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Commentaire de la décision 2024-1100 QPC

22/11/2024

Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 27 mai 2024 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 805 du 23 mai 2024) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Christophe A. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des deux derniers alinéas de l’article 706-113 du code de procédure pénale (CPP), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire, ainsi que de l’article 706-150 du même code.

 

Dans sa décision n° 2024-1100 QPC du 10 juillet 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les deux derniers alinéas de l’article 706-113 du CPP, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021 précitée.

 

I. – Les dispositions renvoyées

 

A. – Objet des dispositions renvoyées

 

1. – Les saisies pénales immobilières

 

a. – Présentation des saisies spéciales

 

* La saisie pénale est une procédure permettant de placer des documents, des objets et des biens corporels ou incorporels sous main de justice. Elle a ainsi pour effet de priver le détenteur du bien de la faculté d’en disposer.

 

Le code de procédure pénale organise trois régimes de saisie pénale poursuivant des objectifs distincts :

 

– le régime des saisies à finalité probatoire, qui permet au procureur de la République au cours de l’enquête préliminaire ou de flagrance1 et au juge d’instruction au cours de l’information judiciaire2, ainsi qu’aux officiers de police judiciaire (OPJ) agissant sous leur autorité, de placer sous main de justice tout objet, bien ou document utile à la manifestation de la vérité3 ;

 

– le régime des mesures conservatoires, défini à l’article 706-103 du CPP, qui permet, en matière de délinquance et de criminalité organisée, au juge des libertés et de la détention (JLD), sur requête du procureur de la République, d’ordonner des mesures conservatoires sur les biens de la personne mise en examen pour assurer le paiement des amendes encourues et l’indemnisation des victimes ;

 

– le régime des saisies pénales spéciales, défini aux articles 706-141 à 706-158 du CPP4, qui se distinguent des autres catégories de saisies en ce qu’elles visent exclusivement à garantir l’efficacité de la peine complémentaire de confiscation prévue par l’article 131-21 du code pénal.

 

* Cette peine complémentaire de confiscation est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement. Elle est également encourue de plein droit pour les crimes et les délits punis d’une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure à un an, à l’exception des délits de presse5.

 

Elle peut porter sur cinq types de biens :

 

– les biens meubles ou immeubles, divis ou indivis, ayant servi à commettre l’infraction ou destinés à la commettre, et dont le condamné est propriétaire ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition ;

 

– les biens qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction, à l’exception des biens susceptibles de restitution à la victime ;

 

– les biens meubles ou immeubles qui sont définis par la loi ou le règlement qui réprime l’infraction ;

 

– en matière de crimes ou de délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement et ayant procuré un profit direct ou indirect, les biens pour lesquels ni le condamné ni le propriétaire n’ont pu justifier l’origine. Lorsque la loi le prévoit, la confiscation peut aussi porter sur tout ou partie du patrimoine du condamné6 ;

 

– les objets dangereux, nuisibles ou dont la détention est illicite, pour lesquels la confiscation est obligatoire.

 

Par ailleurs, la confiscation peut, sous certaines conditions, être ordonnée en valeur7.

 

* La peine complémentaire de confiscation vise à assurer le caractère dissuasif de la sanction pénale en privant l’auteur d’une infraction des profits qu’il a pu en tirer8.

 

Pour en assurer le plein effet, le législateur a jugé nécessaire de prévoir, pendant la phase de mise en état du procès pénal, des règles permettant de saisir, à titre conservatoire, les objets ou produits de l’infraction, afin d’éviter leur disparition entre la phase procédurale et la phase juridictionnelle9.

 

La loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale, dite « Warsmann », est venue modifier, à cette fin, le régime des saisies spéciales10.

 

Selon l’article 706-141 du CPP, ce régime « s’applique, afin de garantir l’exécution de la peine complémentaire de confiscation selon les conditions définies à l’article 131–21 du code pénal, aux saisies […] lorsqu’elles portent sur tout ou partie des biens d’une personne, sur un bien immobilier, sur un bien ou un droit mobilier incorporel ou une créance ainsi qu’aux saisies qui n’entraînent pas de dépossession du bien ».

 

Ce régime permet ainsi non seulement de saisir certains biens immobiliers et mobiliers corporels ou incorporels pouvant faire l’objet d’une confiscation en application de l’article 131-21 du code pénal mais aussi d’ordonner la saisie de tels biens sans dépossession de leur propriétaire11. La saisie, lorsqu’elle est ordonnée, s’opère en principe en nature. Cependant, elle peut, comme la mesure de confiscation elle–même, avoir lieu en valeur12.

 

Par ailleurs, les conditions dans lesquelles ces saisies peuvent être ordonnées ont été simplifiées pour en accroître l’efficacité.

 

En effet, le cadre procédural mis en place « se traduit par l’octroi de larges prérogatives de puissance publique au juge pénal, lui permettant d’agir rapidement, avant que la personne mise en cause n’ait pu mettre en œuvre les moyens nécessaires pour organiser son insolvabilité ou faire disparaître les éléments de son patrimoine acquis de façon illicite. En contrepartie, des voies de recours sont prévues à chaque étape de la procédure »13.

 

Quatre procédures de saisies spéciales sont ainsi prévues par le titre XXIX du livre IV du CPP : les saisies de patrimoine14, les saisies sans dépossession15, les saisies de biens incorporels16 et les saisies immobilières.

 

b. – Les saisies spéciales immobilières

 

* Les saisies immobilières sont régies par les articles 706-150 à 706-152 du CPP.

 

Ces règles se différencient peu de celles applicables autres saisies spéciales17, la particularité de ces saisies tenant principalement à la nature immobilière des biens qui en font l’objet ainsi qu’à leurs effets en raison de leur publicité18.

 

Aux termes du premier alinéa de l’article 706-150 du CPP, il est prévu qu’« Au cours de l’enquête de flagrance ou de l’enquête préliminaire, le juge des libertés et de la détention, saisi par requête du procureur de la République, peut ordonner par décision motivée la saisie, aux frais avancés du Trésor, des immeubles dont la confiscation est prévue par l’article 131-21 du code pénal. Le juge d’instruction peut, au cours de l’information, ordonner cette saisie dans les mêmes conditions ».

