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Commentaire de la décision 2024-1102 QPC

29/11/2024

Conformité - non lieu à statuer

Décision n° 2024-1102 QPC du 12 septembre 2024

 

Société Aéroports de la Côte d’Azur et autres

 

(Taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance)

 

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 juin 2024 par le Conseil d’État (décision nos 492584, 492595, 492637 et 492662 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la société Aéroports de la Côte d’Azur et plusieurs autres requérants1 portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 100 de la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.

 

Dans sa décision n° 2024-1102 QPC du 12 septembre 2024, le Conseil constitutionnel a d’abord jugé qu’il n’y avait pas lieu de statuer sur la QPC portant sur les mots « d’une ou de plusieurs infrastructures de transport de longue distance au sens de l’article L. 425-4 » figurant à l’article L. 425-2 du code des impositions sur les biens et services (CIBS), dans sa rédaction issue de la loi précitée du 29 décembre 2023.

 

Il a ensuite déclaré conformes à la Constitution :

 

– les 2° et 3° de l’article L. 425-2 du CIBS, le second alinéa de l’article L. 425–4 du même code, ses articles L. 425-5 et L. 425-6, les premier et dernier alinéas de son article L. 425–7, le premier alinéa de son article L. 425–8 ainsi que ses articles L. 425–12 et L. 425-15, dans leur rédaction issue de la loi précitée du 29 décembre 2023 ;

 

– les mots « et à l’article L. 425-1 du code des impositions sur les biens et services » figurant au premier alinéa du 4° du 1 de l’article 39 du code général des impôts, dans sa rédaction résultant de la même loi.

 

I. – Les dispositions renvoyées

 

A. – Objet des dispositions renvoyées

 

1. – Le contexte à l’origine de la création de la taxe sur l’exploitation des infrastructures de longue distance

 

Les déplacements, notamment routiers, aériens et maritimes, sont soumis à une fiscalité de la mobilité en application des dispositions du code des impositions sur les biens et services qui pèse, selon les prélèvements en cause, sur les utilisateurs des véhicules ou les entreprises de transport de passagers2.

 

En revanche, jusqu’à présent, l’exploitation des infrastructures de transport ne faisait pas l’objet, en tant que telle, d’une taxation spécifique, à l’exception des autoroutes concédées.

 

En effet, les sociétés concessionnaires d’autoroutes, qui s’acquittent en outre du paiement d’une redevance domaniale, sont soumises à deux impositions spécifiques au titre de leur exploitation. Ces sociétés sont redevables de la taxe sur la distance parcourue sur le réseau autoroutier concédé3, appelée également « taxe d’aménagement du territoire », dont le montant est déterminé en fonction de la distance parcourue par l’usager sur le réseau autoroutier et dont le produit, estimé à 751 millions d’euros pour 20244, est principalement affecté à l’agence de financement des infrastructures de transport de France (AFITF)5.

 

Jusqu’à l’adoption de la loi de finances pour 2024, les sociétés concessionnaires d’autoroutes étaient également redevables de la taxe sur les recettes de l’exploitation du réseau autoroutier concédé6. Cette taxe, dont le taux était compris entre 0,15 ‰ et 0,4 ‰, était assise sur une part du chiffre d’affaires de ces sociétés. Son produit, pour 2022, s’est élevé à 2,8 millions d’euros.

 

* Depuis plusieurs années, l’État a engagé plusieurs plans d’investissements dans le secteur autoroutier destinés à améliorer son impact environnemental, en cherchant à mettre à contribution les sociétés concessionnaires d’autoroutes.

 

Un protocole d’accord a ainsi été conclu à cette fin le 9 avril 2015 entre l’État et ces sociétés, aux termes duquel celles-ci se sont notamment engagées à verser une contribution exceptionnelle annuelle d’un montant de 60 millions d’euros pendant une durée de vingt ans au profit de l’AFITF, sans augmentation des tarifs de péage.

 

Néanmoins, en contrepartie de ce financement, outre l’allongement de la durée des concessions, l’État s’est lui-même engagé à l’égard des sociétés concessionnaires à maintenir la stabilité du régime fiscal qui leur est applicable. En vertu de l’article 32 des contrats de concession, dont les sociétés concessionnaires ont obtenu la modification, il a ainsi été prévu qu’en cas « de modification, de création ou de suppression […] d’impôt, de taxe, ou de redevance, y compris non fiscale, spécifiques aux sociétés concessionnaires d’autoroutes, les parties se rapprocheront, à la demande de l’une ou de l’autre, pour examiner si cette modification, création ou suppression est de nature à dégrader ou améliorer l’équilibre économique et financier de la concession, tel qu’il existait préalablement à la création, modification ou suppression dudit impôt, taxe ou redevance. Dans l’affirmative, les parties arrêtent, dans les meilleurs délais, les mesures de compensation, notamment tarifaires, à prendre en vue d’assurer, dans le respect du service public, des conditions économiques et financières ni détériorées ni améliorées »7.

 

Ainsi que le rappelle un rapport établi le 16 décembre 2020 par une commission d’enquête sénatoriale sur les concessions autoroutières8, les négociations de ce protocole d’accord avaient donné lieu à de fortes tensions. À cette époque, la Cour des comptes et l’Autorité de la concurrence avaient en effet dénoncé une « rente » injustifiée des sociétés concessionnaires d’autoroutes et invitaient l’État à revoir plus globalement le cadre juridique et financier des contrats de concession afin de rééquilibrer les relations entre l’État et ces dernières9.

 

* Cette question est réapparue à l’occasion de la présentation par le Gouvernement, le 24 février 2023, du « plan d’avenir pour les transports ». Ce plan, établi sur la base du rapport du conseil d’orientation des infrastructures (COI)10, prévoit une série d’investissements massifs dans les infrastructures, notamment ferroviaires, afin de réduire l’impact des mobilités sur l’environnement11.

 

Afin de mobiliser de nouvelles sources de financement en vue de sa mise en œuvre, le Gouvernement a envisagé différentes options visant à taxer les « superprofits » réalisés par les sociétés concessionnaires d’autoroutes, dont il estimait qu’ils résultaient d’un « effet d’aubaine », provenant en particulier de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés (IS) à partir de l’année 2018, tout en évitant que l’effet des mesures envisagées se trouve neutralisé par le mécanisme de compensation inscrit dans les contrats de concession.

 

Par un avis du 8 juin 202312, sollicité par le Gouvernement, le Conseil d’État a toutefois écarté la possibilité d’opérer une neutralisation législative du dispositif de compensation prévu par les contrats de concession des sociétés concessionnaires d’autoroutes, au motif que la clause prévue par l’article 32 devait être regardée « au sens de la jurisprudence constitutionnelle, comme un élément essentiel de l’économie générale des contrats en cause »13.

 

Par ailleurs, sur la question de savoir si une taxation dont le périmètre serait plus large pourrait être instaurée sans compensation, le Conseil d’État a estimé que « toute nouvelle contribution qui, sans viser explicitement les sociétés concessionnaires d’autoroutes, aurait pour effet pratique, compte tenu de ses modalités, de peser exclusivement ou quasi exclusivement sur elles pourrait entrer, sous réserve de l’appréciation du juge du contrat, dans le champ de l’article 32 et, par suite, ouvrir à ces sociétés un droit à compensation ».

 

Tenant compte de cet avis, le Gouvernement a soumis au Parlement la création d’une nouvelle taxe dont le champ d’application est étendu à tous les exploitants d’infrastructures de transport de longue distance (autoroutes, gares, ports et aéroports), bien que les critères d’assujettissement conduisent, en pratique, à ne la rendre applicable qu’aux sociétés concessionnaires d’autoroutes et aux principaux aéroports (Roissy, Orly, Marseille, Lyon, Nice et Toulouse)14.

 

2. – Le régime juridique de la taxe sur l’exploitation des infrastructures de longue distance

 

L’article 100 de la loi de finances pour 2024 (les dispositions objet de la décision commentée), qui institue la taxe sur l’exploitation des infrastructures de longue distance (TEILD), codifie son régime juridique dans une section dédiée du titre II du livre IV du CIBS, comprenant les articles L. 425–1 à L. 425-2015.

 

Les travaux préparatoires révèlent que l’intention du Gouvernement était d’instituer une imposition de toute nature dont le rendement devait atteindre « 600 M€ par an »16. Le champ d’application de la taxe a en outre été défini de manière à « cibler les exploitants d’infrastructures qui ont suffisamment d’assise financière pour absorber cette charge supplémentaire et qui sont susceptibles d’avoir bénéficié de la baisse du taux de l’impôt sur les sociétés »17.

 

* En vertu de l’article L. 425-2 du CIBS, est ainsi soumise à la taxe l’exploitation d’une ou de plusieurs infrastructures de transport de longue distance, lorsque trois conditions cumulatives sont remplies :

 

– l’exploitation doit être rattachée au territoire de taxation défini par la loi18 ;

 

– les revenus de l’exploitation encaissés au cours de l’année civile doivent excéder un montant de 120 millions d’euros ;

 

– et le niveau moyen de rentabilité de l’exploitant doit dépasser 10 %.

 

* L’article L. 425-4 précise quelles sont les infrastructures de transport relevant de ce champ d’application.

 

La notion d’infrastructure de transport de longue distance est définie comme permettant « le déplacement de personnes ou de marchandises sur une longue distance au moyen d’engins de transport routier, ferroviaire ou guidé, d’aéronefs ou d’engins flottants ».

 

Il est également précisé que les « déplacements de longue distance » doivent s’entendre « de ceux dont l’origine et la destination ne sont pas comprises dans le ressort d’une même autorité organisatrice de la mobilité […] ou de la région d’Île-de-France »19.

 

* L’article L. 425-3, qui détermine le territoire de taxation, prévoit que ces infrastructures sont principalement celles présentes sur le territoire métropolitain ainsi que dans les départements d’outre-mer20.

 

Seules sont en outre soumises à la taxe les infrastructures remplissant cumulativement deux conditions prévues par l’article L. 425-5 :

 

- d’une part, elles doivent être situées en totalité sur le territoire de taxation ;

 

- d’autre part, elles ne doivent pas être principalement utilisées pour la réalisation de déplacements autorisés par un État étranger dans le cadre d’une convention conclue avec ce dernier.

 

Ces dispositions visent notamment à exclure du champ de la taxe l’aéroport international de Bâle-Mulhouse-Fribourg21.

