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Commentaire de la décision 2024-1098 QPC

27/11/2024

Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire

Décision n° 2024-1098 QPC du 4 juillet 2024

 

M. Sébastien L.

 

(Protection fonctionnelle des agents publics mis en cause pénalement)

 

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 avril 2024 par le Conseil d’État (décision n° 491324 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Sébastien L. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 134–4 du code général de la fonction publique (CGFP), dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2021–1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique.

 

Dans sa décision n° 2024–1098 QPC du 4 juillet 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les deux derniers alinéas de cet article, dans cette rédaction.

 

I. – Les dispositions renvoyées

 

A. – Objet des dispositions renvoyées

 

1. – La protection fonctionnelle des agents publics 

 

* L’idée selon laquelle la collectivité publique doit protéger les agents qu’elle emploie dans l’exercice de leurs fonctions est ancienne et repose sur trois séries de considérations : garantir le respect de l’État ou de la collectivité à travers celui qui est dû à ses agents ; assurer le bon fonctionnement du service public en permettant à ses agents d’exercer sereinement et avec impartialité la mission qui leur est confiée ; prendre en considération les sujétions imposées aux agents publics et la spécificité de leur mission, qui les expose particulièrement au risque de voir mise en cause leur responsabilité personnelle1.

 

Apparu dans la Constitution du 22 Frimaire an VIII sous la forme d’une garantie accordée aux agents du Gouvernement2, le droit à la protection fonctionnelle a pour la première fois été consacré dans le statut général de la fonction publique du 14 septembre 19413 et ensuite repris par la loi du 19 octobre 19464, puis l’ordonnance du 4 février 19595.

 

Ce droit – qui constitue corrélativement une obligation pour l’administration – a été réaffirmé par l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires (dite loi Le Pors), dont les dispositions ont été codifiées par l’ordonnance n° 2021–1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du CGFP.

 

* La protection fonctionnelle est aujourd’hui régie par les articles L. 134–1 à L. 134–12 du CGFP et s’applique à l’ensemble des agents publics, qu’ils soient ou non titulaires et quel que soit le mode d’accès à leurs fonctions6.

 

L’article L. 134-1 du CGFP dispose ainsi que « L’agent public ou, le cas échéant, l’ancien agent public bénéficie, à raison de ses fonctions […], d’une protection organisée par la collectivité publique qui l’emploie à la date des faits en cause ou des faits ayant été imputés de façon diffamatoire ».

 

L’agent public peut demander à bénéficier de cette protection dans trois hypothèses :

 

– lorsqu’il est mis en cause civilement par un tiers : la collectivité publique « doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à l’agent public, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui » (article L. 134-3 du CGFP)7 ;

 

– lorsqu’il est mis en cause pénalement par un tiers et que les faits qui lui sont reprochés n’ont pas le caractère d’une faute détachable de l’exercice de ses fonctions (article L. 134-4 du CGFP)8 ;

 

– lorsqu’il est victime d’atteintes volontaires à l’intégrité de sa personne, de violences, d’agissements constitutifs de harcèlement, de menaces, d’injures, de diffamations ou d’outrages, sans qu’une faute personnelle puisse lui être imputée : la collectivité publique est tenue de protéger ses agents contre ces infractions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté (article L. 134–5 du CGFP)9. Cette protection s’étend en outre à certains membres de la famille de l’agent public pour les instances civiles ou pénales qu’ils engagent contre les auteurs d’atteintes volontaires à l’intégrité de la personne dont ils sont eux-mêmes victimes du fait des fonctions exercées par l’agent ou lorsqu’ils engagent une telle instance contre les auteurs d’atteintes volontaires à la vie de l’agent du fait de ses fonctions (article L. 134-7 du CGFP).

 

La protection fonctionnelle n’est cependant accordée que si deux conditions sont réunies :

 

– d’une part, l’agent public ne doit pas avoir commis une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions. Selon une jurisprudence constante, présentent le caractère d’une telle faute des faits qui révèlent des préoccupations d’ordre privé, qui procèdent d’un comportement incompatible avec les obligations qui s’imposent à l’agent dans l’exercice de ses fonctions ou qui, eu égard à leur nature et aux conditions dans lesquelles ils ont été commis, revêtent une particulière gravité10 ;

 

– d’autre part, les faits concernés doivent présenter un lien avec les fonctions que l’agent exerce au sein de la collectivité publique. Ainsi, l’agent mis en cause ne peut bénéficier de la protection fonctionnelle que pour des agissements qu’il a commis dans l’exercice de ses fonctions, tandis que cette protection n’est due à l’agent victime « que lorsque les agissements concernés visent l’agent concerné à raison de sa qualité d’agent public »11. L’administration peut également refuser d’octroyer la protection fonctionnelle à un agent public à raison de faits qui se sont produits alors qu’il exerçait des fonctions dans le cadre d’un détachement auprès d’une société de droit privé, dès lors qu’ils « ne se rattachent pas à des fonctions exercées dans une collectivité publique »12.

 

* Lorsque les conditions de son octroi sont réunies, la collectivité est tenue d’apporter sa protection « par tout moyen approprié »13. Celle-ci consiste le plus souvent dans la prise en charge des honoraires d’avocat ainsi que des éventuels frais de transport ou de justice14.

 

La décision d’accorder la protection fonctionnelle est créatrice de droits, ce qui exclut que l’administration puisse légalement la retirer plus de quatre mois après sa signature, hormis dans l’hypothèse où celle-ci aurait été obtenue par fraude15. L’administration peut néanmoins y mettre fin pour l’avenir « si elle constate à la lumière d’éléments nouvellement portés à sa connaissance que les conditions de la protection fonctionnelle n’étaient pas réunies ou ne le sont plus, notamment si ces éléments permettent de révéler l’existence d’une faute personnelle ou que les faits allégués à l’appui de la demande de protection ne sont pas établis »16.

