Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2024-1101 QPC

06/11/2024

Conformité

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 12 juin 2024 par le Conseil d’État (décision n° 490409 du 10 juin 2024) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par le conseil national de l’ordre des médecins (CNOM) portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe III de l’article L. 1111–17 du code de la santé publique.

 

Dans sa décision n° 2024-1101 QPC du 12 septembre 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution le paragraphe III de l’article L. 1111–17 du code de la santé publique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021–1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs-pompiers et les sapeurs-pompiers professionnels.

 

I. – Les dispositions renvoyées

 

A. – Origine et objet des dispositions renvoyées

 

Le secret médical, qui constitue un élément essentiel de la protection des droits des patients, revêt en principe un caractère absolu1.

 

Les exigences de prévention, de coordination et de continuité des soins ainsi que la nécessité d’assurer un suivi social et médico–social ont cependant conduit la jurisprudence à admettre, puis le législateur à encadrer le partage d’informations entre professionnels en charge d’un même patient, certains auteurs parlant désormais, en la matière, de « secret partagé » ou de « secret collectif »2.

 

En outre, avec le développement des outils informatiques, le partage d’informations peut désormais se faire sur support numérique, le dossier médical ayant été progressivement dématérialisé.

 

1. – Les règles générales protégeant le secret médical et encadrant le partage d’informations médicales entre professionnels

 

* L’article L. 1110-4 du code de la santé publique consacre, en son paragraphe I, le secret médical en reconnaissant à toute personne malade et à tout usager du système de santé le droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant.

 

Selon le premier alinéa de ce paragraphe, « Toute personne prise en charge par un professionnel de santé, un établissement ou service, un professionnel ou organisme concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d’exercice ou les activités sont régies par le présent code, le service de santé des armées, un professionnel du secteur médico-social ou social ou un établissement ou service social et médico-social mentionné au I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles a droit au respect de sa vie privée et du secret des informations la concernant ».

 

Le secret médical est un devoir qui s’impose de façon très large.

 

Il concerne toute personne dont la profession ou la fonction lui donne l’occasion de connaître de l’état de santé de la personne.

 

Ainsi, le secret médical s’applique d’abord à l’ensemble des professionnels et structures susceptibles de prendre en charge la personne : professionnels de santé3, établissements, services, professionnels et organismes concourant à la prévention ou aux soins dont les conditions d’exercice ou les activités sont régies par le code de la santé publique, service de santé des armées, professionnels du secteur médico-social ou social et établissements ou services sociaux et médico–sociaux4.

 

Il s’applique non seulement aux professionnels, mais aussi à tout membre du personnel de ces établissements, services ou organismes et à toute autre personne en relation, de par ses activités, avec ces établissements ou organismes.

 

Il s’impose, enfin, de façon générale, à tous les professionnels intervenant dans le système de santé5.

 

En outre, le secret médical couvre toutes les informations venues à leur connaissance de par leur activité6.

 

* Dans ce cadre, les paragraphes II et III de l’article L. 1110-4 précité ménagent toutefois la possibilité d’échanges, entre professionnels, d’informations relatives à la personne prise en charge, notamment au sein d’une même équipe de soins.

 

Ces dispositions autorisent ainsi un professionnel à « échanger avec un ou plusieurs professionnels identifiés des informations relatives à une même personne prise en charge, à condition qu’ils participent tous à sa prise en charge et que ces informations soient strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins, à la prévention ou à son suivi médico-social et social »7.

 

Elles déterminent ensuite les règles d’un tel partage d’informations entre professionnels, selon qu’ils appartiennent ou non à une même « équipe de soins »8.

 

Les professionnels appartenant à une même équipe de soins peuvent partager les informations concernant la personne prise en charge dès lors qu’elles sont « strictement nécessaires à la coordination ou à la continuité des soins ou à son suivi médico–social et social. Ces informations sont réputées confiées par la personne à l’ensemble de l’équipe »9 .

 

En revanche, lorsque les professionnels ne font pas partie de la même équipe de soins, le partage entre professionnels d’informations nécessaires à la prise en charge requiert le consentement préalable de la personne10.

 

* Le paragraphe IV dispose, quant à lui, que « La personne est dûment informée de son droit d’exercer une opposition à l’échange et au partage d’informations la concernant. Elle peut exercer ce droit à tout moment ».

 

* Le paragraphe V institue notamment des sanctions pénales et punit d’un an d’emprisonnement et 15 000 euros d’amende le fait d’obtenir ou de tenter d’obtenir la communication de ces informations en violation des dispositions précitées11.

 

2. – L’espace numérique de santé et le dossier médical partagé

 

La loi n° 2004-810 du 13 août 200412 a d’abord institué un « dossier médical personnel ». Ce dernier devait rassembler, pour chaque assuré social, l’ensemble des données personnelles de santé enregistrées à l’occasion d’actes de prévention, de diagnostic ou de soin, afin de favoriser à la fois la coordination des soins et la réduction des dépenses de santé13.

 

Après d’importants retards de mise en œuvre et afin de relancer son déploiement, la loi n° 2016-41 du 26 janvier 201614 a procédé à sa refonte, en le renommant « dossier médical partagé » (DMP). Il est alors conçu plus clairement comme un « outil essentiel de la coordination des prises en charge »15.

 

Enfin, la loi n° 2019–774 du 24 juillet 201916 a institué, pour l’ensemble des assurés sociaux, un « espace numérique de santé » auquel elle a intégré le DMP17. En outre, alors que la création de ce dossier nécessitait auparavant l’accord exprès du patient, le législateur a inversé la démarche en prévoyant son ouverture automatique sauf opposition.

 

a. – L’espace numérique de santé

 

En l’état du droit, issu de ces évolutions, l’espace numérique de santé est ouvert automatiquement sauf opposition de la personne ou de son représentant légal18. Chaque titulaire en dispose gratuitement.

 

Accessible en ligne à son titulaire après identification et authentification, il se compose notamment de ses données administratives, de ses constantes de santé ou toute autre donnée de santé utile à la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins, ainsi que de l’ensemble des données relatives au remboursement de ses dépenses de santé. Il intègre également des outils permettant des échanges sécurisés avec les acteurs du système de santé19. Il comprend en outre le « dossier médical partagé » de son titulaire (cf. infra).

