Non conformité totale
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 mars 2024 par le Conseil d’État (décision n° 490142 du 5 mars 2024) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la Commune de La Madeleine portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L. 2123–24–2 du code général des collectivités territoriales (CGCT), dans sa rédaction issue de la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique.
Dans sa décision n° 2024–1094 QPC du 6 juin 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots « des communes de 50 000 habitants et plus » figurant à la première phrase de cet article, dans cette rédaction.
Dans cette affaire, Mme Jacqueline Gourault a estimé devoir s’abstenir de siéger.
I. – Les dispositions renvoyées
A. – Objet des dispositions renvoyées
1. – Le régime des indemnités de fonction des membres du conseil municipal
* Le principe de gratuité des fonctions d’élu municipal a été posé par la loi du 21 mars 1831 sur l’organisation municipale qui prévoyait que les fonctions de maire, d’adjoint et de conseiller municipal « sont essentiellement gratuites, et ne peuvent donner lieu à aucune indemnité ni frais de représentation »1. Ce principe de gratuité du mandat d’élu municipal a été constamment réaffirmé par la suite2 et figure aujourd’hui à l’article L. 2123-17 du CGCT3.
Le législateur y a néanmoins apporté certains aménagements, considérant, dès la fin du XIXe siècle, qu’il était nécessaire d’indemniser les sujétions particulières qui découlent de l’exercice de ces fonctions. Il a d’abord ouvert un droit au remboursement des frais liés à l’exercice de mandats spéciaux et des frais de représentation du maire4. La loi du 24 juillet 1952 est ensuite venue définir un régime d’indemnités de fonction, prévoyant les indemnités maximales pouvant être versées pour l’exercice des fonctions de maire et d’adjoint des communes et de membres de certains conseils municipaux5.
Dès cette époque, l’indemnité de fonction a été envisagée comme une exception au principe de gratuité justifiée par le fait que les maires et adjoints sont obligés, en raison de la complexité croissante de leurs fonctions, de consacrer un temps de plus en plus long à celles-ci6. Au–delà de la compensation des sujétions liées au mandat, l’indemnité de fonction a également été présentée comme répondant à un enjeu démocratique : celui d’éviter que les fonctions municipales soient dévolues « aux seuls favorisés de la fortune »7.
* Le régime des indemnités de fonction a par la suite été codifié dans le code des communes8. Depuis la recodification de 19969, il est prévu aux articles L. 2123–20 et suivants du CGCT.
De manière générale, le versement des indemnités allouées aux élus municipaux – maires, adjoints et conseillers municipaux – est subordonné à « l’exercice effectif des fonctions »10.
Les indemnités de fonction des membres du conseil municipal, à l’exception de celles du maire11, sont fixées par une délibération prise après chaque renouvellement du conseil municipal, dans les trois mois suivant son installation.
Leur montant est fixé par référence au montant du traitement correspondant à l’indice brut terminal de l’échelle indiciaire de la fonction publique12.
À partir de ce traitement indiciaire de référence, la loi prévoit d’appliquer différents taux pour chaque catégorie d’élu municipal : les maires (article L. 2123–23 du CGCT), les adjoints au maire (article L. 2123-24) et les conseillers municipaux (article L. 2123-24-1).
Pour les maires et les adjoints au maire, le taux, et donc l’indemnité, varient en fonction de l’importance démographique de la commune13.
Pour les conseillers municipaux, l’article L. 2123-24-1 du CGCT institue un système un peu différent qui repose sur la distinction entre les communes d’au moins 100 000 habitants et celles de moins de 100 000 habitants14 :
- dans les communes d’au moins 100 000 habitants, les conseils municipaux sont tenus de verser des indemnités pour l’exercice effectif des fonctions des conseillers municipaux, au maximum égales à 6 % du terme de référence ;
- dans les communes de moins de 100 000 habitants, les conseils municipaux ont la faculté de verser de telles indemnités, qui sont au maximum égales à 6 % du terme de référence, à condition que le montant total des indemnités maximales susceptibles d’être allouées au maire et aux adjoints ne soit pas dépassé.
L’article L. 2123-22 du CGCT prévoit par ailleurs la possibilité, pour les conseils municipaux de certaines communes, de voter des majorations d’indemnités de fonction. La loi, qui fixe la liste des circonstances autorisant le vote de telles majorations, permet ainsi la prise en considération, au-delà du seul critère démographique, de sujétions tenant, par exemple, à l’importance démographique de la commune, à son attractivité touristique ou à des difficultés propres à justifier que l’indemnité versée aux élus municipaux soit revalorisée.