 

En cas de refus de protection, l’agent peut former un recours en annulation contre cette décision, ainsi qu’un recours de plein contentieux pour solliciter le versement d’une indemnité. Un refus illégal de protection est en effet susceptible d’engager la responsabilité de l’administration.

 

2. – L’étendue de la protection fonctionnelle accordée aux agents publics mis en cause pénalement

 

* Initialement, l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 précitée imposait seulement à la collectivité publique de couvrir le fonctionnaire des condamnations civiles prononcées à son encontre, lorsqu’il était poursuivi par un tiers pour une faute de service, ainsi que de le protéger contre les « menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages » dont il pouvait être victime dans l’exercice de ses fonctions.

 

À la suite d’une étude du Conseil d’État consacrée à la responsabilité pénale des agents publics17 et afin de mettre un terme à des divergences jurisprudentielles, la loi n° 96-1093 du 16 décembre 1996 relative à l’emploi dans la fonction publique et à diverses mesures d’ordre statutaire a étendu le bénéfice de cette protection à l’agent public mis en cause pénalement. L’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 a ainsi été complété par un quatrième alinéa prévoyant que : « La collectivité publique est tenue d’accorder sa protection au fonctionnaire ou à l’ancien fonctionnaire dans le cas où il fait l’objet de poursuites pénales à l’occasion de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle »18.

 

Dans une décision du 3 mai 2002, le Conseil d’État est venu préciser « qu’un fonctionnaire doit être regardé comme faisant l’objet de poursuites pénales […] lorsque l’action publique pour l’application des peines a été mise en mouvement à son encontre »19.

 

Dans ses conclusions sur la décision précitée du 14 mars 200820, M. Nicolas Boulouis, commissaire du Gouvernement, soulignait ainsi que le droit éventuel de l’agent à la protection ne naît qu’au stade de la mise en mouvement de l’action public, « c’est-à-dire pour se limiter à l’essentiel la citation directe, le réquisitoire à fin d’informer et la plainte avec constitution de partie civile […] et non à un stade antérieur, comme par exemple l’audition comme témoin ou même comme témoin assisté »21.

 

* La protection offerte aux agents publics mis en cause pénalement a toutefois été renforcée par la loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.

 

S’inspirant de l’une des recommandations formulées en juillet 2012 par la mission indépendante de réflexion sur la protection fonctionnelle des policiers et des gendarmes22, le législateur a réécrit l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983 afin notamment de prévoir, dans un paragraphe III, que la collectivité publique doit accorder sa protection non seulement au fonctionnaire faisant l’objet de poursuites pénales, mais également au fonctionnaire entendu en qualité de témoin assisté, placé en garde à vue ou qui se voit proposer une mesure de composition pénale.

 

L’étude d’impact du projet de loi soulignait à cet égard : « En l’état actuel du droit, l’octroi de la protection fonctionnelle ne peut intervenir qu’en cas d’existence de "poursuites pénales". Or, les agents ont besoin de la protection fonctionnelle en amont d’éventuelles poursuites pénales. C’est ainsi que le droit en vigueur ne permet pas à l’administration d’octroyer, pour des faits en lien avec le service en l’absence de faute personnelle, la protection fonctionnelle à un fonctionnaire :

- placé en garde à vue ;

- entendu en qualité de témoin assisté, alors même que cette situation pourrait être préférable, pour les agents concernés à une mise en examen trop rapide si elle s’avérait injustifiée ;

- ou qui se voit proposer une mesure de composition pénale, en application de l’article 41-2 du code de procédure pénale.

Cet article vise donc à permettre l’octroi de la protection fonctionnelle dans le cadre de ces procédures judiciaires qui, sans constituer des poursuites pénales, ont pour point commun de permettre à la personne mise en cause de bénéficier de l’assistance d’un avocat ».

Dans son rapport fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, Mme rançoise Descamps-Crosnier observait, dans le même sens, que « Le rapport "Guyomar", qui a étudié les manières de renforcer la protection, en raison de la spécificité de leurs missions, des agents des forces de police et de gendarmerie nationale, a proposé d’ouvrir l’octroi de la protection fonctionnelle non seulement lors de poursuites pénales, mais également lorsque l’agent est placé en garde à vue, entendu en qualité de témoin assisté ou lorsqu’il fait l’objet d’une procédure de composition pénale. L’alinéa 4 complète la protection fonctionnelle par ces trois nouveaux cas. Ces compléments paraissent utiles dès lors qu’ils permettent à la personne mise en cause de bénéficier d’un avocat »23

 

M. Alain Vasselle, dans son rapport fait au nom de la commission des lois du Sénat, soulignait de la même manière que « Le présent article étend le bénéfice de la protection fonctionnelle à l’agent entendu en qualité de témoin assisté, placé en garde à vue ou se voyant proposer une mesure de composition pénale, afin de permettre la prise en charge de l’assistance par un avocat de l’agent »24.

 

* Les dispositions de ce paragraphe III ont été codifiées, par l’ordonnance du 24 novembre 2021 précitée, à l’article L. 134-4 du CGFP (les dispositions objet de la décision commentée).

 

Son premier alinéa dispose que la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection à l’agent public qui « fait l’objet de poursuites pénales à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions ».

 

Ses deux derniers alinéas prévoyaient que « L’agent public entendu en qualité de témoin assisté pour de tels faits bénéficie de cette protection »25, ainsi que celui qui, « à raison de tels faits, est placé en garde à vue ou se voit proposer une mesure de composition pénale »26.