 

Seul gestionnaire et utilisateur de l’espace numérique de santé, son titulaire peut décider, à tout moment, de clôturer son espace numérique de santé20.

 

b. – Le dossier médical partagé

 

* Le DMP est « intégré à l’espace numérique de santé dont il constitue l’une des composantes »21. Ainsi qu’il a été dit plus haut, l’ouverture de l’espace numérique de santé emporte la création automatique de ce dossier22.

 

L’article L. 1111-14 du code de la santé publique énonce que ce dossier vise ainsi à « favoriser la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins ». Il précise en outre que chaque titulaire dispose de ce dossier « dans les conditions et sous les garanties prévues aux articles L. 1110-4 et L. 1470-5 et dans le respect du secret médical »23.

 

Le contenu du dossier est déterminé à l’article L. 1111–15 du code de la santé publique, principalement par le biais d’une description de ses modalités d’alimentation. En particulier, chaque professionnel est tenu d’y reporter, à l’occasion de chaque acte ou consultation, « les éléments diagnostiques et thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge ». Le médecin traitant doit, pour sa part, verser, au moins une fois par an, une synthèse médicale au dossier24.

 

Concrètement, le DMP vise ainsi à rassembler notamment, outre les données d’identification du titulaire du dossier, l’historique des soins prodigués, les antécédents médicaux (pathologies, allergies, etc.), les résultats d’examens médicaux (comptes rendus d’analyses biologiques, examens d’imageries médicales, etc.), les comptes rendus d’hospitalisation, les directives anticipées de fin de vie ainsi que les coordonnées des proches à prévenir en cas d’urgence, de la personne de confiance, du médecin traitant et des professionnels de santé autorisés à accéder au dossier.

 

L’alimentation du dossier par chaque praticien se fait « Dans le respect des règles déontologiques qui lui sont applicables ainsi que des articles L. 1110-4, L. 1470–5 et L. 1111-2 » du code de la santé publique25.

 

Chaque titulaire dispose de certaines prérogatives concernant, en particulier, l’accès à son dossier :

 

- il peut décider de rendre certaines informations inaccessibles26 ;

 

- il peut accéder à la liste des professionnels disposant d’un accès à son dossier et la modifier à tout moment27 ;

 

- il peut, en outre, prendre connaissance des traces d’accès à son dossier (puisque les professionnels ne peuvent y accéder qu’après identification électronique).

 

3. – Les modalités particulières d’accès au dossier médical partagé par les professionnels participant à la prise en charge de son titulaire (les dispositions objet de la décision commentée)

 

* L’article L. 1111-17 du code de la santé publique détermine les modalités d’accès au dossier d’une personne par les professionnels participant à sa prise en charge.

 

En particulier, son paragraphe III (les dispositions objet de la décision commentée) dispose, d’une part, que « Tout professionnel participant à la prise en charge d’une personne en application des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 peut accéder, sous réserve du consentement de la personne préalablement informée, au dossier médical partagé de celle-ci et l’alimenter » (première phrase).

 

Il prévoit, d’autre part, que « L’alimentation ultérieure de son dossier médical partagé par ce même professionnel est soumise à une simple information de la personne prise en charge » (seconde phrase).

 

* Les travaux parlementaires de la loi n° 2020-1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique, dont sont issues les dispositions du paragraphe III, permettent d’éclairer l’intention du législateur.

 

La première phrase a d’abord été introduite par un amendement adopté en séance par le Sénat28, visant notamment à élargir l’accès à ce dossier à l’ensemble des professionnels intervenant dans la prise en charge du patient. Son objet soulignait, sur ce point, qu’il était « essentiel d’ouvrir l’accès au DMP à l’ensemble des professionnels susceptibles d’intervenir dans sa prise en charge, notamment ceux du secteur médico-social », afin de « favoriser une homogénéisation entre les outils pour casser les silos entre le secteur sanitaire et le secteur médico-social et simplifier l’articulation des systèmes d’information en santé ».

 

À l’Assemblée nationale, en réponse à des amendements de suppression faisant notamment valoir qu’en ouvrant l’accès à tout professionnel participant à la prise en charge du patient, l’accès serait « illimité »29, la ministre au banc, Mme Agnès Pannier–Runnacher, précisait que « Les professionnels visés sont les membres de l’équipe de soins, notamment les personnels et les médecins des EHPAD. Il s’agit donc bien de professionnels dont le travail consiste à améliorer la santé du patient »30.

 

La seconde phrase a, pour sa part, été ajoutée par un amendement adopté en commission à l’Assemblée nationale à l’initiative du rapporteur. Son objet était, selon son auteur, de « préciser que, dès lors qu’une personne a initialement donné son consentement au partage des informations contenues dans son dossier médical partagé, l’alimentation de ce dossier par la suite par les membres de l’équipe de soins implique seulement d’informer la personne mais non de recueillir son consentement à chaque fois »31.

 

* De nombreuses mesures réglementaires d’application sont venues fixer les modalités de mise en œuvre du DMP en général, et les modalités d’accès prévues par les dispositions renvoyées du paragraphe III de l’article L. 1111–17 en particulier.

 

Le décret du 4 août 2021 relatif au dossier médical partagé32 est ainsi venu préciser les conditions de création et de fermeture du DMP, la nature et le contenu des informations y figurant, les modalités d’exercice des droits des titulaires sur ces informations, les conditions dans lesquelles certaines informations peuvent être rendues inaccessibles par le titulaire, les conditions d’utilisation par les professionnels de santé ainsi que les conditions d’accès au dossier médical partagé.

 

En particulier, l’article R. 1111-46 du code de la santé publique, qui en est issu, régit l’accès au DMP par les professionnels en distinguant selon que ces derniers appartiennent ou non à l’équipe de soins. Ces dispositions rappellent que l’accès à ce dossier par les différents professionnels, établissements et services prenant en charge une personne est subordonné au consentement préalable du titulaire, en distinguant :

– le cas où le professionnel est membre d’une équipe de soins. L’accès au dossier médical partagé est alors autorisé dans le cadre de la prise en charge effective de la personne et dans les conditions prévues par le premier alinéa du paragraphe III de l’article L. 1110-4 relatif au partage d’informations entre professionnels. Cet accès est réputé autorisé à l’ensemble des professionnels membres de l’équipe de soins ;

– et le cas où le professionnel ne fait pas partie de l’équipe de soins. Le consentement doit alors être recueilli dans les conditions prévues au deuxième alinéa du paragraphe III de l’article L. 1110-4 précité.