 

À l’instar des autres saisies spéciales, la saisie d’un immeuble peut être décidée dès l’ouverture d’une enquête ou au stade seulement de l’instruction19. La Cour de cassation estime, même dans ce dernier cas, que la saisie peut être ordonnée sans que le propriétaire du bien ait été préalablement mis en examen20. Il n’est pas non plus exigé, pour ordonner une saisie, que soit caractérisé un risque de dissipation de l’immeuble21.

 

Par ailleurs, quel que soit le stade de la procédure auquel elle intervient, il appartient au juge qui prononce la saisie, compte tenu de la gravité d’une telle mesure, de contrôler que l’atteinte portée au droit de propriété ne présente pas un caractère disproportionné au regard notamment de la situation du propriétaire de l’immeuble et des circonstances de l’infraction22.

 

* Le second alinéa de l’article 706-150 du CPP précise, d’une part, les personnes auxquelles la saisie doit être notifiée.

 

Il dispose à cet égard que : « La décision prise en application du premier alinéa est notifiée au ministère public, au propriétaire du bien saisi et, s’ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur ce bien (…) ».

 

La saisie doit ainsi être notifiée non seulement au propriétaire du bien mais aussi aux tiers, auxquels la loi ouvre la possibilité d’exercer un recours contre la saisie pénale, à condition toutefois qu’ils justifient détenir un droit sur le bien saisi23.

 

Ces mêmes dispositions prévoient, d’autre part, les conditions dans lesquelles les personnes intéressées, auxquelles l’ordonnance de saisie doit être notifiée, sont recevables à exercer un recours contre cette mesure.

 

Ces dernières peuvent ainsi « déférer [cette ordonnance] à la chambre de l’instruction par déclaration au greffe du tribunal dans un délai de dix jours à compter de la notification de la décision. Cet appel n’est pas suspensif. L’appelant ne peut prétendre dans ce cadre qu’à la mise à disposition des seules pièces de la procédure se rapportant à la saisie qu’il conteste. S’ils ne sont pas appelants, le propriétaire du bien et les tiers peuvent néanmoins être entendus par la chambre de l’instruction, sans toutefois pouvoir prétendre à la mise à disposition de la procédure ».

 

Un tel recours doit être formé dans le délai de dix jours à compter de la notification de la décision. Ce n’est donc pas la date à laquelle l’ordonnance a été prise qui constitue le point de départ du délai d’appel mais celle à laquelle le requérant en a eu connaissance, ce qui permet de garantir l’effectivité du recours des tiers ayant des droits sur les biens, qui ne sont pas toujours connus au moment de la décision de saisie et peuvent se révéler plus tard.

 

Par ailleurs, il est prévu que ce délai de recours comme le recours lui-même formé contre la décision de saisie n’ont pas d’effet suspensif24. Le recours, qui doit être formé au greffe du tribunal auprès duquel se trouve le magistrat qui a ordonné la saisie, est porté devant la chambre de l’instruction qui statue sur la légalité et le bien-fondé de cette mesure25.

 

Au cours de cette procédure, l’appelant ne peut prétendre qu’à la mise à disposition des seules pièces se rapportant à la saisie qu’il conteste. S’ils ne sont pas appelants, le propriétaire du bien et les tiers peuvent néanmoins être entendus par la chambre de l’instruction, sans toutefois pouvoir prétendre à la mise à disposition de la procédure.

 

* La Cour de cassation a été saisie à plusieurs reprises de QPC portant sur la conformité à la Constitution des dispositions de l’article 706-150 du CPP.

 

Elle s’est notamment prononcée à ces occasions sur le champ de la notification prévue par ces dispositions et a considéré que « ce même article 706-150, en prévoyant que la saisie est prononcée par une ordonnance motivée, qui est notifiée non seulement au ministère public et au propriétaire du bien saisi, mais également aux tiers qui ont des droits sur ce bien, opère une conciliation qui n’est pas déséquilibrée entre les exigences d’équité de la procédure que ces obligations garantissent, d’une part, et la nécessité de protéger le secret de l’enquête et de l’instruction comme la présomption d’innocence des personnes mises en cause, d’autre part »26.

 

Par ailleurs, s’agissant de l’accès au dossier dont dispose l’appelant d’une décision ordonnant une saisie immobilière, la Cour de cassation a jugé que la limitation de « l’accès au dossier de la procédure de ce tiers aux seules pièces se rapportant à la saisie qu’il conteste, pièces qui sont ainsi clairement désignées, garantit un juste équilibre entre le droit de celui-ci à un recours effectif devant la chambre de l’instruction contre la décision de saisie d’un immeuble sur lequel il a des droits, d’une part, et la nécessité de protéger le secret de l’enquête et de l’instruction, d’autre part »27.

 

Enfin, à propos des voies de recours ouvertes contre la décision de saisie, après avoir relevé que « la saisie, qui ne peut porter que sur des biens ou droits dont la confiscation peut être prononcée à titre de peine complémentaire en cas de condamnation pénale, est ordonnée ou autorisée par un magistrat du siège dont la décision est notifiée au propriétaire du bien saisi et, s’ils sont connus, aux tiers ayant des droits sur le bien, qui peuvent la déférer à la chambre de l’instruction dans le délai de dix jours à compter de sa notification, enfin les articles 41-4, 99, 479 et 543 du code de procédure pénale instituent des procédures de restitution des biens placés sous main de justice qui sont assorties de voies de recours », elle a jugé que ces dispositions ne méconnaissaient « ni le droit d’accès au juge tel que garanti par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, ni le principe de l’égalité devant la justice »28.

 

2. – Les dispositions de procédure pénale spécifiques aux majeurs protégés

 

* Depuis la loi n° 2007-308 du 5 mars 2007 portant réforme de la protection juridique des majeurs, les personnes qui font l’objet d’une mesure de protection juridique bénéficient, dans le cadre de la procédure pénale, de garanties procédurales spécifiques prévues aux articles 706-112 à 706-118 du CPP29, regroupées au sein du livre IV du CPP dans un titre XXVII intitulé « De la poursuite, de l’instruction et du jugement des infractions commises par des majeurs protégés ».