 

* Le champ des redevables de la taxe repose sur un double critère d’assujettissement tenant compte du niveau des revenus tirés de l’exploitation ainsi que d’un niveau moyen de rentabilité.

 

Ce choix traduit la volonté du législateur de n’imposer que « les entités qui exploitent des installations rentables dans le temps et génèrent un chiffre d’affaires important, sans affecter les entités qui ne le sont pas ou peu ou bien qui sont soumises à des variations importantes de résultat net d’un exercice à l’autre ou qui sont de petites tailles »22.

 

– Pour apprécier le seuil d’assujettissement fixé à 120 millions d’euros, l’article L. 425-6 précise que les revenus d’exploitation entrant dans l’assiette de la taxe correspondent à « l’ensemble des contreparties (...) obtenues ou à obtenir par l’entreprise qui exploite ces infrastructures au titre des opérations économiques qu’elle réalise ».

 

Cette règle est cependant assortie de deux exceptions.

 

Premièrement, ne sont pas considérées comme faisant partie des revenus à prendre en compte certaines contreparties, qui, répondant à trois conditions cumulatives, sont considérées comme dissociables de l’exploitation de l’infrastructure. Sont ainsi exclus de l’assiette de la taxe les revenus d’opérations relevant d’une activité distincte et indépendante de l’exploitation d’une infrastructure de transport de longue distance, qui ne sont pas réalisés au moyen d’une telle infrastructure et qui ne résultent pas d’une valorisation de son domaine ou de celui de ses accessoires23.

 

Deuxièmement, sont également exclues du périmètre des revenus d’exploitation les contreparties obtenues au titre de la vente d’électricité produite par l’exploitant de l’infrastructure à des personnes autres que les usagers de l’infrastructure. Selon le rapporteur de l’Assemblée nationale, « Il s’agit ici d’exclure les revenus pouvant être notamment retirés de l’exploitation de barrages permettant de rendre un fleuve navigable ou des panneaux photovoltaïques placés sur tout ou partie de l’infrastructure »24.

 

– Par ailleurs, l’assujettissement à la taxe suppose non seulement que l’exploitation de l’infrastructure génère un niveau minimal de revenus, mais aussi qu’elle excède un niveau moyen de rentabilité fixé à 10 % par l’article L. 425-225.

 

Selon l’article L. 425-7 du CIBS, ce niveau de rentabilité « s’entend du quotient, apprécié sur un exercice comptable, entre le résultat net et le chiffre d’affaires »26.

 

 

Cette rentabilité est évaluée en application de l’article L. 425–8 du CIBS en fonction d’une moyenne calculée sur les sept derniers exercices comptables achevés. Ainsi, pour apprécier le niveau moyen de rentabilité d’une entreprise exploitant une infrastructure de transport au titre de l’année 2024, il est tenu compte de son chiffre d’affaires ainsi que de son résultat net sur les exercices comptables de la période 2017-202327. Sont néanmoins exclus de la période prise en compte les deux exercices pour lesquels le niveau de rentabilité a été le plus élevé ainsi que les deux exercices pour lesquels il a été le plus faible.

 

* L’article L. 425-12 du CIBS précise, quant à lui, les modalités de calcul de la taxe.

 

Le taux de la taxe est fixé à 4,6 % et s’applique aux revenus d’exploitation encaissés au cours de l’année civile qui excèdent le seuil d’assujettissement fixé par l’article L. 425-2. Le montant de la taxe est ainsi égal au produit résultant de l’application de ce taux à la fraction de revenus d’exploitation excédant 120 millions d’euros28.

 

Ce montant ne peut être déduit du bénéfice net servant au calcul de l’impôt sur les sociétés en application des dispositions du paragraphe II de l’article 100 de la loi de finances pour 2024, qui modifient l’article 39 du CGI (autres dispositions objet de la décision commentée) afin d’ajouter la TEILD à la liste des impositions non déductibles de l’IS29.

 

* Les règles d’affectation de la taxe sont déterminées à l’article L. 425-20 du CIBS.

 

Il est prévu que plus de 80 % du produit de la taxe revienne à l’AFITF qui assure le financement par l’État des infrastructures de transport et, en particulier, de celles du réseau ferroviaire.

 

Le solde du produit de la taxe est pour sa part affecté, sous la forme de deux fractions d’un montant de 50 millions d’euros, aux départements ainsi qu’aux communes et groupements de communes qui exercent la compétence relative à la voirie30

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

La société AREA et huit autres sociétés concessionnaires d’autoroutes, la société ADP, la société Aéroports de la Côte d’Azur et deux autres sociétés aéroportuaires, ainsi que le syndicat professionnel UAFF avaient formé des recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État pour demander l’annulation du décret du 8 février 2024, précisant les modalités de déclaration et d’acquittement de la TEILD31.

 

À cette occasion, ces différents requérants avaient soulevé des QPC portant sur l’article 100 de la loi de finances pour 2024.

 

Dans sa décision précitée du 12 juin 2024, après avoir joint ces différentes QPC, le Conseil d’État avait d’abord relevé que si, par sa décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 202332, le Conseil constitutionnel avait jugé conformes à la Constitution les mots « d’une ou de plusieurs infrastructures de transport de longue distance au sens de l’article L. 425-4 » figurant à l’article L. 425-2 du CIBS, « les autres dispositions issues de cet article 100 n’ont pas été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel »

 

Puis, après avoir rappelé que les requérants faisaient valoir que « les dispositions résultant de l’article 100 de la loi du 29 décembre 2023 de finance pour 2024, en tant notamment qu’elles définissent les infrastructures de transport de longue distance dont l’exploitation est soumise à la taxe en cause, qu’elles en déterminent les critères d’assujettissement et qu’elles prennent en compte une condition tenant au niveau moyen de rentabilité de l’exploitant, portent atteinte au principe d’égalité devant la loi et au principe d’égalité devant les charges publiques », le Conseil d’État avait jugé que « Ces moyens soulèvent des questions qui présentent un caractère nouveau ou sérieux ». Il avait donc renvoyé ces QPC au Conseil constitutionnel.

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Les questions préalables

 

1. – La délimitation du champ de la QPC au regard des griefs invoqués

 

* Les parties requérantes, rejointes par les parties intervenantes, contestaient la conformité aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques de plusieurs aspects du régime de la TEILD.

 

S’agissant, en premier lieu, du champ d’application de la taxe, les parties requérantes et intervenantes soutenaient que, en définissant les « déplacements de longue distance » comme ceux dont l’origine et la destination ne sont pas comprises dans le ressort d’une même autorité organisatrice de la mobilité, ces dispositions retenaient un critère ne permettant pas de prendre en compte l’amplitude réelle de ces déplacements. Elles leur reprochaient également d’exclure du champ de la taxe les infrastructures de transport permettant des déplacements dans le ressort de la région d’Île-de-France, quelles que soient l’ampleur de ces déplacements et l’infrastructure utilisée. Elles critiquaient en outre l’exclusion du territoire de taxation des infrastructures de transport transfrontalières et de celles principalement utilisées pour la réalisation de déplacements autorisés par un État étranger en vertu d’une convention internationale. Selon elles, ces dispositions faisaient ainsi reposer le champ d’application de cette taxe sur des critères sans rapport avec son objet et instituaient des différences de traitement injustifiées entre les redevables.

 

S’agissant, en deuxième lieu, de la détermination des redevables de la taxe, elles reprochaient à ces dispositions de soumettre à une même imposition les exploitants d’infrastructures de transport de longue distance sans tenir compte de leurs différents modèles économiques et régimes juridiques, ni de leur inégale capacité à répercuter sur les usagers la taxe dont ils sont redevables. Certaines parties requérantes soutenaient également que les modalités d’affectation de la taxe introduisaient une différence de traitement injustifiée entre les redevables, dès lors qu’elle bénéficiait uniquement aux infrastructures ferroviaires et routières.

 

S’agissant, en troisième lieu, des critères d’assujettissement à la taxe, l’une des parties requérantes soutenait, d’une part, que le seuil de 120 millions d’euros de chiffre d’affaires à partir duquel l’exploitant d’une infrastructure de transport de longue distance est assujetti à la taxe ne reposait sur aucune justification objective ou rationnelle. Certaines parties requérantes et intervenantes reprochaient à cet égard au législateur d’avoir intégré, parmi les revenus de l’exploitation retenus pour apprécier ce seuil, ceux provenant d’activités commerciales accessoires ou étrangères à l’exploitation de l’infrastructure de transport ou ceux qui résultent seulement d’une valorisation du domaine relatif à une telle infrastructure, et d’avoir ainsi défini des règles d’assujettissement à la taxe qui étaient sans rapport avec son objet. Par ailleurs, les dispositions définissant les revenus de l’exploitation comme ceux obtenus ou à obtenir par l’entreprise qui exploite l’infrastructure étaient, selon elles, incohérentes avec celles prévoyant que sont soumis à la taxe les revenus encaissés au cours d’une année civile. En outre, ces mêmes parties reprochaient à ces dispositions d’instituer une différence de traitement injustifiée entre opérateurs exerçant une même activité économique, en imposant uniquement au titre de cette activité les opérateurs qui sont également exploitants d’une infrastructure de longue distance. Elles soutenaient que les exploitants d’infrastructures étaient eux-mêmes traités différemment, selon la rentabilité de leurs activités accessoires, sans qu’une telle différence de traitement ne soit justifiée. Elles faisaient également valoir que, en excluant des revenus de l’exploitation ceux provenant de la vente de l’électricité produite par l’exploitant, sauf dans le cas où cette électricité est revendue aux usagers de l’infrastructure, ces dispositions introduisaient une différence de traitement injustifiée entre les redevables de la taxe.

 

Certaines parties requérantes soutenaient, d’autre part, qu’en prévoyant que le niveau de rentabilité à partir duquel un exploitant est soumis à la taxe correspond au quotient entre le résultat net et le chiffre d’affaires réalisés au cours d’un exercice, ces dispositions ne permettaient pas d’apprécier la rentabilité réelle de l’exploitation. En outre, elles reprochaient à ces dispositions de subordonner l’assujettissement à la taxe à une évaluation de la rentabilité de l’exploitation au cours d’une période de sept exercices, antérieure à l’année d’imposition, sans tenir compte du déficit comptable pouvant être constaté, le cas échéant, au cours de cette dernière année. Par ailleurs, une telle période ne tenait pas compte du cycle d’amortissement des investissements réalisés par l’exploitant d’une infrastructure de transport de longue distance, qui s’étendrait sur une durée plus importante. Ces mêmes parties reprochaient également à ces dispositions d’introduire une différence de traitement injustifiée entre exploitants, au motif que ceux ayant débuté leur activité depuis moins de sept exercices comptables n’étaient pas assujettis à la taxe. Elles critiquaient par ailleurs l’exclusion de toute déduction du montant de la taxe due au titre d’un exercice pour apprécier la rentabilité de l’exploitation.