 

Ces mêmes dispositions rappellent en outre que les professionnels ont accès aux seules données strictement nécessaires à la prise en charge du titulaire du DMP et que ce dernier peut indiquer les professionnels, établissements ou services auxquels il entend interdire l’accès à son dossier, cette liste pouvant être modifiée à tout moment par le titulaire.

 

Enfin, ces mêmes dispositions renvoient à un arrêté du ministre chargé de la santé le soin de préciser les règles de gestion des droits d’accès au DMP.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Le CNOM avait formé, devant le Conseil d’État, un recours pour excès de pouvoir contre l’arrêté du 26 octobre 2023 fixant les règles de gestion des droits d’accès au dossier médical partagé des professionnels mentionnés à l’article L. 1111-15 et au paragraphe III de l’article L. 1111-17 du code de la santé publique33.

 

À cette occasion, il avait soulevé une QPC portant sur le paragraphe III de l’article L. 1111–17 du code de la santé publique.

 

Dans sa décision de renvoi du 10 juin 2024 précitée, le Conseil d’État avait jugé que le moyen tiré de ce que ces dispositions « porteraient atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment qu’elles porteraient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée en prévoyant, sans l’assortir de garanties suffisantes, un droit d’accès à des données couvertes par le secret médical à des personnes qui n’ont pas la qualité de professionnels de santé, soulève une question présentant un caractère sérieux ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

A. – Les questions préalables

 

* Le Conseil d’État n’ayant pas précisé, dans sa décision de renvoi, la version dans laquelle le paragraphe III de l’article L. 1111–17 du code de la santé publique était renvoyé, il revenait au Conseil constitutionnel de la déterminer lui-même.

 

Conformément à sa jurisprudence constante, selon laquelle la QPC doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée34, le Conseil constitutionnel a jugé, en l’espèce, qu’il était saisi du paragraphe III de l’article L. 1111–17 du code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021–1520 du 25 novembre 2021 visant à consolider notre modèle de sécurité civile et valoriser le volontariat des sapeurs–pompiers et les sapeurs–pompiers professionnels (paragr. 1), version de cet article qui est celle actuellement en vigueur.

 

* Le CNOM reprochait à ces dispositions de permettre à des professionnels qui ne relèvent pas de la catégorie des professionnels de santé et ne sont pas soumis aux mêmes règles déontologiques d’accéder au dossier médical partagé d’un patient, sans conditionner cet accès à un consentement libre et éclairé de la personne intéressée ni prévoir de garanties suffisantes concernant le type de données accessibles. Selon lui, ces dispositions méconnaissaient ainsi le droit au respect de la vie privée et étaient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ce même droit.

 

B. – La jurisprudence relative au droit au respect de la vie privée, aux données de santé et au partage de données sensibles

 

* Aux termes de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l’Homme. Ces droits sont la liberté, la propriété, la sûreté, et la résistance à l’oppression ». La liberté proclamée par cet article implique le droit au respect de la vie privée35, lequel figure au nombre des droits et libertés que la Constitution garantit et peut être invoqué à l’appui d’une QPC36.

 

Le Conseil constitutionnel reconnaît le caractère particulièrement sensible des données de santé, qui justifie qu’elles fassent l’objet d’une protection renforcée. Il juge ainsi de façon constante que le droit au respect de la vie privée « requiert que soit observée une particulière vigilance dans la collecte et le traitement de données à caractère personnel de nature médicale »37.

 

Pour autant, le Conseil juge, classiquement, qu’il appartient au législateur de concilier ce droit avec d’autres exigences constitutionnelles.

 

Ainsi, dès sa décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 précitée, après avoir énoncé que le droit au respect de la vie privée « requiert que soit observée une particulière vigilance dans la transmission des informations nominatives à caractère médical entre les médecins prescripteurs et les organismes de sécurité sociale », le Conseil constitutionnel a également jugé « qu’il appartient toutefois au législateur de concilier le droit au respect de la vie privée et l’exigence de valeur constitutionnelle qui s’attache à l’équilibre financier de la sécurité sociale »38.

 

Par la suite, le Conseil a pu retenir de façon générale, parmi les exigences au regard desquelles doit s’opérer cette conciliation, « les exigences de valeur constitutionnelle qui s’attachent tant à la protection de la santé qu’à l’équilibre financier de la sécurité sociale »39, voire, de façon plus développée, « les exigences de valeur constitutionnelle qui s’attachent tant à la protection de la santé, qui implique la coordination des soins et la prévention des prescriptions inutiles ou dangereuses, qu’à l'équilibre financier de la sécurité sociale »40.

 

* À cette aune, le Conseil constitutionnel a régulièrement été conduit à examiner des dispositions permettant la collecte, la consultation ou la communication de données personnelles à caractère médical.

 

- Ainsi, dès sa décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 précitée, saisi de l’obligation faite aux médecins, lorsqu’ils prescrivent un arrêt de travail donnant lieu à l’octroi d’indemnités journalières par l’assurance maladie, de mentionner sur les documents produits à cet effet « les éléments d’ordre médical justifiant l’interruption de travail », le Conseil constitutionnel a constaté que ces informations étaient destinées au seul « service du contrôle médical » et que les médecins-conseils composant ce service étaient tenus au secret médical, y compris envers l’organisme qui fait appel à eux. Il a toutefois exigé, par une réserve d’interprétation, que soient « mises en place des modalités d’acheminement de ces documents aux médecins-conseils de nature à assurer la stricte confidentialité de la transmission des informations qu’ils contiennent ». Sous cette réserve, et compte tenu de la finalité poursuivie, qui était de remédier à l’augmentation des dépenses de santé en cause et à leur caractère éventuellement injustifié, le Conseil a jugé la disposition conforme au droit au respect de la vie privée41.

