Non conformité totale - effet différé - réserve transitoire
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 avril 2024 par le Conseil d’État (décision n° 491226 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Hervé A. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 52 de l’ordonnance n° 58–1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction résultant de la loi organique n° 2010–830 du 22 juillet 2010 relative à l’application de l’article 65 de la Constitution, ainsi que de l’article 56 de la même ordonnance, dans sa rédaction résultant de la loi organique n° 2001–539 du 25 juin 2001 relative au statut des magistrats et au Conseil supérieur de la magistrature.
Dans sa décision n° 2024–1097 QPC du 26 juin 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution :
– les mots « le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en cause » figurant à la première phrase du premier alinéa de l’article 52 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, dans sa rédaction résultant de la loi organique du 22 juillet 2010 précitée ;
– les mots « le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés » figurant au premier alinéa de l’article 56 de la même ordonnance, dans sa rédaction résultant de la loi organique du 25 juin 2001 précitée.
Dans cette affaire, Mme Véronique Malbec a estimé devoir s’abstenir de siéger. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a dûment constaté, conformément à l’article 14 de l’ordonnance n° 58–1067 du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, qu’il devait, en raison d’un cas de force majeure, déroger au quorum prévu par cet article.
I. – Les dispositions renvoyées
A. – Objet des dispositions renvoyées
1. – La discipline des magistrats judiciaires
* L’article 64 de la Constitution consacre l’indépendance de l’autorité judiciaire dont le Président de la République est le garant et prévoit que ce dernier est assisté dans ce rôle par le Conseil supérieur de la magistrature (CSM). Selon ce même article, « Une loi organique porte statut des magistrats » qui, en vertu d’une jurisprudence constante, doit « se conformer aux règles et principes de valeur constitutionnelle »1.
Ainsi, bien qu’ils soient des agents de l’État et investis d’une mission de service public, les magistrats de l’ordre judiciaire ne relèvent pas du statut général de la fonction publique qui les exclut d’ailleurs expressément de son champ2. Ils répondent à titre exclusif à celui prévu par l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.
Ce statut de la magistrature, dont les règles sont en particulier destinées à garantir l’indépendance des magistrats judiciaires à l’égard des pouvoirs publics3, comprend des dispositions relatives à leur recrutement et à leur formation, au déroulement de leur carrière et à leur rémunération, ainsi qu’à la discipline à laquelle ils sont astreints.
En particulier, le régime disciplinaire des magistrats est prévu par les articles 43 et suivants de cette ordonnance. Est ainsi définie par ces dispositions la faute disciplinaire, qui est constituée par « Tout manquement par un magistrat à l’indépendance, à l’impartialité, à l’intégrité, à la probité, à la loyauté, à la conscience professionnelle, à l’honneur, à la dignité, à la délicatesse, à la réserve et à la discrétion ou aux devoirs de son état »4. Par ailleurs, selon une échelle définie par l’article 45 de l’ordonnance qui est largement inspirée de celle applicable aux fonctionnaires, les sanctions encourues par un magistrat en cas de manquement vont du blâme avec inscription au dossier du magistrat jusqu’à sa révocation5.
Les magistrats ne sont toutefois pas soumis aux mêmes autorités ni à la même procédure disciplinaire selon qu’ils relèvent du siège ou du parquet. En application de l’article 48 de l’ordonnance, le pouvoir disciplinaire est exercé par le CSM, statuant comme conseil de discipline, à l’égard des magistrats du siège6, alors que ce pouvoir appartient au garde des sceaux, ministre de la justice, après avis du CSM, à l’égard des magistrats du parquet7.
2. – La procédure disciplinaire applicable aux magistrats du siège
* Cette procédure est définie aux articles 49 et suivants de l’ordonnance du 22 décembre 1958.
S’agissant de l’initiative des poursuites disciplinaires, le CSM peut être saisi par le garde des sceaux, ministre de la justice, en application de l’article 50–1 de l’ordonnance du 22 décembre 19588. Le pouvoir de saisine du CSM a été étendu aux premiers présidents de cour d’appel, eu égard à la position que ces hauts magistrats occupent auprès des membres de leur juridiction et de ceux des tribunaux de leur ressort9. Le CSM peut enfin, depuis la réforme constitutionnelle du 23 juillet 200810, être directement saisi par un justiciable lorsque ce dernier estime qu’à l’occasion d’une procédure judiciaire le concernant le comportement adopté par un magistrat du siège, dans l’exercice de ses fonctions ou faisant usage de sa qualité, est susceptible de recevoir une qualification disciplinaire11.
Par ailleurs, l’article 47 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 prévoit une règle de prescription des faits pouvant donner lieu à des poursuites disciplinaires. Le garde des sceaux, ministre de la justice, et les chefs de cour ne peuvent en effet saisir le CSM de faits motivant des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de trois ans à compter du jour où ils ont eu une connaissance effective de la réalité, de la nature et de l’ampleur de ces faits. Passé ce délai et hormis le cas où une autre procédure disciplinaire a été engagée à l’encontre du magistrat avant son expiration, les faits en cause ne peuvent plus être invoqués dans le cadre d’une procédure disciplinaire.
Un délai est en outre imparti au CSM pour statuer lorsqu’il est saisi. Il doit en principe se prononcer dans un délai de douze mois à compter de sa saisine, mais ce délai peut être prorogé pour une durée de six mois renouvelables par décision motivée12.
a. – L’enquête
* Dès la saisine du CSM, son président désigne un rapporteur parmi les membres du conseil, qu’il charge, s’il y a lieu, de procéder à une enquête13.