 

S’agissant, en quatrième lieu, de la charge représentée par cette nouvelle taxe, certaines parties requérantes et intervenantes soutenaient, d’une part, que faute de prévoir un mécanisme de plafonnement du montant de la taxe ou un barème progressif, ces dispositions ne prenaient pas suffisamment en compte les capacités contributives des entreprises redevables. D’autre part, le montant de la taxe n’étant pas déductible de l’impôt sur les sociétés, les revenus de l’exploitation étaient, selon elles, soumis à un cumul d’impositions aboutissant à un niveau de prélèvement confiscatoire. Elles faisaient valoir également que la taxe, compte tenu de son taux et de son assiette, entraînait des effets de seuil excessifs pénalisant les exploitations les plus performantes.

 

En dernier lieu, elles soutenaient que la charge que faisait peser la taxe sur les capacités d’investissement des redevables en faveur de la décarbonation des mobilités était manifestement contraire à l’objectif environnemental poursuivi, selon elles, par ces dispositions.

 

* Au regard de ces griefs, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait sur les dispositions suivantes :

 

– les mots « d’une ou de plusieurs infrastructures de transport de longue distance au sens de l’article L. 425-4 » figurant au premier alinéa de l’article L. 425-2 du code des impositions sur les biens et services, ainsi que ses 2° et 3° ;

 

– le second alinéa de l’article L. 425-4 du même code;

 

– les articles L. 425-5 et L. 425-6 du même code ;

 

– les premier et dernier alinéas de l’article L. 425-7 du même code ;

 

– le premier alinéa de l’article L. 425-8 du même code ;

 

– les articles L. 425-12 et L. 425-15 du même code ;

 

– les mots « et à l’article L. 425-1 du code des impositions sur les biens et services » figurant au premier alinéa du 4° du 1 de l’article 39 du code général des impôts.

 

* Les parties intervenantes reprochaient en outre aux dispositions contestées par les requérantes de soumettre à la TEILD les entreprises du transport aérien qui contribuent déjà, via d’autres dispositifs juridiques, à la réparation des dommages causés par leurs émissions de gaz à effet de serre. Il en résultait selon elles une méconnaissance de l’article 4 de la Charte de l’environnement.

 

2. – La recevabilité de la QPC ainsi délimitée

 

Ainsi que l’indiquait le Conseil d’État, dans les motifs de sa décision précitée du 12 juin 2024, certaines des dispositions de l’article 100 de la loi de finances pour 2024 avaient déjà été déclarées conformes à la Constitution.

 

Dans sa décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023, le Conseil avait en effet déclaré conformes à la Constitution les mots « d’une ou de plusieurs infrastructures de transport de longue distance au sens de l’article L. 425-4 » figurant au premier alinéa de l’article L. 425-2 du CIBS, dans sa rédaction issue de cette loi.

 

Le Conseil d’État n’ayant toutefois pas expressément exclu ces dispositions de la QPC renvoyée au Conseil constitutionnel, celui-ci a rappelé dans la décision ici commentée qu’il ne peut être saisi d’une QPC relative à une disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une de ses décisions, sauf changement des circonstances (paragr. 11).

 

Constatant que, en l’espèce, aucun changement des circonstances n’était intervenu depuis sa précédente décision du 28 décembre 2023, le Conseil constitutionnel en a déduit qu’il n’y avait pas lieu de réexaminer les dispositions de l’article L. 425–2 déjà déclarées constitutionnelles (paragr. 13).

 

B. – En ce qui concerne le champ d’application de la taxe et les redevables de la taxe

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle relative aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques (cadre général)

 

* Aux termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d’égalité devant la loi ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit.

 

Sur le fondement de ce même principe, il juge également que « si, en règle générale, le principe d’égalité devant la loi impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes »33.

 

Par ailleurs, le Conseil s’assure du respect du principe d’égalité devant les charges publiques sur le fondement de l’article 13 de la Déclaration de 1789, qui dispose que « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ».

 

Sur ce fondement, il juge qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

 

Comme le relevait le Président Fouquet, « La distinction entre les deux branches du principe d’égalité devant l’impôt n’est pas toujours aisée. Les parlementaires ou les contribuables dans leurs recours invoquent simultanément les deux branches. Dans l’un et l’autre cas, le raisonnement du Conseil constitutionnel comporte des éléments comparatifs. La différence tient sans doute à ce que le principe d’égalité devant la loi fiscale implique d’abord de procéder à une comparaison (…), alors que le principe d’égalité devant les charges publiques implique largement une appréciation intrinsèque de la situation du contribuable (…) »34.

 

Au regard de ces exigences constitutionnelles, le Conseil constitutionnel opère en matière de fiscalité de rendement un contrôle plus limité que celui qu’il exerce en matière de fiscalité incitative35. Ainsi, lorsqu’une imposition poursuit un objectif de rendement budgétaire, le Conseil s’assure seulement, d’une part, que l’assiette et le taux retenus par le législateur sont définis selon des critères objectifs et rationnels, d’autre part, qu’il n’en résulte aucune rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques et, enfin, dans certains cas, que l’imposition ne revêt pas un caractère confiscatoire.

 

2. – Sur le champ d’application de la taxe

 

a. – La notion des déplacements de longue distance

 

Les parties requérantes et intervenantes critiquaient tout d’abord la notion de « déplacements de longue distance », telle que définie par les dispositions contestées de l’article L. 425-4 du CIBS.

 

* Dans la décision commentée, après avoir rappelé les formulations de principe relatives au contrôle qu’il opère à l’aune des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, le Conseil a commencé par rappeler l’objet des dispositions contestées (paragr. 14 à 16).

 

Il a ainsi notamment constaté qu’en application de l’article L. 425-4 du CIBS, la TEILD s’applique aux infrastructures qui permettent le déplacement de personnes ou de marchandises sur une longue distance au moyen d’engins de transport routier, ferroviaire ou guidé, d’aéronefs ou d’engins flottants et que les dispositions contestées de cet article « définissent les déplacements de longue distance comme ceux dont l’origine et la destination ne sont pas comprises dans le ressort d’une même autorité organisatrice de mobilité ou de la région d’Île-de-France » (paragr. 16).

 

Puis, il s’est attaché, en premier lieu, à déterminer l’objet poursuivi par ces dispositions afin d’apprécier la nature de la TEILD. En effet, ainsi qu’il vient d’être rappelé dans la présentation de sa jurisprudence, cette appréciation commande l’intensité de son contrôle sur les règles applicables à cette imposition.

 

Toutefois, s’appuyant, conformément à sa démarche habituelle, sur les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2023, le Conseil constitutionnel a jugé que, « en instaurant une taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance, le législateur a entendu assurer le financement d’investissements publics dans le secteur des transports » (paragr. 17). Il en a déduit que la TEILD constitue une imposition de rendement (même paragr.), sur laquelle il exerce un contrôle des exigences de l’article 13 de la Déclaration de 1789 plus restreint qu’en présence d’une taxe incitative.

 

Suivant sa jurisprudence constante, le Conseil a alors rappelé qu’il ne dispose pas d’« un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement. Il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé » (paragr. 18).

 

Puis, il a jugé, en réponse à la critique faite au législateur d’avoir désigné les déplacements de longue distance comme ceux dépassant le territoire d’une autorité organisatrice de la mobilité, alors qu’une telle définition ne rendait pas nécessairement compte à leurs yeux d’une longue distance36, qu’« il était loisible au législateur de retenir comme déplacements de longue distance les seuls déplacements effectués entre les ressorts de plusieurs autorités organisatrices de mobilité et non ceux limités au ressort d’une même autorité ou au sein de la région d’Île-de-France » et que ce dernier s’était « ainsi fondé sur un critère objectif et rationnel en lien avec cet objectif de rendement budgétaire » (même paragr.).

 

* Le Conseil s’est ensuite prononcé sur la différence de traitement entre les exploitants d’infrastructures de transport résultant de ce même critère, au regard du principe d’égalité devant la loi. Dans le prolongement de son appréciation précédente, il a considéré sur ce fondement que « la différence de traitement entre les exploitants d’infrastructures de transport, selon qu’ils exploitent ou non des infrastructures permettant de tels déplacements de longue distance, est fondée sur une différence de situation » et qu’elle « est en outre en rapport avec l’objet de la loi » (paragr. 19).

 

Pour ces motifs, le Conseil constitutionnel a écarté les griefs tirés de la méconnaissance des articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 dirigés contre ces dispositions.

 

b. – Les conditions de rattachement de l’exploitation d’une infrastructure au territoire de taxation

 

Les parties requérantes critiquaient, par ailleurs, l’exclusion du territoire de taxation des infrastructures de transport transfrontalières ainsi que des infrastructures principalement utilisées pour la réalisation de déplacements autorisés par un État étranger en vertu d’une convention internationale.

 

Le Conseil a d’abord rappelé l’objet des dispositions contestées de l’article L. 425-5 du CIBS en constatant que « l’exploitation d’une infrastructure de transport de longue distance est rattachée au territoire de taxation lorsque cette infrastructure est située sur le territoire mentionné à l’article L. 425-3 du même code et qu’elle n’est pas principalement utilisée pour la réalisation de déplacements qui s’effectuent dans le cadre d’un accord international » (paragr. 21).

 

Examinant ces dispositions principalement à l’aune des exigences du principe d’égalité devant les charges publiques, le Conseil a d’abord identifié l’objectif poursuivi par le législateur à travers ces dispositions. À cet égard, il a relevé que, « En adoptant ces dispositions, le législateur a entendu exclure du champ de la taxe certaines infrastructures de transport transfrontalières ou internationales soumises à un régime particulier » (paragr. 22).

 

Il lui appartenait ensuite de vérifier si les critères retenus par le législateur étaient objectifs et rationnels au regard de cet objet. Sur ce point, il a considéré que, « En subordonnant l’imposition de l’exploitation d’une infrastructure de transport à la double condition que cette infrastructure soit située en totalité sur le territoire de taxation défini par l’article L. 425-3 et qu’elle ne soit pas principalement utilisée pour la réalisation de déplacements autorisés par un État étranger dans le cadre d’une convention conclue par la France avec ce dernier, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en fonction du but poursuivi ». Le Conseil a donc écarté les griefs soulevés à l’encontre de ces dispositions (même paragr.).