2. – La modulation du montant des indemnités de fonction des membres du conseil municipal en fonction de leur assiduité
Comme indiqué plus haut, le versement des indemnités de fonction est en principe subordonné à « l’exercice effectif », par les membres du conseil municipal, de leurs fonctions. À cet égard, la loi n° 2015-366 du 31 mars 2015 visant à faciliter l’exercice, par les élus locaux, de leur mandat a institué une charte de l’élu local prévoyant, notamment, que « L’élu local participe avec assiduité aux réunions de l’organe délibérant et des instances au sein desquelles il a été désigné »15.
Dans le prolongement de ces dispositions, la loi n° 2019-1461 du 27 décembre 2019 relative à l’engagement dans la vie locale et à la proximité de l’action publique a inséré au sein du CGCT un nouvel article L. 2123-24-2 (les dispositions objet de la décision commentée) qui ouvre aux conseils municipaux des communes de 50 000 habitants et plus la faculté de prévoir, dans leur règlement intérieur, la modulation des indemnités de fonction versées à leurs membres « en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres ». La réduction susceptible d’en résulter ne peut cependant dépasser, pour chacun des membres, la moitié de l’indemnité pouvant lui être allouée.
Cette disposition, introduite au Sénat par voie d’amendement16, reprenait une préconisation d’un rapport d’information de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, formulée en ces termes : « Permettre aux plus grandes communes et aux plus grands établissements intercommunaux qui le souhaitent de moduler les indemnités de fonction des élus locaux selon leur participation à certaines réunions »17. Ce rapport précisait qu’« un tel dispositif n’a de sens que dans les grandes communes ou les grands établissements intercommunaux, par exemple ceux de plus de 100 000 habitants »18.
Selon l’exposé des motifs de cet amendement, adopté en commission, « La modulation des indemnités de fonction des élus du bloc communal selon leur participation à certaines réunions peut être utile pour répondre à une demande sociale en faveur de davantage de transparence et bâtir une relation de confiance entre les citoyens et leurs élus ». Il était en outre rappelé qu’il existait déjà un dispositif de modulation obligatoire des indemnités de fonction dans les conseils départementaux et régionaux19, ainsi que dans les communes de Paris, Lyon et Marseille20. Il était ainsi « proposé de permettre aux plus grandes communes (plus de 100 000 habitants) qui le souhaitent de moduler les indemnités de fonctions des élus locaux selon leur participation aux séances plénières du conseil ».
Au cours des débats en séance publique au Sénat, un amendement visant à étendre à toutes les communes la faculté de moduler le montant des indemnités de fonction des membres du conseil municipal avait été déposé, puis retiré après que le ministre chargé des collectivités territoriales, M. Sébastien Lecornu, eut indiqué : « je sollicite le retrait de votre amendement, tout simplement parce que les conseillers municipaux des communes de moins de 100 000 habitants ne perçoivent pas d’indemnité »21.
Devant l’Assemblée nationale, un amendement étendant cette faculté de modulation aux communes de 50 000 habitants et plus avait été adopté en commission22, avec l’avis favorable du ministre en charge des collectivités territoriales. Au cours des débats, M. Vincent Bru avait souligné que « Si le seuil était abaissé de 100 000 à 50 000 habitants, le dispositif concernerait 126 communes, au lieu de 42 avec la rédaction du Sénat. Ce serait un réel progrès »23. Le Gouvernement s’était en revanche opposé à un amendement de suppression des dispositions introduisant cette faculté de modulation, faisant valoir que, « Actuellement, cette pratique existe, mais elle est illégale. Si jamais quelqu’un avait eu l’idée de contester cette modulation devant le tribunal administratif, il aurait gagné. Nous venons donc donner une base légale à certaines pratiques, sans pour autant les rendre obligatoires. Il suffira de les intégrer au règlement intérieur… »24.
Reprenant la version ainsi modifiée par l’Assemblée nationale, le texte finalement adopté par la commission mixte paritaire permet aux conseils municipaux des communes d’au moins 50 000 habitants de prévoir, dans leur règlement intérieur, la modulation du montant des indemnités de fonction de leurs membres en fonction de leur assiduité.