Cette enquête n’est pas toujours indispensable ou peut parfois se limiter à quelques vérifications. Cela peut notamment être le cas lorsque la saisine du CSM a été précédée d’une enquête administrative réalisée par l’inspection générale de la justice en application de l’article 50-2 de l’ordonnance du 22 décembre 195814. Néanmoins, dès la saisine du CSM, le magistrat mis en cause a droit à la communication de son dossier et, le cas échéant, des pièces de l’enquête préliminaire.
L’article 52 de l’ordonnance (les premières dispositions objet de la décision commentée) décrit les pouvoirs dont dispose le rapporteur au cours de cette phase de la procédure. Il est prévu qu’au cours de l’enquête, le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en cause par un magistrat d’un rang au moins égal à celui de ce dernier et, s’il y a lieu, le justiciable et les témoins. Le rapporteur peut également accomplir tout acte d’investigation qu’il estime utile ainsi que procéder, le cas échéant, à la désignation d’un expert.
Il est prévu par les mêmes dispositions que le magistrat mis en cause peut se faire assister, lors de chaque audition, par l’un de ses pairs, par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau. Par ailleurs, la procédure doit être mise à la disposition de l’intéressé ou de son conseil quarante-huit heures au moins avant chaque audition, afin que les droits de la défense soient pleinement assurés15.
b. – L’audience disciplinaire devant le CSM
* Une fois l’enquête achevée, ou en l’absence de nécessité d’en diligenter une, le magistrat mis en cause est cité à comparaître, en personne16, devant le conseil de discipline17.
Il a droit, à ce stade, non seulement à la communication de son dossier et de toutes les pièces de l’enquête mais également à celle du rapport établi par le rapporteur18.
Par ailleurs, le délai de convocation du magistrat poursuivi à une audience disciplinaire doit être suffisant pour lui permettre de préparer sa défense. En particulier, lorsque le CSM a été saisi à l’initiative d’un justiciable, cette audience ne peut se tenir avant l’expiration d’un délai de trois mois après que le garde des sceaux, ministre de la justice, a été avisé des informations et observations transmises par le chef de cour dont dépend le magistrat concerné par la plainte19.
L’article 56 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 (les secondes dispositions objet de la décision commentée) prévoit qu’au jour fixé par la citation, après audition du directeur des services judiciaires20 et après lecture du rapport par le rapporteur, le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés.
À l’audience, chaque intervenant à la procédure (les membres du CSM, le directeur des services judiciaires et le conseil du magistrat) peut poser toute question lui paraissant utile. Toutefois, en application du principe du contradictoire, le magistrat poursuivi doit avoir la possibilité de s’exprimer en dernier21.
Celui-ci bénéficie de garanties similaires à celles prévues pour son audition par le rapporteur lors de l’enquête. Il peut ainsi se faire assister à l’audience et, en cas de maladie ou d’empêchement reconnus justifiés, se faire représenter par l’un de ses pairs, par un avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation ou par un avocat inscrit au barreau22.
En principe, l’audience devant le conseil est publique23. Toutefois, si la protection de l’ordre public ou de la vie privée l’exige, ou s’il existe des circonstances spéciales de nature à porter atteinte aux intérêts de la justice, l’accès à la salle d’audience peut être interdit au public pendant la totalité ou une partie de l’audience, au besoin d’office24.
À l’issue de l’audience, l’affaire est mise en délibéré. Le CSM rend ensuite, en application du troisième alinéa de l’article 57, une décision motivée et publique, qui est notifiée au magistrat25. La décision du CSM est susceptible de faire l’objet d’un recours en cassation devant le Conseil d’État26.
*
Ni l’article 52 de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958, ni son article 56 ne prévoient que le magistrat poursuivi est informé du droit de se taire préalablement à son audition par le rapporteur ou lors de sa comparution devant le conseil de discipline.
B. – Origine de la QPC et question posée
Par une dépêche du 17 février 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice, avait saisi le CSM sur le fondement de l’article 50-1 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 de poursuites disciplinaires à l’encontre de M. Hervé A., magistrat judiciaire auquel étaient reprochés plusieurs manquements à ses devoirs de délicatesse, de dignité, de loyauté et d’impartialité.
Lors de sa mise en cause devant le CSM, ce dernier avait soulevé une QPC à l’encontre des articles 52 et 56 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 tirée de la méconnaissance de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, au motif que ces dispositions ne prévoyaient pas la notification préalable au magistrat poursuivi de son droit de se taire. Le Conseil d’État, auquel cette QPC avait été transmise par le CSM, avait toutefois jugé par une première décision du 23 juin 202327 qu’il n’y avait pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel à défaut de présenter un caractère sérieux.
À la suite de la décision n° 2023–1074 QPC du 8 décembre 202328 par laquelle le Conseil constitutionnel a jugé que les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 s’appliquent à toute sanction ayant le caractère d’une punition et impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire, le requérant avait de nouveau soulevé devant le CSM la même QPC que ce dernier avait transmise au Conseil d’État.
Dans sa décision du 19 avril 2024 précitée, le Conseil d’État avait cette fois jugé que la décision n° 2023–1074 QPC du Conseil constitutionnel « constitue une circonstance de droit nouvelle de nature à justifier que la conformité à la Constitution des dispositions des articles 52 et 56 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 soit à nouveau examinée par le Conseil constitutionnel. Elle conduit à considérer que le moyen tiré de ce que ces dispositions, en tant qu’elles organisent l’audition du magistrat poursuivi dans le cadre d’une procédure disciplinaire sans prévoir qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution soulève une question présentant un caractère sérieux ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.