 

3. – Sur les redevables de la taxe

 

* Il était d’abord reproché au législateur de soumettre à une même imposition les exploitants d’infrastructures de transport de longue distance, sans aucune considération des différences existant entre leurs modèles économiques et les régimes juridiques auxquels ils sont soumis.

 

Pour répondre à cette critique, le Conseil constitutionnel a rappelé quelle est la portée du principe d’égalité devant la loi, telle qu’elle résulte de sa jurisprudence constante, en soulignant que « Si, en règle générale, [ce principe] impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes » (paragr. 23).

 

Il en a déduit qu’« il était loisible au législateur de définir des règles d’imposition identiques pour l’ensemble des exploitants d’infrastructures de transport de longue distance sans distinguer selon les conditions d’exploitation de ces infrastructures ou leur régime juridique » (paragr. 25).

 

* Certaines parties requérantes considéraient également que les règles d’affectation de la TEILD conduisaient à créer des différences de traitement injustifiées entre les exploitants soumis à la taxe, selon la nature des transports en cause.

 

Sur ce point, le Conseil a jugé que la critique était inopérante, dès lors que l’affectation du produit de la taxe est sans incidence sur les règles d’assujettissement. Il a en effet jugé que si « une partie du produit de la taxe est affectée à l’agence de financement des infrastructures de transport de France afin notamment de financer des investissements dans le secteur ferroviaire, il n’en résulte, s’agissant des conditions d’assujettissement à la taxe prévues par les dispositions contestées, aucune différence de traitement entre les redevables » (paragr. 26).

 

Le Conseil a ainsi écarté les griefs soulevés à l’encontre des dispositions contestées des articles L. 425-15 et L. 425-20 du CIBS (paragr. 27).

 

C. – En ce qui concerne les critères d’assujettissement à la taxe

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle relative au régime des impositions de toute nature

 

Comme précédemment rappelé, pour satisfaire aux exigences des principes d’égalité devant les charges publiques et devant la loi, le Conseil constitutionnel considère traditionnellement qu’en matière de fiscalité de rendement, le législateur dispose d’une marge d’appréciation plus importante qu’en matière de fiscalité incitative pour déterminer notamment les conditions d’assujettissement à une imposition. Il n’exerce alors, à l’égard de telles conditions, qu’un contrôle restreint, limité à l’erreur manifeste37.

 

À propos de la contribution exceptionnelle à l’impôt sur les sociétés prévue par l’article 235 ter ZAA du CGI, à laquelle le législateur a entendu spécialement soumettre les grandes entreprises, le Conseil a ainsi admis, dans sa décision n° 2014-456 QPC du 6 mars 2015, que le seuil d’assujettissement à cette imposition ait pu être exprimé en fonction du chiffre d’affaires réalisé par les sociétés d’un groupe fiscalement intégré et non du résultat net de l’entreprise38.

 

L’intensité du contrôle a été d’autant moins approfondie qu’il portait sur un critère d’assujettissement à une imposition, et non sur son assiette. Le Conseil admet en effet que les éléments d’appréciation pris en compte pour l’assujettissement à une imposition ne soient pas identiques ni aussi précis que ceux servant au calcul de son montant. 

Suivant la même logique, dans sa décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017, le Conseil a jugé constitutionnelle une contribution exceptionnelle mise à la charge des redevables de l’impôt sur les sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à un milliard d’euros. Il s’agissait alors de remédier à la dégradation prévisible du solde budgétaire pour 2017 provoquée par les remboursements de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés au titre des montants distribués, à la suite de la décision n° 2017-660 QPC du 6 octobre 2017 par laquelle le Conseil avait déclaré contraire à la Constitution le premier alinéa du paragraphe I de l’article 235 ter ZCA du CGI. Cette contribution exceptionnelle était égale à 15 % de l’impôt sur les sociétés. Un dispositif de lissage du taux de la contribution était prévu pour les redevables dont le chiffre d’affaires était inférieur à 1,1 milliard d’euros.

 

Pour écarter des griefs tirés de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, il a jugé, en particulier, qu’« il est loisible au législateur, lorsqu’il institue un impôt, de ne pas le faire reposer sur l’ensemble des contribuables, à la condition de ne pas créer de différence de traitement injustifiée. En l’espèce, le législateur n’était pas tenu d’étendre aux personnes physiques les impositions auxquelles il a assujetti certaines personnes morales »39 et que, « en prévoyant que sont assujettis à ces contributions les redevables de l’impôt sur les sociétés réalisant un chiffre d’affaires supérieur à un milliard d’euros ou égal ou supérieur à trois milliards d’euros, le législateur a entendu imposer spécialement les grandes entreprises »40.

 

Rappelant qu’il n’a pas un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement et qu’il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé, il a jugé que, « En retenant comme critère d’assujettissement un chiffre d’affaires élevé, le législateur s’est fondé sur un critère objectif et rationnel, qui caractérise une différence de situation entre les redevables de l’impôt sur les sociétés de nature à justifier une différence de traitement en rapport avec l’objet de la loi »41.

 

* Par ailleurs, s’agissant des règles d’assiette, eu égard au caractère restreint de son contrôle, le Conseil constitutionnel a admis à plusieurs reprises que des impositions puissent être assises, non pas sur un revenu net, mais sur la progression d’un chiffre d’affaires ou sur un volume d’achat, sans que le principe d’égalité devant les charges publiques ne soit pour autant méconnu.

 

Le Conseil a ainsi validé :

 

– la contribution applicable à la progression du chiffre d’affaires des entreprises pharmaceutiques qui n’ont pas passé de convention avec le comité économique des produits de santé. Les dispositions contestées modifiaient les règles de calcul de cette contribution en prévoyant, en particulier, qu’au cas où le taux d’accroissement du chiffre d’affaires de l’ensemble des entreprises redevables serait supérieur à 4 %, le taux de la contribution globale applicable à cette tranche de dépassement serait fixé à 70 %42 ;

 

– les limites supérieures des taux d’imposition de la taxe assise sur les montants des achats de viande par les distributeurs43.

 

Il a pu en aller de même à propos d’impositions assises sur une production. Par exemple, dans sa décision n° 2019–771 QPC du 29 mars 2019, le Conseil a jugé que « Le législateur, qui a ainsi entendu frapper la capacité contributive des titulaires de concessions de mines d’hydrocarbures liquides, s’est fondé sur des critères objectifs et rationnels en faisant porter la redevance sur la production annuelle d’huile brute »44.

 

* Le Conseil constitutionnel admet aussi que le législateur puisse retenir des critères de différenciation selon les activités ou les personnes qui sont assujetties à une imposition, dès lors que les différences de traitement qui en résultent sont rationnelles par rapport au but poursuivi par la loi.

 

Ainsi, il a pu juger que ne méconnaissaient pas les principes d’égalité devant la loi ou devant les charges publiques :

 

– la différence de traitement introduite entre les contrats d’assurance-vie et les autres produits d’épargne pour leur taxation aux prélèvements sociaux, bien que tous ces produits et contrats soient exonérés d’impôt sur le revenu45 ;

 

– le fait de retenir, comme seuil d’assujettissement à l’impôt sur les sociétés d’un groupe fiscalement intégré, la somme des chiffres d’affaires de chacune des sociétés membres de ce groupe, même si certaines de ces sociétés n’exercent, au sein de ce groupe, qu’une fonction d’intermédiation46 ;

 

– la différence de traitement instaurée pour l’imposition des plus-values résultant d’échanges de titres, dès lors qu’elles dégagent une proportion significative de liquidité, ce critère étant rempli lorsque la valeur de la soulte versée représente ou non 10 % de la valeur nominale des titres reçus en échanges47. Comme le rappelle le commentaire de cette décision, « Le requérant défendait l’idée qu’un autre critère fondé, non sur cette valeur nominale des titres reçus en échange, mais sur leur valeur vénale, aurait mieux rendu compte de la réalité financière des sommes engagées ». En effet, la valeur vénale rend notamment compte de la prime d’émission éventuelle générée par l’échange de titres, ce qui la renchérit et aurait permis de retenir des niveaux de soultes supérieurs. Mais cela aurait conduit à « disqualifier le critère retenu par le législateur au motif qu’un autre paraissait plus pertinent. Le Conseil a écarté ce raisonnement : il ne s’agit pas de comparer les critères possibles entre eux, mais d’examiner si celui retenu par le législateur n’est pas arbitraire » ;

 

– le critère d’assujettissement à la contribution exceptionnelle d’impôt sur les sociétés, qui repose sur le fait que le chiffre d’affaires des sociétés en cause dépasse un ou trois milliards d’euros. Le législateur ayant entendu imposer spécialement les grandes entreprises, un tel critère était bien objectif et rationnel. Les requérants faisaient valoir que, dans la mesure où l’objet de cette contribution exceptionnelle était de compenser le coût, pour l’État, du remboursement des sommes versées au titre de la contribution additionnelle à l’impôt sur les sociétés, les sociétés assujetties à la contribution exceptionnelle auraient dû être celles qui étaient susceptibles de bénéficier de ces remboursements. Le Conseil constitutionnel y a répondu en soulignant que « La circonstance que tous les redevables des contributions contestées ne bénéficient pas ou bénéficieraient peu des dégrèvements et remboursements de la taxe prévue par l’article 235 ter ZCA est sans incidence » sur le caractère objectif et rationnel du critère retenu48.