 

Dans la décision de renvoi de la QPC objet du présent commentaire27, le Conseil d’État a précisé la portée de ces dispositions en jugeant que, « compte tenu du caractère limitatif des situations ainsi visées, [le bénéfice de la protection fonctionnelle] n’est pas ouvert aux agents entendus en audition libre »28.

 

* Il peut enfin être observé que la protection fonctionnelle a récemment été étendue à l’audition libre pour les seules personnes concourant à la sécurité intérieure29. La loi n° 2021-646 du 25 mai 2021 pour une sécurité globale préservant les libertés a en effet complété l’article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure afin de prévoir que « La protection prévue à l’article 11 de la loi n° 83–634 du 13 juillet 1983 précitée et à l’article L. 4123-10 du code de la défense bénéficie également aux personnes mentionnées aux deux premiers alinéas du présent article entendues dans le cadre de l’audition libre »30.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

Après avoir été entendu sous le régime de l’audition libre dans le cadre d’une enquête ouverte à la suite d’accusations formulées à son encontre par les parents de l’un de ses élèves, M. Sébastien L., professeur des écoles, avait demandé l’octroi de la protection fonctionnelle et, à ce titre, la prise en charge des frais d’avocat exposés à l’occasion de cette audition.

 

Sa demande ayant été rejetée, le requérant avait saisi le tribunal administratif d’un recours pour excès de pouvoir contre cette décision. À cette occasion, il avait soulevé une QPC portant sur l’article L. 134–4 du CGFP, que le tribunal avait transmise au Conseil d’État par une ordonnance du 24 janvier 2024.

 

Dans sa décision du 26 avril 2024 précitée, le Conseil d’État avait relevé qu’« Une personne ne faisant pas l’objet de poursuites pénales engagées dans les conditions prévues à l’article 1er du code de procédure pénale, mais qui est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre une infraction, peut être entendue en audition libre en application de l’article 61-1 de ce code, ou placée en garde à vue en application de l’article 63-1 du même code, et a alors droit à l’assistance d’un avocat selon les modalités définies par ces articles. Une personne qui, sans être mise en examen, est nommément visée par un réquisitoire introductif ou supplétif peut être entendue en qualité de témoin assisté en application des articles 113-1 et 113-3 du même code, et bénéficie également, à ce titre, du droit d’être assistée par un avocat. Enfin, en application de l’article 41-2 de ce code, une personne ayant reconnu avoir commis un ou plusieurs des délits mentionnés par cet article et à qui est proposée une composition pénale a le droit de se faire assister par un avocat avant de donner son accord à cette proposition ». Il en avait déduit que le moyen tiré de ce que les dispositions de l’article L. 134-4 du CGFP « portent atteinte au principe d’égalité devant la loi à raison de la différence de traitement qu’elles instituent au détriment des agents publics entendus en audition libre par rapport à ceux placés dans les autres situations qu’elles mentionnent soulève une question présentant un caractère sérieux ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

Le requérant soutenait que, en excluant du bénéfice de la protection fonctionnelle les agents publics qui sont entendus sous le régime de l’audition libre, l’article L. 134-4 du CGFP instituait une différence de traitement injustifiée entre ces agents et ceux entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou qui se voient proposer une mesure de composition pénale, qui bénéficient d’une telle protection. Selon lui, ces dispositions méconnaissaient ainsi le principe d’égalité devant la loi.

 

Au regard de ce grief, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur les deux derniers alinéas de l’article L. 134-4 du CGFP (paragr. 3).

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle relative au principe d’égalité devant la loi

 

Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d’égalité devant la loi « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »31.

 

Lorsqu’il constate que des dispositions opèrent une différence de traitement, le Conseil vérifie non seulement si celle-ci est justifiée par une différence de situation ou un motif d’intérêt général, mais aussi si elle est en rapport avec l’objet de la loi.

 

* Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel a déjà été amené à porter une appréciation sur des différences de traitement entre agents publics.

 

– Ainsi, dans la décision n° 2014-433 QPC du 5 décembre 2014, le Conseil était saisi de dispositions prévoyant les conditions dans lesquelles un fonctionnaire peut bénéficier d’une majoration spéciale de sa pension lorsqu’il est dans l’obligation d’avoir recours d’une manière constante à l’assistance d’une tierce personne pour accomplir les actes ordinaires de la vie. Il a d’abord constaté l’existence d’une différence de traitement en relevant « que les fonctionnaires qui ont été radiés des cadres pour invalidité ont droit au versement de cette majoration ; que les fonctionnaires retraités atteints d’une maladie professionnelle dont l’imputabilité au service est reconnue postérieurement à la date de la radiation des cadres en bénéficient également ; qu’en revanche, cette majoration n’est notamment pas versée aux fonctionnaires handicapés qui, bien que pouvant poursuivre leur activité professionnelle, ont liquidé leur droit à retraite avant l’âge de soixante ans ». Il a cependant jugé « que les fonctionnaires qui ont été contraints de prendre une retraite anticipée parce qu’ils étaient dans l’incapacité permanente de continuer leurs fonctions et ne pouvaient être reclassés et les fonctionnaires qui ont volontairement pris leur retraite, le cas échéant de façon anticipée, ne se trouvent pas dans la même situation au regard des droits à une pension ». Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi32.

 

– Plus récemment, dans la décision n° 2022-1033 QPC du 27 janvier 2023, le Conseil était saisi de dispositions prévoyant une exonération partielle d’impôt pour les indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les fonctionnaires et les agents publics recrutés par contrat à durée indéterminée, alors que les indemnités perçues par les agents publics à l’occasion d’un licenciement ne bénéficient d’aucune exonération. Après avoir observé que, en adoptant ces dispositions, le législateur avait entendu favoriser les reconversions professionnelles des agents concernés vers le secteur privé, le Conseil a jugé que « les agents publics qui sont convenus avec leur employeur des conditions de la cessation définitive de leurs fonctions ne sont pas placés dans la même situation que ceux ayant fait l’objet d’une décision de licenciement ». Il en a conclu que la différence de traitement résultant des dispositions contestées était fondée sur une différence de situation et en rapport avec l’objet de la loi33.

