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Commentaire de la décision 2024-1091/1092/1093 QPC

01/08/2024

Non conformité totale

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 1er mars 2024 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêts n° 272, 274 et 275 du 29 février 2024) de trois questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) posées par M. Diabe S. et autres portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article 3 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2016-274 du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers en France.

 

Dans sa décision n° 2024-1091/1092/1093 QPC du 28 mai 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots « et régulièrement » figurant au deuxième alinéa de cet article, dans cette rédaction.

 

I. – Les dispositions renvoyées

 

A. – Objet des dispositions renvoyées

 

* L’aide juridictionnelle constitue une garantie essentielle de l’accès de tous à la justice, qui permet de dispenser totalement ou partiellement les personnes ne disposant pas des ressources nécessaires pour faire valoir leurs droits devant un tribunal d’avoir à supporter les frais qu’une procédure juridictionnelle occasionne.

 

Cette institution très ancienne a d’abord reposé sur un principe moral de charité et a été laissée longtemps à la seule initiative privée1, spontanément assumée par les avocats2. Elle n’a été organisée par les pouvoirs publics qu’avec la loi du 22 janvier 1851 sur l’assistance judiciaire, qui reconnaissait aux indigents un droit d’accès gratuit à la justice.

 

Par la suite, une prise en charge par l’État de tout ou partie des frais afférents aux instances a été prévue avec la loi n° 72-11 du 3 janvier 1972 instituant l’aide judiciaire, qui a subordonné l’attribution de cette aide financière à des conditions de ressources inférieures à un certain montant.

 

C’est toutefois la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique qui constitue le texte de référence applicable en la matière. L’aide accordée par l’Etat – qualifiée alors d’aide « juridique » – garantie non seulement l’aide juridictionnelle elle–même, mais également une aide à l’accès au droit et à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles3.

 

* Cette aide est financée par le programme budgétaire 101 « accès au droit et à la justice », dont le budget, pour le volet juridictionnel, s’est élevé pour l’année 2022 à un montant de 641 millions d’euros4. Si le nombre d’admissions à l’aide juridictionnelle a triplé depuis 19915, selon la Cour des comptes, « la relative stabilité du nombre d’admissions sur la période (récente) montre que l’augmentation du coût de l’[aide juridictionnelle] résulte avant tout de celle de la rétribution moyenne des avocats par dossier »6.

 

1. – Les conditions générales d’admission à l’aide juridictionnelle

 

Le bénéfice de l’aide juridictionnelle est accordé par les bureaux d’aide juridictionnelles (« BAJ ») en fonction de deux séries principales de conditions7 tenant, d’une part, à l’action envisagée et, d’autre part, à la qualité du demandeur et à ses ressources.

 

* S’agissant, en premier lieu, de l’action envisagée, la loi du 10 juillet 1991 a généralisé le domaine d’application de l’aide juridictionnelle8. En vertu du premier alinéa de son article 10, cette aide « est accordée en matière gracieuse ou contentieuse, en demande ou en défense devant toute juridiction […] »9.

 

Le champ d’application de l’aide juridictionnelle dépasse en outre le strict cadre du procès dès lors qu’elle peut également être demandée pour une procédure de divorce à l’amiable ou pour certaines procédures pré-juridictionnelles et qu’elle s’applique de plein droit aux procédures, actes ou mesures d’exécution des décisions de justice obtenues avec son bénéfice10.

 

Elle est attribuée en outre au justiciable qui en satisfait les conditions quelle que soit sa position dans le procès. Elle peut ainsi être demandée tant par l’auteur du recours que par la partie en défense, quelle que soit la nature du litige, même dans le cas où une représentation des parties par un avocat n’est pas obligatoire.

 

L’octroi de l’aide est néanmoins subordonné à une appréciation par le BAJ11 des chances de succès de l’action pour laquelle elle est sollicitée.