 

- Dans sa décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004 précitée, le Conseil constitutionnel était saisi des dispositions instaurant l’ancien « dossier médical personnel », dont il a contrôlé la conformité à la Constitution, comme indiqué ci–dessus, au regard de la conciliation opérée entre le droit au respect de la vie privée et les « exigences de valeur constitutionnelle qui s’attachent tant à la protection de la santé, qui implique la coordination des soins et la prévention des prescriptions inutiles ou dangereuses, qu’à l’équilibre financier de la sécurité sociale »42.

 

Le Conseil a d’abord constaté qu’aux termes des dispositions contestées, « le dossier médical personnel est institué "afin de favoriser la coordination, la qualité et la continuité des soins, gages d’un bon niveau de santé" et qu’il comportera notamment "des informations qui permettent le suivi des actes et prestations de soins" ainsi qu’un "volet spécialement destiné à la prévention" ; que, pour atteindre cet objectif ... chaque professionnel de santé inscrira au dossier "les éléments diagnostiques et thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge" ; qu’afin de favoriser la continuité de cette mise à jour, le législateur a subordonné le niveau de prise en charge des soins à l’autorisation donnée par le patient aux professionnels de santé d’accéder à son dossier et de le compléter »43.

 

S’attachant ensuite aux garanties légales prévues par ces dispositions, il a relevé, « que le dossier médical personnel sera élaboré "dans le respect du secret médical" ; qu’il résulte du renvoi à l’article L. 1111-8 du code de la santé publique que l’hébergement des données et la possibilité d’y accéder seront subordonnés au consentement de la personne concernée ; que le traitement des données sera soumis au respect des dispositions de la loi du 6 janvier 1978 susvisée ; que l’hébergeur devra faire l’objet d’un agrément ; que l’accès au dossier par un professionnel de santé sera soumis à l’observation des règles déontologiques ainsi que des dispositions des articles L. 1110-4 et L. 1111-2 du code de la santé publique, qui imposent notamment le respect de la vie privée et du secret des informations concernant le patient ; que l’accès au dossier médical en dehors des cas prévus par la loi sera puni des peines prévues à l’article 226-13 du code pénal ; que ces sanctions s’appliqueront sans préjudice des dispositions du code pénal relatives aux "atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques" »44.

 

Il en a conclu, pour valider les dispositions déférées, « qu’eu égard aux finalités des dispositions contestées, qui sont, d’une part, d’améliorer la qualité des soins, d’autre part, de réduire le déséquilibre financier de l’assurance maladie, et compte tenu de l’ensemble des garanties qui viennent d’être rappelées, le législateur a opéré, entre les exigences constitutionnelles en cause, une conciliation qui n’apparaît pas manifestement déséquilibrée » 45.

 

- Dans sa décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017 précitée, le Conseil était saisi de dispositions qui subordonnaient la prise en charge de certains produits de santé ou prestations à la mention sur l’ordonnance établie par le professionnel de santé d’éléments relatifs aux circonstances et aux indications de la prescription, lorsque ce produit ou ces prestations présentent un intérêt particulier pour la santé publique, un impact financier pour les dépenses d’assurance maladie ou un risque de mésusage. Elles prévoyaient la transmission de ces éléments, ainsi que tout autre élément requis sur l’ordonnance, au service du contrôle médical par le prescripteur, le pharmacien ou tout autre professionnel de santé.

 

Pour les déclarer conformes à la Constitution, le Conseil, après avoir relevé qu’ « En application, respectivement, de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique et de l’article L. 315-1 du code de la sécurité sociale, les professionnels de santé et les agents du service du contrôle médical sont tenus au respect du secret médical », a jugé que, « Dès lors, la circonstance qu’ils puissent, en application des dispositions contestées, prendre connaissance des éléments figurant sur l’ordonnance ne porte pas, compte tenu des finalités poursuivies, une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée »46.

 

- Dans sa décision n° 2020-800 DC du 11 mai 202047, le Conseil constitutionnel était saisi du dispositif de collecte, de traitement et de partage d’informations mis en place dans le cadre de l’état d’urgence sanitaire pour lutter contre l’épidémie de covid-19. Les dispositions contestées autorisaient le traitement et le partage, sans le consentement des intéressés, de données à caractère personnel relatives à la santé des personnes atteintes par la maladie du covid-19 et des personnes en contact avec elles dans le cadre d’un système d’information ad hoc ainsi que dans le cadre d’une adaptation des systèmes d’information relatifs aux données de santé déjà existants.

 

Pour examiner la conformité à la Constitution des dispositions déférées, le Conseil s’est attaché à examiner l’objectif poursuivi ainsi que l’adéquation et la proportionnalité, au regard de cet objectif, des finalités assignées au traitement, du champ des données collectées et partagées et du champ des personnes ayant accès au traitement. Il a également analysé les autres garanties prévues par le législateur.

 

S’agissant, en particulier, du champ des personnes ayant accès aux informations collectées et partagées, il a notamment relevé que « Si le champ des personnes susceptibles d’avoir accès à ces données à caractère personnel, sans le consentement de l’intéressé, est particulièrement étendu, cette extension est rendue nécessaire par la masse des démarches à entreprendre pour organiser la collecte des informations nécessaires à la lutte contre le développement de l’épidémie »48.

 

Le Conseil constitutionnel s’est ensuite attaché, sous l’angle de la proportionnalité, à examiner les garanties du partage d’informations entre tous ces acteurs. Il a constaté que le législateur avait, d’une part, borné l’accès de chacun à la seule part de ses missions susceptible de correspondre à l’une ou l’autre des finalités du fichier et aux seules données nécessaires à son intervention et, d’autre part, renvoyé à un décret en Conseil d’État la détermination, au sein de ces organismes, des services et personnels ayant accès au fichier et des modalités de cet accès (données en cause, durée de l’accès et règles de conservation).

 

Le Conseil a également observé que ces agents étaient tous soumis aux exigences du secret professionnel, pénalement sanctionnées49.

 

Il a toutefois formulé une réserve d’interprétation en précisant qu’« il appartiendra au pouvoir réglementaire de définir des modalités de collecte, de traitement et de partage des informations assurant leur stricte confidentialité et, notamment, l’habilitation spécifique des agents chargés, au sein de chaque organisme, de participer à la mise en œuvre du système d’information ainsi que la traçabilité des accès à ce système d’information »50.