 

Ce régime procédural particulier « est applicable à toute personne majeure dont il est établi au cours de la procédure qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier du code civil »30. Sa mise en œuvre dépend de l’existence d’une mesure de protection civile à l’égard du majeur auquel une infraction est reprochée. Le législateur a en effet choisi de lier la protection accordée à la personne majeure sur le plan pénal à celle dont elle bénéficie en application du droit civil lorsqu’elle est « dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté »31, plutôt que de fonder la mise en œuvre des règles spéciales de procédure pénale sur des critères distincts, tenant par exemple à l’existence d’une situation de particulière vulnérabilité de l’intéressé ou d’un trouble mental.

 

Cette procédure spéciale, modifiée à plusieurs reprises depuis 200732, repose essentiellement sur une obligation d’information du curateur ou du tuteur33, afin que celui-ci soit en mesure d’assister le majeur protégé dans l’exercice de ses droits, et couvre les différentes phases de la procédure pénale.

 

Adoptés à la suite de plusieurs décisions d’inconstitutionnalité rendues par le Conseil constitutionnel (cf. infra, II. A.), les articles 706-112-1 à 706-112-3 du CPP prévoient, en particulier, que le curateur ou le tuteur doit être informé des différents actes d’investigation intervenant pendant l’enquête. Cette information doit ainsi intervenir :

– en cas de garde à vue, si les éléments recueillis au cours de cette mesure font apparaître que la personne fait l’objet d’une mesure de protection juridique34 ;

– lors de l’audition libre d’un majeur protégé35 ;

– ou encore en cas de perquisition réalisée au domicile d’un majeur protégé36.

 

* En cas de poursuites, l’article 706-113 du CPP37 prévoit l’information du curateur ou du tuteur du majeur protégé par les autorités judiciaires à compter de la phase d’orientation des poursuites et, le cas échéant, jusqu’au jugement de l’affaire38.

 

– Son premier alinéa prévoit que, lorsqu’un majeur protégé fait l’objet de poursuites, le procureur de la République ou, en cas d’ouverture d’une information, le juge d’instruction doit en aviser le curateur ou le tuteur du majeur protégé39. Celui-ci doit également être avisé lorsque le majeur protégé fait l’objet de mesures dites alternatives aux poursuites, d’une composition pénale ou d’une comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Le juge d’instruction est tenu à la même obligation lorsque le majeur protégé est entendu comme témoin assisté.

 

Dans toutes ces hypothèses, le curateur ou le tuteur peut prendre connaissance des pièces de la procédure dans les mêmes conditions que celles prévues pour la personne poursuivie (deuxième alinéa), si la personne est placée en détention provisoire, il bénéficie en outre, de plein droit, d’un permis de visite (troisième alinéa).

 

– Par ailleurs, selon le quatrième alinéa de l’article 706-113, le procureur de la République ou le juge d’instruction avise le curateur ou le tuteur des décisions de non-lieu, de relaxe, d’acquittement, d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ou de condamnation dont la personne protégée fait l’objet.

 

– Le dernier alinéa de ce même article ajoute que « Le curateur ou le tuteur est avisé de la date d’audience ».

 

Se prononçant sur la portée de cette disposition, la Cour de cassation a jugé qu’il s’en déduisait que « le curateur d’une personne majeure protégée doit être avisé de la date de toute audience concernant la personne protégée, en ce compris l’interrogatoire de première comparution »40.

 

En outre, lorsque le curateur ou le tuteur est présent à l’audience, il est entendu par la juridiction en qualité de témoin41.

 

* Néanmoins, aux termes de l’article D. 47-14-1 du CPP, les dispositions de l’article 706-113 du même code ne sont applicables « que lorsque les éléments recueillis au cours de ces procédures font apparaître que la personne fait l’objet d’une mesure de protection juridique dans les conditions prévues au titre XI du livre Ier du code civil ». Ce même article prévoit en outre que, « Si les éléments de la procédure font apparaître un doute sur l’existence d’une mesure de protection juridique, le procureur de la République, le juge d’instruction ou la juridiction de jugement procède ou fait procéder aux vérifications nécessaires ».

 

La Cour de cassation admet, sur le fondement de ces dispositions, que, dans le cadre de la phase antérieure au jugement, le procureur de la République ou le juge d’instruction ne soient tenus de procéder à des vérifications qu’en cas de doute sur l’existence d’une mesure de protection juridique42. En revanche, elle se montre plus exigeante dans le cadre de la phase de jugement.

 

La chambre criminelle a ainsi, à plusieurs reprises, censuré des arrêts ayant condamné une personne bénéficiant d’une mesure de protection juridique lorsqu’il apparaissait que son curateur ou son tuteur n’avait été informé ni des poursuites, ni du jugement de première instance dont l’intéressé avait fait l’objet, ni de la date d’audience devant la juridiction du second degré, quand bien même l’intéressé n’aurait été placé sous curatelle ou sous tutelle que postérieurement à la décision des premiers juges43.

 

Dans le prolongement de cette jurisprudence, elle a plus récemment jugé que, à défaut d’information du curateur, la décision de condamnation de la cour d’appel encourait l’annulation « même s’il n’est pas établi que les juges du fond ont eu connaissance de la mesure de protection juridique dont bénéficiait le prévenu »44.

 

* Comme l’a jugé la Cour de cassation dans l’arrêt de renvoi de la présente QPC, les obligations d’information du curateur ou du tuteur résultant de l’article 706–113 du CPP ne s’appliquent pas dans l’hypothèse particulière d’une saisie spéciale ordonnée en application de l’article 706-150 du même code, portant sur un immeuble appartenant à un majeur protégé ou sur lequel celui-ci détient des droits. Cet article 706-150, qui fixe le régime de la saisie spéciale immobilière, ne prescrit pas non plus de telles obligations d’information au magistrat qui ordonne la saisie.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Une enquête préliminaire avait été ouverte à l’encontre de M. Christophe A. pour escroquerie et abus de biens sociaux. En cours de procédure, il avait été placé sous curatelle renforcée pour une durée de trente-six mois.