B. – Origine de la QPC et question posée
Un conseiller municipal de la commune de La Madeleine avait saisi le tribunal administratif de Lille d’un recours pour excès de pouvoir contre la délibération du conseil municipal du 12 octobre 2020 adoptant un nouveau règlement intérieur. Il contestait en particulier l’article de ce règlement permettant de moduler le montant des indemnités de fonction des membres du conseil municipal en fonction de leur assiduité.
À l’occasion de ce recours, la commune de La Madeleine avait soulevé une QPC portant sur l’article L. 2123–24–2 du CGCT, que le tribunal administratif avait transmise au Conseil d’État par une ordonnance du 27 novembre 2023.
Dans sa décision du 5 mars 2024 précitée, le Conseil d’État avait jugé que « Le moyen tiré de ce que ces dispositions, en excluant les communes de moins de 50 000 habitants de la possibilité de moduler le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal alloue à ses membres en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres, introduisent une différence de traitement qui n’est pas en rapport direct avec l’objectif que s’est assigné le législateur et qu’elles portent ainsi atteinte au principe d’égalité devant la loi garanti par l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 soulève une question présentant un caractère sérieux ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.
II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
La commune requérante soutenait que, en excluant les communes de moins de 50 000 habitants de la possibilité de moduler le montant des indemnités de fonction allouées aux conseillers municipaux en fonction de leur assiduité, les dispositions de l’article L. 2123–24–2 du CGCT instituaient une différence de traitement entre les communes qui n’était justifiée ni par une différence de situation ni par un motif d’intérêt général et qui était, en outre, sans rapport avec l’objet de la loi. Selon elle, elles méconnaissaient ainsi le principe d’égalité devant la loi.
Au regard de ce grief, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur les mots « des communes de 50 000 habitants et plus » figurant à la première phrase de l’article L. 2123-24-2 du CGCT (paragr. 3).
A. – La jurisprudence constitutionnelle relative au principe d’égalité devant la loi
* Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d’égalité devant la loi « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »25.
Lorsqu’il constate que les dispositions contestées opèrent une différence de traitement, le Conseil vérifie non seulement si celle-ci est justifiée par une différence de situation ou un motif d’intérêt général, mais aussi si elle est en rapport avec l’objet de la loi. Cette seconde condition permet, en particulier, d’éviter que des situations objectivement différentes soient le prétexte à des différences de traitement incohérentes avec l’objet même des dispositions examinées par le Conseil constitutionnel.
* À l’aune de cette jurisprudence, le Conseil a déjà eu l’occasion d’apprécier des différences de traitement entre collectivités territoriales ou intercommunalités fondées sur un critère démographique.
– Dans la décision n° 95–369 DC du 28 décembre 1995, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions de la loi de finances pour 1996 fixant le montant de la dotation globale d’équipement des communes et en réservant le bénéfice aux communes et groupements de communes dont la population n’excède pas 20 000 habitants dans les départements de métropole et 35 000 habitants dans les départements d’outre-mer.
Les requérants faisaient valoir que ces dispositions méconnaissaient le principe d’égalité devant la loi en ce que, notamment, elles excluaient du bénéfice de la dotation des communes et des groupements de communes sur des bases exclusivement démographiques.
Après avoir relevé que « le législateur a entendu aménager la répartition de l’effort financier que représentent pour l’État les concours à l’équipement des collectivités locales, compte tenu de la diminution de son montant », le Conseil a jugé que « les distinctions démographiques retenues peuvent trouver une justification dans la nature et l’importance des opérations d’investissement susceptibles d’être engagées par les communes et groupement concernés ; que dès lors les dispositions contestées ne peuvent être regardées comme ayant méconnu le principe d’égalité »26.
– Dans sa décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, le Conseil était saisi d’un dispositif fiscal visant à imposer « aux communes dont la population est au moins égale à 1 500 habitants en Île-de-France et 3 500 habitants dans les autres régions qui sont comprises […] dans une agglomération de plus de 50 000 habitants comprenant au moins une commune de plus de 15 000 habitants » des objectifs en matière de construction de logements sociaux et des sanctions en cas de non-respect de ces objectifs. L’application de ces critères démographiques conduisait, par définition, à une différence de traitement entre les communes qui y étaient soumises et celles y échappant.