 

- Puis, dans la décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022, le Conseil a notamment répondu aux griefs des requérants contestant les dispositions de la loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique qui prévoyaient que les systèmes d’information mis en place pour lutter contre l’épidémie de covid-19 puissent être utilisés aux fins d’adapter la durée des mesures de mise en quarantaine ou d’isolement et qui, à cet effet, autorisaient les agents spécialement habilités par les services préfectoraux à recevoir des données issues de ces systèmes d’information.

 

Le Conseil a d’abord relevé que le législateur avait poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé. Puis il a souligné que « seuls les agents des services préfectoraux ayant à connaître des mesures de mises en quarantaine et d’isolement pourront être spécialement habilités à recevoir des données issues des systèmes d’information. Ils n’auront accès qu’à celles strictement nécessaires à l’adaptation de l’organisation des contrôles de ces mesures en fonction des dates et des résultats des examens de dépistages virologiques des personnes concernées. En outre, ces agents sont soumis au secret professionnel et encourent les sanctions prévues à l’article 226–13 du code pénal en cas de révélation d’une information issue de ces données ». Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du droit au respect de la vie privée51.

 

* À l’inverse, le Conseil constitutionnel a pu censurer des dispositions permettant le partage de certaines données médicales à raison du manque de garanties prévues par le législateur :

 

- Par exemple, dans sa décision n° 2021-917 QPC du 11 juin 202152, le Conseil a censuré des dispositions qui autorisaient des services administratifs à se faire communiquer par des tiers les données médicales d’un agent sollicitant l’octroi d’un congé pour invalidité temporaire imputable au service afin de s’assurer qu’il remplissait les conditions fixées par la loi pour l’octroi de ce congé.

 

S’il a rattaché le but poursuivi par l’instauration de ce droit de communication à l’objectif de valeur constitutionnelle de bon usage des deniers publics, le Conseil a néanmoins souligné que les services administratifs pouvaient obtenir la communication des données médicales « sans recueillir préalablement le consentement des agents intéressés et sans que le secret médical puisse leur être opposé ». Il en résultait dès lors une atteinte particulièrement forte au droit au respect de la vie privée.

 

S’agissant des agents pouvant être destinataires des informations, le Conseil a relevé que la notion de « services administratifs » retenue par le législateur permettait que, « en fonction de l’organisation propre aux administrations, […] ces renseignements médicaux [soient] susceptibles d’être communiqués à un très grand nombre d’agents ». En effet, cette notion pouvait paraître particulièrement contingente en ce qu’elle dépendait finalement des choix organisationnels concrets de chaque autorité compétente pour instruire les demandes de congé. En outre, la désignation des agents pouvant en demander la communication n’était « subordonnée à aucune habilitation spécifique » et les demandes de communication n’étaient « soumises à aucun contrôle particulier ».

 

Par ailleurs, « les dispositions contestées permett[ai]ent que ces renseignements soient obtenus auprès de toute personne ou organisme », sans autre précision.

 

Compte tenu de ces lacunes et du caractère particulièrement sensible des données en cause, le Conseil constitutionnel a jugé que les dispositions contestées portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et les a déclarées contraires à la Constitution.

 

- Dans sa décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 202153, le Conseil était saisi de dispositions permettant aux directeurs d’établissements d’enseignement scolaire d’accéder aux informations médicales relatives aux élèves et de procéder à leur traitement aux fins de faciliter l’organisation de campagnes de dépistage et de vaccination et d’organiser des conditions d’enseignement permettant de prévenir les risques de propagation de l’épidémie de covid-19.

 

Le Conseil a considéré que, si, en adoptant ces dispositions, le législateur avait entendu poursuivre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé54, « Toutefois, en premier lieu, les dispositions contestées permettent d’accéder non seulement au statut virologique et vaccinal des élèves, mais également à l’existence de contacts avec des personnes contaminées, ainsi que de procéder au traitement de ces données, sans que soit préalablement recueilli le consentement des élèves intéressés ou, s’ils sont mineurs, de leurs représentants légaux »55.

 

En deuxième lieu, il a relevé que « ces dispositions autorisent l’accès à ces données et leur traitement tant par les directeurs des établissements d’enseignement scolaire des premier et second degrés que par "les personnes qu’ils habilitent spécialement à cet effet". Les informations médicales en cause sont donc susceptibles d’être communiquées à un grand nombre de personnes, dont l’habilitation n’est subordonnée à aucun critère ni assortie d’aucune garantie relative à la protection du secret médical »56.

 

En dernier lieu, il a jugé que, « en se bornant à prévoir que le traitement de ces données permet d’organiser les conditions d’enseignement pour prévenir les risques de propagation du virus, le législateur n’a pas défini avec une précision suffisante les finalités poursuivies par ces dispositions »57.

 

Le Conseil en a déduit qu’elles portaient une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée58.

 

* Il ressort de cet exposé jurisprudentiel que, lorsqu’il examine la conformité à la Constitution de dispositions instituant des partages de données de nature médicale, le Conseil constitutionnel se prononce au regard de l’objectif poursuivi et des garanties mises en œuvre pour assurer le droit au respect de la vie privée, tenant notamment au consentement de la personne, au champ des données accessibles et des personnes pouvant y accéder, ainsi qu’aux obligations s’imposant à ces dernières et aux sanctions qu’elles encourent en cas de méconnaissance de leurs obligations.

 

Comme le relevait déjà le commentaire de la décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020 précitée, « L’exigence du consentement à l’utilisation des données de santé est une garantie forte au regard de l’exigence de droit au respect de la vie privée ». Le Conseil constitutionnel en a ainsi déjà tenu compte pour juger conformes à la Constitution certains dispositifs, comme la carte électronique individuelle inter-régimes ou le dossier médical personnel, permettant l’échange d’informations médicales à caractère personnel entre les professionnels de santé.

 

Mais, à cet égard, les décisions précitées rendent compte de ce que, même lorsqu’il est susceptible d’intervenir sans le consentement de l’intéressé, le partage de données médicales à caractère personnel n’est pas nécessairement contraire au droit au respect de la vie privée : tout dépend des modalités de ce partage, des finalités poursuivies et des garanties prévues, au nombre desquelles peut figurer l’exigence, dont la méconnaissance est pénalement sanctionnée, de respecter le secret médical pour les personnes ayant accès à ces informations.