 

* Par ailleurs, dans le cadre du contrôle qu’il exerce sur le fondement du principe d’égalité devant la justice34, le Conseil constitutionnel a été amené à se prononcer sur des différences de traitement d’ordre procédural. Il a en particulier admis, en matière pénale, qu’une telle différence de traitement puisse être justifiée par la différence de situation entre des personnes soumises à des statuts ou des cadres procéduraux distincts35.

 

– Ainsi, dans la décision n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014, le Conseil était saisi de dispositions limitant le droit d’appel de la partie civile contre les jugements rendus en matière correctionnelle. Le Conseil a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution en jugeant « que la partie civile n’est pas dans une situation identique à celle de la personne poursuivie ou à celle du ministère public ; qu’il en est notamment ainsi, s’agissant de la personne poursuivie, au regard de l’exercice des droits de la défense et, s’agissant du ministère public, au regard du pouvoir d’exercer l’action publique ; que, par suite, l’interdiction faite à la partie civile d’appeler seule d’un jugement correctionnel dans ses dispositions statuant au fond sur l’action publique, ne méconnaît pas le principe d’égalité devant la justice »36

 

– Dans la décision n° 2022-999 QPC du 17 juin 2022, le Conseil était saisi de dispositions permettant à la personne mise en examen d’interjeter appel de la décision du juge d’instruction refusant de constater la prescription de l’action publique, alors qu’un tel droit n’était pas ouvert au témoin assisté. Il a jugé que, « Conformément à l’article 113-5 du code de procédure pénale, le témoin assisté ne peut pas, à la différence de la personne mise en examen, être placé sous contrôle judiciaire, sous assignation à résidence avec surveillance électronique ou en détention provisoire, ni faire l’objet d’une ordonnance de renvoi ou de mise en accusation devant une juridiction de jugement. Il n’est pas ainsi dans une situation identique à celle de la personne mise en examen au regard de la prescription de l’action publique. Dès lors, le législateur peut, sans méconnaître le principe d’égalité devant la justice, prévoir des règles de procédure différentes pour la personne mise en examen et le témoin assisté aux fins de constater la prescription de l’action publique »37.

 

– Dans sa décision n° 2023–1067 QPC du 10 novembre 2023, le Conseil était saisi de dispositions prévoyant qu’en matière de trafic de stupéfiants, le juge d’instruction ordonnant la destruction de tels produits doit en conserver un échantillon afin de permettre, le cas échéant, qu’ils fassent l’objet d’une expertise, alors qu’une telle obligation n’est pas prévue dans le cadre de l’enquête. Pour écarter le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la justice, il a notamment relevé que, « eu égard notamment à la gravité ou la complexité des faits susceptibles de justifier l’ouverture d’une information judiciaire, les personnes renvoyées devant une juridiction de jugement à l’issue d’une instruction ouverte du chef de trafic de stupéfiants sont dans une situation différente de celle des personnes citées à comparaître à l’issue d’une enquête préliminaire ou de flagrance »38.

 

– De la même manière, dans sa décision n° 2023-1069/1070 QPC du 24 novembre 2023, saisi de dispositions relatives aux cours criminelles départementales, le Conseil constitutionnel a notamment jugé que « les personnes jugées devant une cour criminelle départementale sont, eu égard à la nature des faits qui leur sont reprochés et aux circonstances exigées pour leur renvoi devant cette juridiction, dans une situation différente de celle des personnes jugées devant une cour d’assises. Ainsi, en retenant de tels critères, le législateur n’a pas instauré de discriminations injustifiées entre ces personnes »39.

 

– Enfin, dans sa décision n° 2023-1072 QPC du 1er décembre 2023, le Conseil constitutionnel, saisi de dispositions imposant au témoin de prêter serment devant le juge d’instruction, a notamment jugé que « la victime entendue comme témoin devant le juge d’instruction se trouve dans une situation différente de la partie civile qui s’est constituée afin d’obtenir réparation du préjudice que lui a directement causé l’infraction »40.

 

* Toutefois, une différence de situation ou un motif d’intérêt général ne peuvent justifier un traitement différencié qu’à condition que la différence de traitement soit en lien avec l’objet de la loi qui l’institue. Cette seconde condition permet, en particulier, d’éviter que des situations objectivement différentes soient le prétexte à des différences de traitement incohérentes avec l’objet même des dispositions examinées par le Conseil constitutionnel.

 

– Par exemple, dans la décision n° 2020-860 QPC du 15 octobre 2020, le fait que des syndicats représentatifs ne soient pas dans la même situation que des syndicats non représentatifs n’était pas contesté. Mais le Conseil a jugé que cette différence de situation ne pouvait pas justifier de réserver aux premiers la possibilité d’assister un fonctionnaire faisant l’objet d’une procédure de rupture conventionnelle. En effet, « le caractère représentatif ou non d’un syndicat ne détermine pas la capacité du conseiller qu’il a désigné à assurer l’assistance du fonctionnaire […]. Dès lors, la différence de traitement est sans rapport avec l’objet de la loi », lequel était d’« accorder une garantie au fonctionnaire durant la procédure de rupture conventionnelle »41.