 

À l’inverse, le Conseil constitutionnel a estimé à plusieurs reprises que la distinction opérée par le législateur n’était pas cohérente et rationnelle au regard du but poursuivi. Il a ainsi jugé, par exemple, que méconnaissaient les exigences du principe d’égalité devant la loi ou les charges publiques :

 

– les critères selon lesquels l’indemnité compensatrice versée à l’occasion de la cessation d’activité d’un agent général d’assurances faisant valoir ses droits à la retraite bénéficiait d’un régime d’exonération. Le Conseil constitutionnel a jugé que, dans la mesure où le législateur avait entendu favoriser par ce dispositif la poursuite de l’activité exercée, en exigeant que le repreneur la poursuive dans les mêmes locaux, alors qu’il n’y a pas de lien entre la poursuite de l’activité d’agent général d’assurances, qui consiste en la gestion d’un portefeuille de contrats d’assurances, et le local où s’exerce cette activité, le législateur ne s’était pas fondé sur un critère objectif et rationnel en fonction des buts qu’il s’est proposé49. Puis, s’agissant du régime d’exonération de cette même indemnité, le Conseil constitutionnel a également jugé que, en conditionnant l’exonération d’impôt sur le revenu à la reprise de l’activité par un nouvel agent général d’assurances exerçant à titre individuel, le législateur ne s’était pas non plus fondé sur des critères objectifs et rationnels en fonction du but visé50 ;

 

– la différence de traitement opérée, s’agissant de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, entre les sociétés appartenant à un groupe dans lequel la condition de détention de 95 % fixée par l’article 223 A du CGI est remplie, selon que ce groupe relève ou non du régime de l’intégration fiscale. Le Conseil constitutionnel a relevé que, « en instituant des modalités spécifiques de calcul du dégrèvement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré, le législateur a entendu faire obstacle à la réalisation d’opérations de restructuration aux fins de réduire le montant de cette cotisation dû par l’ensemble des sociétés du groupe grâce à une répartition différente du chiffre d’affaires en son sein. Le législateur a ainsi poursuivi un objectif d’intérêt général. Toutefois, s’il pouvait, à cet effet, prévoir des modalités de calcul du dégrèvement spécifiques aux sociétés appartenant à un groupe, lorsque la condition de détention mentionnée ci-dessus est satisfaite, il ne pouvait distinguer entre ces groupes selon qu’ils relèvent ou non du régime de l’intégration fiscale, dès lors qu’ils peuvent tous réaliser de telles opérations de restructuration. Le critère de l’option en faveur du régime de l’intégration fiscale n’est donc pas en adéquation avec l’objet de la loi »51.

 

* En revanche, s’il peut choisir de traiter différemment des personnes qui se trouvent dans des situations différentes, le législateur n’est nullement tenu de prendre en compte la situation particulière de certains assujettis à une imposition, lorsqu’il décide de les soumettre à un régime uniforme.

 

Conformément à sa jurisprudence constante relative au principe d’égalité devant la loi, dont il fait également application en matière fiscale, le Conseil constitutionnel considère en effet que « le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». Néanmoins « il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes »52.

 

– Le Conseil a ainsi jugé, à propos du régime fiscal applicable à l’indemnisation des avoués, que législateur avait pu, sans méconnaitre le principe d’égalité, soumettre cette indemnité aux règles de droit commun de taxation des plus–values53.

 

– De même, il a jugé qu’en traitant de la même manière, comme codébitrices de l’impôt sur les revenus perçus au cours de la période d’imposition commune, les personnes soumises à une imposition commune en application des articles 6 et 7 du code général des impôts, quelle que soit l’évolution de leur situation matrimoniale, de leurs liens au titre d’un pacte civil de solidarité ou de leur résidence au cours de la procédure de contrôle de l’impôt, le législateur ne méconnaissait pas le principe d’égalité54.

 

Ainsi, le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas un droit des personnes placées dans des situations différentes à être obligatoirement traitées de manière différente par la loi.

 

2. – L’application à l’espèce

 

* Les parties requérantes et intervenantes critiquaient non seulement le montant du chiffre d’affaires à partir duquel l’exploitant est assujetti à la taxe, mais également le seuil d’assujettissement relatif au niveau moyen de rentabilité de l’exploitation.

 

Dans la décision commentée, le Conseil s’est d’abord attaché à décrire les critères d’assujettissement à la TEILD critiqués en l’espèce.

 

Sur ce point, il a relevé que, en vertu des dispositions contestées de l’article L. 425-2 du CIBS, « l’exploitation d’une infrastructure de transport de longue distance, rattachée au territoire de taxation, est soumise à la taxe à la double condition que les revenus de l’exploitation encaissés au cours de l’année civile excèdent un certain montant et que l’exploitant atteigne un certain niveau de rentabilité » (paragr. 28).

 

Puis, il a constaté que, s’agissant des revenus de l’exploitation, les dispositions contestées de l’article L. 425-6 du CIBS précisent qu’ils « sont constitués, sauf exception, par l’ensemble des contreparties obtenues ou à obtenir par l’entreprise qui exploite ces infrastructures au titre des opérations économiques qu’elle réalise » (paragr. 29) et que, s’agissant du niveau moyen de rentabilité, les dispositions contestées des articles L. 425-7 et L. 425-8 du même code prévoient qu’il « s’entend du quotient, apprécié sur un exercice comptable, entre le résultat net et le chiffre d’affaires, sans toutefois que le montant de la taxe ne soit pris en compte au titre des charges déductibles », et que « ce niveau moyen est évalué sur une période comprenant les sept derniers exercices comptables » (paragr. 30).

 

Pour apprécier la conformité au principe d’égalité devant les charges publiques des critères ainsi retenus, le Conseil constitutionnel, s’appuyant à nouveau sur les travaux préparatoires de la loi du 29 décembre 2023, a ensuite relevé que, « en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu imposer spécialement les exploitations d’infrastructures de transport de longue distance les plus rentables et générant un chiffre d’affaires important » (paragr. 31).

 

À cet égard, le Conseil a relevé, d’une part, que le législateur a fixé à un montant de 120 millions d’euros le chiffre d’affaires à partir duquel un exploitant est assujetti à la taxe. Précisant la portée de la définition des revenus d’exploitation pris en compte à cet égard, il a par ailleurs précisé que « Si l’article L. 425-6 définit les revenus de l’exploitation comme ceux obtenus ou à obtenir par l’exploitant, il ressort des termes mêmes des dispositions contestées de l’article L. 425-2 que seuls doivent être pris en compte, pour apprécier ce seuil, les revenus de l’exploitation encaissés au cours de l’année civile » (paragr. 32).

 

S’agissant des revenus d’exploitation pris en compte et de leur origine, le Conseil a considéré, d’autre part, qu’« il était loisible au législateur de soumettre à la taxe l’ensemble des contreparties perçues par l’entreprise à la seule exception de celles provenant d’opérations qui relèvent d’une activité distincte et indépendante de l’exploitation de l’infrastructure, qui ne sont pas réalisées au moyen de celle-ci et qui ne résultent pas d’une valorisation du domaine relatif à celle-ci ou à ses accessoires, ainsi que de celles provenant de la vente d’électricité à d’autres personnes que les usagers de l’infrastructure, ces contreparties étant dépourvues de lien avec l’exploitation d’une infrastructure de transport de longue distance » (paragr. 33). Le Conseil en a déduit que, ce faisant, le législateur avait retenu un critère d’assujettissement à la TEILD objectif et rationnel par rapport au but poursuivi.

 

Sur le second critère d’assujettissement lié au niveau moyen de rentabilité, le Conseil a de la même manière jugé que, « en prévoyant que le niveau de rentabilité s’entend du quotient entre le résultat net et le chiffre d’affaires généré par l’exploitation, apprécié sur les sept derniers exercices comptables achevés, le législateur a également retenu un critère d’assujettissement objectif et rationnel par rapport au but poursuivi » (paragr. 34).

 

* Le Conseil constitutionnel a ensuite examiné le caractère justifié des différences de traitement résultant de ces critères d’assujettissement qui étaient critiquées par les parties requérantes et intervenantes.

 

Il a ainsi constaté que la première différence de traitement résultant de la règle des sept derniers exercices comptables prévue pour déterminer le niveau moyen de rentabilité, qui a pour effet d’exclure du champ de la taxe les exploitants qui ont débuté leur activité depuis moins de sept exercices, est fondée sur une différence de situation et qu’elle est en outre en rapport avec l’objet de la loi (paragr. 35).

 

S’agissant de la différence de traitement entre opérateurs économiques exerçant une même activité, selon qu’ils sont par ailleurs exploitants d’une infrastructure de transport de longue distance ou non, le Conseil a également considéré que « l’exploitant d’une infrastructure de transport de longue distance exerçant une activité économique accessoire, qui est soumis à la taxe au titre des revenus de cette activité, ne se trouve pas dans la même situation qu’un opérateur exerçant une activité de même nature sans exploiter d’infrastructure de transport de longue distance » (paragr. 36). Il en a déduit que cette différence de traitement est fondée sur une différence de situation et qu’elle est en rapport avec l’objet de la loi (même paragr.).

 

Toujours sur le terrain du principe d’égalité devant la loi, le Conseil a enfin examiné les critiques visant à reprocher au législateur de ne pas avoir tenu compte de certaines circonstances en vue d’instituer des différences de traitement entre les exploitants d’infrastructures de transport de longue distance.

 

Dans le droit fil de la jurisprudence précédemment rappelée, le Conseil a précisé qu’un tel principe n’imposait au législateur ni « de traiter différemment les redevables de la taxe selon qu’ils présentent ou non un déficit comptable », ni de « prendre en considération la rentabilité de leurs activités annexes, leur choix de constituer des filiales, leur capacité à répercuter le montant de la taxe sur d’autres opérateurs ou sur les usagers, ou encore la circonstance que les exploitants ont été soumis à la taxe au cours des années précédentes » (paragr. 37).

 

Les parties requérantes dénonçaient également le fait que, compte tenu des critères d’assujettissement institués, seuls certains exploitants seraient effectivement redevables en pratique de la TEILD.

 

Toutefois, l’office du Conseil constitutionnel dans le cadre du contrôle de la constitutionnalité des lois ne lui permet pas de tenir compte des conséquences qui résultent seulement de l’application, dans les faits, des dispositions contestées. Ainsi a-t-il jugé en l’espèce que « Au demeurant, la circonstance que l’application des critères d’assujettissement conduirait à ce que la taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance ne soit due que par un faible nombre d’exploitants relevant seulement du transport aérien et autoroutier est sans incidence sur l’appréciation de la conformité des dispositions contestées aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques » (paragr. 38).

 

Il a donc écarté les griefs soulevés à l’encontre des dispositions contestées relatives aux critères d’assujettissement à la TEILD (paragr. 39).

 

D. – En ce qui concerne le montant de la taxe

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle

 

a. – La jurisprudence relative à l’absence de charge excessive et de caractère confiscatoire de l’impôt

* Le contrôle de l’absence de charge excessive ou de caractère confiscatoire d’une imposition au regard des facultés contributives (les deux notions, indifféremment employées par le Conseil, étant équivalentes) constitue une garantie bénéficiant tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales.