 

Selon l’article 7 de la loi du 10 juillet 1991, elle « est accordée à la personne dont l’action n’apparaît pas, manifestement, irrecevable, dénuée de fondement ou abusive en raison notamment du nombre des demandes, de leur caractère répétitif ou systématique »12. La même disposition précise également que, dans l’hypothèse d’un recours en cassation, la demande d’aide juridictionnelle est refusée au demandeur si aucun moyen de cassation sérieux ne peut être relevé.

 

Cette condition ne s’applique toutefois pas au défendeur à l’action, à la personne civilement responsable, au témoin assisté, à la personne mise en examen, au prévenu, à l’accusé, au condamné et à la personne faisant l’objet d’une procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité pour le jugement de certains délits.

 

* S’agissant, en second lieu, du demandeur de l’aide juridictionnelle, l’article 2 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit qu’en principe, seules les personnes physiques peuvent bénéficier d’une aide juridictionnelle13.

 

L’article 3 de la loi subordonne néanmoins l’octroi de l’aide juridictionnelle à une condition tenant à la nationalité du demandeur.

 

Son premier alinéa prévoit que sont admises au bénéfice de l’aide juridictionnelle « les personnes physiques de nationalité française et les ressortissants des États membres de la Communauté européenne »14. Introduite par voie d’amendement15 lors de l’adoption de la loi du 10 juillet 1991, cette règle d’assimilation des ressortissants communautaires à des nationaux français avait pour objet de respecter les exigences de l’article 7 du Traité de Rome de 1957 qui, dans le champ d’application du droit communautaire, interdisait toute discrimination entre les ressortissants des États membres à raison de la nationalité.

 

En revanche, pour les autres ressortissants étrangers, la loi exige des conditions particulières de résidence en France (voir infra I. A. 2.).

 

Enfin, au regard de l’objet même de cette aide financière, les ressources du demandeur ne doivent pas dépasser un certain plafond16. Selon le niveau de ses ressources, l’aide octroyée est totale ou partielle17.

 

L’article 4 de la loi du 10 juillet 1991 renvoie à un décret en Conseil d’État la fixation des plafonds annuels d’éligibilité des personnes physiques. Son paragraphe II précise que le caractère suffisant des ressources est apprécié en tenant compte du revenu fiscal de référence, de la valeur en capital du patrimoine mobilier ou immobilier, même non productif de revenus, et de la composition du foyer fiscal18.

 

Pour autant, l’article 6 de cette même loi précise que l’aide juridictionnelle peut être accordée, à titre exceptionnel, aux personnes ne remplissant pas les conditions de ressources précitées, notamment, « lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès ».

 

Cette possibilité pour les BAJ d’apprécier si l’aide juridictionnelle peut être attribuée dans certains cas exceptionnels est issue de la loi du 3 janvier 1972 précitée.

 

À l’époque, l’un des principaux objectifs poursuivis par le législateur était de réduire le pouvoir discrétionnaire dont disposaient alors les bureaux d’assistance en encadrant les conditions d’appréciation des ressources des demandeurs par des règles tenant, notamment, à la nature des ressources à prendre en compte et à des plafonds fixés au niveau national. Afin néanmoins d’atténuer « l’automaticité [de ces nouveaux] critères généraux des ressources »19, il a été décidé, par cette disposition, d’apporter ce tempérament pour permettre des dérogations exceptionnelles20.

 

2. – Les conditions particulières d’admission à l’aide juridictionnelle lorsque le demandeur est de nationalité étrangère

 

a. – La condition de résidence habituelle et régulière en France

 

Ainsi qu’il a été dit précédemment, à l’instar des personnes de nationalité française, les ressortissants des États de l’Union européenne sont admis de plein droit au bénéfice de l’aide juridictionnelle21.

 

En revanche, les autres ressortissants étrangers ne peuvent y être admis que si, en vertu du deuxième alinéa de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 (les dispositions objet de la décision commentée), ils résident « habituellement et régulièrement en France ».

