Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 4 juillet 2024 par le Conseil d’État (décision n° 493367 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Yannick L. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du troisième alinéa de l’article 19 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique (CGFP), dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique.
Dans sa décision n° 2024-1105 QPC du 4 octobre 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, ainsi que le deuxième alinéa de l’article L. 532-4 du CGFP, dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 24 novembre 2021 précitée.
I. – Les dispositions renvoyées
A. – Objet des dispositions renvoyées
1. – La responsabilité disciplinaire des fonctionnaires
L’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, selon lequel « La société a le droit de demander compte à tout agent public de son administration » est traditionnellement présenté comme fondant la responsabilité des fonctionnaires, non seulement à l’égard des administrés, mais également de la collectivité publique qui les emploie, en cas de manquement à leurs obligations professionnelles1.
L’action disciplinaire dont dispose l’administration à l’égard d’un fonctionnaire se distingue de l’action publique ou de l’action civile. D’une part, elle peut s’exercer en dehors de tout crime ou délit, dès lors que sa cause est la faute professionnelle. D’autre part, à la différence de l’action civile, elle ne peut aboutir au versement de dommages et intérêts2. En effet, la sanction disciplinaire n’a pas pour finalité de réparer un préjudice3, mais de tirer, en vue du bon fonctionnement du service, les conséquences que le comportement de l’agent poursuivi emporte sur sa situation vis-à-vis de l’administration4.
À cet égard, l’article 29 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite « loi Le Pors », aujourd’hui codifié à l’article L. 530-1 du CGFP, définit la faute disciplinaire comme toute faute commise par un fonctionnaire dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions5. Une telle faute l’expose à une sanction disciplinaire sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi ou le règlement, si elle est par ailleurs constitutive d’une infraction pénale6.
Ces dispositions, qui ne font pas l’énumération des fautes disciplinaires pouvant être reprochées à un fonctionnaire7, laissent à l’autorité compétente – qui est normalement l’autorité hiérarchique8 – une importante marge d’appréciation tant pour l’engagement de l’action disciplinaire que pour le choix de la sanction9.
2. – Le déroulement de la procédure disciplinaire applicable aux fonctionnaires
La procédure disciplinaire applicable à chaque fonction publique découle de règles propres prévues, en grande partie, par des décrets relatifs à chacune d’entre elles10. Le déroulement de cette procédure repose cependant sur des règles similaires.
En pratique, pour établir la matérialité des faits, avant même l’engagement de toute poursuite, l’administration mène une enquête au cours de laquelle elle auditionne les témoins éventuels ainsi que le fonctionnaire concerné, et recueille tous les éléments qu’elle juge utiles. Lorsque l’autorité exerçant le pouvoir disciplinaire décide d’engager une telle procédure à l’encontre de l’intéressé, elle doit établir un rapport destiné à présenter au conseil de discipline les faits reprochés au fonctionnaire et les circonstances dans lesquelles ils ont été commis11.
Le fonctionnaire poursuivi est ensuite convoqué par le président du conseil de discipline quinze jours au moins avant la date de la réunion. Lors de sa comparution devant ce conseil, l’intéressé peut présenter des observations écrites ou orales, citer des témoins ainsi que se faire assister par un ou plusieurs conseils de son choix12.
Au cours de la séance devant le conseil de discipline, sont lus tant le rapport établi par l’autorité disciplinaire que les observations écrites présentées le cas échéant par le fonctionnaire. Le conseil de discipline entend par ailleurs chaque témoin cité et peut organiser leur confrontation. Le fonctionnaire et son conseil peuvent, à tout moment, demander au président l’autorisation d’intervenir afin de présenter des observations orales. Ils doivent en outre être invités à présenter d’ultimes observations avant que le conseil ne commence à délibérer13.
Les observations du fonctionnaire font partie des éléments sur lesquels se fonde le conseil de discipline pour émettre son avis. À cet égard, pour les fonctionnaires de l’État, il est expressément prévu que « Le conseil de discipline, au vu des observations écrites produites devant lui et compte tenu, le cas échéant, des déclarations orales de l’intéressé et des témoins ainsi que des résultats de l’enquête à laquelle il a pu être procédé, émet un avis motivé sur les suites qui lui paraissent devoir être réservées à la procédure disciplinaire engagée »14.
Lorsqu’il s’estime suffisamment éclairé, le conseil de discipline délibère à huis clos hors la présence du fonctionnaire poursuivi, de son conseil et des témoins15. Son avis motivé sur l’affaire est ensuite transmis à l’autorité disciplinaire qui détient le pouvoir de décider de prononcer ou non une sanction16, sans être liée par cet avis. La sanction que cette autorité prononce doit être elle-même motivée et elle est immédiatement exécutoire17.
3. – Les garanties prévues par les dispositions renvoyées
À la suite de l’effort d’harmonisation entrepris notamment par le Conseil d’État18, le législateur a fixé un socle de garanties communes aux trois versants de la fonction publique dans la loi du 13 juillet 198319. À cet égard, l’article 19 de cette loi consacrait, sous la forme de garanties légales, certaines avancées de la jurisprudence administrative en matière de discipline des fonctionnaires20. Les dispositions correspondantes ont été ensuite codifiées aux articles L. 530-1 et suivants du CGFP, qui sont entrés en vigueur le 1er mars 202221.
* Le troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 (les premières dispositions objet de la décision commentée) reconnaissait des garanties visant à permettre au fonctionnaire poursuivi de se défendre, applicables dès l’engagement de la procédure disciplinaire.
Tel est le cas, d’une part, du droit dont dispose ce dernier d’accéder à son dossier.
En vertu de la première phrase de ce troisième alinéa, « Le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel et de tous les documents annexes […] ». Cette disposition reprenait la garantie instituée par l’article 65 de la loi du 22 avril 1905, qui prévoyait déjà, dès sa version initiale, un droit à la communication de leur dossier à « Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques », notamment, « avant d’être l’objet d’une mesure disciplinaire ou d’un déplacement d’office »22.