 

Pendant cette période, le juge des libertés et de la détention avait ordonné dans le cadre de l’enquête préliminaire la saisie de quatre lots de copropriété d’un immeuble dont M. A. était nu-propriétaire. Cette ordonnance lui avait été notifiée, en tant que nu-propriétaire, ainsi qu’à ses parents, en tant qu’usufruitiers des biens en cause.

 

M. A. avait formé un pourvoi en cassation contre l’arrêt par lequel la chambre de l’instruction avait rejeté son recours en appel contre l’ordonnance de saisie pénale. À l’occasion de ce pourvoi, il avait soulevé une QPC à l’encontre des articles 706–113 et 706-150 du CPP.

 

Après avoir considéré que la QPC portait plus particulièrement sur les deux derniers alinéas de l’article 706-113 du CPP et l’article 706-150 du même code, la Cour de cassation avait jugé que la question présentait un caractère sérieux, relevant que « l’article 706-113 du code de procédure pénale ne prévoit pas que, lorsque l’ordonnance de saisie immobilière rendue en application de l’article 706-150 du même code a pour objet un bien appartenant à une personne majeure protégée, celle-ci doit être notifiée à son curateur ou son tuteur, ni que ce dernier doit être informé de la date d’audience devant la chambre de l’instruction, alors que l’intéressé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute du discernement suffisant ou de la possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles, et est ainsi susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts ».

 

Elle en avait déduit que « Les dispositions contestées sont donc susceptibles de méconnaître les droits de la défense garantis par l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 ». La Cour avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

* Si la Cour de cassation avait renvoyé au Conseil constitutionnel les deux derniers alinéas de l’article 706-113 du CPP dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021, elle n’avait pas précisé la version dans laquelle l’article 706-150 du même code était renvoyé. Il appartenait donc au Conseil de procéder lui-même à cette détermination.

 

Conformément à sa jurisprudence constante, selon laquelle la QPC doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée45, le Conseil a jugé, s’agissant de ces dispositions, qu’il était saisi de l’article 706-150 dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019 précitée (paragr. 1).

 

* Le requérant n’ayant pas produit de premières observations devant le Conseil constitutionnel, ce dernier était saisi des griefs soulevés devant le juge du filtre.

 

Il était reproché à ces dispositions de ne pas prévoir que le curateur ou le tuteur d’un majeur protégé soit avisé de la décision de saisie d’un immeuble appartenant à ce dernier ordonnée au cours de l’enquête ou de l’instruction, ni, en cas de recours, de l’audience devant la chambre de l’instruction. Ce majeur ne disposant pas toujours du discernement nécessaire à l’exercice de ses droits, le requérant faisait valoir que ces dispositions méconnaissaient les droits de la défense.

 

Au regard de ce grief, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur les deux derniers alinéas de l’article 706-113 du CPP (paragr. 5).

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle sur les droits de la défense des majeurs protégés

 

* Le principe des droits de la défense est rattaché depuis 2006 à l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, aux termes duquel : « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution »46.

 

Il a pour corollaire le principe du caractère contradictoire de la procédure47 et fait partie, avec le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable, des droits constitutionnels processuels qui découlent de la garantie des droits48.

 

* Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel impose que, tout au long de la procédure pénale, des garanties spécifiques soient prévues pour assurer l’effectivité des droits des personnes faisant l’objet d’une mesure de protection juridique, eu égard à leur particulière vulnérabilité49.

 

Ainsi, dans sa décision n° 2018-730 QPC du 14 septembre 2018, le Conseil a censuré les dispositions du premier alinéa de l’article 706-113 du CPP, dans sa rédaction résultant de la loi du 25 février 2008 précitée, relatives à l’obligation d’aviser le curateur ou le tuteur d’un majeur protégé de l’engagement de poursuites pénales à l’encontre de ce dernier, dans la mesure où elles ne mettaient pas à la charge des autorités publiques une telle obligation en cas de placement en garde à vue50.

 

Après avoir constaté que, en dépit des droits reconnus au majeur protégé ou à son représentant légal en cas de placement en garde à vue, « ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’imposent aux autorités policières ou judiciaires de rechercher, dès le début de la garde à vue, si la personne entendue est placée sous curatelle ou sous tutelle et d’informer alors son représentant de la mesure dont elle fait l’objet », le Conseil en a déduit que « dans le cas où il n’a pas demandé à ce que son curateur ou son tuteur soit prévenu, le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l’exercice de son droit de s’entretenir avec un avocat et d’être assisté par lui au cours de ses auditions et confrontations. / Dès lors, en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la garde à vue d’une personne font apparaître qu’elle fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que l’officier de police judiciaire ou l’autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle se déroule la garde à vue soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assistée dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense »51.

 

Comme le précise le commentaire de cette décision, le Conseil constitutionnel « a ainsi considéré que le majeur protégé n’était pas placé dans une situation semblable à celle d’un autre majeur, le propre de la mesure dont il fait l’objet étant de lui accorder une protection particulière en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles » et que « Lui laisser seul le soin d’apprécier l’opportunité de faire usage des droits qui lui sont notifiés en garde à vue (notamment ceux de recourir à un avocat ou de faire prévenir son curateur ou son tuteur) ne lui permet pas nécessairement d’exercer avec discernement les droits de la défense »52.

 

- Dans sa décision n° 2020-873 QPC du 15 janvier 2021, le Conseil constitutionnel, saisi cette fois du cas de l’absence d’information du curateur ou du tuteur d’un majeur protégé au domicile duquel une perquisition est réalisée, a de nouveau censuré le premier alinéa de l’article 706-113 du CPP, dans sa rédaction résultant de la loi du 23 mars 2019 précitée.