II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
A. – Les questions préalables
1. – Les griefs et la délimitation du champ de la QPC
* Le requérant reprochait aux dispositions renvoyées de ne pas prévoir que le magistrat mis en cause est informé de son droit de se taire lors de son audition par le rapporteur dans le cadre de l’enquête ainsi que lors de sa comparution devant le Conseil supérieur de la magistrature statuant en conseil de discipline, alors que ses déclarations sont susceptibles d’être utilisées à son encontre dans le cadre de cette procédure. Il en résultait, selon lui, une méconnaissance des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789.
* Au regard de ce grief, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur les mots « le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en cause » figurant à la première phrase du premier alinéa de l’article 52 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, ainsi que sur les mots « le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés » figurant au premier alinéa de l’article 56 de la même ordonnance (paragr. 4).
2. – Les demandes d’intervention
Dans cette affaire, le Conseil avait été saisi de deux demandes d’intervention présentées au soutien de la QPC renvoyée et émanant du syndicat de la magistrature et de l’union syndicale des magistrats.
Si les parties intervenantes reprenaient les griefs développés par le requérant, l’une d’entre elles développait également un grief qui ne se rapportait pas directement à la question de l’audition du magistrat mis en cause devant le CSM statuant en conseil de discipline. Compte tenu de la restriction du champ de la QPC qu’il avait opérée, le Conseil n’avait donc pas à répondre aux griefs de cet intervenant qui n’entraient pas dans ce champ. Dans la décision commentée, le Conseil a ainsi rappelé que « Les parties intervenantes sont fondées à intervenir dans la procédure de la présente question prioritaire de constitutionnalité dans la seule mesure où leur intervention porte sur les dispositions contestées » (paragr. 5)29.
B. – La jurisprudence constitutionnelle relative au droit de ne pas s’accuser et au droit de se taire
Dans sa décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a reconnu une valeur constitutionnelle au principe selon lequel « nul n’est tenu de s’accuser », qu’il a rattaché à l’article 9 de la Déclaration de 1789 relatif à la présomption d’innocence. Il en a aussitôt précisé la portée en relevant que ce principe « n’interdit [pas] à une personne de reconnaître librement sa culpabilité »30. Le commentaire de cette décision précise qu’aucune exigence constitutionnelle « ne fait obstacle à ce qu’une personne reconnaisse sa culpabilité si elle le fait volontairement, consciemment et librement, c’est-à-dire en dehors de tout "chantage", de tout "marchandage", de tout malentendu et de toute contrainte ».
Le Conseil a par ailleurs jugé à plusieurs reprises que le droit de ne pas s’accuser doit être respecté « à l’égard des mineurs comme des majeurs »31.
* Dans sa décision n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser ce que recouvrait positivement le droit de ne pas s’accuser en reconnaissant, pour la première fois, qu’il en découle un « droit de se taire » en faveur de la personne mise en cause dans le cadre d’une garde à vue32.
Il était alors saisi de dispositions qui prévoyaient que ne pouvait constituer une cause de nullité de procédure le fait que la personne gardée à vue ait été entendue après avoir prêté serment (une telle formalité n’étant pas requise en garde à vue). Il a d’abord relevé qu’en l’état du droit alors applicable lors d’une commission rogatoire, il était possible d’imposer à une personne, placée en garde à vue et qui s’était vue notifier le droit de se taire, d’être auditionnée et de prêter le serment prévu pour les témoins de dire toute la vérité. Il a jugé que « Faire ainsi prêter serment à une personne entendue en garde à vue de "dire toute la vérité, rien que la vérité" peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire ou de nature à contredire l’information qu’elle a reçue concernant ce droit. Dès lors, en faisant obstacle, en toute circonstance, à la nullité d’une audition réalisée sous serment lors d’une garde à vue dans le cadre d’une commission rogatoire, les dispositions contestées portent atteinte au droit de se taire de la personne soupçonnée »33.
* Puis, dans sa décision n° 2020-886 QPC du 4 mars 2021, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les circonstances dans lesquelles, en dehors du cadre particulier de la garde à vue, une personne mise en cause dans une affaire pénale doit être informée de son droit de se taire.
Il s’agissait en l’occurrence des dispositions organisant la comparution préalable du prévenu majeur devant le juge des libertés et de la détention, en vue de son placement en détention provisoire dans l’attente de son jugement en comparution immédiate. Le Conseil a jugé que les dispositions contestées méconnaissaient le droit de se taire, faute de prévoir que le prévenu traduit devant ce magistrat doit être informé de ce droit. Pour conclure à la censure de ces dispositions, le Conseil a tenu compte, à la fois, de l’office du juge des libertés et de la détention (JLD) dans le cadre de cette comparution et des conditions dans lesquelles les déclarations du prévenu peuvent être recueillies et utilisées, le cas échéant contre lui, dans la suite de la procédure.
En premier lieu, le Conseil a considéré que « l’office confié au juge des libertés et de la détention par l’article 396 du [code de procédure pénale (CPP)] peut le conduire à porter une appréciation des faits retenus à titre de charges par le procureur de la République dans sa saisine »34. En second lieu, il a relevé que, lorsqu’il présente ses observations, « le prévenu peut être amené à reconnaître les faits qui lui sont reprochés. En outre, le fait même que le juge des libertés et de la détention invite le prévenu à présenter ses observations peut être de nature à lui laisser croire qu’il ne dispose pas du droit de se taire. Or, si la décision du juge des libertés et de la détention est sans incidence sur l’étendue de la saisine du tribunal correctionnel, en particulier quant à la qualification des faits retenus, les observations du prévenu sont susceptibles d’être portées à la connaissance de ce tribunal lorsqu’elles sont consignées dans l’ordonnance du juge des libertés et de la détention ou le procès-verbal de comparution »35.