Le Conseil s’est assuré du rapport direct entre l’objet de la loi et les différences de situation sur lesquelles reposait cette différence de traitement : « Considérant qu’au regard de l’objet de l’article 55, qui est de favoriser un développement équilibré du logement social, et de la nature même de l’obligation instituée, le législateur a pu placer en dehors du champ d’application de cet article les communes non urbanisées, les communes isolées, ainsi que les petites communes ; / Considérant que la région Île-de-France est particulièrement urbanisée ; que cette différence de situation justifie que soient comprises dans le champ d’application de la loi les communes de cette région dont la population est au moins égale à 1 500 habitants, alors que le seuil retenu pour les autres régions est de 3 500 habitants »27. Il en a déduit que le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi devait être écarté.
– Dans le prolongement de cette décision, le Conseil avait été saisi, dans sa décision n° 2012–660 DC du 17 janvier 2013, de dispositions portant de 20 % à 25 % le taux de logements locatifs sociaux pour certaines communes et le maintenant à 20 % pour certaines autres communes.
Les requérants soutenaient notamment que le relèvement de la proportion de logements sociaux prévu par ces dispositions ne reposait pas sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l’objectif poursuivi par le législateur.
Le Conseil a d’abord relevé que, par l’article contesté, le législateur « a entendu conforter l’objectif de mixité sociale qu’il avait précédemment défini et accroître la production de logements locatifs sociaux dans les communes qui connaissent un déséquilibre important entre l’offre et la demande de logements ».
Puis il a rappelé qu’il ne disposait pas d’un « pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement » et « qu’il ne saurait rechercher si les objectifs que s’est assigné le législateur auraient pu être atteints par d’autres voies dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif visé ».
Il en a conclu « qu’en élevant le seuil de logements locatifs sociaux pour les communes appartenant à une agglomération ou un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre pour lesquels le parc de logements justifie un effort de production supplémentaire de logements locatifs sociaux et en instaurant un seuil de logements locatifs sociaux pour les communes de plus de 15 000 habitants n’appartenant ni à une agglomération ni à un établissement public de coopération intercommunal de plus de 50 000 habitants, le législateur a retenu des critères objectifs et rationnels en lien avec l’objectif poursuivi »28.
– Dans la décision n° 2013-668 DC du 16 mai 2013, le Conseil était saisi de dispositions organiques abaissant le seuil démographique à partir duquel un mandat de conseiller municipal est pris en compte pour l’application des règles relatives au cumul de mandats locaux avec un mandat parlementaire.
Après avoir constaté que « l’article 24 de la loi relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, adoptée par le Parlement le 17 avril 2013, étend à toutes les communes de 1 000 habitants et plus le mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du livre premier du code électoral, actuellement applicable aux communes de 3 500 habitants et plus », il a relevé « qu’il est loisible à la loi organique de ne faire figurer, dans le dispositif de limitation de cumul du mandat de parlementaire et de mandats électoraux locaux, le mandat de conseiller municipal qu’à partir d’un certain seuil de population, à condition que le seuil retenu ne soit pas arbitraire ». Il a jugé « que cette condition est remplie en l’espèce dès lors que le seuil de 1 000 habitants détermine, en vertu de la nouvelle rédaction de l’article L. 252 du code électoral, un changement de mode de scrutin pour l’élection des membres des conseils municipaux »29.
– Enfin, dans la décision n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions prévoyant la transformation automatique en métropole des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) à fiscalité propre formant un ensemble de plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine de plus de 650 000 habitants et permettant l’accès à ce statut à certains EPCI ne remplissant pas ces conditions.
Le Conseil a relevé « qu’il ressort des travaux parlementaires qu’en prévoyant une transformation automatique, au 1er janvier 2015, en métropoles des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre qui forment un ensemble de plus de 400 000 habitants dans une aire urbaine de plus de 650 000 habitants, le législateur a entendu garantir qu’un nombre significatif de communautés urbaines et de communautés d’agglomération deviennent des métropoles ; que, dans le même temps, en offrant une faculté d’accès à ce statut, sous réserve d’un accord à la majorité qualifiée des communes, pour des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre de plus de 400 000 habitants remplissant d’autres conditions précisément définies, le législateur a également entendu prendre en compte les particularités géographiques de quelques autres établissements de coopération intercommunale d’une taille significative et jouant un rôle particulier en matière d’équilibre du territoire ». Il en a déduit « que les différences de traitement dans les conditions d’accès au statut de métropole sont en lien direct avec les objectifs poursuivis par le législateur ; qu’il n’en résulte pas de rupture caractérisée de l’égalité devant la loi »30.