 

Soulevant d’office le grief tiré de ce que, en ne prévoyant pas que le curateur ou le tuteur d’un majeur protégé soit averti d’une perquisition effectuée dans le cadre d’une enquête préliminaire, ces dispositions étaient susceptibles de méconnaître le principe d’inviolabilité du domicile, il a jugé que « ni les dispositions contestées, ni aucune autre disposition législative n’imposent aux autorités policières ou judiciaires de rechercher, au préalable, si la personne au domicile de laquelle la perquisition doit avoir lieu fait l’objet d’une mesure de protection juridique et d’informer alors son représentant de la mesure dont elle fait l’objet. Or, selon le degré d’altération de ses facultés mentales ou corporelles, le majeur protégé, s’il n’est pas assisté par son représentant, peut être dans l’incapacité d’exercer avec discernement son droit de s’opposer à la réalisation d’une perquisition à son domicile. / Dès lors, en ne prévoyant pas que l’officier de police judiciaire ou l’autorité judiciaire sous le contrôle de laquelle est réalisée la perquisition soit, en principe, tenu d’avertir le représentant d’un majeur protégé lorsque les éléments recueillis au cours de l’enquête préliminaire font apparaître que la personne fait l’objet d’une mesure de protection juridique révélant qu’elle n’est pas en mesure d’exercer seule son droit de s’opposer à la réalisation de cette opération, le législateur a méconnu le principe d’inviolabilité du domicile. / Par conséquent, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs, le premier alinéa de l’article 706-113 du code de procédure pénale doit être déclaré contraire à la Constitution »53.

 

- Dans sa décision n° 2020-884 QPC du 12 février 2021, le Conseil constitutionnel était saisi des dispositions de l’article 712-6 du CPP relatives à la procédure applicable pour les aménagements de peine décidés par voie de jugement par le juge de l’application des peines.

 

Le Conseil a d’abord relevé, de manière générale, que « devant ce juge, le condamné est amené à effectuer des choix qui engagent la défense de ses intérêts, qu’il s’agisse de celui de faire appel à un avocat, de renoncer au débat contradictoire ou de présenter des observations ». Il s’est ensuite attaché à la situation particulière du majeur protégé : « Lorsque le condamné est un majeur protégé, ni les dispositions contestées, ni aucune autre disposition législative n’imposent au juge de l’application des peines d’informer son tuteur ou son curateur afin qu’il puisse l’assister en vue de l’audience. Or, en l’absence d’une telle assistance, l’intéressé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles, et ainsi opérer des choix contraires à ses intérêts ». Le Conseil en a déduit « qu’en ne prévoyant pas en principe une telle information, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense »54.

 

- Dans sa décision n° 2021-975 QPC du 25 février 2022, le Conseil constitutionnel, saisi notamment des dispositions de l’article 706–112-2 du CPP faisant obligation aux enquêteurs d’aviser le curateur ou le tuteur en cas d’audition libre d’un majeur protégé, a précisé le contenu de cette information.

 

Le requérant reprochait en effet à ces dispositions de ne pas prévoir que le curateur ou le tuteur soit informé de la possibilité qu’il a de désigner ou de faire désigner un avocat pour assister le majeur protégé. Selon lui, elles méconnaissaient ainsi les droits de la défense et étaient entachées d’incompétence négative.

 

Pour écarter ces griefs, le Conseil a relevé qu’en adoptant ces dispositions, « le législateur a entendu que le majeur protégé soit, au cours de son audition libre, assisté dans l’exercice de ses droits et, en particulier, dans l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat ». Il en a déduit que l’obligation d’aviser le curateur ou le tuteur de la mesure d’audition libre dont le majeur protégé fait l’objet implique « nécessairement » que le curateur ou le tuteur soit « informé par les enquêteurs de la possibilité qu’il a de désigner ou faire désigner un avocat pour assister ce dernier »55.

 

- En dernier lieu, dans sa décision n° 2023-1076 QPC du 18 janvier 2024, le Conseil a censuré les dispositions de la première phrase du premier alinéa de l’article 706-113 du CPP, dans sa rédaction résultant de la loi du 22 décembre 2021 précitée, à défaut de prévoir l’information du curateur ou du tuteur d’un majeur protégé en cas de défèrement de ce dernier à la suite de sa garde à vue ou de sa retenue.

 

Il a en effet relevé que, « lorsqu’il apparaît au cours de la procédure que la personne déférée est un majeur protégé, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’imposent aux autorités judiciaires d’informer son tuteur ou son curateur ». Comme dans ses précédentes décisions nos 2018-730 QPC et 2020–884 QPC précitées, le Conseil a considéré qu’« Ainsi, le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts, au regard notamment de l’exercice de son droit de s’entretenir avec un avocat et d’être assisté par lui »56.

 

Dès lors, le Conseil a jugé qu’« en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que la personne déférée fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que le magistrat compétent soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assistée dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense »57.

 

À l’instar de ces précédentes décisions, il a décidé de reporter l’abrogation des dispositions déclarées contraires à la Constitution en énonçant une réserve d’interprétation transitoire.

 

Le Conseil a ainsi prévu que « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu’au 31 janvier 2025, si des éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que la personne susceptible d’être déférée à compter de la publication de cette décision fait l’objet d’une mesure de protection juridique, le curateur ou le tuteur doit être avisé par le magistrat compétent de son défèrement et, le cas échéant, de sa retenue dans les locaux du tribunal »58.

 

B. – L’application à l’espèce

 

* La décision commentée s’inscrit dans la suite des nombreuses décisions rendues par le Conseil constitutionnel depuis 2018 à propos du régime applicable aux majeurs protégés. Les dispositions contestées se distinguaient certes, par leur objet, de celles dont le Conseil avait été saisi lorsqu’étaient en cause les droits du majeur protégé faisant l’objet d’une audition, d’une perquisition ou encore d’un défèrement susceptibles de le conduire à être confronté, seul, à une autorité policière ou judiciaire, puisqu’était ici en cause une saisie décidée par un juge, hors la présence de l’intéressé. Au regard des droits que la loi reconnaît, pour la défense de ses intérêts, à la personne concernée par la mesure de saisie, le Conseil a néanmoins appliqué à ce cas de figure les exigences résultant de sa jurisprudence constante.

 

Ainsi, après avoir rappelé le fondement constitutionnel des droits de la défense (paragr. 6), le Conseil constitutionnel a décrit l’objet et la portée des dispositions contestées des deux derniers alinéas de l’article 706-113 du CPP.

 

À cet égard, il a constaté que si ces dispositions prévoyaient l’information du tuteur ou du curateur d’un majeur protégé faisant l’objet de poursuites pénales de certaines décisions rendues à l’encontre de ce dernier ainsi que, le cas échéant, de la date d’audience, elles ne s’appliquaient pas en cas de saisie d’un bien appartenant à ce majeur ordonnée au cours de l’enquête ou de l’instruction (paragr. 7).

