Conformité
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 7 mars 2024 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 331 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par M. Anthony M. portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du dernier alinéa de l’article L. 815–24 du code de la sécurité sociale (CSS) ainsi que de l’article L. 815–24–1 du même code, dans leur rédaction résultant de la loi n° 2008–1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2009.
Dans sa décision n° 2024–1095 QPC du 6 juin 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution les mots « du concubin » figurant à la première phrase de l’article L. 815–24–1 du CSS, dans cette rédaction, et le mot « concubins » figurant à la seconde phrase de ce même article.
I. – Les dispositions renvoyées
A. – Objet des dispositions renvoyées
1. – Les bénéficiaires de l’allocation supplémentaire d’invalidité
* Instituée en 19571, l’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI) est une allocation individuelle versée, sous certaines conditions, aux personnes invalides qui n’ont pas atteint l’âge requis pour bénéficier de l’allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA)2. Elle vise à compléter les ressources dont disposent les personnes invalides afin de leur garantir un niveau de revenu minimal3.
En application de l’article L. 815–24 du CSS, pour en bénéficier, ces personnes doivent tout d’abord être titulaires d’un avantage viager servi au titre de l’assurance maladie ou vieillesse par un régime de sécurité sociale.
Cet avantage peut prendre la forme d’une pension d’invalidité, c’est-à-dire d’un revenu de remplacement versé par l’assurance maladie aux salariés, indépendants et agriculteurs qui, suite à un accident ou une maladie d’origine non professionnelle, se trouvent en incapacité partielle ou totale de travailler afin de compenser la perte de salaire qu’ils subissent4. Dans ce cas, l’assuré doit justifier d’une durée minimale d’affiliation à un régime de sécurité sociale de douze mois au moins au premier jour du mois au cours duquel est survenue l’interruption de travail suivie d’invalidité ou la constatation médicale de l’état d’invalidité.
L’avantage viager peut également consister en une pension de réversion ou une pension d’invalidité de veuf ou de veuve, dont l’objet est de compenser la perte de revenus que le conjoint survivant subit du fait du décès de son époux, ou encore en une pension de retraite anticipée pour cause de handicap, de carrière longue ou d’incapacité permanente, ou d’un dispositif de pénibilité5.
Le demandeur doit résider sur le territoire métropolitain ou dans certains départements d’outre–mer6. Cette condition de résidence est satisfaite s’il y a son foyer ou son lieu de son séjour principal (soit s’il y séjourne plus de six mois au cours de l’année civile de versement de l’allocation)7.
Pour prétendre au bénéfice de l’ASI, il doit en outre être atteint d’une invalidité générale réduisant sa capacité de travail ou de gain des deux tiers8.
Par ailleurs, l’objet de l’ASI étant de permettre à ses allocataires de disposer d’un niveau de ressources minimal, en complément de l’avantage viager qu’ils perçoivent, le bénéfice de cette allocation est également soumis à une condition de ressources.
2. – La condition de ressources applicable pour le versement de l’allocation supplémentaire d’invalidité
a. – La conjugalisation des ressources
* Dans sa rédaction résultant de la LFSS pour 2009, le dernier alinéa de l’article L. 815–24 du CSS prévoyait que le montant de l’allocation dépend de la situation matrimoniale des demandeurs (les premières dispositions objet de la décision commentée).
Dans la même rédaction, l’article L. 815–24–1 du CSS (les secondes dispositions objet de la décision commentée) précisait, en ce sens, que l’ASI n’est due que si le total de cette allocation et des ressources personnelles de l’intéressé et de son conjoint, de son concubin ou de son partenaire lié par un PACS n’excède pas des plafonds fixés par décret. Lorsque ce total dépasse ces plafonds, l’allocation est réduite à due concurrence.
L’appréciation des ressources du demandeur a ainsi été conjugalisée, que l’allocataire soit en situation du concubinage, ait conclu un PACS ou soit marié9.
Les ressources prises en compte totalisent ainsi ses ressources personnelles et celles de son concubin, partenaire ou conjoint, sans distinction entre les biens communs ou les biens propres de ces derniers10. Entrent notamment dans ce total les revenus professionnels, les avantages viagers, les revenus mobiliers et immobiliers et les avantages en nature11.
b. – Le calcul et le versement de l’allocation supplémentaire d’invalidité
* En application de l’article D. 815–19 du CSS, dans sa version résultant du décret du 30 décembre 2008 pris pour application de la LFSS pour 200912, le montant maximum servi au titre de l’ASI était fixé, à compter du 1er janvier 2009, à :
– 4 475 euros par an (soit 373 euros par mois) lorsque la personne vit seule ou lorsque seul un des conjoints en bénéficie ;
– 7 385 euros par an (soit 615 euros par mois) lorsque les deux conjoints en bénéficient13.
Selon l’article D. 815-19-1 du CSS, dans cette même rédaction, les plafonds de ressources prévus par l’article L. 815-24-1 étaient fixés, à compter du même jour, à 7 781 euros pour une personne seule et à 13 629 euros lorsque le ou les allocataires sont mariés, concubins ou liés par un PACS.
En application de l’article L. 815-24-1 du CSS, si le total de l’allocation et des ressources du foyer dépassait ces derniers plafonds, le montant de l’allocation était réduit à hauteur de ce dépassement.
Il en résultait que, cumulé au montant de la pension minimale d’invalidité, le montant de l’ASI pouvait ne pas permettre à l’allocataire de percevoir un niveau de ressources minimal au moins égal au plafond de ressources prévu par la loi.