 

– Dans la décision n° 2020-885 QPC du 26 février 2021, le Conseil était saisi de dispositions excluant du bénéfice de la retraite progressive les salariés ayant conclu avec leur employeur une convention individuelle de forfait en jours sur l’année, même lorsque cette convention prévoyait un nombre de jours travaillés inférieur au plafond légal ou fixé par l’accord collectif. Il a d’abord constaté que, « Ce faisant, les dispositions contestées établissent, au regard de l’accès à la retraite progressive, une différence de traitement entre ces salariés et les salariés à temps partiel mentionnés à l’article L. 3123-1 [du code du travail] ». Le Conseil a ensuite relevé que « Les salariés dont la durée du travail est quantifiée en heures et ceux qui exercent une activité mesurée en jours sur l’année sont dans des situations différentes au regard de la définition et de l’organisation de leur temps de travail ». Toutefois, il a jugé que, « en instaurant la retraite progressive, le législateur a entendu permettre aux travailleurs exerçant une activité réduite de bénéficier d’une fraction de leur pension de retraite en vue d’organiser la cessation graduelle de leur activité. Or, les salariés ayant conclu avec leur employeur une convention de forfait en jours sur l’année fixant un nombre de jours travaillés inférieur au plafond légal ou conventionnel exercent, par rapport à cette durée maximale, une activité réduite ». Il en a déduit qu’« en privant ces salariés de toute possibilité d’accès à la retraite progressive, quel que soit le nombre de jours travaillés dans l’année, les dispositions contestées instituent une différence de traitement qui est sans rapport avec l’objet de la loi »42.

 

– Plus récemment, dans la décision n° 2023-1084 QPC du 21 mars 2024, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions prévoyant le versement d’un complément de traitement indiciaire à certains agents publics des établissements et services sociaux et médico-sociaux. Après avoir constaté que ces dispositions instauraient bien une différence de traitement « entre les agents des établissements et services sociaux et médico-sociaux selon qu’ils exercent leurs fonctions dans un établissement rattaché à un autre établissement ou autonome et, dans ce dernier cas, selon les fonctions qu’ils exercent », il s’est attaché à déterminer l’objet de la loi.

 

À cet égard, la particularité de cette affaire tenait à ce que, comme le souligne le commentaire de la décision, le Conseil devait s’attacher « à l’objet des extensions successives du champ des bénéficiaires du CTI, tel qu’il ressortait des travaux préparatoires des lois ayant procédé à de telles extensions, afin d’examiner si le législateur était fondé, au regard de cet objet, à en exclure certains agents ».

 

Le Conseil a ainsi considéré que, « d’une part, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 23 décembre 2021 mentionnée ci-dessus que, en prévoyant que le complément de traitement indiciaire versé aux agents des établissements publics de santé et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes est également versé aux agents des établissements et services sociaux et médico-sociaux qui leur sont rattachés, le législateur a entendu que tous les agents publics exerçant leurs fonctions au sein de ces établissements bénéficient des mêmes conditions de rémunération. / D’autre part, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 16 août 2022 que, en étendant le bénéfice du complément de traitement indiciaire aux seuls agents publics des établissements sociaux et médico–sociaux autonomes exerçant certaines fonctions paramédicales, sociales et éducatives, le législateur a entendu renforcer l’attractivité de ces fonctions eu égard aux difficultés particulières de recrutement que rencontrent ces établissements ».

 

Puis, le Conseil a jugé que, « Au regard de l’objet de ces dispositions, les établissements sociaux et médico-sociaux qui sont rattachés à un établissement public de santé ou à un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes se distinguent, en raison des modalités particulières de leur gestion, des établissements et services sociaux et médico-sociaux autonomes. En outre, les agents publics de ces établissements autonomes qui exercent des fonctions paramédicales, sociales et éducatives ne sont pas placés dans la même situation que ceux exerçant d’autres fonctions, notamment administratives, techniques ou ouvrières ».

 

Il en a déduit que le législateur avait pu réserver le bénéfice du complément de traitement indiciaire aux seuls agents publics visés par les dispositions contestées, sans l’étendre à l’ensemble des agents des établissements sociaux et médico–sociaux43.

 

B. – L’application à l’espèce

 

* Dans la décision commentée, après avoir rappelé les termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 et sa formulation de principe relative au principe d’égalité devant la loi (paragr. 4), le Conseil constitutionnel a décrit l’objet des dispositions contestées.

 

Il a d’abord constaté que, en application du premier alinéa de l’article L. 134–4 du CGFP, la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection aux agents publics qui font l’objet de poursuites pénales à raison de faits n’ayant pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de leurs fonctions (paragr. 5).

 

Il a ensuite relevé que « Les dispositions contestées prévoient que les agents publics bénéficient également de cette protection lorsque, pour de tels faits, ils sont entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou se voient proposer une mesure de composition pénale » (paragr. 6).

 

Le Conseil a en revanche observé, à l’instar du Conseil d’État dans sa décision de renvoi, que sont exclus du bénéfice de la protection fonctionnelle les agents publics entendus sous le régime de l’audition libre à raison de mêmes faits (même paragr.), mettant ainsi en exergue la différence de traitement entre agents publics mis en cause pénalement résultant des dispositions contestées.

 

Il lui appartenait dès lors d’apprécier si cette différence de traitement pouvait trouver une justification.

 

À cet égard, le Conseil constitutionnel s’est attaché à déterminer l’objet de la loi. S’appuyant sur les travaux préparatoires de la loi du 20 avril 2016 précitée, à l’origine des dispositions contestées, il a constaté que, « en les adoptant, le législateur a entendu accorder le bénéfice de la protection fonctionnelle aux agents publics mis en cause pénalement, y compris lorsqu’ils ne font pas l’objet de poursuites pénales, dans tous les cas où leur est reconnu le droit à l’assistance d’un avocat » (paragr. 7). Ce faisant, le législateur avait notamment souhaité permettre la prise en charge des honoraires d’avocat exposés par l’agent public pour assurer sa défense, même en l’absence de mise en mouvement de l’action publique.