Afin de renforcer l’effectivité de cette garantie, la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article 19 précité imposait en outre à l’administration d’informer le fonctionnaire de son droit à la communication de son dossier. Ainsi, une sanction disciplinaire prononcée en méconnaissance de cette règle, sans que l’intéressé ait été mis en mesure de demander la communication de son dossier, encourt l’annulation dès lors qu’elle intervient au terme d’une procédure irrégulière23.
Il était en outre prévu par la première phrase du troisième alinéa de l’article 19 que le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à l’assistance des défenseurs de son choix.
* Ces garanties ont été reprises à droit constant par l’article L. 532–4 du CGFP (les secondes dispositions objet de la décision commentée)24.
B. – Origine de la QPC et question posée
Le requérant, sapeur-pompier professionnel25, avait fait l’objet en 2021 d’une procédure disciplinaire au cours de laquelle il lui avait été reproché des fautes commises dans l’exercice de ses fonctions.
Après avoir entendu l’intéressé, le conseil de discipline avait proposé une sanction d’exclusion temporaire d’une durée de six mois, dont deux avec sursis. Par arrêté du 26 janvier 2022, l’autorité disciplinaire avait toutefois prononcé une sanction différente.
Le requérant avait formé un recours en annulation contre cette sanction devant le tribunal administratif et avait soulevé, à cette occasion, une QPC mettant en cause la conformité à la Constitution du troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, devenu l’article L. 532–4 du CGFP.
Par un jugement du 11 avril 2024, le tribunal administratif de Nantes avait transmis cette QPC au Conseil d’État.
Dans sa décision précitée du 4 juillet 2024, le Conseil d’État avait jugé que « Le moyen tiré de ce que ces dispositions, en ne prévoyant pas de notification obligatoire du droit de se taire aux fonctionnaires qui font l’objet d’une procédure disciplinaire portent atteinte à l’article 9 et à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 dont découlent le droit de se taire et le principe des droits de la défense soulève une question présentant un caractère sérieux ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.
II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
A. – Les questions préalables
* Dans le dispositif de sa décision du 4 juillet 2024 précitée, le Conseil d’État avait renvoyé au Conseil constitutionnel le « troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires repris à l’article L. 532-4 du code général de la fonction publique »26.
Le Conseil constitutionnel a ainsi considéré, comme invitait à le faire le rapporteur public devant le Conseil d’État, qu’il était saisi non seulement des dispositions du troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, mais également de l’article L. 532-4 du CGFP qui en a repris le contenu à droit constant. Le Conseil avait déjà eu l’occasion de procéder de la même manière à propos de dispositions d’une loi qui lui avaient été renvoyées avec la précision qu’elles avaient été codifiées au sein du CGCT27.
* Ce dernier article n’ayant pas été modifié depuis sa création, le Conseil en était implicitement mais nécessairement saisi dans sa rédaction issue de l’ordonnance du 24 novembre 2021 précitée.
En revanche, le Conseil d’État n’ayant pas précisé, dans sa décision précitée, la version dans laquelle étaient renvoyées les dispositions contestées de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, il revenait au Conseil constitutionnel de la déterminer lui-même28. Conformément à sa jurisprudence constante, selon laquelle la QPC doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée, il a jugé qu’il était saisi de ces dispositions dans leur rédaction résultant de la loi du 20 avril 2016 précitée (paragr. 1).
* Le requérant, rejoint par la partie à l’instance à l’occasion de laquelle la QPC avait été posée, ainsi que par certaines parties intervenantes, reprochait à ces dispositions de ne pas prévoir que le fonctionnaire mis en cause dans le cadre d’une procédure disciplinaire est informé du droit qu’il a de se taire, alors que ses déclarations sont susceptibles d’être utilisées à son encontre dans le cadre de cette procédure. Ce droit constituant, selon lui, une garantie fondamentale pour les fonctionnaires au sens de l’article 34 de la Constitution, il en résultait une méconnaissance des exigences résultant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Au regard de ce grief, le Conseil a jugé que la QPC portait uniquement sur la deuxième phrase du troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1989 et sur le deuxième alinéa de l’article L. 532-4 du CGFP (paragr. 5).
* La partie à l’instance à l’occasion de laquelle la question prioritaire de constitutionnalité a été posée, rejointe par une partie intervenante, soutenait en outre que, faute d’imposer à l’autorité administrative, d’une part, le respect du principe du contradictoire tout au long de la procédure et, d’autre part, la notification au fonctionnaire poursuivi des griefs qui lui sont reprochés dès l’engagement de cette procédure, ces dispositions étaient contraires aux droits de la défense. Pour les mêmes motifs, elle reprochait par ailleurs au législateur d’avoir méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles précitées.
* Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a rejeté les conclusions aux fins d’irrecevabilité de l’intervention de la société La Poste, présentées par le requérant et certaines parties intervenantes, dès lors que cette société justifiait, en tant qu’employeur ayant infligé une sanction disciplinaire à la partie à l’instance à l’occasion de laquelle la QPC avait été posée, d’un intérêt spécial, au sens du deuxième alinéa du règlement intérieur du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les QPC (paragr. 8).
B. – Jurisprudence constitutionnelle
1. – La jurisprudence relative à la répartition des compétences entre le pouvoir législatif et le pouvoir réglementaire en matière disciplinaire
* Le Conseil constitutionnel juge, de manière constante, que la procédure applicable devant les instances disciplinaires relève, en principe, de la compétence du pouvoir réglementaire.
Ainsi, dans sa décision n° 2005-198 L du 3 mars 2005, le Conseil était saisi de la question de la nature juridique de dispositions relatives à la Cour de discipline budgétaire et financière, dont la mission essentielle est de sanctionner les manquements des ordonnateurs aux règles de la comptabilité publique. Après avoir relevé que cette cour constituait un ordre de juridiction au sens de l’article 34 de la Constitution, le Conseil a fait le départ entre les règles constitutives de cette juridiction29, qui relèvent de la compétence du législateur, et celles relatives à la procédure, qui « ne concernent ni les règles constitutives de cette juridiction, ni la procédure pénale au sens de l’article 34 de la Constitution, ni les garanties fondamentales accordées tant aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques qu’aux fonctionnaires civils et militaires » et qui, comme telles, relèvent du domaine réglementaire30.