* Le Conseil a, par la suite, été saisi à plusieurs reprises de dispositions relatives à la procédure pénale, qui étaient contestées en raison de l’absence de notification à la personne mise en cause de son droit de se taire, et a confirmé cette ligne jurisprudentielle :
– dans sa décision n° 2021-894 QPC du 9 avril 2021, il a jugé que portait atteinte à ce droit, l’absence de notification du droit de se taire au mineur entendu par les services de la protection judiciaire de la jeunesse dans le cadre d’une procédure pénale en vue d’établir un rapport sur sa situation personnelle. Il a motivé cette décision en soulignant que, dans le cadre du recueil de renseignements socio-éducatifs, « L’agent compétent du service de la protection judiciaire de la jeunesse chargé de la réalisation de ce rapport a la faculté d’interroger le mineur sur les faits qui lui sont reprochés » et que ce dernier pouvait ainsi être amené à reconnaître sa culpabilité dans le cadre de cet entretien. Or, même si, comme le relevait la décision, le rapport établi à la suite de cet entretien a pour finalité principale d’éclairer le magistrat ou la juridiction sur l’opportunité d’une réponse éducative, les déclarations du mineur étaient « susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement » à la suite de leur consignation dans ce rapport36 ;
– dans sa décision n° 2021-895/901/902/903 QPC du 9 avril 2021, le Conseil a jugé que le droit de se taire imposait la notification de ce droit aux personnes mises en examen comparaissant devant la chambre de l’instruction lorsque cette dernière était saisie d’une requête en nullité d’une mise en examen, du règlement d’un dossier d’information ou d’un appel à l’encontre d’une ordonnance de placement en détention provisoire. Il a, en effet, considéré que « l’office confié à la chambre de l’instruction par les dispositions contestées la conduit à porter une appréciation sur les faits retenus à titre de charges contre la personne mise en examen ». En outre, il s’est attaché aux conditions dans lesquelles se déroule la comparution devant la chambre en constatant que les personnes comparaissant dans le cadre de ces différentes procédures pouvaient être amenées, en réponse aux questions qui leur étaient posées, à reconnaître les faits qui leur étaient reprochés, dans un contexte de nature à leur laisser croire qu’elles ne disposaient pas du droit de se taire et alors même que leurs déclarations étaient susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement. Dès lors, le Conseil a censuré les dispositions contestées au motif qu’elles méconnaissaient le droit de se taire de ces personnes37 ;
– dans sa décision n° 2021-920 QPC du 18 juin 2021, le Conseil a considéré que le droit de se taire s’imposait devant les juridictions appelées à connaître d’une demande de mainlevée d’une mesure de contrôle judiciaire ou d’une demande de mise en liberté. Il a en effet considéré que, saisies de telles demandes, ces juridictions devaient « vérifier si les faits retenus à titre de charges à l’encontre de la personne comparaissant devant elle justifient le maintien de la mesure de sûreté ». Puis, il a pris en considération les conditions dans lesquelles se déroulent la comparution du prévenu ou de l’accusé devant la juridiction. À cet égard, il a constaté que « lorsque cette personne comparaît devant cette juridiction, elle peut être amenée, en réponse aux questions qui lui sont posées, à reconnaître les faits qui lui sont reprochés ». Or, comme l’a ensuite relevé le Conseil, « les déclarations ou les réponses apportées par la personne aux questions de la juridiction sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement »38 ;
– dans ses décisions nos 2021-934 et 2021-935 QPC du 30 septembre 202139, le Conseil a censuré, d’une part, des dispositions ne prévoyant pas que le prévenu soit informé du droit qu’il a de se taire devant le JLD appelé à statuer sur des mesures de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence jusqu’à sa comparution devant le tribunal correctionnel40, d’autre part, des dispositions ne prévoyant pas que la personne mise en examen soit informée de son droit de se taire devant le JLD appelé à statuer sur son placement en détention provisoire41. Dans l’un et l’autre cas, après avoir constaté que ce magistrat devait apprécier la réalité des charges pesant sur l’intéressé, il a relevé que le prévenu ou la personne mise en examen pouvait être amené, en réponse aux questions qui lui étaient posées, « à reconnaître les faits qui lui sont reprochés », que le fait même que le juge des libertés et de la détention l’invite à présenter ses observations pouvait « être de nature à lui laisser croire qu’il ne dispose pas du droit de se taire » et que ses observations étaient « susceptibles d’être portées à la connaissance » de la juridiction de jugement42 ;
– dans sa décision n° 2021-975 QPC du 25 février 202243, le Conseil a censuré des dispositions ne prévoyant pas que la personne mise en cause dans le cadre d’une enquête préliminaire soit informée du droit qu’elle a de se taire lors d’un examen psychologique ou psychiatrique, au cours duquel elle peut être interrogée sur les faits qui lui sont reprochés.