 

Or, le Conseil a relevé que, conformément à l’article 61-1 du CPP, « la personne entendue librement a le droit d’être assistée au cours de son audition ou de sa confrontation par un avocat si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement » (paragr. 8).

 

Constatant que rien ne justifiait dès lors l’exclusion de l’audition libre du bénéfice de la protection fonctionnelle au regard de l’intention initiale du législateur, il en a déduit que la différence de traitement instituée par les dispositions contestées était sans rapport avec cet objet (même paragr.).

 

Le Conseil a donc jugé que ces dispositions méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi et, par suite, il les a déclarées contraires à la Constitution (paragr. 9).

 

* Ces dispositions étant en vigueur à la date de sa décision, le Conseil constitutionnel devait, pour finir, se prononcer sur la date de leur abrogation.

 

Après avoir rappelé sa formule de principe relative aux effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité (paragr. 10), il a considéré que, en l’espèce, l’abrogation immédiate des dispositions déclarées inconstitutionnelles aurait des conséquences manifestement excessives, dès lors qu’elle « aurait pour effet de priver du bénéfice de la protection fonctionnelle les agents publics entendus en qualité de témoin assisté, placés en garde à vue ou qui se voient proposer une mesure de composition pénale ». Il a donc décidé de reporter au 1er juillet 2025 la date de leur abrogation (paragr. 11).

 

Toutefois, afin de faire cesser immédiatement l’inconstitutionnalité constatée, le Conseil a, par une réserve transitoire, jugé que, « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation des dispositions déclarées inconstitutionnelles, la collectivité publique est tenue d’accorder sa protection à l’agent public entendu sous le régime de l’audition libre à raison de faits qui n’ont pas le caractère d’une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions » (paragr. 12). Ainsi, à compter de la publication de la décision, les agents publics entendus sous le régime de l’audition libre seront susceptibles de bénéficier de la protection fonctionnelle et pourront, le cas échéant, solliciter la prise en charge des frais d’avocat exposés dans ce cadre.

 

Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a jugé que « la déclaration d’inconstitutionnalité peut être invoquée dans les affaires non jugées définitivement à la date de publication de la […] décision » (paragraphe 13). En revanche, les décisions devenues définitives ne peuvent être remises en cause sur le fondement de cette déclaration d’inconstitutionnalité.

 

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1 Voir, sur ce point, Cécile Guérin Bargues, « De l’article 75 de la Constitution de l’an VIII à la protection juridique du fonctionnaire – essai de généalogie », Revue française de droit administratif, 2009, p. 975.

2 L’article 75 de la Constitution du 22 Frimaire an VIII prévoyait ainsi que « Les agents du Gouvernement, autres que les ministres, ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions, qu’en vertu d’une décision du Conseil d’État : en ce cas, la poursuite a lieu devant les tribunaux ordinaires ». Demeuré applicable malgré les changements de régime intervenus ensuite, il a été abrogé par un décret du 19 septembre 1870.

3 Article 23 de la loi du 14 septembre 1941 portant statut général des fonctionnaires civils de l’État et des établissements publics de l’État.

4 Loi n° 46-2294 du 19 octobre 1946 relative au statut général des fonctionnaires.

5 Ordonnance n° 59-244 du 4 février 1959 relative au statut général des fonctionnaires. Le principe selon lequel, « lorsqu’un agent public a été poursuivi par un tiers pour faute de service, la collectivité publique doit, dans la mesure où une faute personnelle détachable de l’exercice de ses fonctions n’est pas imputable à cet agent, le couvrir des condamnations civiles prononcées contre lui », a en outre été érigé en principe général du droit par le Conseil d’État (CE, sect., 26 avril 1963, Centre hospitalier de Besançon, n° 42783).

6 Peut ainsi se prévaloir du bénéfice de cette protection le président élu d’un établissement public administratif (CE, sect., 8 juin 2011, n° 312700).

7 L’article L. 134-2 du CGFP pose cependant en principe que la responsabilité civile de l’agent public ne peut pas être engagée par un tiers devant les juridictions judiciaires pour une faute commise dans l’exercice de ses fonctions et ce n’est donc que dans le cas où le conflit d’attribution n’a pas été élevé qu’une telle condamnation civile est susceptible d’être prononcée.

8 Cf. infra.

9 Il peut néanmoins être dérogé à cette obligation de protection pour des motifs d’intérêt général. Le Conseil d’État juge ainsi qu’« il appartient dans chaque cas à la collectivité publique d’apprécier, sous le contrôle du juge et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, notamment de la question posée au juge et du caractère éventuellement manifestement dépourvu de chances de succès des poursuites entreprises, les modalités appropriées à l’objectif poursuivi » (CE, 31 mars 2010, Ville de Paris, n° 318710).

10 Voir, pour un exemple récent, CE, 29 décembre 2021, n° 434906.

11 CE, 15 février 2024, n° 462435. Dans cette affaire, le Conseil d’État a jugé que la cour administrative d’appel n’avait pas inexactement qualifié les faits ni commis d’erreur de droit en retenant que les vols du véhicule personnel et du matériel photographique d’un agent public commis sur les lieux du service et pendant ses heures de service ne constituaient pas des faits de nature à lui ouvrir le droit au bénéfice de la protection fonctionnelle, dès lors qu’ils ne résultaient pas d’une volonté de lui porter atteinte en sa qualité de sapeur-pompier volontaire.