Il ressort de cet exposé jurisprudentiel que, si le Conseil constitutionnel laisse une large marge d’appréciation au législateur et admet l’existence de différences de traitement entre collectivités territoriales fondées sur un seuil de population, il s’assure cependant que ce seuil ne présente pas un caractère arbitraire et procède d’un critère objectif et rationnel en rapport avec l’objet de la loi.
* Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a déjà eu l’occasion de se prononcer sur des dispositions relatives au régime indemnitaire des conseillers municipaux.
Dans sa décision n° 2021-943 QPC du 21 octobre 2021, il était ainsi saisi du 5° de l’article L. 2123-22 du CGCT permettant aux conseils municipaux de certaines communes, et en particulier des communes attributaires de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale (DSUCS), de voter une majoration des indemnités de fonction versées à leurs membres.
La requérante reprochait à ces dispositions de réserver aux communes de métropole, seules éligibles à cette dotation, la possibilité de majorer les indemnités de fonction de leurs élus et de priver ainsi de cette possibilité les communes d’outre-mer. Il en résultait, selon elle, une différence de traitement injustifiée entre les élus des communes de métropole et d’outre-mer.
Après avoir constaté que les dispositions contestées instituaient bien une différence de traitement entre les élus des communes de métropole et ceux des communes d’outre-mer, le Conseil devait s’assurer que celle-ci était fondée sur une différence de situation ou un motif d’intérêt général, au sens de l’article 6 de la Déclaration de 1789, ou qu’elle visait – du fait de l’incidence des dispositions contestées sur la situation des communes ultramarines – à tenir compte des caractéristiques et contraintes particulières de ces territoires, au sens de l’article 73 de la Constitution.
À ce titre, il a d’abord relevé qu’« Il résulte des travaux parlementaires qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu permettre aux communes confrontées à des difficultés particulières de développement social de compenser, par une majoration de leurs indemnités de fonction, les contraintes et sujétions auxquelles sont soumis, de ce fait, leurs élus ». Or, il a jugé que, « au regard de cet objet, il n’y a pas de différence de situation entre les élus des communes de métropole et ceux des communes d’outre-mer, qui peuvent tous être soumis à des sujétions résultant de telles difficultés sociales ». Il en a déduit que « La différence de traitement contestée, qui n’est pas non plus justifiée par un motif d’intérêt général ou par des caractéristiques et contraintes particulières aux collectivités d’outre-mer, est donc contraire au principe d’égalité devant la loi ».
Il a donc déclaré ces dispositions contraires à la Constitution31.
B. – L’application à l’espèce
* Dans la décision commentée, après avoir rappelé les termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 et sa formulation de principe relative au principe d’égalité devant la loi (paragr. 4), le Conseil constitutionnel s’est d’abord attaché à décrire l’objet et la portée des dispositions contestées.
Il a ainsi relevé que, en application de l’article L. 2123-24-2 du CGCT, le montant des indemnités de fonction que le conseil municipal de certaines communes alloue à ses membres peut être modulé en fonction de leur participation effective aux séances plénières et aux réunions des commissions dont ils sont membres (paragr. 5).
Puis, il a constaté que les dispositions contestées réservaient cette possibilité de modulation aux communes de 50 000 habitants et plus (paragr. 6).
Il en a déduit que ces dispositions instituaient bien une différence de traitement entre ces communes et celles de moins de 50 000 habitants (même paragr.).
Il appartenait dès lors au Conseil constitutionnel d’apprécier si cette différence de traitement pouvait trouver une justification.
À cet égard, il a relevé que « Ces dispositions ont pour objet d’assurer l’assiduité des conseillers municipaux aux réunions de l’organe délibérant de la commune et des commissions dont ils sont membres » (paragr. 7)
Or, le Conseil a jugé que, « au regard de cet objet, il n’y a pas de différence de situation entre les communes de 50 000 habitants et plus et les autres communes ». En effet, quel que soit le nombre d’habitants d’une commune, les conseillers municipaux sont tous soumis à la même obligation de participation aux réunions des organes et commissions dont ils sont membres, comme le rappelle d’ailleurs la charte de l’élu local figurant à l’article L. 1111-1-1 du CGCT32 (paragr. 8).