 

Le Conseil a alors examiné les règles applicables à la saisie spéciale d’un bien immobilier ordonnée au cours de l’enquête ou de l’instruction. Il a relevé qu’en application de l’article 706-150 du CPP, la décision du juge des libertés et de la détention ou du juge d’instruction qui ordonne cette saisie est notifiée au propriétaire du bien, qui peut la déférer à la chambre de l’instruction dans un délai de dix jours à compter de sa notification. Dans ce cas, l’appelant peut accéder aux pièces de la procédure se rapportant à la saisie. En outre, s’il n’est pas appelant, le propriétaire du bien peut être entendu par la chambre de l’instruction (paragr. 8).

 

Ayant ainsi mis en exergue les droits reconnus à la personne propriétaire du bien saisi, le Conseil a constaté l’insuffisance des garanties prévues par la loi pour permettre à un majeur protégé d’exercer ses droits de la défense.

 

Il a en effet relevé que, « lorsqu’il apparaît au cours de la procédure que le propriétaire du bien saisi est un majeur protégé, ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition législative n’imposent aux autorités judiciaires d’informer de la décision de saisie son curateur ou son tuteur. Il n’est pas non plus prévu que ce dernier soit avisé, en cas de recours, de la date de l’audience devant la chambre de l’instruction ». Comme dans ses décisions précitées, le Conseil en a déduit que « le majeur protégé peut être dans l’incapacité d’exercer ses droits, faute de discernement suffisant ou de possibilité d’exprimer sa volonté en raison de l’altération de ses facultés mentales ou corporelles. Il est alors susceptible d’opérer des choix contraires à ses intérêts » (paragr. 9).

 

Dès lors, conformément à sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a jugé qu’« en ne prévoyant pas, lorsque les éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que le propriétaire du bien saisi fait l’objet d’une mesure de protection juridique, que le magistrat compétent soit, en principe, tenu d’avertir son curateur ou son tuteur afin de lui permettre d’être assisté dans l’exercice de ses droits, les dispositions contestées méconnaissent les droits de la défense » (paragr. 10).

 

Il les a donc déclarées contraires à la Constitution (paragr. 11).

 

* Pour finir, il appartenait au Conseil constitutionnel de déterminer les effets dans le temps de cette déclaration d’inconstitutionnalité.

 

D’une part, il a décidé de reporter au 1er juillet 2025 la date d’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles. Le Conseil a en effet considéré que leur abrogation immédiate « aurait pour effet de supprimer l’obligation pour le procureur de la République ou le juge d’instruction d’aviser le curateur ou le tuteur des décisions de non-lieu, de relaxe, d’acquittement, d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, ou de condamnation dont le majeur protégé fait l’objet, ainsi que des dates d’audience concernant ce dernier. Elle entraînerait ainsi des conséquences manifestement excessives » (paragr. 13).

 

D’autre part, concernant les effets que ces dispositions ont déjà produits, il a jugé que « les mesures prises avant la publication de la présente décision ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité » (paragr. 14).

 

En revanche, afin de faire cesser immédiatement l’inconstitutionnalité constatée, le Conseil a, par une réserve transitoire, jugé que, « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou, au plus tard, jusqu’au 1er juillet 2025, si des éléments recueillis au cours de la procédure font apparaître que le propriétaire d’un immeuble dont la saisie est décidée en application de l’article 706-150 du code de procédure pénale fait l’objet d’une mesure de protection juridique, son curateur ou son tuteur doit être avisé de la décision de saisie ainsi que, en cas de recours, de la date de l’audience devant la chambre de l’instruction » (paragr. 15).

_______________________________________

1 Art. 54 à 58 et 76 du CPP.

2 Art. 92 du CPP.

3 Ces saisies sont prévues par les dispositions relatives aux perquisitions (articles 56, 76, 96 et 97 du CPP).

4 Ces articles forment le titre XXIX (« Des saisies spéciales ») du livre IV du CPP.

5 Art. 131-21, 1er alinéa, du code pénal.

6 C’est notamment le cas de la législation réprimant le trafic de stupéfiants, l’association de malfaiteurs ou les actes de terrorisme.

7 Art. 131-21, alinéa 10, du code pénal.

8 L’exposé des motifs de la proposition de loi n° 1255 du 12 novembre 2008 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale précise ainsi : « Pour être véritablement dissuasive, toute sanction pénale doit pouvoir s’accompagner de la privation des délinquants des profits qu’ils ont pu tirer de l’infraction ».

9 Constatant que « Dans notre droit pénal, la saisie a longtemps eu pour seul objectif la conservation des pièces à conviction et éléments de preuve nécessaires à la manifestation de la vérité, alors qu’elle constitue également une étape déterminante pour obtenir, lors du jugement, la confiscation des biens, sanction incontournable si on veut que "le crime ne paie pas" », le législateur a donc souhaité « doter la Justice de nouveaux moyens juridiques pour assurer la saisie et la confiscation des biens des délinquants » (rapport n° 1689 du 20 mai 2009 de M. Guy Geoffroy, fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, sur la proposition de loi précitée).

10 Ainsi que l’explique M. Lionel Ascenci, « Spéciales, ces saisies le sont à plusieurs titres : elles le sont en raison du fondement juridique de la saisie (saisies de patrimoine), de ses modalités (saisies sans dépossession), ou encore [en raison] de la nature particulière du bien dont la saisie est envisagée » (« État des saisies et confiscations immobilières », AJ Pénal, 2016, p. 66).

11 En vertu de l’article 706-158 du CPP, applicable aux « saisies sans dépossession », la saisie du bien s’opère alors « sans en dessaisir le propriétaire ou le détenteur » mais elle a pour effet de rendre le bien indisponible : il ne peut alors plus être librement loué, cédé ou vendu.

12 Art. 706-141-1 du CPP.

13 Rapport n° 328 (2009-2010) de M. François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois, sur la proposition de loi visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.