* Constatant que « Le mode de calcul de l’ASI est incohérent avec la nature originelle de cette prestation », au motif qu’« alors même qu’elle est conçue comme une allocation différentielle, son montant n’est pas fixé de façon différentielle par rapport au plafond de ressources »14, le législateur a réformé le mode de calcul de l’ASI lors de l’examen de la loi n° 2019–1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020, afin de remédier à cette incohérence.
En application de l’article L. 815–24-1 du CSS, dans sa rédaction résultant de cette loi, le montant de l’ASI est désormais égal à la différence entre les plafonds applicables à la situation du ou des allocataires et le total des ressources de l’intéressé ou des conjoints, concubins ou partenaires liés par un PACS15. Ses bénéficiaires sont ainsi désormais assurés de percevoir le montant minimal de ressources prévu par ces plafonds, quelle que soit leur situation conjugale.
* S’agissant des modalités d’attribution et de versement de l’ASI, l’organisme compétent pour étudier la demande d’attribution et procéder à son versement est l’organisme qui sert l’avantage d’invalidité ou de vieillesse de base16.
L’allocation peut toutefois être suspendue à tout moment lorsque l’une des conditions exigées pour son service n’est plus remplie ou que les ressources de l’allocataire ont varié. En cas de fraude, d’absence de déclaration des ressources ou d’omission de certaines ressources dans les déclarations transmises à l’organisme liquidateur, celui-ci peut également opérer, d’office et sans formalité, des retenues sur les arrérages de l’allocation versée pour le recouvrement des sommes payées indûment à l’allocataire17.
B. – Origine de la QPC et question posée
M. Anthony M., bénéficiaire de l’ASI depuis 2003, avait déclaré, en 2013, une situation de concubinage sans mentionner à la caisse primaire d’assurance maladie les revenus de sa compagne.
Par courrier recommandé du 6 août 2015, cette dernière lui avait notifié un montant de versement indu au titre de cette allocation d’environ 8 000 euros au titre des années 2013 à 2015, et lui en avait demandé la restitution.
Ce dernier avait alors formé un recours contre cette décision devant la commission de recours amiable de l’assurance maladie, puis devant le pôle social du tribunal judiciaire. À cette occasion, il avait soulevé une QPC dirigée contre le dernier alinéa de l’article L. 815-24 du code de la sécurité sociale ainsi que l’article L. 815-24-1 du même code.
Par jugement du 27 novembre 2020, le tribunal avait débouté le requérant de ses demandes et rejeté la demande de transmission de QPC au motif qu’elle n’avait pas été soutenue oralement à l’audience.
Le 27 novembre 2020, le requérant avait interjeté appel de cette décision devant la cour d’appel. Par un mémoire du 25 avril 2023, il avait soulevé de nouveau une QPC devant cette cour, que cette dernière avait transmise à la Cour de cassation.
Dans son arrêt du 7 mars 2024 précité, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation avait observé que ces dispositions, « qui soumettent le versement de l’allocation supplémentaire d’invalidité à la prise en compte des revenus du concubin de la personne invalide, sont susceptibles de priver cette personne d’une prestation destinée à garantir l’atteinte d’un niveau de ressources minimal lorsque le plafond de ressources globales du couple est dépassé, plaçant ainsi la personne invalide dans une situation de dépendance financière à l’égard de son concubin qui n’est pourtant tenu envers elle d’aucune obligation légale de nature patrimoniale ». Elle avait ainsi considéré que cette question présentait un caractère sérieux au regard des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, du droit de mener une vie familiale normale, du droit de propriété et des exigences des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946. Elle l’avait donc renvoyée au Conseil constitutionnel.
II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
* Le requérant reprochait à ces dispositions d’instaurer une différence de traitement injustifiée entre les personnes invalides qui vivent en concubinage et sont tenues, à ce titre, de déclarer les revenus de leur concubin pour le calcul de l’allocation supplémentaire d’invalidité et celles vivant en colocation ou chez des parents, qui ne sont pas tenues de déclarer les ressources des personnes avec lesquelles elles vivent. Il contestait également le fait qu’elles traitent de la même façon les personnes invalides vivant en concubinage, qui ne sont pas soumises à une obligation de solidarité financière, et celles mariées ou liées par un pacte civil de solidarité qui y sont soumises. Il critiquait en outre la différence de traitement que ces dispositions instaurent entre les personnes vivant en concubinage selon qu’elles sont invalides ou non. Il en résultait, selon lui, une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
Le requérant faisait également valoir que ces dispositions avaient pour effet de placer l’allocataire dans une situation de dépendance financière vis-à-vis de son concubin alors que ce dernier n’a aucune obligation légale de solidarité à son égard. Elles méconnaissaient ainsi le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et le droit de mener une vie familiale normale.
Le requérant soutenait en outre que ces dispositions, en faisant peser sur le concubin la charge d’entretenir financièrement une personne invalide, méconnaissaient le droit de propriété, le principe d’égalité devant les charges publiques et les exigences résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.
* Au regard de ces griefs, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur les mots « du concubin » figurant à la première phrase de l’article L. 815-24-1 du code de la sécurité sociale, et sur le mot « concubins » figurant à la seconde phrase du même article (paragr. 6).
B. – Le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi
1. – La jurisprudence relative au principe d’égalité devant la loi
* De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d’égalité devant la loi, qui résulte de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »18.
Lorsqu’il constate que les dispositions contestées opèrent une différence de traitement, le Conseil vérifie ainsi non seulement si celle-ci est justifiée par une différence de situation ou un motif d’intérêt général, mais aussi si elle est en rapport direct avec l’objet de la loi.
* Le Conseil constitutionnel a déjà examiné à plusieurs reprises des dispositions instaurant des différences de traitement entre personnes relevant de régimes de vie de couple différents ou, a contrario, des dispositions les traitant de la même façon.