 

C. – L’application à l’espèce

 

Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a tout d’abord énoncé la norme de référence de son contrôle.

 

Il a ainsi réaffirmé l’exigence constitutionnelle du droit au respect de la vie privée, qui découle de l’article 2 de la Déclaration de 1789, avant de rappeler que « la collecte, l’enregistrement, la conservation, la consultation et la communication de données à caractère personnel doivent être justifiés par un motif d’intérêt général et mis en œuvre de manière adéquate et proportionnée à cet objectif ». En outre, compte tenu du caractère particulièrement sensible des données à caractère personnel de nature médicale, et dans le droit fil de ses décisions n° 2020–800 DC et n° 2021-917 QPC précitées, il a souligné qu’« une particulière vigilance doit être observée dans la conduite de ces opérations et la détermination de leurs modalités ». Précisant la nature de son contrôle, il a ajouté qu’« Il appartient toutefois au législateur de concilier le droit au respect de la vie privée et les exigences de valeur constitutionnelle qui s’attachent à la protection de la santé » (paragr. 4).

 

Le Conseil s’est ensuite attaché à décrire l’objet et la portée des dispositions contestées.

 

Retraçant d’abord le contexte normatif dans lequel elles s’inscrivent, il a observé qu’en application de l’article L. 1111–13–1 du code de la santé publique, chaque personne dispose d’un espace numérique à moins qu’elle ne s’y oppose (paragr. 5), et que, selon les articles L. 1111-14 et L. 1111–15 du même code, l’ouverture de cet espace numérique emporte création automatique du dossier médical partagé, dans lequel les professionnels de santé reportent notamment, à l’occasion de chaque acte ou consultation, les éléments diagnostiques et thérapeutiques nécessaires à la coordination des soins de la personne prise en charge (paragr. 6).

 

Puis, il a constaté que les dispositions contestées de l’article L. 1111–17 autorisent certains professionnels participant à la prise en charge d’une personne à accéder à son dossier médical partagé et à l’alimenter (paragr. 7).

 

Afin d’opérer son classique contrôle de conciliation, le Conseil a commencé par identifier l’objectif poursuivi par le législateur. Il a ainsi relevé, en premier lieu, en s’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi du 7 décembre 2020 dont sont issues ces dispositions, que « le législateur a entendu améliorer la coordination des soins. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de la santé » (paragr. 8).

 

Une telle intention résultait, certes, des termes mêmes retenus dès la loi du 13 août 2004 précitée instaurant le dossier médical personnel et figurant aujourd’hui à l’article L. 1111-14 du CSP pour le DMP, ce dernier ayant expressément pour objet de « favoriser la prévention, la coordination, la qualité et la continuité des soins ». Mais le Conseil a préféré s’appuyer sur les travaux parlementaires ultérieurs de la loi du 7 décembre 2020 dont était spécifiquement issu le paragraphe contesté59, puisque c’était moins le DMP lui-même qui était contesté, que les dispositions ayant élargi l’accès aux informations qu’il contient afin d’en faire bénéficier de nouvelles catégories de professionnels appelés à intervenir dans la prise en charge d’une personne.

 

Le Conseil a ensuite tenu compte des garanties prévues, au regard de cet objectif, pour assurer le droit au respect de la vie privée.

 

Il a ainsi constaté, en deuxième lieu, que les dispositions contestées n’autorisent l’accès au dossier médical partagé qu’à des professionnels participant à la prise en charge d’une personne « en application des articles L. 1110-4 et L. 1110-12 » du code de la santé publique (paragr. 9).

 

Il en résulte, d’une part, que l’accès aux informations du dossier médical partagé de la personne est « limité à celles strictement nécessaires à sa prise en charge par chaque professionnel concerné ». D’autre part, dans le cadre la prise en charge par une équipe de soins, l’accès au dossier médical partagé de la personne en cause n’est « ouvert qu’à des professionnels qui participent directement au profit d’un même patient à la réalisation d’un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d’autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes » (paragr. 10 et 11).

 

Concrètement, il peut donc bien s’agir des personnels relevant des secteurs sociaux et médico–sociaux. Mais, dans ce cas, l’accès aux informations du DMP doit toujours, en toute hypothèse, être limité aux seules informations nécessaires à leurs actions de suivi médico-social et social.

 

En troisième lieu, le Conseil a souligné qu’il ressort des termes des dispositions contestées que l’accès d’un professionnel au dossier médical partagé n’est possible que « sous réserve du consentement de la personne préalablement informée » (paragr. 12). Dès lors, les garanties prévues à l’article L. 1110-4 du code de la santé publique, relatives à l’échange et au partage d’informations médicales par tout professionnel et aux conditions selon lesquelles le consentement de la personne intéressée doit être recueilli, demeurent pleinement applicables à l’accès au dossier médical partagé (paragr. 13).

 

L’incertitude alléguée quant à l’applicabilité de ces dispositions pour l’accès au DMP ne pouvait ainsi être imputée au silence du législateur, auquel il pouvait tout au plus être reproché d’avoir, à l’inverse, par un excès de précisions, complexifié l’articulation de deux séries de dispositions :

 

- d’un côté, celles relatives au partage d’informations médicales prévues aux paragraphes II et III de l’article L. 1110-4, qui avaient été envisagées à l’origine pour régir de façon générale des échanges « directs » entre professionnels (cas d’un professionnel qui transmet l’information à un autre professionnel qui en prend connaissance, verbalement, par transfert du dossier, etc.) ;

 

- et d’un autre côté, les dispositions contestées du paragraphe III de l’article L. 1111–17, qui sont centrées spécifiquement sur un mode de partage particulier d’information faisant intervenir un dossier informatique dématérialisé qui sert de support aux informations et d’intermédiaire technique aux professionnels (certains professionnels venant alimenter le DMP, quand d’autres peuvent ensuite accéder à certaines de ses informations).

 

Mais tant les travaux préparatoires que l’économie générale de ces dispositions portaient à considérer ici que, en adoptant les dispositions contestées, le législateur n’avait fait en réalité que prévoir des modalités particulières de partage d’informations entre professionnels : s’y appliquait nécessairement l’ensemble des règles encadrant ces échanges prévues par l’article L. 1110-4 relatif au secret médical, auxquelles le législateur n’avait nullement entendu déroger.