Après avoir considéré que la différence de traitement critiquée n’était pas non plus justifiée par un motif d’intérêt général, le Conseil en a conclu qu’elle était contraire au principe d’égalité devant la loi (paragr. 9).
Il a donc déclaré les dispositions contestées contraires à la Constitution (paragr. 10).
* Ces dispositions étant en vigueur à la date de sa décision, le Conseil constitutionnel devait, pour finir, se prononcer sur la date de leur abrogation.
Après avoir rappelé sa formule de principe relative aux effets d’une déclaration d’inconstitutionnalité (paragr. 11), le Conseil a jugé que, en l’espèce, aucun motif ne justifiait de reporter dans le temps les effets de la censure. Celle-ci intervient donc à compter de la date de publication de la décision et est applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à cette même date (paragr. 12).
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1 Deuxième alinéa de l’article 1er de la loi du 21 mars 1831 sur l’organisation municipale.
2 Notamment par la loi du 5 avril 1884 sur l’organisation et les attributions des conseils municipaux (article 74). Le rapporteur de cette loi, Émile de Marcère, expliquait devant la Chambre des députés que « Ce serait défigurer la commune et dénaturer le caractère des fonctions municipales que de rétribuer, par un traitement, les services désintéressés des notables qui sollicitent et qui reçoivent l’honneur de donner une part de leur temps et de leur activité à la Cité » (cité par le rapport n° 391 fait par Roger Boileau, au nom de la commission des lois du Sénat, annexé au procès-verbal de séance du 1er juin 1978).
3 Cet article prévoit que : « Sans préjudice des dispositions du présent chapitre, les fonctions de maire, d’adjoint et de conseiller municipal sont gratuites ». Le Conseil d’État en déduit que le versement d’une somme à un élu municipal en raison de ses fonctions, qui déroge à ce principe, ne peut être opéré que sur le fondement d’une disposition législative expresse (CE, 21 juillet 2006, Commune de Boulogne-sur-Mer, n° 279504).
4 Article 74 de la loi du 5 avril 1884 précitée. Aujourd’hui, les dispositions relatives aux remboursements de frais figurent aux articles L. 2123-18 à L. 2123-19 du CGCT.
5 Loi n° 52-883 du 24 juillet 1952 portant détermination et codification des règles fixant les indemnités accordées aux titulaires de certaines fonctions municipales et départementales.
6 Compte rendu des débats de l’Assemblée nationale, séance du 2 juillet 1952, Journal officiel du jeudi 3 juillet 1953, p. 3433 et s.
7 Selon les mots de Guy Petit, secrétaire d’État à la présidence du conseil (compte-rendu précité).
8 Articles L. 123-4 et L. 123-5-1 du code des communes issus du décret n° 77-90 du 27 janvier 1977 portant révision du code de l’administration communale et codification des textes législatifs applicables aux communes.
9 Loi n° 96-142 du 21 février 1996 relative à la partie législative du code général des collectivités territoriales.
10 Cette exigence est posée par l’article L. 2123-23 du CGCT, pour les fonctions de maire, par l’article L. 2123-24 du même code, pour les fonctions d’adjoint, et par son article L. 2123-24-1, pour les fonctions de conseiller municipal.
11 Paragraphe I de l’article L. 2123-20-1 du CGCT. Le maire perçoit de plein droit et sans délibération l’indemnité fixée par application du taux plafond correspondant à la strate démographique à laquelle appartient la commune. Toutefois, à la demande du maire, le conseil municipal peut décider de fixer une indemnité de fonction inférieure au barème (deuxième alinéa de l’article L. 2123-23 du CGCT).
12 Paragraphe I de l’article L. 2123-20 du CGCT. Depuis le 1er janvier 2024, cet indice est de 1027 points, correspondant à l'indice majoré 835 (soit 4 110,52 € mensuels).
13 À titre d’illustration, pour la détermination du montant de l’indemnité de fonction de maire, l’article L. 2123–23 prévoit huit strates démographiques, allant des communes de moins de 500 habitants à celles de 100 000 habitants et plus. Le barème pour la détermination du plafond de l’indemnité de fonction versée au maire d’une commune de moins de 500 habitants est de 25,5 % du terme de référence ; il est fixé 145 % pour le maire d’une commune de 100 000 habitants et plus.