Le Conseil a relevé qu’« Au cours de cet examen, la personne requise a la faculté d’interroger la personne mise en cause sur les faits qui lui sont reprochés », que « Cette dernière peut ainsi être amenée, en réponse aux questions qui lui sont posées, à reconnaître sa culpabilité » et que « le rapport établi à l’issue de cet examen, dans lequel sont consignées les déclarations de la personne mise en cause, est susceptible d’être porté à la connaissance de la juridiction de jugement » ;
– enfin, dans sa décision n° 2024–1089 QPC du 17 mai 2024, le Conseil était saisi de dispositions qui prévoient que lorsque le juge d’instruction a l’intention de mettre en examen une personne pour un délit de diffamation ou d’injure, il l’en informe par lettre recommandée avec demande d’avis de réception en précisant chacun des faits qui lui sont reprochés ainsi que leur qualification juridique, et l’avise également de son droit de faire connaître des observations écrites dans un délai d’un mois et peut, par le même avis, l’interroger afin de solliciter, dans le même délai, sa réponse à différentes questions écrites.
Acceptant de faire application du droit de se taire à une procédure écrite, le Conseil a relevé, d’une part, que « l’office confié au juge d’instruction peut le conduire à porter une appréciation sur les faits retenus à titre de charges contre la personne dont il envisage la mise en examen » et, d’autre part, que « lorsqu’elle est invitée à faire connaître ses observations ou à répondre à des questions, la personne dont la mise en examen est envisagée peut être amenée à reconnaître les faits qui lui sont reprochés. En outre, le fait même que le juge d’instruction l’invite à présenter des observations et, le cas échéant, à répondre à ses questions, peut être de nature à lui laisser croire qu’elle ne dispose pas du droit de se taire »44.
Il a également constaté que « les observations ou les réponses de la personne dont la mise en examen est envisagée sont susceptibles d’être portées à la connaissance de la juridiction de jugement »45.
Il en a déduit qu’en ne prévoyant pas que cette personne doit être informée de son droit de se taire, les dispositions contestées méconnaissaient les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789, et les a déclarées contraires à la Constitution.
Il résulte de cet exposé jurisprudentiel que pour contrôler le respect du droit de se taire dans les affaires où il était saisi de dispositions ne prévoyant pas que la personne mise en cause est informée de ce droit à l’occasion d’une audition ou d’un interrogatoire, le Conseil constitutionnel a dégagé une grille d’analyse qui repose sur trois aspects :
– en premier lieu, il s’intéresse au cadre dans lequel la personne mise en cause est entendue, en s’assurant du rôle de l’autorité compétente pour interroger cette dernière ou recueillir ses observations et en vérifiant que cette autorité est susceptible de la conduire à évoquer avec la personne concernée les faits qui lui sont reprochés : le Conseil tient compte, selon les cas, de l’office du juge dans la procédure, qui peut les conduire à porter une appréciation sur les faits retenus à titre de charge contre la personne poursuivie, ou de la mission incombant à l’autorité chargée d’effectuer une mesure d’instruction ;
– en deuxième lieu, le Conseil s’attache aux conditions dans lesquelles la personne mise en cause est entendue : à cet égard, le Conseil vérifie que la personne peut être amenée à s’exprimer et, compte tenu de l’objet de l’audition ou de l’interrogatoire, à s’auto-incriminer. Lorsque l’audition ou la comparution de l’intéressé s’impose à lui, le Conseil a par ailleurs ajouté, dans certaines affaires, que les conditions de cette audition ou comparution pouvaient être de nature à lui laisser croire qu’il ne disposait pas du droit de se taire ;
– en dernier lieu, le Conseil tient compte de ce que les observations de l’intéressé, ses déclarations ou les réponses apportées aux questions de l’autorité compétente sont susceptibles d’être portées, in fine, à la connaissance de la juridiction de jugement ou de l’autorité disciplinaire.
* Récemment, le Conseil a par ailleurs admis que les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 attachées au droit de se taire ne se limitent pas à la seule procédure pénale, mais s’étendent également à la matière disciplinaire.
Dans sa décision n° 2023-1074 QPC précitée du 8 décembre 2023, le Conseil a ainsi jugé pour la première fois que la notification du droit de se taire trouvait bien à s’appliquer à un professionnel poursuivi dans le cadre d’une procédure disciplinaire.
Après avoir cité les termes de l’article 9 de la Déclaration de 1789 et sa formulation de principe consacrant la valeur constitutionnelle du droit de ne pas s’accuser, dont découle le droit de se taire, il a tout d’abord indiqué que « Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition ». Puis il a jugé, selon une formulation inédite, que les exigences précitées « impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire »46.
Confrontant ces exigences aux dispositions contestées, le Conseil a toutefois relevé que « ni ces dispositions, qui se bornent à désigner les titulaires de l’action disciplinaire, ni aucune autre disposition législative ne fixent les conditions selon lesquelles l’officier public ou ministériel poursuivi comparaît devant le tribunal judiciaire »47. Après avoir rappelé que « la procédure disciplinaire applicable à ces officiers publics et ministériels, qui est soumise aux exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789, ne relève pas du domaine de la loi mais, sous le contrôle du juge compétent, du domaine réglementaire », il a dès lors écarté le grief tiré de ce que les dispositions législatives contestées méconnaîtraient ces exigences, faute de prévoir que le professionnel poursuivi disciplinairement doit être informé de son droit de se taire lors de sa comparution devant le tribunal judiciaire48.
C. – L’application à l’espèce
* Eu égard à la nature organique des dispositions dont il était saisi, le Conseil constitutionnel s’est tout d’abord assuré de la recevabilité de la QPC.