– Dans sa décision n° 99–419 DC du 9 novembre 1999, le Conseil s’est ainsi appuyé sur les différences existant entre ces régimes, au regard des droits et obligations reconnus au sein du couple, et notamment de l’aide mutuelle apportée à ses membres, pour justifier les différences de traitement établies par le législateur entre, d’une part, les époux et les partenaires liés par un PACS et, d’autre part, les concubins19.
Il a jugé en particulier, à propos de dispositions étendant aux partenaires d’un PACS le régime d’imposition commune applicable aux époux, que « le législateur a entendu accorder des droits particuliers aux personnes qui ne peuvent ou ne veulent se marier, mais qui souhaitent se lier par un pacte de vie commune ; que, contrairement aux personnes vivant en concubinage, les partenaires d’un tel pacte sont assujettis à certaines obligations ; qu’ils se doivent, en particulier, "une aide mutuelle et matérielle" ; que cette différence de situation justifie, au regard de l’objet de la loi, la différence de traitement critiquée entre personnes vivant en concubinage et personnes liées par un pacte civil de solidarité »20.
– Dans sa décision n° 2010-44 QPC du 29 septembre 201021, saisi de dispositions assimilant, au regard de l’impôt de solidarité sur la fortune, la situation des personnes vivant en « concubinage notoire » à celle des couples, le Conseil a rappelé qu’il les avait déjà déclarées conformes à la Constitution, dans une version antérieure à celle dont il était saisi, dans sa décision n° 81-133 DC du 30 décembre 1981, par laquelle il avait notamment jugé qu’« il est de fait que le centre de disposition des revenus à partir duquel peuvent être appréciées les ressources et les charges du contribuable est le foyer familial ; qu’en décidant que l’unité d’imposition pour l’impôt sur les grandes fortunes est constituée par ce foyer, le législateur n’a fait qu’appliquer une règle adaptée à l’objectif recherché par lui, au demeurant traditionnelle dans le droit fiscal français, et qui n’est contraire à aucun principe constitutionnel et, notamment, pas à celui de l’article 13 de la Déclaration des droits »22.
– Dans sa décision n° 2011-155 QPC du 29 juillet 2011, saisi de dispositions relatives à l’absence de pension de réversion pour les personnes non mariées, le Conseil a relevé, après avoir rappelé que « le concubinage est défini par le seul article 515-8 du code civil comme "une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple" », que les époux et les concubins ne sont pas soumis aux mêmes devoirs d’assistance. Il a, à cet égard, souligné « qu’à la différence des époux, les concubins ne sont légalement tenus à aucune solidarité financière à l’égard des tiers ni à aucune obligation réciproque »23.
Puis, il a rappelé qu’« en vertu de l’article 515-4 du code civil, les partenaires liés par un pacte civil de solidarité "s’engagent à une vie commune, ainsi qu’à une aide matérielle et une assistance réciproques"; que "si les partenaires n’en disposent autrement, l’aide matérielle est proportionnelle à leurs facultés respectives" ; qu’en outre, ils sont "tenus solidairement à l’égard des tiers des dettes contractées par l’un d’eux pour les besoins de la vie courante" ; qu’ainsi, contrairement aux personnes vivant en concubinage, les partenaires sont assujettis à des obligations financières réciproques et à l’égard des tiers ; que, toutefois, les dispositions du code civil ne confèrent aucune compensation pour perte de revenus en cas de cessation du pacte civil de solidarité au profit de l’un des partenaires, ni aucune vocation successorale au survivant en cas de décès d’un partenaire »24.
Enfin, il a constaté que « le régime du mariage a pour objet non seulement d’organiser les obligations personnelles, matérielles et patrimoniales des époux pendant la durée de leur union, mais également d’assurer la protection de la famille ; que ce régime assure aussi une protection en cas de dissolution du mariage »25.
Il en a donc déduit que « le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui reconnaît l’article 34 de la Constitution, défini trois régimes de vie de couple qui soumettent les personnes à des droits et obligations différents ; que la différence de traitement quant au bénéfice de la pension de réversion entre les couples mariés et ceux qui vivent en concubinage ou sont unis par un pacte civil de solidarité ne méconnaît pas le principe d’égalité »26.
– Dans sa décision n° 2019–828/829 QPC du 28 février 2020, le Conseil était notamment saisi des dispositions de l’article 335 du code de procédure pénale qui dispensaient le conjoint de l’accusé appelé à témoigner de prêter serment devant la cour d’assises, sans prévoir une même dispense au profit du partenaire d’un pacte civil de solidarité ou du concubin.
Il a relevé que « le mariage, le concubinage ou le pacte civil de solidarité sont les trois formes d’union sous lesquelles peut s’organiser, juridiquement, la vie commune d’un couple. Si l’intensité des droits et obligations qui s’imposent aux membres du couple diffèrent selon qu’ils choisissent l’une ou l’autre de ces unions, les concubins ou les partenaires liés par un pacte civil de solidarité ne sont pas moins exposés que les conjoints au dilemme moral dont le législateur a entendu préserver ces derniers lorsqu’ils sont appelés à témoigner au procès de leur conjoint accusé »27.
Selon le commentaire de cette décision, « le Conseil a tenu compte des évolutions sociales et juridiques. En effet, d’une part, l’évolution des conjugalités confirme que le mariage, s’il reste le statut sous lequel se placent le plus de couples (43,8 % des personnes de 15 ans et plus étaient sous ce statut en 2017), n’est plus la seule façon de faire famille : en 2016, pour 226 000 mariages célébrés, 192 000 pactes civils de solidarité ont été conclus. D’autre part, le législateur lui–même a tenu compte de l’indifférence du statut matrimonial à l’existence d’une relation affective forte en étendant certains cas d’immunité pénale au profit des partenaires et concubins ».