14 Art. 706-148 et 706-149 du CPP.

15 Art. 706-158 du CPP.

16 Art. 706-153 à 706-157 du CPP.

17 Lionel Ascensi, « État des saisies et confiscations immobilières », article précité, p. 67.

18 En application de l’article 706-151 du CPP, la saisie pénale d’un immeuble doit être publiée au bureau des hypothèques pour être opposable aux tiers. Par ailleurs, l’article 706-152 du même code prévoit que le JLD ou le juge d’instruction, selon les cas, peut autoriser l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués à aliéner par anticipation l’immeuble saisi lorsque les frais de conservation sont disproportionnés par rapport à sa valeur en l’état.

19 Lorsque l’enquête est terminée, le JLD n’est plus compétent pour ordonner une telle mesure (Cass. crim., 8 avril 2021, n° 20-85.474).

20 La Cour de cassation juge en effet que lorsque la saisie est ordonnée au cours de l’information judiciaire, la mise en examen de la personne mise en cause ne constitue pas un préalable nécessaire à la saisie des biens lui appartenant (voir à propos d’une saisie immobilière, Cass. crim., 24 juin 2020, n° 19-85.874, et précédemment, pour une saisie en valeur, Cass. crim., 7 décembre 2016, n° 16-81.280. Voir également Cass. crim., 4 mars 2020, n° 19-81.371).

21 Cass. crim., 24 octobre 2018, n° 18-80.834.

22 Par exemple, Cass. crim., 24 juin 2020, n° 19-85.874, précité. Notamment, l’intéressé peut invoquer sa vie privée et familiale pour s’opposer à la saisie à condition qu’il fasse état d’éléments propres à démontrer qu’il y a été porté une atteinte excessive (Cass. crim., 15 mars 2017, n° 16-80.801). Sur cette question, voir Éric Camous, « Le contrôle de proportionnalité des saisies pénales », JCP G, 2019, doctr. 150.

23 Il ressort de la jurisprudence de la Cour de cassation que constituent des « tiers ayant des droits sur ce bien » au sens de ces dispositions, les copropriétaires indivis de l’immeuble (Cass. crim., 11 oct. 2017, n° 17-80.987) ainsi que toute personne ayant constitué des sûretés sur ce bien. En revanche, ne sont pas considérés comme tels et n’ont donc pas qualité pour agir, les associés et titulaires de parts d’une société civile immobilière, cette société étant la seule propriétaire de l’immeuble (Cass. crim., 3 mai 2018, n° 16-87.534). Dans le même sens, la Cour de cassation juge que l’occupant de l’immeuble ne dispose pas d’un intérêt, en cette seule qualité, à « exercer un recours en son nom personnel contre [une telle] décision dès lors (...) que la saisie [du bien] est sans incidence sur son statut et qu’il n’est pas démontré, ni même allégué, que cette mesure serait la cause d’un trouble de jouissance » (Cass. crim., 13 juin 2019, n° 18-84.256). La saisie ne valant pas expulsion de l’occupant de l’immeuble, celui-ci ne fait pas partie des personnes auxquelles la saisie doit être notifiée. Sur ces points, voir Éric Camous, « Des saisies pénales spéciales. - Régimes particuliers », Jurisclasseur Procédure pénale, art. 706-148 à 706-158, fasc. 20, 2019, n° 68 et 69.

24 Cette règle se distingue toutefois de celle qui vaut pour les recours formés contre les décisions relatives à l’exécution de la saisie, qui, pour leur part, produisent un tel effet en application du dernier alinéa de l’article 706–144 du CPP. Selon M. Éric Camous, « C’est là un point tout à fait singulier qui marque une différence avec l’appel porté contre la décision même de saisir ou ne pas saisir.(...) Une différence de régime qui s’explique. L’acte de saisir doit éviter que le propriétaire ne fasse disparaître le bien. Si l’appel était suspensif, cela imposerait de rendre ce qui a été placé sous main de justice le temps que la chambre de l’instruction se prononce. Cette mesure permettrait toute sorte de dissimulation frauduleuse. Lorsqu’il s’agit de se prononcer sur une difficulté d’exécution, le bien est déjà saisi. L’effet suspensif de l’appel ne concerne alors que la décision qui affecte ledit bien dont le placement sous main de justice n’est pas affecté. » (JCl. Procédure pénale, Art. 706-141 à 706-147, fasc. 20, n° 269).

25 Cass. crim., 23 novembre 2022, n° 22-80.659.

26 Cass. crim., 28 février 2017,  n° 16-83.773.

27 Ibid.

28 Cass. crim., 30 janvier 2019, n° 18-85.581.

29 L’adoption de ces règles spécifiques s’était imposée à la suite de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH, 31 janvier 2001, Vaudelle c. France, n° 35683/97).

30 Article 706-112 du CPP. Le titre XI du livre Ier du code civil distingue cinq régimes de protection juridique : la sauvegarde de justice, qui vise à protéger temporairement le majeur ou à le représenter pour l’accomplissement de certains actes déterminés (article 433 du code civil) ; la curatelle, prononcée par le juge des tutelles lorsque la personne concernée a besoin d’être assistée ou contrôlée d’une manière continue dans les actes importants de la vie civile (premier alinéa de l’article 440 du même code) ; la tutelle, prononcée par le juge des tutelles lorsque la personne doit être représentée d’une manière continue dans les actes de la vie civile et s’il est établi que ni la sauvegarde de justice, ni la curatelle ne peuvent assurer une protection suffisante (troisième alinéa de l’article 440) ; le mandat de protection future, qui permet au majeur d’organiser lui-même sa propre protection en prévision d’une éventuelle altération de ses facultés (article 477 du code civil) ; l’habilitation familiale, créée en 2015 comme alternative à la tutelle dans l’hypothèse où le majeur est hors d’état de manifester sa volonté. Cette mesure permet au juge d’habiliter une ou plusieurs personnes de son entourage familial à le représenter ou à passer certains actes en son nom, afin d’assurer la sauvegarde de ses intérêts (article 494-1 du code civil).

31 Article 425 du code civil.

32 Ces modifications sont notamment intervenues à la suite de déclarations d’inconstitutionnalité portant sur le premier alinéa de l’article 706-113 du CPP (cf. infra).