 

* Si l’article 1er de la loi du 3 janvier 1972 subordonnait déjà le bénéfice de l’aide juridictionnelle pour les ressortissants étrangers à leur résidence habituelle en France, la condition supplémentaire d’une résidence régulière a été ajoutée lors de l’adoption de la loi du 10 juillet 1991.

 

Dans son projet de loi initial22 qui maintenait l’exigence générale d’une résidence habituelle pour les étrangers, le Gouvernement proposait d’écarter cette condition pour le cas particulier des étrangers non-résidents appelés à se défendre en justice sur la contestation de leur droit de séjour en France23.

 

Toutefois, à l’Assemblée nationale comme au Sénat, des amendements ont été déposés afin de restreindre le champ des bénéficiaires de nationalité étrangère qui avaient jusque-là accès à l’aide juridictionnelle, en exigeant de leur part qu’ils résident en France non seulement de façon habituelle, mais également dans des conditions régulières.

 

Lors de l’examen du projet de loi devant l’Assemblée nationale, un amendement en ce sens avait notamment été défendu par M. Jacques Toubon24. Tout en se prononçant en faveur de l’exclusion de la condition de résidence pour les contentieux relatifs à l’entrée et au séjour des étrangers, il soutenait que, « pour tenir compte de l’immigration clandestine en France aujourd’hui – elle n’était pas la même en 1972, ni en 1980 lorsque la convention de La Haye a été adoptée – nous proposons pour tous les autres cas le dispositif qui fait l’objet de l’amendement n° 76 rectifié »25.

 

Le rapporteur du texte à l’Assemblée nationale, comme le Gouvernement, s’étaient opposés à l’adoption d’une telle mesure. En ce sens, le garde des sceaux, Henri Nallet, faisait valoir notamment qu’elle soulevait « des difficultés majeures tant à l’égard des engagements internationaux dans et hors la Communauté économique européenne qu’au regard de l’évolution actuelle du concept d’accès à la justice dans les pays développés, notamment européens ». Il invoquait, à la suite du rapporteur, les stipulations de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que la Convention de La Haye, deux textes s’opposant, selon lui, à l’instauration de cette condition de régularité du séjour.

 

Pour justifier l’avis défavorable du Gouvernement, le garde des sceaux faisait en outre valoir : « Comment pourrions-nous d’ailleurs, en dehors de l’aspect purement juridique, écarter du droit à une meilleure défense l’étranger – je pense en particulier à l’étranger travailleur – à qui notre législation reconnaît, même s’il est en situation irrégulière, les mêmes droits au salaire qu’aux autres travailleurs ? »26.

 

Si l’Assemblée nationale avait ainsi rejeté ce premier amendement, un amendement similaire avait ensuite été adopté par le Sénat, sur proposition de son rapporteur.

 

Lors des débats devant le Sénat, le garde des sceaux avait de nouveau fait part de l’avis défavorable du Gouvernement en affirmant qu’une telle mesure était plus restrictive que le droit international et en rappelant le caractère fondamental du droit d’accéder à la justice : « dans certains cas, l’octroi de l’aide est la seule manière de permettre à une personne dépourvue de ressources de saisir le juge habilité à reconnaître et à proclamer ses droits »27. Il soulignait en outre qu’« On ne cherche pas à venir en France parce que l’accès à la justice y est assuré pour les plus pauvres ! Cet accès n’est pas un facteur d’appel à l’immigration ! ».

 

À l’issue de la commission mixte paritaire, la double condition d’une résidence habituelle et régulière en France avait finalement été retenue pour les étrangers non ressortissants d’un État membre de l’Union européenne.

 

b. – Les exceptions à l’exigence d’une résidence régulière

 

* L’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 énumère les hypothèses dans lesquelles l’aide juridictionnelle peut être accordée sans qu’il soit nécessaire, pour l’étranger qui la demande, de remplir la condition de résidence prévue par la loi. Une partie de ces exceptions figuraient déjà dans la loi du 3 janvier 1972 sur l’aide judiciaire. Leur champ d’application a été étendu à l’occasion de la réforme de 1991.