En second lieu, après avoir rappelé qu’« il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation qu’une déposition effectuée sans prêter serment alors que le témoin était tenu de le faire est susceptible de vicier la procédure suivie », le Conseil a considéré qu’il était possible, pour la juridiction concernée, de s’assurer de l’existence de chacune de ces trois formes d’union soit par le biais d’un enregistrement en mairie, soit par celui du constat d’une vie commune. Il en a conclu que « l’intérêt qui s’attache à faciliter la connaissance par la juridiction des liens unissant l’accusé et le témoin ne saurait, à lui seul, justifier la différence de traitement établie par les dispositions contestées entre le mariage, le concubinage et le pacte civil de solidarité »28. Par conséquent, le Conseil a jugé que la différence de traitement instaurée par les dispositions contestées n’était justifiée ni par une différence de situation, ni par un motif d’intérêt général, et qu’elle était donc contraire au principe d’égalité devant la loi.
* Le Conseil constitutionnel s’est également prononcé sur les conséquences que peut emporter le régime de vie en couple sur l’attribution de certaines prestations sociales.
– Dans sa décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, saisi d’un grief fondé sur la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi à l’encontre de dispositions relatives aux allocations familiales, le Conseil a formulé une réserve d’interprétation imposant que les ressources à prendre en compte pour déterminer le droit au bénéfice de ces allocations soient celles des deux membres du couple qui ont en charge l’entretien et l’éducation des enfants, indépendamment du fait que les intéressés sont ou non mariés. Il a en effet estimé que « le régime des allocations familiales répond à l’exigence constitutionnelle de solidarité nationale en faveur de la famille » et « que les charges familiales sont indépendantes de l’état civil des membres du couple », ce qui interdit de procéder à une distinction, de ce point de vue, selon le régime juridique sous lequel le couple a placé son union29.
– Dans sa décision n° 2023–858 DC du 14 décembre 2023, le Conseil constitutionnel s’est notamment prononcé sur des dispositions qui prévoyaient l’inscription sur la liste des demandeurs d’emploi auprès de l’opérateur France Travail de la personne demandant le revenu de solidarité active (RSA) ainsi que de son conjoint, de son concubin ou de son partenaire de PACS.
Si, pour contrôler ces dispositions, le Conseil constitutionnel ne s’est pas fondé sur le principe d’égalité devant la loi mais sur le droit au respect de la vie privée, il a notamment relevé que le RSA étant une allocation familialisée, son bénéfice pouvait être « subordonné au respect de certaines conditions par le demandeur et, le cas échéant, par son conjoint, concubin ou partenaire », et que « les mêmes droits et devoirs s’appliquent au bénéficiaire du revenu de solidarité active et à son conjoint, concubin ou partenaire, qui signent chacun un contrat d’engagement avec l’organisme référent chargé d’assurer leur accompagnement pour leur insertion sociale et professionnelle »30.
* Le Conseil s’est enfin prononcé à plusieurs reprises sur les différences de traitement instituées par le législateur entre des personnes vulnérables, notamment en raison de leur handicap.
- Dans sa décision n° 93-330 DC du 29 décembre 1993, saisi de dispositions instaurant un seuil d’invalidité pour l’obtention de l’AAH, le Conseil a jugé que « le législateur a entendu exclure pour l’avenir l’attribution de l’allocation aux adultes handicapés aux personnes affectées des incapacités les moins graves ; / Considérant d’une part que la distinction opérée par le législateur entre les personnes qui postulent l’attribution de l’allocation suivant leur taux d’incapacité permanente traduit l’existence de situations différentes au regard de l’objet de la loi ; que dès lors la prise en compte d’un tel taux n’est pas de nature à méconnaître le principe d’égalité ; / Considérant d’autre part qu’en limitant l’application de la disposition nouvelle aux seules demandes d’allocation introduites pour la première fois à compter du 1er janvier 1994, le législateur a entendu assurer aux autres personnes concernées le bénéfice du régime antérieur ; qu’au regard de ce but, il n’a pas non plus, en adoptant de telles modalités d’application dans le temps, méconnu le principe d’égalité »31.
– De même, le Conseil a jugé, dans sa décision n° 2014–433 QPC du 5 décembre 2014 relative à la majoration de la pension au titre de l’assistance d’une tierce personne, d’une part, que « les fonctionnaires qui ont été contraints de prendre une retraite anticipée parce qu’ils étaient dans l’incapacité permanente de continuer leurs fonctions et ne pouvaient être reclassés et les fonctionnaires qui ont volontairement pris leur retraite, le cas échéant de façon anticipée, ne se trouvent pas dans la même situation au regard des droits à une pension », et, d’autre part, que « le principe d’égalité ne s’oppose pas à ce que, pour l’attribution d’une aide en vue de l’assistance à tierce personne, le législateur réserve la majoration spéciale de la pension aux fonctionnaires retraités atteints d’une maladie professionnelle dont l’imputabilité au service est reconnue postérieurement à la date de radiation des cadres et prévoie ainsi que s’appliquent, pour les autres fonctionnaires retraités atteints d’un handicap, les règles de droit commun prévues par le code de l’action sociale et des familles »32.
– Dans sa décision n° 2016–592 QPC du 21 octobre 2016, le Conseil a jugé que « les personnes handicapées n’étant pas placées dans la même situation que les personnes âgées au regard des exigences de leur prise en charge par l’aide sociale, le législateur pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, prévoir des modalités différentes de récupération de l’aide sociale dans l’un et l’autre cas »33.