 

Toutefois, si la jurisprudence est relativement précise pour les premières (elle consiste pour l’essentiel à additionner des taux marginaux d’imposition pesant sur le revenu et à se demander s’il en résulte un niveau excessif), le Conseil a jusqu’à présent adopté, pour les secondes, une démarche empirique au regard des caractéristiques propres de l’impôt qui lui était soumis. Cette appréciation ne l’a jamais encore conduit à reconnaître le caractère confiscatoire d’une imposition applicable à une entreprise.

 

Par exemple, dans sa décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017 précitée, saisi de dispositions instituant une contribution exceptionnelle à la charge des redevables de l’impôt sur les sociétés dont le chiffre d’affaires est supérieur à un milliard d’euros, ainsi qu’une contribution additionnelle à cette contribution, il a notamment considéré que « eu égard à la définition de l’assiette des contributions contestées, les règles d’assujettissement des sociétés membres d’un groupe fiscalement intégré ne font pas peser sur la société mère une charge excessive au regard de ses facultés contributives et n’entraînent pas de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques »55.

 

Dans sa décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, le Conseil était saisi de dispositions relatives à la contribution des entreprises du secteur pharmaceutique due lorsque le chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble de ces entreprises est supérieur à un montant déterminé par la loi.

 

Pour rejeter le grief tiré du caractère confiscatoire de cette contribution, il a notamment jugé que « la contribution ne s’applique qu’à la tranche du chiffre d’affaires global dépassant le montant M fixé, pour l’année 2023, à 24,6 milliards d’euros. Au demeurant, en application du dernier alinéa de l’article L. 138-12 du code de la sécurité sociale, le montant de la contribution en cause ne saurait excéder, pour chaque entreprise assujettie, 10 % du chiffre d’affaires réalisé en France au titre des médicaments remboursables »56.

 

* Concernant le caractère confiscatoire susceptible de résulter, notamment, du cumul de plusieurs impositions, le Conseil juge qu’« il convient, pour apprécier le respect du principe d’égalité devant les charges publiques, de prendre en compte l’ensemble de ces impositions portant sur le même revenu et acquittées par le même contribuable »57.

 

Le Conseil a eu l’occasion d’appliquer cette jurisprudence au cumul d’impositions pesant sur des entreprises. Son contrôle ne porte alors que sur le cumul de prélèvements de même nature58.

 

- Ainsi, dans sa décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, il a ajouté à la taxe exceptionnelle sur les hautes rémunérations attribuées en 2013 et 2014, les autres taxes et contributions dues en raison de l’attribution de ces éléments de rémunération, en précisant que devaient être prises en compte « les seules impositions auxquelles [les redevables] sont assujettis en raison de l’attribution de ces éléments de rémunération ». Il a ensuite jugé que « l’appréciation du caractère confiscatoire du taux marginal maximal des prélèvements que doit acquitter la personne ou l’organisme qui attribue les rémunérations soumises à cette contribution exceptionnelle s’opère […] en rapportant le total cumulé des impositions qu’il doit acquitter à la somme de ce total et des rémunérations attribuées ». Le taux d’imposition devait donc être apprécié non par rapport au montant net des rémunérations versées mais, par rapport au montant brut des sommes à décaisser pour attribuer ces rémunérations. En l’espèce, le Conseil a conclu à l’absence de caractère confiscatoire59.

 

- Dans sa décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017 précitée, le Conseil a rappelé que le contrôle du caractère confiscatoire d’un cumul d’impositions ne pouvait être opéré qu’à l’égard d’impositions portant sur le même revenu ou la même opération économique. Ainsi, « il n’y a pas lieu de prendre en compte, dans l’appréciation du caractère confiscatoire de l’imposition pesant sur les bénéfices d’une société, les diverses impositions auxquelles sont assujettis cette société et ses actionnaires à raison d’autres opérations »60. Le Conseil a donc refusé d’additionner cette imposition sur les bénéfices et les deux prélèvements invoqués par les requérants qu’étaient le prélèvement forfaitaire unique sur les dividendes et l’impôt sur la fortune immobilière.

 

- Dans sa décision n° 2019-771 QPC du 29 mars 2019 précitée, le Conseil a contrôlé le caractère confiscatoire du cumul de certaines impositions avec la redevance progressive de mines d’hydrocarbures liquides. Il a d’abord écarté les prélèvements qui, soit, ne constituaient pas des impositions de toute nature, soit, portaient sur une autre opération économique : « la taxe tréfoncière ne constitue pas une imposition de toute nature mais la contrepartie versée par le titulaire de la concession au propriétaire du terrain qu’il exploite. La taxe sur l’exploration d’hydrocarbures prévue par l’article 1590 du code général des impôts porte quant à elle sur les permis de recherche d’hydrocarbures. Ainsi, le grief tiré du caractère confiscatoire résultant de leur cumul avec la redevance progressive des mines est inopérant ». Puis, il s’est prononcé sur le cumul de l’imposition contestée et de deux autres impositions portant sur la même assiette : « le cumul de la redevance progressive des mines avec les redevances communale et départementale des mines prévues par les articles 1519 et 1587 du code général des impôts, compte tenu de leur assiette, taux et tarifs respectifs, ne présente pas un caractère confiscatoire »61.

 

- Dans sa décision n° 2019-825 QPC du 7 février 2020, le Conseil a jugé que, compte tenu des caractéristiques de la redevance d’archéologie préventive, le grief tiré de son caractère confiscatoire était inopérant et qu’il en allait de même, a fortiori, du grief tiré de son cumul avec d’autres impositions62.

 

b. – La jurisprudence relative aux effets de seuil résultant de certaines impositions

 

* Le Conseil constitutionnel a déjà été amené à contrôler, principalement sur le fondement du principe d’égalité devant les charges publiques63, des dispositions fiscales ou sociales qui étaient critiquées en raison de l’effet de seuil qu’elles étaient susceptibles d’engendrer.

 

Dans ce cadre, le Conseil s’assure que :

 

– les effets de seuil résultant des dispositions examinées sont cohérents avec l’objectif poursuivi par le législateur (ou du moins ne lui sont pas contraires), sans pour autant rechercher si l’objectif aurait pu être atteint par d’autres voies ;

 

– les effets de seuil, lorsqu’ils portent sur des dispositifs fiscaux, ne font pas obstacle à la prise en compte des facultés contributives des contribuables ;

 

– les effets produits par l’application de ces seuils ne sont pas excessifs, l’excès pouvant être constaté soit par la disproportion de la différence de traitement par rapport à la différence de situation, soit par l’effet antiprogressif (inversion de l’échelle des revenus bruts et des revenus nets après impôt).

 

Cependant, le droit fiscal produisant inévitablement de tels effets de seuil, le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel est restreint et a rarement conduit au prononcé d’une censure.

 

- Dans sa décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, le Conseil était saisi d’un grief dénonçant l’effet de seuil entraîné par la création d’une couverture maladie sur critère de ressources. Il a jugé « qu’il n’appartient pas au Conseil constitutionnel de rechercher si les objectifs que s’est assignés le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées ; qu’en l’espèce, en raison tout à la fois des options prises, du fait que la protection instituée par la loi porte sur des prestations en nature et non en espèces, du fait que ces prestations ont un caractère non contributif, et eu égard aux difficultés auxquelles se heurterait en conséquence l’institution d’un mécanisme de lissage des effets de seuil, le législateur ne peut être regardé comme ayant méconnu le principe d’égalité ; / Considérant, toutefois, qu’il appartiendra au pouvoir réglementaire de fixer le montant des plafonds de ressources prévus par les articles L. 380-2 et L. 861-1 du code de la sécurité sociale, ainsi que les modalités de leur révision annuelle, de façon à respecter les dispositions précitées du Préambule de la Constitution de 1946 ; que, sous cette réserve, le grief doit être écarté »64.

 

Deux enseignements peuvent être tirés de cette décision : d’une part, dans la logique du contrôle qu’il opère sur le fondement du principe d’égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel vérifie que les effets de seuil résultant des dispositions examinées sont cohérents avec l’objectif poursuivi par le législateur. N’ayant pas un pouvoir d’appréciation de même nature que celui du Parlement, le Conseil opère un contrôle limité : il juge qu’il ne lui appartient pas de rechercher si les objectifs que le législateur s’est assigné auraient pu être atteints par d’autres voies, dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées. D’autre part, l’instauration d’un mécanisme de lissage permettant d’atténuer les effets de seuil engendrés par un dispositif ne constitue pas une garantie légale indispensable pour assurer l’effectivité du principe d’égalité65.

 

- Dans sa décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017 précitée, le Conseil a constaté, s’agissant des contributions en cause applicables à de grandes entreprises, que « ne créent pas d’effets de seuil manifestement disproportionnés les dispositions contestées, qui prévoient un mécanisme d’atténuation en vertu duquel, au voisinage du seuil d’assujettissement, le taux des contributions est multiplié par le rapport entre, au numérateur, la différence entre le chiffre d’affaires du redevable et le seuil pertinent et, au dénominateur, 100 millions d’euros »66.

 

- Dans sa décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018, le Conseil a examiné les dispositions de l’article L. 380-2 du code de la sécurité sociale soumettant au paiement d’une cotisation annuelle les personnes bénéficiant de la protection universelle maladie lorsque leurs revenus sont inférieurs à un seuil fixé par décret. Il a notamment jugé que « s’il résulte des dispositions contestées une différence de traitement entre deux assurés sociaux disposant d’un revenu d’activité professionnelle d’un montant proche, selon que ce revenu est inférieur ou supérieur au plafond prévu par le quatrième alinéa de l’article L. 380-2, cette différence est inhérente à l’existence d’un seuil. En outre, en application du cinquième alinéa de l’article L. 380-2, lorsque les revenus d’activité sont inférieurs au seuil en deçà duquel une personne est soumise à la cotisation prévue par l’article L. 380-2 mais supérieure à la moitié de ce seuil, l’assiette de la cotisation assise sur les revenus du patrimoine fait l’objet d’un abattement croissant à proportion des revenus d’activité »67. Le Conseil a ainsi constaté l’existence d’une différence de traitement engendrée par l’existence même du seuil mais a considéré qu’elle était, en l’espèce, atténuée par la mesure d’abattement d’assiette qui permettait, comme l’indique le commentaire de cette décision, de « lisser l’entrée dans le mécanisme de la cotisation ».