En l’espèce, les articles 52 et 56 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, dans les rédactions contestées par le requérant, avaient déjà été déclarés conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de ses décisions nos 70–40 DC du 9 juillet 1970 et 2010–611 DC du 19 juillet 2010 (paragr. 7).
Toutefois, ainsi que l’avait estimé le Conseil d’État dans sa décision de renvoi, le Conseil constitutionnel a considéré que la décision n° 2023–1074 QPC du 8 décembre 2023 précitée, par laquelle il a jugé que les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789, dont découle le droit de se taire, s’appliquent dans le cas de poursuites disciplinaires à l’encontre d’un professionnel, constituait un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées (paragr. 8). Il a ainsi admis la recevabilité de la QPC.
* Statuant au fond, le Conseil constitutionnel a ensuite été conduit, pour la première fois, à examiner la conformité de dispositions applicables à une procédure disciplinaire aux exigences de l’article 9 de la Déclaration de 178949.
Après avoir cité les termes de cet article, il a rappelé la formule de principe énoncée dans sa décision n° 2023–1074 QPC du 8 décembre 2023 précitée, aux termes de laquelle « Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le professionnel faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire » (paragr. 9).
Si l’exigence ainsi formulée en matière disciplinaire ne se différencie pas, en substance, de celle que le Conseil constitutionnel applique en matière pénale, la référence à des « poursuites disciplinaires » signifie en revanche que la notification du droit de se taire ne s’impose constitutionnellement qu’à compter du moment où une procédure disciplinaire est effectivement engagée à l’encontre du professionnel mis en cause.
Le Conseil a ensuite décrit l’objet des dispositions contestées. Après avoir indiqué qu’en application de l’article 48 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, le pouvoir disciplinaire est exercé à l’égard des magistrats du siège par le CSM, statuant comme conseil de discipline (paragr. 10), il a précisé que, lorsque ce dernier est saisi de poursuites disciplinaires, l’article 52 de cette ordonnance prévoit que le magistrat mis en cause peut être entendu par le rapporteur désigné par le président du conseil de discipline au cours de l’enquête et que, selon son article 56, le magistrat déféré est entendu par le conseil de discipline lors de sa comparution devant lui (paragr. 11).
Reprenant la grille d’analyse qu’il a développée pour s’assurer du respect des exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 en présence de dispositions relevant de la procédure pénale, le Conseil a examiné à cette aune tant la mission confiée au rapporteur que l’office exercé par l’instance disciplinaire. Il a relevé, d’une part, que, lorsque le président du conseil de discipline estime qu’il y a lieu de procéder à une enquête, le rapporteur a la faculté d’interroger le magistrat mis en cause sur les faits qui lui sont reprochés et, d’autre part, que, lors de sa comparution, il revient au président du conseil de discipline d’inviter le magistrat à fournir ses explications et moyens de défense sur ces mêmes faits lors de la comparution devant lui (paragr. 12).
Le Conseil en a déduit que « le magistrat mis en cause peut être amené à reconnaître les manquements pour lesquels il est disciplinairement poursuivi ». Il a par ailleurs relevé, conformément à sa jurisprudence constante, que « le fait même que ce magistrat soit entendu ou invité à présenter ses observations peut être de nature à lui laisser croire qu’il ne dispose pas du droit de se taire » (paragr. 13).
Conformément à sa jurisprudence précitée, le Conseil constitutionnel a enfin constaté que les déclarations du magistrat poursuivi disciplinairement étaient susceptibles d’être utilisées dans le cadre de la procédure dont il fait l’objet. Il a en effet relevé que, lors de l’audience le conseil de discipline prend connaissance des déclarations du magistrat consignées dans le rapport établi à la suite de l’enquête et qu’il reçoit les déclarations faites devant lui (paragr. 14).
Au regard de ces éléments, dans la ligne de ses précédentes décisions, le Conseil a considéré que, lorsque des poursuites disciplinaires sont engagées à l’encontre d’un magistrat, le cadre dans lequel se déroule son audition par le rapporteur ainsi que sa comparution devant le conseil de discipline justifie que l’intéressé soit informé de son droit de se taire. Il a ainsi jugé qu’« en ne prévoyant pas que le magistrat mis en cause doit être informé de son droit de se taire lors de son audition par le rapporteur ainsi que lors de sa comparution devant le conseil de discipline, les dispositions contestées méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration de 1789 ». Il les a donc déclarées contraires à la Constitution (paragr. 15).
* Pour finir, le Conseil constitutionnel a déterminé les effets dans le temps de cette déclaration d’inconstitutionnalité.
À cet égard, il a précisé que les dispositions de l’article 52 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 déclarées contraires à la Constitution, dans leur rédaction contestée, n’étaient plus en vigueur50 (paragr. 17).
S’agissant des dispositions de l’article 56 de la même ordonnance, il a considéré que leur abrogation immédiate entraînerait des conséquences manifestement excessives, dès lors qu’elle priverait le magistrat mis en cause de la possibilité de présenter devant le conseil de discipline ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés. Il a donc reporté au 1er juin 2025 la date d’abrogation de ces dispositions (paragr. 18).
Néanmoins, afin de faire cesser immédiatement l’inconstitutionnalité constatée, le Conseil a, par une réserve d’interprétation transitoire, jugé que « jusqu’à l’entrée en vigueur d’une nouvelle loi ou jusqu’à la date de l’abrogation de ces dispositions, le conseil de discipline doit informer de son droit de se taire le magistrat qui comparaît devant lui » (même paragr.).