– Dans sa décision n° 2018-777 DC du 28 décembre 2018, saisi de la revalorisation de certaines prestations, le Conseil a constaté que « les titulaires des minima sociaux que sont l’allocation de solidarité spécifique et le revenu de solidarité active ne sont pas placés dans la même situation que les titulaires des prestations affectées par les dérogations instituées, pour 2019, par les dispositions contestées » (dont notamment l’AAH). Il en a déduit que « le législateur n’a pas instauré une différence de traitement qui ne serait pas fondée sur des critères objectifs et rationnels en rapport avec l’objet de la loi »34.
– Enfin, dans sa décision n° 2023–1039 QPC du 24 mars 2023, le Conseil a jugé que « les personnes handicapées qui bénéficient des aides financières versées par les fonds départementaux de compensation sont, au regard de l’objet des dispositions de l’article L. 146–5 du code de l’action sociale et des familles, placées dans une situation différente de celles des bénéficiaires d’aides sociales obligatoires reposant sur la solidarité nationale et des personnes qui ne sont pas en situation de handicap »35.
2. – L’application à l’espèce
* Après avoir cité l’article 6 de la Déclaration de 1789, le Conseil a tout d’abord repris la formulation de principe relative au principe d’égalité devant la loi selon laquelle « Le principe d’égalité ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit. Si, en règle générale, ce principe impose de traiter de la même façon des personnes qui se trouvent dans la même situation, il n’en résulte pas pour autant qu’il oblige à traiter différemment des personnes se trouvant dans des situations différentes » (paragr. 7).
Puis, il s’est attaché à décrire l’objet des dispositions contestées. À cet égard, il a d’abord rappelé que l’article L. 815–24 du CSS prévoit que « les personnes invalides titulaires d’un avantage viager au titre de l’assurance invalidité ou de vieillesse peuvent bénéficier, sous certaines conditions, d’une allocation supplémentaire d’invalidité dont le montant varie selon la situation matrimoniale de l’allocataire » (paragr. 8). Il a ensuite relevé qu’en application des dispositions contestées de l’article L. 815–24–1 du même code, les ressources prises en compte pour le calcul de cette allocation incluent celles du concubin de l’allocataire (paragr. 9).
* Le Conseil constitutionnel a alors apprécié si les différences de traitement critiquées par le requérant étaient fondées sur une différence de situation ou un motif d’intérêt général, et si elles étaient, dans l’un ou l’autre cas, en rapport avec l’objet de la loi.
S’appuyant sur les travaux préparatoires, il a souligné que, « en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu tenir compte des conditions de vie des personnes invalides afin de déterminer le montant de l’allocation à leur octroyer pour leur garantir un niveau de ressources minimal » (paragr. 10).
Puis, examinant la différence de traitement que dénonçait le requérant entre les personnes invalides vivant en concubinage et celles vivant en colocation ou chez des proches, le Conseil a rappelé que selon l’article 515–8 du code civil, le concubinage « se caractérise par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes vivant en couple » (paragr. 11). Il en a déduit que les personnes invalides vivant en concubinage sont placées dans une situation différente de celles ne vivant pas en couple (même paragr.).
Par ailleurs, il a rappelé que les personnes invalides ne sont pas placées dans la même situation que les personnes valides (paragr. 12).
Il a donc jugé que ces différences de traitement reposent sur une différence de situation et qu’elles sont en rapport direct avec l’objet de la loi (paragr. 13).
Il a ensuite constaté, conformément à sa jurisprudence constante selon laquelle le législateur n’est pas tenu de traiter différemment des personnes placées dans des situations différentes, qu’« il était loisible au législateur de soumettre à la même condition de ressources, pour l’octroi de l’allocation supplémentaire d’invalidité, les personnes invalides vivant en concubinage et celles mariées ou liées par un pacte civil de solidarité, qui constituent les trois formes d’union sous lesquelles peut s’organiser, juridiquement, la vie commune d’un couple » (paragr. 14).
En effet, au regard de l’objet de la loi, qui n’opérait aucune distinction entre ces différentes formes de couple, le législateur n’était pas tenu de traiter différemment les personnes invalides vivant en concubinage des autres personnes invalides vivant en couple.
Le Conseil a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi (paragr. 15).
C. – Le grief tiré de la méconnaissance des exigences des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946
1. – La jurisprudence relative à ces exigences
* Aux termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, « La Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement. – Elle garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence ».
Si le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle de ces alinéas du Préambule de la Constitution de 194636, il a circonscrit la portée des obligations en résultant pour le législateur.
* Il a ainsi déjà eu l’occasion de contrôler à l’aune de ces alinéas – soit en combinaison, soit au regard du seul onzième alinéa – des dispositions instituant des prestations sociales ou des mesures spécifiques à destination des personnes défavorisées, dont notamment des personnes handicapées.
– Dans sa décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions introduisant une condition de durée minimale de résidence sur le territoire français, dans des conditions fixées par décret, pour l’attribution de plusieurs prestations sociales, dont l’AAH.
Après avoir rappelé les termes du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, il a jugé qu’« il incombe, tant au législateur qu’au Gouvernement, conformément à leurs compétences respectives, de déterminer, dans le respect des principes proclamés par le onzième alinéa du Préambule, les modalités de leur mise en œuvre ». Puis il a considéré « qu’il suit de là qu’il appartient au pouvoir réglementaire, dans chacun des cas prévus à l’article 4 de la loi, de fixer la durée de la condition de résidence de façon à ne pas aboutir à mettre en cause les dispositions précitées du Préambule et en tenant compte à cet effet des diverses prestations d’assistance dont sont susceptibles de bénéficier les intéressés ; que toute autre interprétation serait contraire à la Constitution »37.