 

Explicitant ensuite les modalités de recueil du consentement en résultant, le Conseil a souligné que, « À ce titre, lorsque le professionnel est membre d’une équipe de soins, l’accès au dossier médical partagé auquel consent la personne intéressée vaut pour l’ensemble des professionnels membres de cette équipe, dans les conditions prévues au premier alinéa du paragraphe III de l’article L. 1110–4. Dans le cas où le professionnel ne fait pas partie de l’équipe de soins, ce consentement doit préalablement être recueilli par tout moyen, dans les conditions prévues au deuxième alinéa de ce même paragraphe III » (paragr. 14).

 

Le Conseil a en outre observé qu’aux termes des articles L. 1111-13-1, L. 1111–15 et L. 1111-19 du code de la santé publique, le patient dispose, à tout moment, de la possibilité de clôturer son dossier médical, d’en rendre certaines informations inaccessibles ou de modifier la liste des professionnels autorisés à y accéder (paragr. 15).

 

En dernier lieu, le Conseil a rappelé que « le fait pour un professionnel d’accéder au dossier médical partagé d’une personne ou de révéler une information en méconnaissance du secret médical est susceptible de donner lieu à l’application des peines prévues au paragraphe V de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique et à l’article 226–13 du code pénal » (paragr. 16).

 

Il a conclu de l’ensemble de ces éléments que les dispositions contestées ne méconnaissent pas le droit au respect de la vie privée (paragr. 17).

 

Les dispositions contestées n’étant pas entachées d’incompétence négative et ne méconnaissant aucun autre droit ou liberté garanti par la Constitution, le Conseil les a donc déclarées conformes à la Constitution (paragr. 18).

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1 Voir notamment, sur ce point, Jean Guigue, « Secret médical – Principes juridiques fondamentaux », Feuillets mobiles Litec Droit médical et hospitalier, Fasc. 11-10, 5 mai 2023.

2 Sur ces questions, voir notamment Marc Dupont, « Dossier médical. – Généralités. Communication », Feuillets mobiles Litec Droit médical et hospitalier, Fasc. 10-10, 20 avril 2022, § 32.

3 Selon le code de la santé publique (quatrième partie), la notion de « professionnel de santé » recouvre les professions médicales (médecins, chirurgiens-dentistes, sage-femmes), les professions de la pharmacie et de la physique médicale, les auxiliaires médicaux (infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, pédicure-podologues, ergothérapeute, psychomotriciens, orthophonistes, orthoptistes, techniciens de laboratoire médical, opticiens, prothésistes,…) ainsi que les aides-soignants, auxiliaires de puériculture, ambulanciers, assistants dentaires et assistants de régulation médicale.

4 Premier alinéa du paragraphe I de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique.

5 Second alinéa du même paragraphe I.

6 Ibidem. Saisi de l’interprétation de ces dispositions dans le cadre d’un recours dirigé contre la sanction prononcée à l’égard d’un médecin, le Conseil d’État a précisé que le secret médical « concerne tout ce qui est venu à la connaissance du médecin dans l’exercice de sa profession, c’est à dire non seulement ce qui lui a été confié, mais aussi ce qu’il a vu, entendu et compris » (Conseil d’État, 7 février 1994, n° 121290). Cette définition a été reprise à l’article R. 4127–4 du code de la santé publique concernant les médecins et à l’article R. 4312-4 pour les infirmiers.

7 Paragraphe II de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique.

8 L’équipe de soins, définie à l’article L. 1110-12 du code de la santé publique, constitue « un ensemble de professionnels qui participent directement au profit d’un même patient à la réalisation d’un acte diagnostique, thérapeutique, de compensation du handicap, de soulagement de la douleur ou de prévention de perte d’autonomie, ou aux actions nécessaires à la coordination de plusieurs de ces actes » et qui, soit exercent dans un même établissement ou service, soit se sont vus reconnaître la qualité de membre de l’équipe par le patient, soit « exercent dans un ensemble, comprenant au moins un professionnel de santé, présentant une organisation formalisée et des pratiques conformes à un cahier des charges ». La loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (dite loi « Kouchner ») avait déjà autorisé, à l’article L. 1110–4 du code de la santé publique, l’échange d’informations au sein d’une équipe de soins dans un établissement de santé. La loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé a étendu le partage d’informations en ce cas par l’introduction d’une définition élargie de la notion d’équipe de soins à l’article L. 1110–12, « en y intégrant les professionnels des secteurs sanitaire et médico-social, entre lesquels l’échange et le partage de données personnelles de santé est organisé » (exposé des motifs du projet de loi n° 2302 relatif à la santé, déposé le 15 octobre 2014).

9 Premier alinéa du paragraphe III de l’article L. 1110-4 du code de la santé publique.

10 Second alinéa du même paragraphe III. Ce consentement est recueilli par tout moyen, y compris dématérialisé.

11 Si ces dispositions permettent de réprimer la personne qui chercherait ainsi à obtenir des informations couvertes par le secret médical auprès d’un professionnel de santé, des poursuites sont par ailleurs susceptibles d’être engagées à l’encontre de ce dernier dans le cas où il méconnaîtrait le secret auquel il est tenu, sur le fondement de l’article 226-13 du code pénal.

12 Loi n° 2004-810 du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie.

13 Ce dispositif était prévu dans une section de la loi intitulée « Coordination des soins », qui figurait à l’intérieur d’un titre intitulé « Dispositions relatives (...) et à la maîtrise médicalisée des dépenses de santé ».

14 Loi n° 2016-41 du 26 janvier 2016 précitée.

15 Exposé des motifs du projet de loi n° 2302 relatif à la santé, déposé le 15 octobre 2014.

16 Loi n° 2019–774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé. Sur cette évolution, voir également le rapport de M. Dominique Pon et Mme Annelore Coury, Stratégie de transformation du système de santé - Accélérer le virage numérique, publié en septembre 2018.

17 Selon l’exposé des motifs du projet de loi n° 1681 relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, déposé le 13 février 2019, l’espace numérique a été institué « afin notamment d’accéder à son dossier médical partagé, ainsi qu’à des outils numériques permettant des échanges sécurisés avec les professionnels et établissements de santé, favorisant la prévention par l’accès à des informations de santé référencées et personnalisées, simplifiant la préparation d’une hospitalisation ainsi que le retour à domicile ou encore permettant d’évaluer son parcours de soin ».