S’agissant de la procédure disciplinaire applicable aux avocats, le Conseil constitutionnel a pareillement jugé, dans sa décision n° 2011-171/178 QPC du 29 septembre 2011, que « la détermination des règles de déontologie, de la procédure et des sanctions disciplinaires applicables à une profession ne relève ni du droit pénal ni de la procédure pénale au sens de l’article 34 de la Constitution ; qu’il résulte des articles 34 et 37, alinéa 1er, de la Constitution, qu’elle relève de la compétence réglementaire dès lors que ne sont mis en cause aucune des règles ni aucun des principes fondamentaux placés par la Constitution dans le domaine de la loi »31. Cela n’interdit pas au législateur d’édicter lui-même des sanctions disciplinaires (que cela relève ou non de sa compétence), sous réserve alors qu’il respecte le principe de légalité et, partant, qu’il les énonce avec une clarté et une précision suffisantes32.
Dans sa décision n° 2014-247 L du 25 avril 2014, le Conseil a jugé que les dispositions déterminant les modalités de comparution du praticien poursuivi devant la chambre disciplinaire de l’ordre des pharmaciens en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française « qui sont relatives à la procédure disciplinaire applicable aux pharmaciens ne mettent en cause aucun des principes ou règles que la Constitution a placés dans le domaine de la loi ; que, par suite, elles ont le caractère réglementaire »33.
Dans sa décision n° 2022-1019 QPC du 27 octobre 2022, le Conseil a jugé que « la procédure disciplinaire applicable aux experts-comptables, soumise aux principes d’indépendance et d’impartialité, ne relève pas du domaine de la loi mais, sous le contrôle du juge compétent, du domaine réglementaire »34. Il en a déduit que le législateur n’avait donc pas à prévoir les règles de procédure applicables devant les instances disciplinaires de l’ordre des experts-comptables, aux fins notamment de garantir le respect des principes d’indépendance et d’impartialité, de telles règles ressortissant à la compétence du pouvoir réglementaire, lui-même tenu d’assurer le respect des exigences constitutionnelles découlant de l’article 16 de la Déclaration de 178935.
Dernièrement, dans sa décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, saisi de la procédure disciplinaire applicable aux notaires, le Conseil constitutionnel, tout en déclarant qu’elle était soumise aux exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789, a jugé qu’elle ne relevait toutefois pas « du domaine de la loi mais, sous le contrôle du juge compétent, du domaine réglementaire » et n’a pu ainsi qu’écarter « le grief tiré de ce que les dispositions législatives contestées méconnaîtraient ces exigences, faute de prévoir que le professionnel poursuivi disciplinairement doit être informé de son droit de se taire lors de sa comparution devant le tribunal judiciaire »36.
* Des règles de la procédure disciplinaire peuvent néanmoins relever de la compétence du législateur en vertu d’une disposition particulière de la Constitution. Le Conseil peut alors être amené à en prononcer la censure lorsqu’elles méconnaissent des exigences constitutionnelles, comme l’illustre la décision n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024 s’agissant des dispositions de l’ordonnance du 22 décembre 1958 relatives à la procédure disciplinaire applicable aux magistrats37, dans laquelle le Conseil a ainsi implicitement tenu compte de ce que cette procédure relève de la compétence du législateur organique en application de l’article 65 de la Constitution.
S’agissant des autres agents publics, si aucune disposition de la Constitution ne confie expressément au législateur le soin de fixer les règles de la procédure disciplinaire qui leur sont applicables, le neuvième alinéa de son article 34 prévoit néanmoins que la loi fixe les règles concernant « les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État ».
En principe, toute disposition applicable aux fonctionnaires peut ainsi relever de la compétence du législateur si elle constitue une garantie fondamentale.
Le Conseil constitutionnel a été amené à plusieurs reprises à préciser l’étendue de la compétence du législateur sur le fondement de ces dispositions. Il a en particulier jugé que relevaient de ces « garanties fondamentales » :
- les règles de recrutement des fonctionnaires et notamment le principe du concours38 ;
- des dispositions prévoyant que les nominations de membres du corps des chambres régionales des comptes sont prononcées après inscription sur des listes d’aptitude établies par ordre de mérite par un jury39 ;
- des dispositions relatives à la situation de réorientation professionnelle dans laquelle est placé un fonctionnaire en cas de restructuration d’une administration de l’État, qui « définissent également les droits et les devoirs du fonctionnaire intéressé »40.
- des dispositions relatives au droit à pension, reconnu aux anciens fonctionnaires41 ;
- ou encore des dispositions relatives aux conditions dans lesquelles s’exercent, pour les fonctionnaires, le principe de la participation des travailleurs à la détermination collective des conditions de travail42.
En revanche, ne relèvent pas du domaine de la loi, dès lors qu’elles ne mettent pas en cause des règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires de l’État, des dispositions ayant seulement pour objet d’aménager le déroulement de la carrière des fonctionnaires et, notamment, de fixer des conditions d’avancement43 ou encore des conditions d’affectation à certains emplois44.
S’agissant des militaires, le Conseil a par ailleurs reconnu le caractère législatif de la sanction disciplinaire de mise aux arrêts, dans sa décision n° 2014-450 QPC du 27 février 201545.
* Enfin, le Conseil juge que la compétence reconnue par le neuvième alinéa de l’article 34 au législateur ne fait pas obstacle à la compétence du pouvoir réglementaire pour déterminer les conditions d’application des règles fixées par la loi.
En vertu de sa jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge ainsi que « si l’article 34 de la Constitution réserve au législateur le soin de fixer les "règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils de l’État", il appartient normalement au pouvoir réglementaire de mettre en œuvre lesdites règles à l’occasion des dispositions qu’il édicte pour fixer le statut du personnel de chaque administration ou la situation particulière d’une catégorie de fonctionnaires »46. Il en va ainsi notamment des modalités de reclassement et de reconstitution de carrière des fonctionnaires47 ou encore des modalités du choix du jury d’un concours de recrutement ainsi que des conditions à remplir de la part des candidats à ce concours48.