12 CE, 26 septembre 2011, n° 329228.

13 CE, 18 mars 1994, n° 92410.

14 Les conditions de cette prise en charge ont été précisées par le décret n° 2017-97 du 26 janvier 2017 relatif aux conditions et aux limites de la prise en charge des frais exposés dans le cadre d’instances civiles ou pénales par l’agent public ou ses ayants droit.

15 L’article L. 242-1 du code des relations entre le public et l’administration prévoit à ce titre que « L’administration ne peut abroger ou retirer une décision créatrice de droits de sa propre initiative ou sur la demande d’un tiers que si elle est illégale et si l’abrogation ou le retrait intervient dans le délai de quatre mois suivant la prise de cette décision ».

16 CE, 1er octobre 2018, n° 412897. Voir également, déjà en ce sens, CE, sect., 14 mars 2008, n° 283943.

17 « La responsabilité pénale des agents publics en cas d’infractions non intentionnelles », étude adoptée par l’Assemblée générale du Conseil d’État le 9 mai 1996.

18 Cette même loi a étendu la protection fonctionnelle aux agents publics non titulaires.

19 CE, 3 mai 2002, La Poste c/ Mme X., n° 239436. Précisons que cette décision a été rendue sur le fondement de l’article 30 de la loi du 13 juillet 1983 qui disposait alors que : « En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu’il s’agisse d’un manquement à ses obligations professionnelles ou d’une infraction de droit commun, l’auteur de cette faute peut être suspendu par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire [...] / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement [...]. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. Si, à l’expiration de ce délai, aucune décision n’a été prise par l’autorité ayant pouvoir disciplinaire, l’intéressé, sauf s’il est l’objet de poursuites pénales, est rétabli dans ses fonctions. / Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n’est pas rétabli dans ses fonctions peut subir une retenue qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée à l’alinéa précédent [...] ». Sur le même fondement, le Conseil d’État avait précédemment jugé, dans une affaire dans laquelle une enquête préliminaire avait été ouverte à l’encontre d’un fonctionnaire à la suite d’une plainte déposée auprès du procureur de la République par le trésorier-payeur général, qu’« aucun de ces deux actes n’a eu pour effet de mettre en mouvement l’action publique à l’encontre de M. X. ; que ce n’est que le 23 août 1984 que le procureur de la République a requis du juge d’instruction l’ouverture d’une information contre ce fonctionnaire » (CE, sect., 19 novembre 1993, n° 74235).

20 Nicolas Boulouis, « Limites de la création de droits sous conditions », Revue française de droit administratif 2008, p. 482.

21 Toutefois, dans une décision du 20 avril 2011, le Conseil d’État a jugé, sur le fondement cette fois de l’article 11 de la loi du 13 juillet 1983, que « doivent être regardés comme des éléments pouvant donner lieu à cette protection les frais exposés en relation directe avec une plainte déposée à l’encontre du fonctionnaire ou de l’ancien fonctionnaire, alors même que cette plainte aboutit ultérieurement à une décision de classement sans suite » (CE, 20 avril 2011, n° 332255).

22 Cette mission, présidée par M. Mattias Guyomar, a remis son rapport au ministre de l’intérieur le 13 juillet 2012.

23 Rapport n° 3099 de Mme Françoise Descamps-Crosnier, fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, déposé le 1er octobre 2015.

24 Rapport n° 274 de M. Alain Vasselle, fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 16 décembre 2015.

25 Le statut de témoin assisté, institué par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence, est prévu aux articles 113-1 à 113-8 du code de procédure pénale (CPP). Il constitue, dans le cadre de l’information judiciaire, un statut intermédiaire entre celui de simple témoin (qui désigne une personne extérieure aux faits objet de la poursuite) et celui de personne mise en examen (qui suppose qu’existent des indices graves ou concordants rendant vraisemblable que la personne ait pu participer, comme auteur ou comme complice, à la commission des infractions dont le juge d'instruction est saisi). Bien qu’il ne soit pas partie à la procédure, le témoin assisté bénéficie d’un certain nombre de droits et, en particulier, du droit d’être assisté par un avocat, qui est avisé préalablement des auditions et a accès aux dossiers de la procédure (article 113–3 du CPP).

26 La garde à vue est définie par l’article 62-2 du CPP comme « une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs ». La personne gardée à vue bénéficie d’un certain nombre de droits, qui lui sont notifiés dès son placement en garde à vue. En particulier, elle a le droit d’être assistée par un avocat désigné par elle ou commis d’office dès le début de la garde à vue et à tout moment au cours de celle-ci (article 63-3-1 du CPP). La composition pénale, prévue aux articles 41-2 à 41-3-1-A du CPP, constitue, quant à elle, une mesure alternative aux poursuites qui peut être proposée par le procureur de la République, tant que l’action publique n’a pas été mise en mouvement, à une personne qui reconnaît avoir commis une contravention ou un délit puni à titre de peine principale d’une peine d’amende ou d’une peine d’emprisonnement d’une durée inférieure ou égale à cinq ans. La personne à qui est proposée une composition pénale est informée qu’elle peut se faire assister par un avocat avant de donner son accord à la proposition du procureur de la République (vingt–neuvième alinéa de l’article 41-2 du CPP).

27 Point 2 de la décision de renvoi.

28 Le régime de l’audition libre a été institué par la loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales, qui a donné une assise légale à cette modalité d’interrogatoire issue de la pratique policière. L’article 61-1 du CPP permet ainsi aux enquêteurs d’entendre librement « la personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction », à condition qu’elle n’ait pas été conduite devant l’officier de police judiciaire sous la contrainte. L’audition libre peut se dérouler dans le cadre d’une enquête de flagrance (article 61-1 du CPP) ou préliminaire (article 77 du CPP), ainsi que dans le cadre d’une information judiciaire, sur commission rogatoire (article 154 du CPP). La personne entendue librement bénéficie d’un certain nombre de droits et, en particulier, du droit de quitter à tout moment les locaux où elle est entendue ainsi que, si l’infraction pour laquelle elle est entendue est un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, du droit d’être assistée par un avocat choisi par elle ou désigné d’office (5° de l’article 61-1 du CPP).