 

Par ailleurs, se prononçant plus particulièrement sur le caractère excessif de l’effet de seuil engendré par certaines dispositions déterminant le revenu imposable, le Conseil a considéré, dans sa décision n° 2000–442 DC du 28 décembre 2000, « qu’en instituant un abattement sur certains revenus de capitaux mobiliers, en particulier ceux correspondant à des dividendes d’actions émises en France, le législateur a principalement entendu encourager l’acquisition de valeurs mobilières par de nouveaux épargnants ; qu’il lui était loisible, au regard de cet objectif, de supprimer cet avantage fiscal pour les contribuables dont le revenu net imposable excède le montant mentionné à la dernière tranche du barème de l’impôt sur le revenu ; que, loin de méconnaître l’article 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, une telle limitation du champ d’application des abattements en cause permet de mieux prendre en compte les facultés contributives des redevables concernés ; que, par suite, l’article 3, dont les effets de seuil ne sont pas excessifs, est conforme à la Constitution »68.

 

Au contraire, dans sa décision n° 2015-498 QPC du 20 novembre 2015, après avoir écarté un grief portant sur le caractère confiscatoire de l’imposition des « retraites chapeau », il a censuré le caractère excessif de l’effet de seuil engendré par le taux de 45 % – fixé par la loi – de la contribution patronale additionnelle appliquée sur ces retraites, après avoir relevé notamment qu’aucun mécanisme ne permettait d’atténuer l’effet de seuil provoqué par l’application de ce taux. Il en a déduit que les dispositions contestées entraînaient une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques69.

 

2. – L’application à l’espèce

 

* Certaines parties requérantes et intervenantes reprochaient aux dispositions contestées de l’article L. 425-12 du CIBS, selon lesquelles le montant de la taxe s’élève à 4,6 % de la fraction des revenus d’exploitation excédant le seuil d’assujettissement, et aux dispositions contestées de l’article 39 du CGI, selon lesquelles ce montant ne constitue pas une charge déductible du bénéfice net établi au titre de l’impôt sur les sociétés, de revêtir un caractère confiscatoire et d’engendrer des effets de seuil excessifs.

 

Le Conseil s’est d’abord prononcé sur le caractère confiscatoire de cette imposition.

 

D’une part, il a relevé que « la taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance, dont le taux est de 4,6 %, ne porte que sur la fraction des revenus de l’exploitation excédant un montant de 120 millions d’euros » (paragr. 42).

 

Par ailleurs, s’agissant du cumul d’impositions dénoncé par les requérants, le Conseil a jugé que la TEILD « étant assise sur les revenus encaissés par l’exploitant au cours d’une année civile et non sur le bénéfice réalisé par celui-ci au titre d’un exercice comptable, il n’y a pas lieu de prendre en compte, dans l’appréciation de son caractère confiscatoire, l’imposition sur les bénéfices à laquelle est par ailleurs assujetti ce redevable à raison d’autres opérations » (même paragraphe).

 

La TEILD ne portant pas sur le même type de revenus que ceux sur lesquels est assis l’impôt sur les sociétés, il n’y avait donc pas lieu de tenir compte de cette autre imposition pour apprécier le caractère confiscatoire de la taxe.

 

Ainsi, compte tenu des caractéristiques de la TEILD, le Conseil constitutionnel en a déduit qu’elle ne constituait pas une charge excessive pour les exploitants d’infrastructures de transport de longue distance au regard de leurs capacités contributives et n’avait pas de caractère confiscatoire (même paragraphe).

 

D’autre part, eu égard à la marge d’appréciation dont dispose le législateur en matière d’imposition de rendement, le Conseil a jugé qu’il était loisible à ce dernier, « sans méconnaître les exigences précitées de l’article 13 de la Déclaration de 1789, de ne pas prévoir de barème progressif ou de plafonnement du montant de la taxe et, s’agissant d’une imposition assise sur le chiffre d’affaires, de ne pas instituer d’exonération en faveur des exploitants présentant un déficit comptable » (paragr. 43).

 

* Le Conseil constitutionnel s’est ensuite prononcé sur le caractère excessif des effets de seuil résultant des dispositions contestées.

 

Dans la droite ligne de sa décision précitée n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018, le Conseil a d’abord relevé que « s’il résulte des dispositions contestées relatives au seuil de rentabilité une différence de traitement entre les exploitants d’infrastructures de transport de longue distance ayant un niveau moyen de rentabilité proche de 10 %, selon que celui-ci est inférieur ou supérieur à ce taux, la différence de traitement en résultant est inhérente à l’existence même d’un seuil d’assujettissement » (paragr. 44).

 

Puis, le Conseil constitutionnel a considéré que « Compte tenu du montant des revenus à partir duquel la taxe est due, de son taux et des conditions d’évaluation du niveau moyen de rentabilité de l’exploitation, qui s’opère sur les sept derniers exercices comptables achevés, dont sont exclus les deux exercices pour lesquels ce niveau est le plus élevé et les deux exercices pour lesquels il est le plus faible, il ne résulte pas des dispositions contestées d’effets de seuil manifestement excessifs » (même paragraphe).

 

Pour l’ensemble de ces motifs, le Conseil a écarté les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques soulevés à l’encontre des dispositions contestées de l’article L. 425-12 du CIBS et de l’article 39 du CGI (paragr. 45).

 

Pour finir, il a jugé que les dispositions contestées par les parties requérantes et intervenantes ne méconnaissant ni la liberté d’entreprendre ni en tout état de cause l’article 4 de la Charte de l’environnement, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, elles devaient être déclarées conformes à la Constitution (paragr. 46).

_______________________________________

1 Le Conseil d’État était saisi de quatre recours soulevant la même QPC, présentés respectivement, le premier par les sociétés Aéroports de la Côte d’Azur, Aéroports de Lyon et Aéroport Toulouse–Blagnac, le deuxième par la société Aéroports de Paris (ADP), le troisième par la société AREA ainsi que huit autres sociétés concessionnaires d’autoroutes (les sociétés des Autoroutes Esterel-Côte d’Azur [ESCOTA], APRR, Autoroutes du sud de la France [ASF], Cofiroute, Autoroutes du nord et de l’est de la France [SANEF], Autoroutes Paris Normandie [SAPN], Autoroute de liaison Seine-Sarthe, et Atlandes), et le quatrième par le syndicat professionnel Union des aéroports français et francophones associés (UAFF).

2 La taxation des déplacements routiers repose sur un ensemble de prélèvements acquittés par les utilisateurs de véhicules terrestres à moteur (particuliers et entreprises) : elle comprend principalement la taxe sur l’immatriculation des véhicules (articles L. 421-29 et suivants du CIBS) et les taxes sur l’affectation des véhicules à des fins économiques (articles L. 421-92 et suivants du CIBS). Les entreprises exploitant des aéronefs sont soumises à trois taxes distinctes : la taxe sur le transport aérien de passagers, la taxe sur le transport aérien de marchandises et la taxe sur les nuisances sonores aériennes (articles L. 422-13 et suivants du CIBS). Le transport maritime de voyageurs fait également l’objet de deux prélèvements, que sont la taxe sur le transport de passagers à destination d’espaces naturels protégés (articles L. 423-47 à L. 423-56 du CIBS) et la taxe sur le transport de passagers dans certains territoires côtiers (articles L. 423-57 à L. 423-63 du CIBS).

3 Articles L. 421-175 à L. 421-180 du CIBS.

4 Rapport n° 1745 de M. Jean-René Cazeneuve fait au nom de la commission des finances de l’Assemblée nationale, tome II, volume 1, déposé le 14 octobre 2023.

5 Créée en 2004, cette agence est un établissement public national à caractère administratif placé sous la tutelle du ministre chargé des transports. Elle a notamment pour mission de concourir au financement de projets d’intérêt national, international ou ayant fait l’objet d’un contrat de plan ou d’une convention équivalente entre l’État et les régions (CPER). Pour assurer son financement, l’AFITF bénéficie de taxes affectées. Elle favorise principalement le report modal, en contribuant au financement d’infrastructures ferroviaires et fluviales grâce à des ressources provenant du secteur routier (cf. rapport n°1745, annexe 15 « Écologie, développement et mobilité durables » au projet de loi de finances pour 2024, de Mmes Christine Arrighi et Éva Sas, rapporteures spéciales de l’Assemblée nationale).

6 Anciens articles L. 421-181 à L. 421-185 du CIBS. Ces dispositions ont été abrogées par le 1° du paragraphe I de l’article 100 de la loi de finances pour 2024.

7 Avant 2015, l’article 32 des contrats de concession prévoyait déjà un encadrement de la taxation des sociétés concessionnaires d’autoroute. Pour que ces dernières puissent bénéficier d’une compensation, il fallait néanmoins que la création d’une taxe nouvelle ou la modification des taxes et redevances existantes compromettent « gravement l’équilibre de la concession ».

8 Rapport n° 709 de la commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières du Sénat, présidée par M. Éric Jeansannetas, enregistré le 16 septembre 2020.

9 Rapport précité, p. 84 et s., faisant référence à une communication de la Cour des comptes du mois de juillet 2013 relative aux relations entre l’État et les sociétés concessionnaires d’autoroutes, ainsi qu’à un avis de l’Autorité de la concurrence n° 14-A-13 du 17 septembre 2014 sur le secteur des autoroutes après la privatisation des sociétés concessionnaires.

10 « Investir plus et mieux dans les mobilités pour réussir leur transition », 3ème rapport du Conseil d’orientation des infrastructures, décembre 2022, remis à la Première ministre, le 24 février 2023.

11 Voir en ce sens l’évaluation préalable de l’article 15 du projet de loi de finances pour 2024, n° 1680, déposé le 27 septembre 2023. Un investissement d’un montant de 100 milliards d’euros a notamment été prévu, dans ce cadre, en faveur du secteur ferroviaire à l’horizon de l’année 2040.

12 Voir l’avis du Conseil d’État du 8 juin 2023, n° 407004, portant sur la contribution de certaines sociétés titulaires de contrats de concession ou de contrats assimilés au financement des investissements publics.

13 Aux termes de l’avis précité, le Conseil d’État a en effet estimé « qu’une disposition législative qui reviendrait sur l’engagement contractuel pris par l’État, en créant une contribution spécifique à ces sociétés ou en augmentant la fiscalité spécifique existante en dégradant l’équilibre économique et financier des concessions, tout en neutralisant la clause de compensation prévue par le contrat, présenterait, en l’absence de toute garantie légale de nature à limiter l’atteinte aux contrats en cause, et quel que soit l’objectif d’intérêt général par ailleurs poursuivi, un risque élevé d’être regardée par le juge constitutionnel comme portant une atteinte manifestement disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues ».

14 Rapport n° 128 de M. Jean-François Husson, fait au nom de la commission des finances du Sénat, tome II, déposé le 21 novembre 2023, p. 849.