2 – La jurisprudence constitutionnelle relative au droit de ne pas s’accuser et au droit de se taire
Dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle au principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser », qu’il a rattaché à l’article 9 de la Déclaration de 1789 relatif à la présomption d’innocence. Il en a aussitôt précisé la portée en relevant que ce principe « n’interdit [pas] à une personne de reconnaître librement sa culpabilité »49. Le commentaire de cette décision précise qu’aucune exigence constitutionnelle « ne fait obstacle à ce qu’une personne reconnaisse sa culpabilité si elle le fait volontairement, consciemment et librement, c’est-à-dire en dehors de tout "chantage", de tout "marchandage", de tout malentendu et de toute contrainte ».
Le Conseil a par ailleurs jugé à plusieurs reprises que le droit de ne pas s’accuser doit être respecté « à l’égard des mineurs comme des majeurs »50.
* Dans sa décision n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser ce que recouvrait le droit de ne pas s’accuser en reconnaissant, pour la première fois, qu’il en découle un « droit de se taire » en faveur de la personne mise en cause dans le cadre d’une garde à vue51.
Il était alors saisi de dispositions qui prévoyaient que ne pouvait constituer une cause de nullité de procédure le fait que la personne gardée à vue ait été entendue après avoir prêté serment (une telle formalité n’étant pas requise en garde à vue). Il a d’abord relevé qu’en l’état du droit alors applicable lors d’une commission rogatoire, il était possible d’imposer à une personne, placée en garde à vue et qui s’était vue notifier le droit de se taire, d’être auditionnée et de prêter le serment prévu pour les témoins de dire toute la vérité. Il a jugé que « Faire ainsi prêter serment à une personne entendue en garde à vue de "dire toute la vérité, rien que la vérité" peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire ou de nature à contredire l’information qu’elle a reçue concernant ce droit. Dès lors, en faisant obstacle, en toute circonstance, à la nullité d’une audition réalisée sous serment lors d’une garde à vue dans le cadre d’une commission rogatoire, les dispositions contestées portent atteinte au droit de se taire de la personne soupçonnée »52.
* Puis, dans sa décision n° 2020-886 QPC du 4 mars 2021, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les circonstances dans lesquelles, en dehors du cadre particulier de la garde à vue, une personne mise en cause dans une affaire pénale doit être informée de son droit de se taire.
Il s’agissait en l’occurrence des dispositions organisant la comparution préalable du prévenu majeur devant le juge des libertés et de la détention, en vue de son placement en détention provisoire dans l’attente de son jugement en comparution immédiate. Le Conseil a jugé que les dispositions contestées méconnaissaient le droit de se taire, faute de prévoir que le prévenu traduit devant ce magistrat doit être informé de ce droit. Pour conclure à la censure de ces dispositions, le Conseil a tenu compte, à la fois, de l’office du juge des libertés et de la détention (JLD) dans le cadre de cette comparution et des conditions dans lesquelles les déclarations du prévenu peuvent être recueillies et utilisées, le cas échéant contre lui, dans la suite de la procédure.
En premier lieu, le Conseil a considéré que « l’office confié au juge des libertés et de la détention par l’article 396 du [code de procédure pénale (CPP)] peut le conduire à porter une appréciation des faits retenus à titre de charges par le procureur de la République dans sa saisine »53. En second lieu, il a relevé que, lorsqu’il présente ses observations, « le prévenu peut être amené à reconnaître les faits qui lui sont reprochés. En outre, le fait même que le juge des libertés et de la détention invite le prévenu à présenter ses observations peut être de nature à lui laisser croire qu’il ne dispose pas du droit de se taire. Or, si la décision du juge des libertés et de la détention est sans incidence sur l’étendue de la saisine du tribunal correctionnel, en particulier quant à la qualification des faits retenus, les observations du prévenu sont susceptibles d’être portées à la connaissance de ce tribunal lorsqu’elles sont consignées dans l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ou le procès-verbal de comparution »54.
Le Conseil a, par la suite, été saisi à plusieurs reprises de dispositions relatives à la procédure pénale, qui étaient contestées en raison de l’absence de notification à la personne mise en cause de son droit de se taire, et a confirmé cette ligne jurisprudentielle55.
Il résulte de sa jurisprudence désormais bien établie que, pour contrôler le respect du droit de se taire dans les affaires où il était saisi de dispositions ne prévoyant pas que la personne mise en cause est informée de ce droit à l’occasion d’une audition ou d’un interrogatoire, le Conseil constitutionnel a dégagé une grille d’analyse qui repose sur trois aspects :
– en premier lieu, il s’intéresse au cadre dans lequel la personne mise en cause est entendue, en s’assurant du rôle de l’autorité compétente pour interroger cette dernière ou recueillir ses observations et en vérifiant que cette autorité est susceptible de la conduire à évoquer avec la personne concernée les faits qui lui sont reprochés : le Conseil tient compte, selon les cas, de l’office du juge dans la procédure, qui peut le conduire à porter une appréciation sur les faits retenus à titre de charge contre la personne poursuivie, ou de la mission incombant à l’autorité chargée d’effectuer une mesure d’instruction ;
– en deuxième lieu, le Conseil s’attache aux conditions dans lesquelles la personne mise en cause est entendue : à cet égard, il vérifie que cette personne peut être amenée à s’exprimer et, compte tenu de l’objet de l’audition ou de l’interrogatoire, à s’auto-incriminer. Lorsque l’audition ou la comparution de l’intéressé s’impose à lui, le Conseil a par ailleurs ajouté, dans certaines affaires, que les conditions de cette audition ou comparution pouvaient être de nature à lui laisser croire qu’il ne disposait pas du droit de se taire ;
– en dernier lieu, le Conseil tient compte de ce que les observations de l’intéressé, ses déclarations ou les réponses apportées aux questions de l’autorité compétente sont susceptibles d’être portées, in fine, à la connaissance de la juridiction de jugement.
* Récemment, le Conseil a par ailleurs jugé que les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 garantissant le droit de se taire ne se limitent pas à la seule procédure pénale, mais s’étendent également à la matière disciplinaire.