Le législateur dispose ainsi d’une grande marge de manœuvre dans la mise en œuvre des exigences découlant de cet alinéa. Toutefois, des obstacles excessifs à l’accès à certains régimes de protection sociale peuvent constituer une méconnaissance de ces exigences.
– Dans sa décision n° 93-330 DC précitée du 29 décembre 1993, le Conseil était saisi des dispositions de la loi de finances pour 1994 qui excluaient du bénéfice de l’AAH les personnes dont le taux d’incapacité permanente est inférieur à un pourcentage fixé par décret. Après avoir rappelé la formulation de principe énoncée dans sa précédente décision n° 86-225 DC, il a estimé « qu’au regard de l’état de la législation en vigueur, la modification analysée ci-dessus des modalités d’attribution de l’allocation aux adultes handicapés n’est pas de nature à mettre en cause le principe à valeur constitutionnelle précité »38.
– Dans sa décision n° 2011-123 QPC du 29 avril 2011, le Conseil était saisi de dispositions conditionnant, pour certaines personnes, le bénéfice de l’AAH à une durée d’inactivité minimale fixée par décret. Il a d’abord jugé que « les exigences constitutionnelles résultant [du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946] impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées39 ; qu’il appartient au législateur, pour satisfaire à cette exigence, de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées ; qu’en particulier, il lui est à tout moment loisible, statuant dans le domaine qui lui est réservé par l’article 34 de la Constitution, de modifier des textes antérieurs ou d’abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d’autres dispositions ; qu’il ne lui est pas moins loisible d’adopter, pour la réalisation ou la conciliation d’objectifs de nature constitutionnelle, des modalités nouvelles dont il lui appartient d’apprécier l’opportunité et qui peuvent comporter la modification ou la suppression de dispositions qu’il estime excessives ou inutiles ; que, cependant, l’exercice de ce pouvoir ne saurait aboutir à priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel ».
Puis, après avoir constaté que les dispositions contestées prévoient que les personnes dont l’incapacité est comprise entre 50 % et 80 % ne peuvent bénéficier de cette allocation que si elles connaissent, du fait de ce handicap, une restriction substantielle et durable pour l’accès à l’emploi, il a jugé que « le 2° de l’article L. 821-2 tend à définir un critère objectif caractérisant la difficulté d’accéder au marché du travail qui résulte du handicap ; qu’en excluant du bénéfice de cette allocation les personnes ayant occupé un emploi depuis une durée définie par décret, le législateur a fixé un critère qui n’est pas manifestement inapproprié au but poursuivi »40.
– Dans sa décision n° 2011-639 DC du 28 juillet 2011, saisi notamment de dispositions renvoyant à un décret les modalités relatives à l’accessibilité des lieux publics aux personnes handicapées, le Conseil a exercé son contrôle sur le fondement des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, ainsi que de l’article 34 de la Constitution. Après avoir rappelé sa formulation de principe, selon laquelle il est « possible au législateur, pour satisfaire à ces exigences [résultant du Préambule] de choisir les modalités concrètes qui lui paraissent appropriées », le Conseil a jugé que le législateur pouvait renvoyer de telles dispositions à un décret en Conseil d’État et que, ce faisant, il n’avait manqué à aucune exigence constitutionnelle41.
Le commentaire de cette décision, citant le commentaire de la décision n° 2003–483 DC du 14 août 200342, rappelait que « La jurisprudence a en effet circonscrit avec réalisme les obligations auxquelles les dixième et onzième alinéas du Préambule de 1946 soumettent le législateur. / Ces dispositions mettent à sa charge non une obligation de résultat, mais une obligation de moyens. / De plus, les moyens ne sont pas infinis. Leur degré de mobilisation dépend de l’état des ressources dont dispose la Nation et des autres objectifs de valeur constitutionnelle ou d’intérêt général qu’elle doit poursuivre ».
– Dans sa décision n° 2018-776 DC du 21 décembre 2018, saisi de dispositions relatives aux conditions de recouvrement de diverses sommes par les organismes de sécurité sociale, le Conseil a rappelé, après avoir cité les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, que « Les exigences constitutionnelles résultant des dispositions précitées impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes défavorisées ». Puis il a observé que les dispositions contestées « ont pour objet de permettre la récupération de sommes indûment versées. Celle-ci ne peut être opérée que si l’assuré ne conteste pas le caractère indu des sommes et n’opte pas pour le remboursement en un ou plusieurs versements dans un délai fixé par décret, qui ne peut excéder douze mois. Par ailleurs, d’une part, en application de l’article L. 133-4-1 du code de la sécurité sociale, s’agissant des prestations d’assurance maladie, d’accidents du travail et de maladies professionnelles, la récupération de l’indu se fait en fonction de la situation sociale du ménage. D’autre part, s’agissant des pensions de retraite, en application de l’article L. 355-3 du même code, "aucun remboursement de trop-perçu des prestations de retraite ou d’invalidité n’est réclamé à un assujetti de bonne foi lorsque les ressources du bénéficiaire sont inférieures au chiffre limite fixé pour l’attribution, selon le cas, à une personne seule ou à un ménage, de l’allocation aux vieux travailleurs salariés" ». Il en a déduit que ces dispositions ne méconnaissaient pas les exigences précitées43.
– Dans sa décision n° 2018–777 DC du 28 décembre 2018, il a également jugé que « Le fait que le législateur prévoie pour 2019 des règles particulières de revalorisation du montant de certaines prestations ne méconnaît pas les exigences résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 »44.
