs, cons. 5 à 8.
70 Décision n° 2012-230 QPC du 6 avril 2012, M. Pierre G. (Inéligibilités au mandat de conseiller général), cons. 4 et 5. Le Conseil était saisi des dispositions du code électoral qui prévoyaient que ne peuvent être élus membres du conseil général les ingénieurs en chef, ingénieurs principaux, ingénieurs des travaux et autres agents du génie rural, des eaux et forêts dans les cantons où ils exercent ou ont exercé leurs fonctions depuis moins de six mois.
71 Décision n° 2013-326 QPC du 5 juillet 2013, M. Jean-Louis M. (Inéligibilités au mandat de conseiller municipal), cons. 3 et 4.
72 Décisions n° 2012-230 QPC du 6 avril 2012 précitée, cons. 4 ; 2013-326 QPC du 5 juillet 2013 précitée, cons. 3.
73 Ibidem, respectivement cons. 5 et cons. 4.
74 CE, 27 décembre 2024, n° 498271, précité, paragr. 8.
75 Voir, par exemple, récemment la décision n° 2023-853 DC du 26 juillet 2023, Loi visant à protéger les logements contre l’occupation illicite, paragr. 24.
76 Décision n° 2017-752 DC du 8 septembre 2017, Loi pour la confiance dans la vie politique, paragr. 8.
77 Ibidem, paragr. 9.
78 Décision n° 2024-1099 QPC du 10 juillet 2024, précitée, paragr. 9.
79 Par exemple, récemment, décision n° 2024-1114 QPC du 29 novembre 2024, M. Sullivan B. (Purge des nullités en matière criminelle II), paragr. 3.
80 A contrario, le Conseil a écarté le grief tiré de la méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif à l’encontre de dispositions prévoyant l’exécution d’une fin de peine d'emprisonnement sous la forme d’un régime de semi-liberté, d’un placement à l’extérieur, d’un placement sous surveillance électronique ou d’une permission de sortir, dès lors qu’elle constitue « une mesure par nature favorable au détenu et ne peut intervenir qu’avec son accord » (décision n° 2004–492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 125).
81 Décision n° 2011-203 QPC du 2 décembre 2011, M. Wathik M. (Vente des biens saisis par l’administration douanière), cons. 10.
82 Décision n° 2010-19/27 QPC du 30 juillet 2010, Époux P. et autres (Perquisitions fiscales), cons. 9.
83 Voir, par exemple, au sujet du pouvoir de consignation du préfet pour défaut d’exécution par une commune de ses obligations en matière d’aménagement et de gestion des aires d’accueil des gens du voyage, la décision n° 2016-745 DC du 26 janvier 2017, Loi relative à l’égalité et à la citoyenneté, paragr. 83.
84 Décision n° 2011–203 QPC du 2 décembre 2011, précitée, cons. 12.
85 Décision n° 2024-1099 QPC du 10 juillet 2024, M. Hervé B. et autre (Exécution provisoire des mesures de restitution en matière d’urbanisme), paragr. 9.
86 Ibid., paragr. 10. La chambre criminelle de la Cour de cassation a en effet jugé que le juge est tenu de répondre aux conclusions selon lesquelles une mesure de démolition porterait une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de la personne prévenue (Cass. crim., 31 janvier 2017, n° 16-82.945).
87 Voir notamment CE, 9 mai 2007, n° 291932.
88 La première phrase de ce texte pose en effet, dans son principe, le caractère suspensif du recours porté devant le juge administratif, la seconde phrase du texte ne venant poser une exception à ce caractère suspensif que pour la démission d’office faisant suite à une « condamnation pénale définitive ».
89 Décision n° 2013-326 QPC précitée, cons. 6.
90 Décisions n° 2013-675 DC du 9 octobre 2013, Loi organique relative à la transparence de la vie publique, cons. 33, et n° 2017-753 DC du 8 septembre 2017, Loi organique pour la confiance dans la vie politique, cons. 26.