- Ainsi, dans sa décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, le Conseil constitutionnel a jugé pour la première fois que la notification du droit de se taire trouvait bien à s’appliquer à un professionnel poursuivi dans le cadre d’une procédure disciplinaire.
Après avoir cité les termes de l’article 9 de la Déclaration de 1789 et sa formulation de principe consacrant la valeur constitutionnelle du droit de ne pas s’accuser, dont découle le droit de se taire, il a tout d’abord indiqué que « Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition ». Puis il a jugé que les exigences précitées « impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire »56.
Confrontant ces exigences aux dispositions contestées, le Conseil a toutefois relevé que « ni ces dispositions, qui se bornent à désigner les titulaires de l’action disciplinaire, ni aucune autre disposition législative ne fixent les conditions selon lesquelles l’officier public ou ministériel poursuivi comparaît devant le tribunal judiciaire »57. Après avoir rappelé que « la procédure disciplinaire applicable à ces officiers publics et ministériels, qui est soumise aux exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789, ne relève pas du domaine de la loi mais, sous le contrôle du juge compétent, du domaine réglementaire », il a dès lors écarté le grief tiré de ce que les dispositions législatives contestées méconnaîtraient ces exigences, faute de prévoir que le professionnel poursuivi disciplinairement doit être informé de son droit de se taire lors de sa comparution devant le tribunal judiciaire58.
Ainsi que le souligne le commentaire de cette décision, « Le législateur n’avait (...) pas à prévoir les règles de procédure applicables devant les instances disciplinaires de l’ordre des notaires, de telles règles ressortissant à la compétence du pouvoir réglementaire, qui est lui-même tenu d’assurer le respect des exigences constitutionnelles, dont celles découlant de l’article 9 de la Déclaration de 1789 ».
- Dans sa décision n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024, le Conseil a procédé à une première application positive de l’exigence ainsi étendue aux procédures disciplinaires, à propos des dispositions organiques déterminant les conditions dans lesquelles est auditionné un magistrat du siège faisant l’objet de poursuites disciplinaires devant le Conseil supérieur de la magistrature.
Il a tout d’abord rappelé la formule de principe énoncée dans sa décision n° 2023–1074 QPC du 8 décembre 2023 selon laquelle les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 impliquent que « le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire ».
À cet égard, le commentaire de la décision souligne que « Si l’exigence ainsi formulée en matière disciplinaire ne se différencie pas, en substance, de celle que le Conseil constitutionnel applique en matière pénale, la référence à des "poursuites disciplinaires" signifie en revanche que la notification du droit de se taire ne s’impose constitutionnellement qu’à compter du moment où une procédure disciplinaire est effectivement engagée à l’encontre du professionnel mis en cause ».
Reprenant la grille d’analyse développée pour le contrôle du respect de l’exigence de notification du droit de se taire en matière pénale, le Conseil a ensuite relevé que, « lorsque le président du conseil de discipline estime qu’il y a lieu de procéder à une enquête, le rapporteur a la faculté d’interroger le magistrat mis en cause sur les faits qui lui sont reprochés » et que « lors de la comparution devant le conseil de discipline, il revient à ce dernier d’inviter le magistrat à fournir ses explications et moyens de défense sur ces mêmes faits ». Il en a déduit que « le magistrat mis en cause peut être amené à reconnaître les manquements pour lesquels il est disciplinairement poursuivi. En outre, le fait même que ce magistrat soit entendu ou invité à présenter ses observations peut être de nature à lui laisser croire qu’il ne dispose pas du droit de se taire »59.
Il a également constaté que, « lors de l’audience, le conseil de discipline prend connaissance des déclarations du magistrat qui sont consignées dans le rapport établi à la suite de l’enquête et reçoit celles qui sont faites devant lui »60.
Le Conseil a déduit de l’ensemble de ces éléments que, en ne prévoyant pas que ce magistrat doit être informé de son droit de se taire, lors de son audition par le rapporteur et lors de sa comparution devant le conseil de discipline, les dispositions contestées méconnaissaient les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789, et les a déclarées contraires à la Constitution.
C. – L’application à l’espèce
* Dans la décision commentée, après avoir cité l’article 9 de la Déclaration de 1789, le Conseil a réaffirmé la conséquence qu’il en tire, depuis sa décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023 précitée, s’agissant de l’information du droit de se taire à un professionnel poursuivi disciplinairement : « Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire » (paragr. 9).
Le Conseil étant ici saisi de dispositions auxquelles il était reproché ne pas avoir prévu une telle garantie pour des fonctionnaires poursuivis disciplinairement, il s’est également fondé sur l’article 34 de la Constitution, aux termes duquel la loi fixe les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires civils et militaires de l’État (paragr. 10).
Ce faisant, il a implicitement considéré que la notification du droit de se taire doit être regardée comme l’une des garanties fondamentales accordées aux fonctionnaires qu’il appartient au législateur de prévoir en vertu du neuvième alinéa de l’article 34 de la Constitution, quand bien même les règles relatives à la procédure disciplinaire relèvent, en tant que telles, du pouvoir réglementaire.
* Le Conseil a ensuite décrit l’objet des dispositions législatives contestées, qui énonçaient d’une façon identique, mais à deux époques distinctes, certaines garanties dont bénéficie le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée.
Il a ainsi rappelé que les articles 19 de la loi du 13 juillet 1983 et L. 532-4 du CGFP prévoyaient notamment que ce dernier a droit à la communication de l’intégralité de son dossier individuel (paragr. 11) et qu’en application des dispositions contestées, l’administration est tenue de l’informer de ce droit (paragr. 12).
Le Conseil a, en revanche, constaté que « ni ces dispositions ni aucune autre disposition législative ne prévoient que le fonctionnaire poursuivi disciplinairement est informé de son droit de se taire » (paragr. 12).