Enfin, le Conseil constitutionnel a précisé la portée de sa décision pour la période passée, en jugeant que la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions censurées des articles 52 et 56 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 « peut être invoquée dans les instances introduites à la date de publication de la présente décision et non jugées définitivement » (paragr. 19).
_______________________________________
1 Voir notamment, décision n° 2023–856 DC du 16 novembre 2023, Loi organique relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire, paragr. 4. Selon cette décision, « Il incombe au législateur organique, dans l’exercice de sa compétence relative au statut des magistrats, de se conformer aux règles et principes de valeur constitutionnelle. En particulier, doivent être respectés non seulement le principe de l’indépendance de l’autorité judiciaire et la règle de l’inamovibilité des magistrats du siège, comme l’exige l’article 64 de la Constitution (...) ».
2 Article L. 6 du code général de la fonction publique.
3 Voir Julia Vanoni et Julie Joly-Hurard, La déontologie du magistrat, 4e éd., Dalloz, Connaissance du droit, 2020, p. 23 : « L’adoption d’un statut propre est commandée par la nécessité de garantir l’indépendance des magistrats, de les protéger de toutes formes d’abus, de menaces ou d’arbitraire de la part des pouvoirs publics, qu’il s’agisse de faveurs imméritées ou de mesures telles qu’un déplacement, une révocation ou un retard dans l’avancement ».
4 Premier alinéa de l’article 43 de l’ordonnance du 22 décembre 1958.
5 Les autres sanctions sont le déplacement d’office, le retrait de certaines fonctions, l’interdiction d’être nommé ou désigné dans des fonctions de juge unique pendant une durée maximum de dix ans, l’abaissement d’échelon, l’exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximum deux ans, avec privation totale ou partielle du traitement, la rétrogradation, la mise à la retraite d’office ou l’admission à cesser ses fonctions lorsque le magistrat n’a pas le droit à une pension de retraite. En revanche, l’avertissement prononcé contre un magistrat ne constitue pas une sanction disciplinaire et ne relève donc pas des compétences du CSM (article 44 de l’ordonnance du 22 décembre 1958).
6 Ce pouvoir de décision lui est reconnu par l’article 65 de la Constitution qui dispose « La formation du [CSM] compétente à l’égard des magistrats du siège statue comme conseil de discipline des magistrats du siège ». Cette formation est présidée par le premier président de la Cour de cassation et comprend cinq magistrats du siège et un magistrat du parquet, un conseiller d’État, un avocat, ainsi que six personnalités qualifiées n’appartenant ni au Parlement ni à l’ordre judiciaire, désignées respectivement par le Président de la République, le président de l’Assemblée nationale et le président du Sénat. Elle comprend en outre le magistrat du siège appartenant à la formation compétente à l’égard des magistrats du parquet.
7 Article 59 de l’ordonnance du 22 décembre 1958.
8 La direction des services judiciaires est l’organe qui centralise les dénonciations de faits à l’encontre d’un magistrat qui sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire. La remontée d’information peut provenir de plusieurs canaux, dont celui des chefs de cour et de juridiction. Le garde des sceaux, ministre de la justice, peut également demander à l’inspection générale de la justice de procéder à une enquête administrative ou préliminaire sur un magistrat susceptible d’avoir commis une ou des fautes disciplinaires (article 50–2 de l’ordonnance du 22 décembre 1958).
9 Article 50–2 de l’ordonnance du 22 décembre 1958. Le même pouvoir est reconnu aux présidents de tribunal supérieur d’appel.
10 Article 31 de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République.
11 Alinéa 10 de l’article 65 de la Constitution. Il revient alors à la commission d’admission des requêtes, organe interne au CSM, d’apprécier la recevabilité de la plainte, et en particulier de s’assurer que les faits sont susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire (article 50-3 de l’ordonnance du 22 décembre 1958).
12 Article 50–4 de l’ordonnance du 22 décembre 1958.
13 Article 51 de l’ordonnance du 22 décembre 1958.
14 Ludovic Belfanti, Magistrat, Dalloz, Paris, 2019, p. 338.
15 CSM Siège, 5 mai 2010, n° S179.
16 En application de l’article 54 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, il n’a la possibilité de se faire représenter à l’audience qu’en cas de maladie ou d’empêchement reconnus justifiés.
17 Article 53, alinéa premier, de l’ordonnance du 22 décembre 1958.
18 Article 55 de l’ordonnance du 22 décembre 1958. Son conseil a droit à la communication des mêmes pièces.
19 Article 53, alinéa second, de l’ordonnance du 22 décembre 1958.
20 Dont les observations n’ont pas à être communiquées au magistrat avant l’audience (CE, 15 mars 2006, n° 276042).
21 CE, 26 décembre 2012, n° 346320. Voir aussi Ludovic Belfanti, op. cit., p. 353.
22 Article 54 de l’ordonnance du 22 décembre 1958.
23 Article 57 de l’ordonnance du 22 décembre 1958.
24 Le magistrat mis en cause a donc la possibilité de demander une audience à huis clos, que le conseil de discipline peut refuser s’il estime que ces conditions ne sont pas remplies.
25 L’article 50-4 de l’ordonnance du 22 décembre 1958 prévoit que, quel que soit le mode d’engagement de l’action disciplinaire, le CSM dispose en principe d’un délai d’un an pour se prononcer à compter du jour de sa saisine.
26 CE, Ass., 12 juillet 1969, L’Étang, req. n° 72480. Le juge de cassation contrôle en particulier la qualification juridique retenue par le CSM pour le choix de la sanction infligée à un magistrat du siège (CE, 30 juin 2010, Mme P., req. n° 325319).