– Enfin, dans sa décision n° 2023–1039 QPC du 24 mars 2023, le Conseil s’est prononcé sur des dispositions qui prévoient que dans la limite des financements dont disposent les fonds départementaux de compensation du handicap, les frais de compensation accordés ne peuvent excéder 10 % des ressources des personnes handicapées.
Après avoir cité les dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946, il a constaté qu’« en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu améliorer la prise en charge des conséquences du handicap en confiant aux fonds départementaux le versement d’aides facultatives, en complément des montants reçus au titre de la prestation de compensation ». Puis le Conseil a jugé qu’« il était loisible au législateur de ne prévoir qu’un objectif non contraignant de réduction des frais de compensation restant à la charge des personnes handicapées après qu’elles ont bénéficié de la prestation obligatoire due au titre de l’article L. 245–1 du code de l’action sociale et des familles et de ne pas imposer aux contributeurs des fonds départementaux un financement obligatoire »45.
2. – L’application à l’espèce
* Après avoir rappelé les termes des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 (paragr. 16), le Conseil constitutionnel a, de façon inédite, énoncé que « Les exigences constitutionnelles résultant de ces dispositions impliquent la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des personnes invalides » (paragr. 17). Tout en soulignant qu’était ici visée la catégorie spécifiquement formée par les personnes invalides, alors qu’il avait jusqu’à présent pu être saisi de dispositions participant de la politique de solidarité nationalité en faveur des personnes handicapées, le Conseil a dès lors transposé à cette autre catégorie de personnes le contrôle qu’il opère sur le fondement des exigences précitées du Préambule de la Constitution de 1946.
Puis, il a rappelé qu’en adoptant les dispositions contestées, « le législateur a entendu garantir un niveau de ressources minimal aux personnes invalides en considération de leurs conditions de vie » (paragr. 18).
Il a alors jugé que, « Dans ce cadre, il a pu prévoir que les ressources du concubin de l’allocataire doivent être prises en compte pour le calcul du montant de l’allocation supplémentaire d’invalidité » (paragr. 19).
Le Conseil en a conclu que le grief tiré de la méconnaissance de ces exigences devait être écarté (paragr. 20).
Les dispositions contestées ne méconnaissant pas non plus le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, le droit de mener une vie familiale normale, le droit de propriété et le principe d’égalité devant les charges publiques, ni aucun autre droit ou liberté garantis par la Constitution, le Conseil les a donc déclarées conformes à la Constitution (paragr. 21).
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1 Loi n° 57–874 du 2 août 1957 étendant le bénéfice de l’allocation supplémentaire du fonds national de solidarité aux invalides, infirmes, aveugles et grands infirmes. Son régime actuel résulte de l’ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse et du décret n° 2007-57 du 12 janvier 2007 simplifiant le minimum vieillesse et modifiant le code de la sécurité sociale.
2 Prévue par les articles L. 815–1 et suivants du CSS, cette dernière allocation remplace, depuis le 1er janvier 2006, les anciennes prestations non-contributives qui constituaient le minimum vieillesse. Elle est versée aux personnes ayant atteint l’âge légal de départ à la retraite qui remplissent certaines conditions de résidence et de ressources. Comme l’ASI, fondée sur son modèle, son montant varie selon que le foyer est composé d’une personne seule ou de conjoints, concubins ou partenaires liés par un PACS.
3 Il s’agit d’une prestation non-contributive, sans contrepartie de cotisation préalable.
4 En application de l’article L. 341-1 du CSS, est considéré comme invalide l’assuré social victime d’une réduction dans des proportions déterminées – à savoir des deux tiers – de sa capacité de travail ou de gain, c’est-à‑dire le mettant hors d’état de se procurer, dans une profession quelconque, un salaire supérieur au tiers de la rémunération normale perçue, dans la même région, par des travailleurs de la même catégorie dans la profession qu’il exerçait avant la date de l’interruption de travail suivie d’invalidité ou la date de la constatation médicale de l’invalidité.
5 « L’allocation supplémentaire d’invalidité (ASI) », fiche n° 25, DREES, 2021.
6 Soit la Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, La Réunion, Saint-Barthélemy et Saint-Martin (article L. 751-1 du CSS).
7 Article R. 111-2 du CSS. Par ailleurs, les personnes de nationalité étrangère qui souhaitent en bénéficier doivent justifier de la régularité de leur séjour sur le territoire français sur une période continue de dix ans précédant la date d’effet de l’ASI. En application de l’article L. 816-1 du CSS, elles doivent détenir depuis au moins dix ans un titre de séjour les autorisant à travailler (ou, si des titres de séjour précédents n’ont pas été conservés, justifier de cotisations pour la retraite durant ces dix ans), être réfugiées ou apatrides, bénéficier de la protection subsidiaire ou avoir combattu pour la France, ou être ressortissant d’un État membre de l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse.
8 Articles L. 815-24 et R. 815-58 du CSS. Cette condition est réputée remplie lorsque la personne bénéficie d’une prestation attribuée par un régime de sécurité sociale sur un critère de reconnaissance de la perte de capacité de travail ou de gain au moins équivalente.
9 Pour mémoire, ces trois régimes de vie en couple sont définis par le code civil. Son article 215 prévoit ainsi que « les époux s’obligent mutuellement à une communauté de vie », tandis que son article 515–4 dispose que « [l]es partenaires liés par un pacte civil de solidarité s’engagent à une vie commune ». Son article 515–8 prévoit quant à lui que « Le concubinage est une union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ».
10 Article R. 815–27 du CSS.
11 Voir les articles R. 815-22 à R. 815-29 du CSS.
12 Décret n° 2008-1509 du 30 décembre 2008 portant diverses dispositions relatives à l’assurance vieillesse.
13 Le montant maximum d’allocation supplémentaire d’invalidité servi au « couple » n’est applicable qu’aux allocataires mariés.