Reprenant la grille d’analyse qu’il a développée pour s’assurer du respect des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 en matière pénale, et qu’il a dernièrement appliquée à la matière disciplinaire dans sa décision n° 2024–1097 QPC du 26 juin 2024, le Conseil a tout d’abord tiré des articles 19 de la loi du 13 juillet 1983 et L. 532-5 du CGFP, qui composent le cadre législatif applicable à la procédure disciplinaire, le constat que le fonctionnaire poursuivi ne peut faire l’objet d’une sanction disciplinaire autre que celles classées dans le premier groupe « qu’après consultation d’un conseil de discipline devant lequel il est convoqué » (paragr. 13).
Il a alors souligné que, « Lorsqu’il comparaît devant cette instance, le fonctionnaire peut être amené, en réponse aux questions qui lui sont posées, à reconnaître les manquements pour lesquels il est poursuivi disciplinairement » (même paragr.).
Or, le Conseil a relevé que les déclarations ou les réponses du fonctionnaire devant cette instance sont susceptibles d’être ensuite portées à la connaissance de l’autorité investie du pouvoir de sanction (paragr. 14).
Au regard de ces éléments, et dans la droite ligne de ses précédentes décisions, le Conseil a donc jugé qu’« en ne prévoyant pas que le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 » (paragr. 15).
Dès lors, et sans qu’il soit besoin pour le Conseil de se prononcer sur les autres griefs, les dispositions contestées ont été déclarées contraires à la Constitution (même paragr.).
* Pour finir, le Conseil constitutionnel a déterminé les effets dans le temps de cette déclaration d’inconstitutionnalité.
À cet égard, il a d’abord relevé que les dispositions de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, n’étaient plus en vigueur à la date de sa décision (paragr. 17).
S’agissant du deuxième alinéa de l’article L. 532-4 du CGFP, le Conseil a considéré que son abrogation immédiate entraînerait des conséquences manifestement excessives, dans la mesure où elle aurait pour effet de supprimer l’obligation pour l’administration d’informer le fonctionnaire poursuivi disciplinairement de son droit à communication du dossier. Il a donc reporté au 1er octobre 2025 la date d’abrogation de ces dispositions (paragr. 18).
Néanmoins, afin de faire cesser immédiatement l’inconstitutionnalité constatée, le Conseil a, par une réserve transitoire, jugé que, « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation de ces dispositions, le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée doit être informé de son droit de se taire devant le conseil de discipline » (même paragr.).
Enfin, le Conseil constitutionnel a donné effet à la censure pour la période passée, en jugeant que la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions concernées des articles 19 de la loi du 13 juillet 1983 et L. 532-4 du CGFP « peut être invoquée dans les instances introduites à la date de publication de la présente décision et non jugées définitivement » (paragr. 19).
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1 Selon les professeurs Thierry Renoux, Michel Devillers et Xavier Magnon, en particulier, « L’article 15 donne un fondement constitutionnel aux différents régimes de responsabilité des agents publics, qu’il s’agisse de la responsabilité administrative générale (et notamment de la responsabilité personnelle des agents publics vis à vis des collectivités publiques comme des administrés) ou de la responsabilité spécifique en matière de gestion des finances publiques en tant qu’ordonnateurs que de comptables. Il sert également de fondement aux contrôles et aux inspections » (« Article 15 de la Déclaration de 1789 », in Code constitutionnel, Lexis Nexis, 2021, p. 476). Pour Guy Carcassonne et Marc Guillaume, ce principe « sain » ne fait qu’illustrer un adage selon lequel « Point de responsabilité exercée sans responsabilité assumée ... c’est (...) une exigence de bonne administration que celle qu’impose inspections et contrôles sur les détenteurs de l’autorité » (La Constitution, 16e éd., Seuil, 2022, p. 445).
2 Fabrice Melleray, Droit de la fonction publique, Corpus droit public, 1re éd., Economica, 2005, p. 341.
3 CE, 2 juillet 2010, n° 322521 ; CE, 17 mai 2006, n° 268938.
4 Ainsi que l’explique le président Vigouroux, « la sanction disciplinaire n’est ni une ordalie ni une vengeance privée, elle est un impératif de service public. Elle exprime le devoir de la collectivité publique de veiller à son meilleur fonctionnement » (Christian Vigouroux, « Diverses responsabilités de l’agent », in Déontologie des fonctions publiques, 2e éd., Dalloz Référence, 2013, n° 52.41).
5 Ces dispositions sont applicables aux agents contractuels.
6 L’article L. 125-1 du CGFP prévoit ainsi que « L’agent public peut faire l’objet de poursuites disciplinaires et pénales à raison des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions ».
7 « Les obligations professionnelles auxquelles doivent répondre les agents empêchent le législateur de donner une définition juridique précise de ce que l’on peut appeler un manquement professionnel. (...) Dans ces conditions, on comprend que la pratique déontologique des fonctionnaires applique un concept très souple et occasionnel du manquement professionnel » (Alain Plantey et Marie-Cécile Plantey, La fonction publique, 3e éd., LexisNexis, 2012, p. 793).
8 En vertu du premier alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983, devenu l’article L. 532-1 du CGFP, le pouvoir disciplinaire appartient en principe à l’autorité hiérarchique, c’est-à-dire à celle investie du pouvoir de nomination. Ce pouvoir peut toutefois être délégué dans la fonction publique d’État, ainsi que le prévoit l’article L. 532-3 du CGFP.
9 Toutefois, dans le cadre d’un recours pour excès de pouvoir, dont peut faire l’objet une sanction disciplinaire, le juge administratif vérifie que les règles de forme et de procédure ont été respectées et, au titre de la légalité interne, non seulement que la matérialité des faits est établie, mais également que ceux-ci justifient le prononcé d’une sanction et que celle-ci est proportionnée à leur gravité. À la suite d’une évolution de sa jurisprudence sur ce dernier point, le Conseil d’État juge en effet qu’« il appartient au juge de l’excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l’objet d’une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes » (CE, Ass., 13 novembre 2013, n° 347704).
10 Le CGFP ne prévoit que des dispositions relatives à l’engagement des poursuites par l’autorité compétente (articles L. 532-1 à L. 532-3), à certaines garanties accordées au fonctionnaire (voir ci-après) et aux conseils de discipline dans la fonction publique territoriale et la fonction publique hospitalière (L. 532-7 à L. 532-13). La procédure disciplinaire est détaillée pour les fonctionnaires de l’État par le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984, pour les fonctionnaires territoriaux par le décret n° 89-677 du 18 septembre 1989 et pour les fonctionnaires relevant de la fonction publique hospitalière par le décret n° 89-822 du 7 novembre 1989 .