14 Ce seuil résulte de la loi n° 92-108 du 3 février 1992 relative aux conditions d’exercice des mandats locaux. Auparavant, l’article L. 123-6 du code des communes fixait ce seuil à 400 000 habitants.
15 Cette charte, qui énonce les principes déontologiques qui s’imposent aux élus locaux dans l’exercice de leur mandat, figure à l’article L. 1111-1-1 du CGCT.
16 Amendement n° COM-59, déposé par M. Jean-Pierre Grand, le 16 septembre 2019 et sous-amendement n° COM-643, déposé par M. Mathieu Darnaud et Mme Françoise Gatel, rapporteurs, le 1er octobre 2019.
17 Rapport d’information n° 642 (2017-2018) de Josiane Costes, Bernard Delcros et Charles Guené, au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation du Sénat, tome 2, « Faciliter l’exercice des mandats locaux : le régime indemnitaire », p. 42.
18 Ibidem.
19 Articles L. 3123-16 et L. 4135-16 du CGCT. La loi n° 2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité avait d’abord ouvert aux conseils départementaux et régionaux une simple faculté de réduire les indemnités de fonction de leurs membres en fonction de leur participation aux séances plénières, aux réunions des commissions dont ils sont membres et aux réunions des organismes dans lesquels ils représentent la collectivité. La loi du 31 mars 2015 précitée a transformé cette faculté en obligation, tout en prévoyant que cette modulation du montant de l’indemnité ne peut intervenir qu’« en fonction de leur participation effective aux séances plénières, aux réunions des commissions dont ils sont membres », ce afin de « tirer les conséquences de la multiplication des organismes auxquels les collectivités sont parties dans le cadre de la mise en œuvre de politiques publiques les associant à l’État » (Rapport n° 1544 de M. Philippe Doucet, fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 13 novembre 2013).
20 Loi n° 2017-257 du 28 février 2017 relative au statut de Paris et à l’aménagement métropolitain.
21 Sénat, compte-rendu des débats, séance du 17 octobre 2019. On relèvera toutefois que, comme exposé ci-dessus – et contrairement à ce que semble affirmer le ministre par cette formule un peu rapide – si les conseillers municipaux des communes de moins de 100 000 habitants ne perçoivent pas, de droit, d’indemnité, les conseils municipaux de ces communes conservent bien la faculté de leur verser de telles indemnités, sous certaines conditions (tenant au respect de l’« enveloppe indemnitaire globale », cf. le paragraphe II de l’article L. 2123-24–1 du CGCT).
22 Amendement n° CL1067 de M. Sacha Houlié et autres, déposé le 2 novembre 2019.
23 Rapport n° 2041, tome II, de M. Bruno Questel, fait au nom de commission des lois de l’Assemblée nationale, déposé le 7 novembre 2019, p. 289.
24 Ibidem.
25 Voir, par exemple, récemment, décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024, Mme Léopoldina P. (Droit à congé payé d’un salarié en arrêt maladie), paragr. 14.
26 Décision n° 95–369 DC du 28 décembre 1995, Loi de finances pour 1996, cons. 21.
27 Décision n° 2000-436 DC du 7 décembre 2000, Loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, cons. 41 et 42.
28 Décision n° 2012–660 DC du 17 janvier 2013, Loi relative à la mobilisation du foncier public en faveur du logement et au renforcement des obligations de production de logement social, cons. 17.
29 Décision n° 2013–668 DC du 16 mai 2013, Loi organique relative à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux, cons. 3. Voir, déjà en ce sens, les décisions nos 2000–427 DC du 30 mars 2000, Loi organique relative aux incompatibilités entre mandats locaux, cons. 1, et 2000–429 DC du 30 mai 2000, Loi tendant à favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives, cons. 20 et 21.
30 Décision n° 2013–687 DC du 23 janvier 2014, Loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, cons. 76 à 79.
31 Décision n° 2021-943 QPC du 21 octobre 2021, Commune du Port (Exclusion des communes d’outre-mer de la faculté de majorer les indemnités de fonction des élus municipaux des communes attributaires de la dotation de solidarité urbaine et de cohésion sociale), paragr. 5 à 8.
32 Le 6 de la charte énonce en particulier que « L'élu local participe avec assiduité aux réunions de l'organe délibérant et des instances au sein desquelles il a été désigné ».