27 CE, 23 juin 2023, n° 473249. Dans cette décision, le Conseil d’État a considéré qu’au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, les exigences qui découlent de l’article 9 de la Déclaration de 1789 avaient seulement vocation à s’appliquer dans le cadre d’une procédure pénale et a jugé que le requérant n’était pas fondé à soutenir que les dispositions contestées méconnaîtraient le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire, nonobstant la circonstance que les informations recueillies dans le cadre de cette procédure pourraient être ultérieurement transmises au juge répressif.
28 Décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, M. Renaud N. (Information du notaire poursuivi du droit qu’il a de se taire dans le cadre d’une procédure disciplinaire).
29 Voir, par exemple, dans le même sens, la décision n° 2022–1024 QPC du 18 novembre 2022, M. Chams S. (Contestation de la mise à exécution par le ministère public d’une peine d’emprisonnement ferme), paragr. 6.
30 Décision n° 2004-492 DC du 2 mars 2004, Loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité, cons. 110. Sur la valeur constitutionnelle du principe, voir également la décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, M. Jean-Victor C. (Fichier empreintes génétiques), cons. 17.
31 Décisions n° 2002-461 DC du 29 août 2002, Loi d’orientation et de programmation pour la justice, cons. 27, et n° 2007-553 DC du 3 mars 2007, Loi relative à la prévention de la délinquance, cons. 10.
32 Décision n° 2016-594 QPC du 4 novembre 2016, Mme Sylvie T. (Absence de nullité en cas d’audition réalisée sous serment au cours d’une garde à vue), paragr. 5. Jusqu’à cette décision, le droit de se taire n’avait été abordé par le Conseil constitutionnel que sous l’angle de sa notification, selon qu’elle était prévue ou non, dans le cadre particulier de la garde à vue. Le Conseil l’avait alors reconnu comme une garantie participant aux droits de la défense. Sur ce point voir les décisions n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres (Garde à vue), cons. 28, et n° 2014-428 QPC du 21 novembre 2014, M. Nadav B. (Report de l’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue en matière de délinquance ou de criminalité organisées), cons. 13.
33 Décision n° 2016-594 QPC précitée, paragr. 8.
34 Décision n° 2020-886 QPC du 4 mars 2021, M. Oussama C. (Information du prévenu du droit qu’il a de se taire devant le juge des libertés et de la détention en cas de comparution immédiate), paragr. 7.
35 Ibidem, paragr. 8.
36 Décision n° 2021-894 QPC du 9 avril 2021, M. Mohamed H. (Information du mineur du droit qu’il a de se taire lorsqu’il est entendu par le service de la protection judiciaire de la jeunesse), paragr. 7.
37 Décision n° 2021-895/901/902/903 QPC du 9 avril 2021, M. Francis S. et autres (Information de la personne mise en examen du droit qu’elle a de se taire devant la chambre de l’instruction), paragr. 9 à 13.
38 Décision n° 2021-920 QPC du 18 juin 2021, M. Al Hassane S. (Information du prévenu ou de l’accusé du droit qu’il a de se taire devant les juridictions saisies d’une demande de mainlevée du contrôle judiciaire ou de mise en liberté), paragr. 7 et 8.
39 Décision n° 2021-934 QPC du 30 septembre 2021, M. Djibril D. (Information du prévenu du droit qu’il a de se taire devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer sur des mesures de contrôle judiciaire ou d’assignation à résidence dans le cadre de la procédure de convocation par procès verbal) ; décision n° 2021-935 QPC du 30 septembre 2021, M. Rabah D. (Information de la personne mise en examen du droit qu’elle a de se taire devant le juge des libertés et de la détention appelé à statuer sur une mesure de détention provisoire dans le cadre d’une procédure d’instruction).
40 Article 394 du CPP.
41 Article 145 du CPP.
42 Décision n° 2021-934 QPC du 30 septembre 2021 précitée, paragr. 7 et 8 ; décision n° 2021-935 QPC du 30 septembre 2021 précitée, paragr. 8 et 9.
43 Décision n° 2021-975 QPC du 25 février 2022, M. Roger C. (Information de la personne mise en cause du droit qu’elle a de se taire lors d’un examen réalisé par une personne requise par le procureur de la République - Information du tuteur ou du curateur de la possibilité de désigner un avocat pour assister un majeur protégé entendu librement), paragr. 10 et 11.
44 Décision n° 2024–1089 QPC du 17 mai 2024, M. Christophe M. (Information de la personne mise en cause du droit qu’elle a de se taire lorsqu’elle présente des observations ou des réponses écrites au juge d’instruction saisi d’un délit de diffamation ou d’injure), paragr. 8 et 9.
45 Ibid, paragr. 10.
46 Décision n° 2023-1074 QPC du 8 décembre 2023, précitée, paragr. 9.
47 Ibid., paragr. 11.
48 Ibid., paragr. 12 et 13.
49 À la différence de la procédure disciplinaire applicable aux notaires dont a eu à connaître le Conseil dans sa décision n° 2023–1074 QPC du 8 décembre 2023 qui relevait du domaine réglementaire, la procédure disciplinaire applicable aux magistrats judiciaires relève pour sa part du domaine de la loi organique en application du dernier alinéa de l’article 65 de la Constitution.
50 Cet article a été modifié en dernier lieu par l’article 9 de la loi organique n° 2023-1058 du 20 novembre 2023 relative à l’ouverture, à la modernisation et à la responsabilité du corps judiciaire.