14 Rapport n° 140 de MM. Arnaud Bazin et Éric Bocquet sur le projet de loi de finances pour 2020, fait au nom de la commission des finances du Sénat, tome III, annexe 29, déposé le 21 novembre 2019.
15 Ces plafonds sont fixés à des montants de 800 euros par mois pour une personne seule et de 1 400 euros par mois pour une personne en couple, sous certaines conditions (article D. 815-19 du CSS, dans sa rédaction résultant du décret n° 2020-1802 du 30 décembre 2020 relatif au fonds de financement de l’allocation supplémentaire d’invalidité et à la revalorisation des plafonds de cette allocation).
16 L’allocation est payée dans les mêmes formes et conditions que l’avantage qu’elle complète. Depuis le 1er janvier 2021, l’ASI n’est plus financée par l’État mais par la Caisse nationale d’assurance maladie (décret n° 2020–1798 du 29 décembre 2020 relatif au transfert du financement de l’allocation supplémentaire d’invalidité à l’Assurance maladie).
17 Articles R. 815-61 et R. 815-43 du CSS.
18 Voir, par exemple, récemment, décision n° 2023–1084 QPC du 21 mars 2024, Fédération hospitalière de France (Versement d’un complément de traitement indiciaire à certains agents publics), paragr. 4.
19 Décision n° 99-419 DC du 9 novembre 1999, Loi relative au pacte civil de solidarité, cons. 43 à 50.
20 Ibid., cons. 43.
21 Décision n° 2010–44 QPC du 29 septembre 2010, Époux M. (Impôt de solidarité sur la fortune), cons. 8 et 9. Voir également, la décision n° 2017–758 DC du 28 décembre 2017, Loi de finances pour 2018, paragr. 76.
22 Décision n° 81–133 DC du 30 décembre 1981, Loi de finances pour 1982, cons. 7.
23 Décision n° 2011–155 QPC du 29 juillet 2011, Mme Laurence L. (Pension de réversion et couples non mariés), cons. 5.
24 Ibid., cons. 6.
25 Ibid., cons. 7.
26 Ibid, cons. 8.
27 Décision n° 2019–828/829 QPC du 28 février 2020, M. Raphaël S. et autre (Déposition sans prestation de serment pour le conjoint de l’accusé), paragr. 11.
28 Ibid., paragr.13.
29 Décision n° 97–393 DC du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, cons. 41.
30 Ibid, paragr. 15 et 16.
31 Décision n° 93-330 DC du 29 décembre 1993, Loi de finances pour 1994, cons. 9 à 11.
32 Décision n° 2014–433 QPC du 5 décembre 2014, M. André D. (Majoration de la pension au titre de l’assistance d’une tierce personne), cons. 7.
33 Décision n° 2016–592 QPC du 21 octobre 2016, Mme Françoise B. (Recours en récupération des frais d’hébergement et d’entretien des personnes handicapées), paragr. 11.
34 Décision n° 2018-777 QPC précitée, paragr. 68. Voir, dans le même sens, la décision n° 2019-796 DC du 27 décembre 2019, Loi de finances pour 2020, paragr. 115.
35 Décision n° 2023–1039 QPC du 24 mars 2023, Association Handi–social et autre (Financement des fonds départementaux de compensation et plafonnement des frais restant à la charge des personnes handicapées), paragr. 14.
36 Décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987, Loi portant diverses mesures d’ordre social, cons. 16 et 17.
37 Décision n° 86-225 DC du 23 janvier 1987 précitée, cons. 12 à 18.
38 Décision n° 93-330 DC du 29 décembre 1993 précitée, cons. 12 à 14.
39 Ces personnes comprennent notamment les personnes handicapées. Le Conseil a mobilisé de nouveau cette formulation de principe dans le cadre de l’examen de dispositions portant sur le financement des mesures judiciaires de protection des majeurs (décision n° 2011–136 QPC du 17 juin 2011, Fédération nationale des associations tutélaires et autres [Financement des diligences exceptionnelles accomplies par les mandataires judiciaires à la protection des majeurs], cons. 5). Plus récemment, voir également la décision n° 2018–776 DC du 21 décembre 2018, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2019, paragr. 56. Le Conseil constitutionnel juge que l’exigence constitutionnelle résultant des dixième et onzième alinéas du Préambule de la Constitution de 1946 implique en outre la mise en œuvre d’une politique de solidarité nationale en faveur des travailleurs retraités (décision n° 2003-483 DC du 14 août 2003, Loi portant réforme des retraites, cons. 7) et de la famille (notamment, décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, cons. 33).
40 Décision n° 2011-123 QPC du 29 avril 2011, M. Mohamed T. (Conditions d’octroi de l’allocation adulte handicapé), cons. 3 à 5. Voir également, dans le même sens, la décision n° 2011–137 QPC du 17 juin 2011, M. Zeljko S., (Attribution du revenu de solidarité active aux étrangers).
41 Décision n° 2011–639 DC du 28 juillet 2011, Loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap, cons. 6 à 9.
42 Décision n° 2003–483 DC du 14 août 2003, Loi portant réforme des retraites, cons. 16 à 20.
43 Décision n° 2018–776 DC du 21 décembre 2018 précitée, paragr. 55 à 59.
44 Décision n° 2018–777 DC du 28 décembre 2018, Loi de finances pour 2019, paragr. 70. Voir également la décision n° 2018-776 DC du 21 décembre 2018 précitée, paragr. 45 et 46.
45 Décision n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023 précitée, paragr. 10 et 11.