15 2° du paragraphe I de l’article 100 de la loi de finances pour 2024 (le 1° de ce paragraphe abroge quant à lui la taxe sur les recettes de l’exploitation du réseau autoroutier auxquelles étaient soumises jusque-là les sociétés concessionnaires d’autoroutes).

16 Évaluation préalable de l’article 15 du projet de loi de finances, point 1.4.

17 Ibidem.

18 Article L. 425-3 du CIBS.

19 Second alinéa de l’article L. 425-4 du CIBS.

20 Le paragraphe IV de l’article 100 de la loi de finances prévoit que les dispositions relatives à cette nouvelle taxe sont également applicables à Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon. Toutefois, l’article L. 425-3 du CIBS exclut, pour le territoire de ces collectivités, certaines infrastructures du champ de la taxe.

21 Voir le rapport n° 128 précité, p. 845.

22 Voir le point 2.3 de l’évaluation préalable de l’article 15 du projet de loi de finances pour 2024. Compte tenu des critères de rentabilité et de chiffre d’affaires, aucune infrastructure ferroviaire n’entre dans le champ d’application de la taxe (voir notamment sur ce point l’intervention de M. Jean-René Cazeneuve, rapporteur général de la commission des finances de l’Assemblée nationale, compte-rendu n° 11, 13 octobre 2023).

23 En revanche, la mise en valeur de l’assiette foncière de l’exploitation (notamment les revenus retirés de la location de locaux ou de sous-sols) est prise en compte pour le calcul du montant de la taxe (rapport n° 1745 précité).

24 Ibidem.

25 2° et 3° de l’article L. 425-2 du CIBS.

26 Il est précisé par le dernier alinéa du même article que le montant de la taxe n’est pas pris en compte dans les charges de l’entreprise redevable pour déterminer son résultat net.

27 Rapport n° 1745 précité, p. 364.

28 Le redevable de la taxe est, en vertu de l’article L. 425-15 du CIBS, l’entreprise exploitant une ou plusieurs entreprises de transport longue distance et le fait générateur est constitué, selon le cas, soit par l’achèvement de l’année civile, soit par la cessation de l’activité de l’exploitant (article L. 425-10 du CIBS). S’agissant des autres règles relatives au fait générateur, au montant de la taxe, à son exigibilité, à sa constatation, à son paiement, son contrôle et son recouvrement, il est renvoyé pour une large part aux dispositions générales du CIBS.

29 Ce même paragraphe II prévoit également que la taxe annuelle sur les émissions de dioxyde de carbone et la taxe annuelle sur l’ancienneté applicables aux véhicules de tourisme ne sont pas déductibles de l’assiette de l’impôt sur les sociétés.

30 Paragraphe II de l’article L. 425-20 du CIBS.

31 Décret n° 2024-90 du 8 février 2024 précisant les modalités de déclaration et d’acquittement de la taxe sur l’exploitation des infrastructures de transport de longue distance.

32 Décision n° 2023-862 DC du 28 décembre 2023, Loi de finances pour 2024, paragr. 69 à 75 et article 2.

33 Par exemple, décision n° 2021-907 QPC du 14 mai 2021, M. Stéphane R. et autre (Impossibilité de déduire la pension versée à un descendant mineur pris en compte dans la détermination du quotient familial du débiteur), paragr. 17.

34 « Le Conseil constitutionnel et le principe d’égalité devant l’impôt », Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel, n° 33, octobre 2011.

35 En effet, dès lors que le but du législateur est de susciter un comportement, le Conseil vérifie que l’assiette et le taux sont en adéquation avec l’objectif poursuivi par la loi. Sans se substituer au Parlement dans l’appréciation de l’opportunité du régime fiscal en cause, le Conseil opère alors un contrôle qui va au-delà de la simple erreur manifeste d’appréciation (voir en ce sens le commentaire de la décision n° 2015-482 QPC du 17 septembre 2015, Société Gurdebeke SA (Tarifs de la taxe générale sur les activités polluantes portant sur les déchets non dangereux). Au titre de ce contrôle, il a jugé, par exemple, que les nombreux régimes d’exemption totale de la contribution carbone institués par la loi étaient contraires à l’objectif de lutte contre le réchauffement climatique et créaient une rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques (décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010, cons. 77 à 83).

36 Ces mêmes parties faisaient également valoir, à l’inverse, que l’exclusion du territoire de la région Île-de-France du champ de la taxe conduisait à écarter son application à des infrastructures de transports permettant pourtant d’effectuer des trajets sur une longue distance.

37 Voir par ex., décision n° 2003-480 DC du 31 juillet 2003, Loi relative à l’archéologie préventive, cons. 21.

38 Décision n° 2014-456 QPC du 6 mars 2015, Société Nextradio TV (Contribution exceptionnelle sur l’impôt sur les sociétés - Seuil d’assujettissement).

39 Décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017, Loi de finances rectificative pour 2017, paragr. 33.

40 Ibid., paragr. 34.

41 Ibid., paragr. 35.

42 Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, cons. 34.

43 Décision n° 2000-441 DC du 28 décembre 2000, Loi de finances rectificative pour 2000, cons. 29.

44 Décision n° 2019-771 QPC du 29 mars 2019, Société Vermilion REP (Barème de la redevance progressive de mines d’hydrocarbures liquides), paragr. 7.

45 Décision n° 2013-682 DC du 19 décembre 2013, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, cons. 12.

46 Décision n° 2014-456 QPC du 6 mars 2015, précitée, cons. 8.

47 Décision n° 2017-638 QPC du 16 juin 2017, M. Gérard S. (Sursis d’imposition en cas d’échanges de titres avec soulte), paragr. 7.

48 Décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017, précitée, paragr. 34 et 35.

49 Décision n° 2016-587 QPC du 14 octobre 2016, Époux F. (Exonération d’impôt sur le revenu de l’indemnité compensatrice de cessation de mandat d’un agent général d’assurances), paragr. 5 à 7.

50 Décision n° 2017-663 QPC du 19 octobre 2017, Époux T. (Exonération d’impôt sur le revenu de l’indemnité compensatrice de cessation de mandat d’un agent général d’assurances II), paragr. 6 à 9.

51 Décision n° 2017-629 QPC du 19 mai 2017, Société FB Finance (Taux effectif de la CVAE pour les sociétés membres de groupes fiscalement intégrés), paragr. 10.

52 Décision n° 2003-489 DC du 29 décembre 2003, Loi de finances pour 2004, cons. 37 ; décision n° 2011-136 QPC du 17 juin 2011, Fédération nationale des associations tutélaires et autres (Financement des diligences exceptionnelles accomplies par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs), cons. 9.

53 Décision n° 2010-624 DC du 20 janvier 2011, Loi portant réforme de la représentation devant les cours d’appel, cons. 27.

54 Décision n° 2015-503 QPC du 4 décembre 2015, M. Gabor R. (Effets de la représentation mutuelle des personnes soumises à imposition commune postérieurement à leur séparation), cons. 11.

55 Décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017, précitée, paragr. 37.

56 Décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, paragr. 47.

57 Décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012, Loi de finances pour 2013, cons. 18.

58 Par exemple, le Conseil constitutionnel peut être amené à contrôler si le cumul d’impositions de toutes natures revêt un caractère confiscatoire. À l’inverse, ne peut être utilement critiqué au regard de cette exigence le cumul de prélèvements qui ne présentent pas la même nature. À propos de la redevance annuelle d’exploitation des gisements en mer, le Conseil a ainsi jugé que ce prélèvement, « qui est une contrepartie au droit d’exploitation de gisements en mer situés sur le plateau continental ou dans la zone économique exclusive, présente le caractère d’une redevance. Il n’entre ainsi pas dans la catégorie des impositions de toutes natures. Le grief tiré de ce que son cumul avec des impositions de toutes natures présenterait un caractère confiscatoire prohibé par l’article 13 de la Déclaration de 1789 est donc inopérant » (décision n° 2016-737 DC du 4 août 2016, Loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, cons. 29).

59 Décision n° 2013-685 DC du 29 décembre 2013, Loi de finances pour 2014, cons. 21 à 24.

60 Décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017 précitée, paragr. 39.

61 Décision n° 2019-771 QPC du 29 mars 2019, précitée, paragr. 9.

62 Décision n° 2019-825 QPC du 7 février 2020, Société Les sablières de l’Atlantique (Assiette et taux de la redevance d’archéologie préventive), paragr. 6.

63 Le commentaire accompagnant la décision n° 2017-638 QPC du 16 juin 2017 précitée précise à cet égard que « Le Conseil constitutionnel n’a pas eu souvent l’occasion de se prononcer sur la différence de traitement induite par l’existence d’un seuil d’imposition en matière fiscale, à la lumière du principe d’égalité devant la loi. Ceci peut s’expliquer par le fait que, si le seuil institue une différence de traitement, cette dernière est en principe justifiée par la différence de situation entre ceux au-dessus et ceux au-dessous dudit seuil. Pour que cette différence de traitement puisse être jugée inconstitutionnelle, il faut que la différence de situation qui lui correspond soit sans lien avec l’objet de l’imposition, ce qui pose une question d’objectivité et de rationalité des critères d’imposition retenus. Or, cette question est le plus souvent appréhendée sous l’angle du principe d’égalité devant les charges publiques ».

64 Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d'une couverture maladie universelle, cons. 10 et 11.

65 Même si les mesures prises par le législateur pour atténuer un effet de seuil constitue un élément pris en compte par le Conseil constitutionnel dans son appréciation de son caractère excessif (voir par exemple, décisions n° 97–393 DC du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, cons. 35 ; n° 98-404 DC du 18 décembre 1998, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, cons. 26 ; n° 99-416 DC du 23 juillet 1999 précitée, cons. 8 ; n° 2015-498 QPC du 20 novembre 2015, Société SIACI Saint-Honoré SAS et autres (Contribution patronale additionnelle sur les « retraites chapeau »), cons. 7).

66 Décision n° 2017-755 DC du 29 novembre 2017 précitée, paragr. 38.

67 Décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018, M. Xavier B. et autres (Cotisation due au titre de la protection universelle maladie), paragr. 17.

68 Décision n° 2000-442 DC du 28 décembre 2000, Loi de finances pour 2001, cons. 5. Voir également la décision n° 2017-638 QPC du 16 juin 2017 précitée.

69 Décision n° 2015-498 QPC du 20 novembre 2015 précitée, cons. 7