11 Article 2 du décret du 25 octobre 1984 précité pour les fonctionnaires de l’État ; article L. 532-9 du CGFP, et article 4 du décret du 18 septembre 1989 précité pour les fonctionnaires territoriaux ; article 1er du décret du 7 novembre 1989 précité pour les fonctionnaires hospitaliers.
12 Article 4 du décret du 25 octobre 1984, article 6 du décret du 18 septembre 1989 et article 2 du décret du 7 novembre 1989.
13 Article 5 du décret du 25 octobre 1984, article 9 du décret du 18 septembre 1989 et article 6 du décret du 7 novembre 1989.
14 Article 8 du décret du 25 octobre 1984 et article 9 du décret du 7 novembre 1989.
15 Article 6 du décret du 25 octobre 1984, article 10 du décret du 18 septembre 1989 et article 7 du décret du 7 novembre 1989.
16 Article 12 du décret du 25 octobre 1984, article 14 du décret du 18 septembre 1989 et article 11 du décret du 7 novembre 1989.
17 Article 11 du décret du 25 octobre 1984, article 14 du décret du 18 septembre 1989 et article 11 du décret du 7 novembre 1989.
18 Sur cette évolution, voir Alain Plantey et Marie-Cécile Plantey, La fonction publique, op. cit., pp. 289 et 291..
19 L’article 2 de la loi du 13 juillet 1983 énonçait que « La présente loi s’applique aux fonctionnaires civils des administrations de l’État, des régions, des départements, des communes et de leurs établissements publics y compris les établissements mentionnés à l’article 2 du titre IV du statut général des fonctionnaires de l’État et des collectivités territoriales [soit les fonctionnaires de la fonction publique hospitalière] ».
20 Voir notamment le rapport n° 1453 de M. Georges Labazée, fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale du 21 avril 1983.
21 Ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique, prise en vertu de l’habilitation figurant à l’article 55 de la loi n° 2019-828 du 6 août 2019 modifiée de transformation de la fonction publique et de l’article 14 de la loi n° 2020-290 du 23 mars 2020 modifiée d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid-19 (prolongation du délai d’habilitation).
22 Comme le soulignait le rapporteur de l’Assemblée nationale de l’époque, ces dispositions « réaffirme[nt] tout d’abord une règle fondamentale du droit de la fonction publique dans laquelle le juge a reconnu un principe général du droit. Il prévoit en effet que le fonctionnaire à l’encontre duquel une procédure disciplinaire est engagée a droit à la communication de son dossier. […] Elle s’ordonne autour du double souci d’assurer un débat loyal et contradictoire […] (Rapport n° 1453 précité de M. Georges Labazée).
23 CE, 8 décembre 1999, n° 199217.
24 La troisième phrase du troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 prévoyait, par ailleurs, qu’aucune sanction disciplinaire, autre que celles classées dans le premier groupe par les dispositions statutaires relatives aux fonctions publiques de l’État, territoriale et hospitalière, ne peut être prononcée sans consultation préalable d’un organisme siégeant en conseil de discipline dans lequel le personnel est représenté. Ces dispositions ont été codifiées à l’article L. 532-5 du CGFP.
25 Il relevait à ce titre de la fonction publique territoriale.
26 Les dispositions de l’article L. 532-4 du CGFP, en vigueur depuis le 1er mars 2022, reprennent en effet une partie des garanties qui figuraient au troisième alinéa de l’article 19 de la loi du 13 juillet 1983 avant son abrogation.
27 Voir la décision n° 2022-1007 QPC du 5 août 2022, Syndicat national de l’enseignement action et démocratie (Assistance d’un fonctionnaire pour l’exercice d’un recours administratif), paragr. 12. Dans le même sens, voir aussi, précédemment, la décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S. (Hospitalisation sans consentement).
28 L’article L. 532-4 du CGFP n’ayant quant à lui jamais été modifié depuis son adoption, le Conseil constitutionnel a constaté qu’il en était nécessairement saisi dans sa version issue de l’ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique.
29 Figure au nombre de ces règles celle qui exige que la Cour de discipline budgétaire et financière soit composée à la fois de membres du Conseil d’État et de la Cour des comptes.
30 Décision n° 2005-198 L du 3 mars 2005, Nature juridique de dispositions du code des juridictions financières, cons. 4. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé que les dispositions relatives à la publicité de l’audience relevaient de la compétence du pouvoir réglementaire.
31 Décision n° 2011-171/178 QPC du 29 septembre 2011, M. Michael C. et autre (Renvoi au décret pour fixer certaines dispositions relatives à l’exercice de la profession d’avocat), cons. 5.
32 Voir sur ce point le commentaire de la décision n° 2017-630 QPC du 19 mai 2017, M. Olivier D. (Renvoi au décret pour fixer les règles de déontologie et les sanctions disciplinaires des avocats).
33 Décision n° 2014-247 L du 25 avril 2014, Nature juridique des dispositions de la dernière phrase de l’article L. 4443-4-1 du code de la santé publique, cons. 2.
34 Décision n° 2022-1019 QPC du 27 octobre 2022, M. Bruno M. (Composition des instances disciplinaires de l’ordre des experts-comptables), paragr. 7.
35 Par le passé, le Conseil avait également jugé, s’agissant de la mise en œuvre du principe du contradictoire dans une procédure disciplinaire, que « si le caractère contradictoire de la procédure est de nature législative, les dispositions mettant en application ce principe dans une procédure disciplinaire sont de nature réglementaire » (décision n° 85-142 L du 13 novembre 1985, Nature juridique de dispositions contenues dans des textes relatifs à la sécurité sociale, cons. 11).
36 Décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, M. Renaud N. (Information du notaire poursuivi du droit qu’il a de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire), paragr. 12 et 13.
37 Décision n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024, M. Hervé A. (Information du magistrat mis en cause du droit qu’il a de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire).