29 Selon le premier alinéa de l’article L. 113-1 du code de la sécurité intérieure, il s’agit des fonctionnaires de la police nationale, des adjoints de sécurité, des agents de surveillance de Paris, des agents de la ville de Paris mentionnés à l’article L. 531-1, des sapeurs-pompiers professionnels, des médecins civils de la brigade de sapeurs–pompiers de Paris et du bataillon des marins-pompiers de Marseille, des agents de police municipale et des gardes champêtres, ainsi que des militaires de la gendarmerie nationale, de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, du bataillon des marins-pompiers de Marseille et des unités d’instruction et d’intervention de la sécurité civile.

30 Issue d’un amendement du Gouvernement, cette disposition « vise à permettre aux agents du ministère de l’intérieur, singulièrement aux policiers et aux gendarmes, de bénéficier de la protection fonctionnelle, y compris lors de leurs auditions libres. Cela permettra évidemment une protection générale des policiers et des gendarmes, qui sont plus que tout autre en lien avec l’autorité judiciaire » (compte-rendu des débats au Sénat, 18 mars 2021).

31 Voir, par exemple, décision n° 2024-1094 QPC du 6 juin 2024, Commune de La Madeleine (Modulation des indemnités de fonction des membres des conseils municipaux des communes de 50 000 habitants et plus), paragr. 4.

32 Décision n° 2014-433 QPC du 5 décembre 2014, M. André D. (Majoration de la pension au titre de l’assistance d’une tierce personne), cons. 6 et 7.

33 Décision n° 2022-1033 QPC du 27 janvier 2023, M. Patrick R. (Exonération d’impôt sur le revenu des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les agents publics), paragr. 7 à 9.

34 En matière de justice, l’exigence d’égalité est renforcée. Le Conseil constitutionnel se fonde alors en effet à la fois sur l’article 6, précité, et sur l’article 16 de la Déclaration de 1789, pour juger que « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du principe des droits de la défense, qui implique en particulier l’existence d’une procédure juste et équitable garantissant l’équilibre des droits des parties » (voir, par exemple, décision n° 2021-979 QPC du 11 mars 2022, Société Prologue [Recours incident du président de l’Autorité des marchés financiers contre les décisions de la commission des sanctions], paragr. 4).

35 Lorsqu’il est saisi de dispositions instituant des différences de traitement en procédure pénale, le Conseil constitutionnel les examine également sur le double fondement des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789, procédant ainsi à un contrôle de même nature que celui qu’il opère en matière d’égalité devant la justice. Voir, par exemple, la décision n° 2019-804 QPC du 27 septembre 2019, Association française des entreprises privées (Dénonciation obligatoire au procureur de la République de certains faits de fraude fiscale), paragr. 4.

36 Décision n° 2013-363 QPC du 31 janvier 2014, M. Michel P. (Droit d’appel des jugements correctionnels par la partie civile), cons. 8.

37 Décision n° 2022-999 QPC du 17 juin 2022, Établissement public La Monnaie de Paris (Impossibilité pour le témoin assisté d’interjeter appel de la décision de refus du juge d’instruction de constater la prescription de l’action publique), paragr. 8. Il a en revanche jugé qu’ « en application de l’article 82-3 du code de procédure pénale, la demande tendant à voir constater la prescription de l’action publique doit être présentée dans les six mois suivant la mise en examen ou la première audition comme témoin assisté. Cette forclusion demeure opposable à une personne initialement placée sous le statut de témoin assisté qui est ensuite mise en examen. Ainsi, lorsqu’elle a été précédemment placée sous le statut de témoin assisté, une personne mise en examen peut être privée du droit d’interjeter appel de la décision de refus du juge d’instruction. / Il en résulte une distinction injustifiée entre les personnes mises en examen, selon qu’elles ont précédemment eu ou non le statut de témoin assisté » (paragr. 9 et 10).

38 Décision n° 2023-1067 QPC du 10 novembre 2023, M. Bechir C. (Conservation d’un échantillon des produits stupéfiants saisis avant leur destruction), paragr. 12.

39 Décision n° 2023-1069/1070 QPC du 24 novembre 2023, M. Sékou D. et autre (Cours criminelles départementales), paragr. 21.

40 Décision n° 2023-1072 QPC du 1er décembre 2023, M. Adel M. (Déposition sous serment des témoins entendus par le juge d’instruction), paragr. 11.

41 Décision n° 2020-860 QPC du 15 octobre 2020, Syndicat des agrégés de l’enseignement supérieur et autre (Assistance d’un fonctionnaire durant une rupture conventionnelle), paragr. 6 à 8. Voir, dans le même sens, les décisions n° 2021-928 QPC du 14 septembre 2021, Confédération nationale des travailleurs – solidarité ouvrière (Conditions de désignation du défenseur syndical), paragr. 8, et n° 2022-1007 QPC du 5 août 2022, Syndicat national de l’enseignement action et démocratie (Assistance d’un fonctionnaire pour l’exercice d’un recours administratif), paragr. 9.

42 Décision n° 2020-885 QPC du 26 février 2021, Mme Nadine F. (Bénéfice de la retraite progressive pour les salariés en forfait jours), paragr. 7 à 10.

43 Décision n° 2023-1084 QPC du 21 mars 2024, Fédération hospitalière de France (Versement d’un complément de traitement indiciaire à certains agents publics), paragr. 7 à 11.