33 Bien qu’il s’applique à l’ensemble des majeurs protégés, quelle que soit la mesure de protection juridique dont ils font l’objet, ce régime spécial a principalement vocation à bénéficier aux personnes placées sous curatelle ou sous tutelle, dans la mesure où ces régimes supposent la désignation d’un curateur ou d’un tuteur chargé de les assister (curatelle) ou de les représenter (tutelle) dans les actes de la vie civile ainsi que de les accompagner par sa présence et ses conseils. Les autres régimes de protection civile connaissent moins d’aménagements (c’est le cas de la sauvegarde de justice ou du mandat de protection future) ou n’ont pas été expressément intégrés à la procédure pénale spéciale (c’est le cas de l’habilitation familiale).

34 Article 706-112-1 du CPP. Cet article a été créé par la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018–2022 et de réforme pour la justice, puis modifié par la loi n° 2020-1672 du 24 décembre 2020 relative au Parquet européen, à la justice environnementale et à la justice pénale spécialisée.

35 Article 706-112-2 du CPP. Cet article a été créé par la loi du 23 mars 2019 précitée.

36 Article 706-112-3 du CPP. Cet article a été créé par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

37 Issu de la loi du 5 mars 2007 précité, cet article a été successivement modifié par la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, par la loi du 23 mars 2019 précitée et, en dernier lieu, par la loi du 22 décembre 2021 précitée.

38 Cette obligation d’information se prolonge désormais au cours de la phase de l’application des peines, en vertu de l’article 712-16-3 du CPP.

39 Si l’obligation d’information instituée par l’article 706-113 du CPP ne s’applique qu’aux majeurs placés sous curatelle ou sous tutelle, l’article 706-117 du même code prévoit toutefois que, en cas de poursuites concernant une personne bénéficiant d’une mesure de sauvegarde de justice, le procureur de la République ou le juge d’instruction doit en aviser le juge des tutelles. Ce dernier peut alors désigner un mandataire spécial qui dispose, au cours de la procédure, des mêmes prérogatives que celles confiées au curateur ou au tuteur. Ces prérogatives sont également reconnues au mandataire de protection future.

40 Cass. crim., 19 septembre 2017, n° 17-81.919. Elle a depuis réaffirmé ce principe en des termes généraux, en jugeant qu’il résulte de l’article 706-113 du CPP que « le tuteur ou le curateur doit être avisé de toute audience concernant le majeur protégé » (Cass. crim., 6 juin 2023, n° 23-81.726).

41 Pour la phase de l’application des peines, c’est l’article 712-16-3 du CPP qui prévoit l’obligation d’information du curateur ou du tuteur en ce qui concerne la date du débat contradictoire organisé dans le cadre d’une procédure d’aménagement de peine.

42 Cass. crim., 19 septembre 2017, précité.

43 Voir, par exemple : Cass. crim., 27 novembre 2012, n° 11-88.678 ; 10 janvier 2017, n° 15-84.469.

44 Cass. crim., 9 janvier 2019, n° 17-86.922.

45 Voir récemment décision n° 2023-1064 QPC du 6 octobre 2023, Association des avocats pénalistes (Conditions d’exécution des mesures de garde à vue), paragr. 1.

46 Décision n° 2006-535 DC du 30 mars 2006, Loi pour l’égalité des chances, cons. 24.

47 Décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984, Loi de finances pour 1985, cons. 35, et n° 89-268 DC du 29 décembre 1989, Loi de finances pour 1990, cons. 58.

48 Décision n° 2006-540 DC du 27 juillet 2006, Loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information, cons. 11, et n° 2011-168 QPC du 30 septembre 2011, M. Samir A. (Maintien en détention lors de la correctionnalisation en cours d’instruction), cons. 4.

49 De la même manière, le Conseil constitutionnel a développé, sur le fondement du principe fondamental reconnu par les lois de la République en matière de justice des mineurs, une jurisprudence spécifique destinée à assurer la protection des personnes mineures entendues librement dans le cadre d’une enquête pénale. Voir sa décision n° 2018–762 QPC du 8 février 2019, M. Berket S. (Régime de l’audition libre des mineurs).

50 Comme indiqué plus haut, les articles 706-112-1 et 706-112-2 créés par la loi du 23 mars 2019 ont pour objectif de tirer toutes les conséquences de cette décision de censure.

51 Décision n° 2018-730 QPC du 14 septembre 2018, M. Mehdi K. (Absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé de son placement en garde à vue), paragr. 7 à 9.

52 Dans sa décision n° 2019-822 QPC du 24 janvier 2020, M. Hassan S. (Absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé entendu librement), le Conseil constitutionnel avait été à nouveau saisi du premier alinéa de l’article 706-113 du CPP, dans la même rédaction que celle censurée. La contestation ne portait alors pas sur l’absence de garanties suffisantes en garde à vue, mais dans le cadre d’une audition libre du majeur protégé. Toutefois, le Conseil a prononcé un non-lieu à statuer puisqu’aucun changement des circonstances ne pouvait justifier qu’il soit saisi à nouveau de la même disposition, dans la même rédaction, même si l’argumentation à l’appui du grief d’inconstitutionnalité différait de celle qui avait justifié sa censure.

53 Décision n° 2020-873 QPC du 15 janvier 2021 précitée, paragr. 8 à 10.

54 Décision n° 2020-884 QPC du 12 février 2021, M. Jacques G. (Absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’une personne protégée en cas d’audience devant le juge de l’application des peines), paragr. 7 à 9.

55 Décision n° 2021-975 QPC du 25 février 2022, M. Roger C. (Information de la personne mise en cause du droit qu’elle a de se taire lors d’un examen réalisé par une personne requise par le procureur de la République – Information du tuteur ou du curateur de la possibilité de désigner un avocat pour assister un majeur protégé entendu librement), paragr. 16 et 17.

56 Décision n° 2023-1076 QPC du 18 janvier 2024, M. Moussa H. (Absence d’obligation légale d’aviser le tuteur ou le curateur d’un majeur protégé en cas de défèrement), paragr. 9.

57 Ibid., paragr. 10.

58 Ibid., paragr. 15.