18 Article L. 1111-13-1 du code de la santé publique. La personne concernée doit être informée de cette ouverture, des conditions de fonctionnement de cet espace, des modalités de sa clôture et de son droit d’opposition.

19 Dont une messagerie de santé sécurisée permettant à son titulaire d’échanger avec les professionnels et établissements de santé et des outils permettant d’accéder à des services de télésanté.

20 3° du paragraphe IV de l’article L. 1111-13-1 du code de la santé publique. Il peut également décider de « proposer un accès temporaire ou permanent à son espace numérique de santé à un établissement de santé, à un professionnel de santé, aux membres d’une équipe de soins au sens de l’article L. 1110-12 ou à tout autre professionnel participant à sa prise en charge en application de l’article L. 1110–4, ou de mettre fin à un tel accès » (1° du même paragraphe IV).

21 Article L. 1111-13 du code de la santé publique.

22 Ou son intégration à cet espace si le dossier médical partagé avait déjà été ouvert antérieurement.

23 Premier alinéa de l’article L. 1111-14 du code de la santé publique.

24 En outre, « A l’occasion du séjour d’une personne prise en charge, les professionnels de santé habilités des établissements de santé doivent » y reporter « un résumé des principaux éléments relatifs à ce séjour ». Sont également versées dans le DMP « Les données nécessaires à la coordination des soins issues des procédures de remboursement ou de prise en charge qui sont détenues par l’organisme dont relève chaque bénéficiaire de l’assurance maladie ». Par ailleurs, « Le dossier médical partagé comporte un volet relatif à la santé au travail dans lequel sont versés, sous réserve du consentement de l’intéressé préalablement informé, les éléments de son dossier médical en santé au travail nécessaires au développement de la prévention ainsi qu’à la coordination, à la qualité et à la continuité des soins ». Enfin, le dossier comporte des volets relatifs au don d’organes et de tissus.

25 Premier alinéa de l’article L. 1111-15 du code de la santé publique.

26 Article L. 1111-15 du code de la santé publique. Cette faculté ne vaut toutefois ni à l’égard de son médecin traitant (art. L. 1111-16 du code de la santé publique), ni en cas de risque immédiat pour sa santé, à moins qu’il n’ait préalablement et expressément indiqué son opposition à la consultation ou à l’alimentation de son DMP dans une telle situation (art. L. 1111-17 du code de la santé publique).

27 Article L. 1111-19 du code de la santé publique.

28 Amendement n° 158 rect. présenté par M. Milon et plusieurs de ses collègues, le 3 mars 2020, et adopté avec l’avis favorable de la commission et du Gouvernement.

29 Voir l’amendement n° 172 présenté par M. Thibault Bazin aux fins de « supprimer les alinéas 25 et 26 qui ont pour objet l’accès et l’alimentation du dossier médical partagé, le DMP, par "tout professionnel participant à la prise en charge d’une personne" – autant dire que l’accès serait illimité ! » (compte-rendu des débats à l’Assemblée nationale, 2e séance du 2 octobre 2020).

30 Compte-rendu des débats à l’Assemblée nationale, 2e séance du 2 octobre 2020.

31 Exposé sommaire de l’amendement n° 680 déposé par M. Guillaume Kasbarian.

32 Décret n° 2021-1047 du 4 août 2021 relatif au dossier médical partagé. Ses dispositions sont codifiées, pour l’essentiel, aux articles R. 1111-40 à R. 1111-54 constituant la section 5 (« Dispositions relatives au dossier médical partagé ») du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier de la première partie du code de la santé publique (partie réglementaire).

33 NOR : SPRD2326855A.

34 Voir, par exemple, décision n° 2024-1100 QPC du 10 juillet 2024, M. Christophe A. (Absence d’obligation légale d’aviser le curateur ou le tuteur d’un majeur protégé en cas de saisie spéciale immobilière), paragr. 1.

35 Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d’une couverture maladie universelle, cons. 45.

36 Décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, M. Jean-Victor C. (Fichier empreintes génétiques), cons. 6 et 16.

37 Décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004, Loi relative à l’assurance maladie, cons. 5. Cf. déjà, avec une formulation proche, la décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, cons. 52, concernant en l’espèce la transmission d’informations nominatives à caractère médical entre les médecins prescripteurs et les organismes de sécurité sociale.

38 Décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 précitée, cons. 52.

39 Décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, paragr. 63.

40 Décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004 précitée, cons. 5.

41 Décision n° 99-422 DC du 21 décembre 1999 précitée, cons. 52 et 53.

42 Décision n° 2004-504 DC du 12 août 2004 précitée, cons. 5.

43 Ibidem, cons. 6.

44 Ibidem, cons. 7.

45 Ibidem, cons. 8.

46 Décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017 précitée, paragr. 64 et 65.

47 Décision n° 2020-800 DC du 11 mai 2020, Loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions.

48 Ibidem, paragr. 69 et 70.

49 Ibidem, paragr. 71 et 72.

50 Ibidem, paragr. 72 et 73.

51 Décision n° 2022-835 DC du 21 janvier 2022, Loi renforçant les outils de gestion de la crise sanitaire et modifiant le code de la santé publique, paragr. 83 à 90.

52 Décision n° 2021-917 QPC du 11 juin 2021, Union nationale des syndicats autonomes de la fonction publique (Accès aux données médicales des fonctionnaires lors de l’instruction des demandes de congé pour incapacité temporaire imputable au service), paragr. 5 à 10.

53 Décision n° 2021-828 DC du 9 novembre 2021, Loi portant diverses dispositions de vigilance sanitaire.

54 Ibidem, paragr. 37.

55 Ibidem, paragr. 38.

56 Ibidem, paragr. 39.

57 Ibidem, paragr. 40.

58 Ibidem, paragr. 41.

59 Ainsi qu’il a été dit plus haut, l’amendement à l’origine de ces dispositions, estimant « essentiel d’ouvrir l’accès au DMP à l’ensemble des professionnels susceptibles d’intervenir dans sa prise en charge, notamment ceux du secteur médico–social », visait ainsi à « permettre la meilleure prise en charge possible du patient ».