38 Voir sur ce point, la décision n° 63-23 L du 19 février 1963, Nature juridique des dispositions de l’article 1er de la loi n° 60-769 du 30 juillet 1960 relative au corps des Commissaires de l’Air, en tant qu’elles modifient la loi du 9 avril 1935 fixant le statut du personnel des cadres actifs de l’Armée de l’Air, par l’adjonction d’un article 49 ter (e, 1), à propos du recrutement des officiers du commissariat de l’air ; ou encore la décision n° 91-165 L du 12 mars 1991, Nature juridique de certaines dispositions des articles 1er et 2 de la loi n° 80-511 du 7 juillet 1980 relative au recrutement des membres des tribunaux administratifs.
39 Décision n° 89-160 L du 26 juillet 1989, Nature juridique de certaines dispositions de l’article 28 de la loi n° 82-595 du 10 juillet 1982 relative au statut des membres des chambres régionales des comptes, cons. 3.
40 Décision n° 2011-134 QPC du 17 juin 2011, Union générale des fédérations de fonctionnaires CGT et autres (Réorientation professionnelle des fonctionnaires), cons. 11 et 12
41 Décision n° 85-200 DC du 16 janvier 1986, Loi relative à la limitation des possibilités de cumul entre pensions de retraite et revenus d’activité, cons. 8.
42 Décision n° 2021-956 QPC du 10 décembre 2021, Union fédérale des syndicats de l’État – CGT et autres (Modification et dénonciation des accords collectifs dans la fonction publique), paragr. 5.
43 Décision n° 61-2 FNR du 30 juin 1961, Amendements présentés par M. Monteil, sénateur, à un projet de loi modifiant certaines dispositions de la loi du 4 mars 1929 portant organisation des différents corps d’Officiers de l’Armée de Mer et du Corps des Équipages de la Flotte, cons. 1.
44 Voir la décision n° 2021-961 QPC du 14 janvier 2022, Union syndicale des magistrats administratifs et autres (Nominations au sein des services d’inspection générale de l’État, au grade de maître des requêtes du Conseil d’État et de conseiller référendaire à la Cour des comptes), paragr. 15.
45 Décision n° 2014-450 QPC du 27 février 2015, M. Pierre T. et autre (Sanctions disciplinaires des militaires - Arrêts simples), cons. 5 et 9.
46 Décision n° 60-8 L du 14 octobre 1960, Nature juridique de l’article 5 (alinéa 4) de l’ordonnance n° 59-273 du 4 février 1959 relative à la Radiodiffusion-Télévision française.
47 Décision n° 2003-194 L du 22 mai 2003, Nature juridique de dispositions relatives à la composition des commissions administratives de reclassement des fonctionnaires ayant servi en Afrique du Nord, cons. 2.
48 Décision n° 91-165 L du 12 mars 1991, précitée, cons. 4.
49 Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 110. Sur la valeur constitutionnelle du principe, voir également la décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, M. Jean-Victor C. (Fichier empreintes génétiques), cons. 17.
50 Décisions n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, cons. 27, et n° 2007-553 DC du 3 mars 2007, Loi relative à la prévention de la délinquance, cons. 10.
51 Décision n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, Mme Sylvie T. (Absence de nullité en cas d’audition réalisée sous serment au cours d’une garde à vue), paragr. 5. Jusqu’à cette décision, le droit de se taire n’avait été abordé par le Conseil constitutionnel que sous l’angle de sa notification, selon qu’elle était prévue ou non, dans le cadre particulier de la garde à vue. Le Conseil l’avait alors reconnu comme une garantie participant aux droits de la défense. Sur ce point, voir les décisions n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres (Garde à vue), cons. 28, et n° 2014-428 QPC du 21 novembre 2014, M. Nadav B. (Report de l’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue en matière de délinquance ou de criminalité organisées), cons. 13.
52 Décision n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016 précitée, paragr. 8.
53 Décision n° 2020-886 QPC du 4 mars 2021, M. Oussama C. (Information du prévenu du droit qu’il a de se taire devant le juge des libertés et de la détention en cas de comparution immédiate), paragr. 7.
54 Ibidem, paragr. 8.
55 Voir les décisions n° 2021-894 QPC du 9 avril 2021, M. Mohamed H. (Information du mineur du droit qu’il a de se taire lorsqu’il est entendu par le service de la protection judiciaire de la jeunesse), n° 2021-895/901/902/903 QPC du 9 avril 2021, M. Francis S. et autres (Information de la personne mise en examen du droit qu’elle a de se taire devant la chambre de l’instruction), n° 2021-920 QPC du 18 juin 2021, M. Al Hassane S. (Information du prévenu ou de l’accusé du droit qu’il a de se taire devant les juridictions saisies d’une demande de mainlevée du contrôle judiciaire ou de mise en liberté), n° 2021-934 QPC du 30 septembre 2021, M. Djibril D. (Information du prévenu du droit qu’il a de se taire devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer sur des mesures de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence dans le cadre de la procédure de convocation par procès-verbal), n° 2021-935 QPC du 30 septembre 2021, M. Rabah D. (Information de la personne mise en examen du droit qu’elle a de se taire devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer sur une mesure de détention provisoire dans le cadre d’une procédure d’instruction), n° 2021-975 QPC du 25 février 2022, M. Roger C. (Information de la personne mise en cause du droit qu’elle a de se taire lors d’un examen réalisé par une personne requise par le procureur de la République - Information du tuteur ou du curateur de la possibilité de désigner un avocat pour assister un majeur protégé entendu librement) et, récemment, dans le cadre d’une procédure écrite, n° 2024–1089 QPC du 17 mai 2024, M. Christophe M. (Information de la personne mise en cause du droit qu’elle a de se taire lorsqu’elle présente des observations ou des réponses écrites au juge d’instruction saisi d’un délit de diffamation ou d’injure).
56 Décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, précitée, paragr. 9.
57 Ibid., paragr. 11.
58 Ibid., paragr. 12 et 13.
59 Décision n° 2024-1097 QPC du 26 juin 2024 précitée, paragr. 12 et 13.
60 Ibid., paragr. 14.