 

Ainsi, en vertu du quatrième alinéa de cet article, la double condition d’une résidence habituelle et régulière en France n’est pas exigée des étrangers lorsqu’ils sont mineurs ou lorsqu’ils sont concernés par une procédure pénale (témoins assistés, mis en examen, prévenus, accusés, condamnés ou parties civiles, de même que les personnes jugées selon la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), ou bénéficient d’une ordonnance de protection dans le cadre de violences conjugales.

 

En vertu des mêmes dispositions, cette condition ne s’applique pas non plus aux personnes faisant l’objet de l’une des procédures prévues par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA) auxquelles il est renvoyé28. L’aide juridictionnelle peut ainsi être accordée à un étranger, sans condition de résidence, lorsqu’il fait l’objet d’un maintien en zone d’attente décidé par le juge des libertés et de la détention, d’un refus de délivrance d’un titre de séjour, d’une obligation de quitter le territoire français, d’une interdiction de retour ou de circulation sur le territoire français, d’un arrêté de reconduite à la frontière, d’une décision d’expulsion, d’un placement et d’une prolongation d’une rétention, ou lorsqu’il est fait appel des décisions imposant de quitter le territoire ou interdisant le retour sur le territoire français29.

 

Le dernier alinéa de l’article 3 prévoit que, devant la Cour nationale du droit d’asile, le bénéfice de l’aide juridictionnelle est seulement subordonné à une condition de résidence habituelle en France.

 

* Par ailleurs, s’inspirant directement des dispositions de l’article 6 permettant l’octroi à titre exceptionnel de l’aide juridictionnelle aux personnes ne remplissant pas les conditions de ressources, le troisième alinéa de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 prévoit qu’elle peut être accordée aux ressortissants étrangers ne remplissant pas la condition de résidence « lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès ».

 

Ce faisant, à l’instar de la condition tenant aux ressources du demandeur, le législateur a entendu laisser une marge d’appréciation aux BAJ.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

MM. Diabe S., Cheickna F. et Bakary B., de nationalité malienne, avaient été salariés au cours des années 2021 et 2022 de la société Mistertemp Gestion Industrie, qui exerce une activité d’agence de travail temporaire, et avaient été détachés au cours de cette même période en qualité d’équipiers de collecte auprès de la société Propolys, entreprise spécialisée dans la collecte des déchets non dangereux. 

 

Ces salariés avaient saisi le conseil de prud’hommes de Paris afin d’obtenir la requalification de leurs contrats de travail temporaires en contrats à durée indéterminée.

 

Dans ce cadre, ils avaient présenté des demandes d’aide juridictionnelle auprès des BAJ compétents qui avaient toutefois constaté la caducité de leurs demandes au terme du délai légal pour les compléter, faute pour les intéressés d’avoir justifié satisfaire les conditions exigées pour bénéficier de l’aide juridictionnelle et notamment d’avoir produit, ainsi qu’il leur avait été demandé, un titre de séjour en cours de validité.

 

À l’occasion de ces litiges devant le conseil des prud’hommes, ces requérants avaient chacun soulevé une QPC portant sur les dispositions du deuxième alinéa de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991, auxquelles ils reprochaient d’exclure, par principe, les salariés étrangers en situation irrégulière du bénéfice de l’aide juridictionnelle.

 

Par trois jugements du 13 novembre 2023, le conseil des prud’hommes avait transmis ces QPC à la Cour de cassation.

 

Aux termes des trois arrêts du 29 février 2024 précités30, la Cour de cassation avait d’abord constaté qu’il résulte des dispositions critiquées que, « hors les cas prévus aux alinéas 4 et 5 de cet article, les étrangers en situation irrégulière sont exclus du bénéfice de l’aide juridictionnelle, quand bien même ces derniers ne disposeraient pas des ressources suffisantes pour faire valoir leurs droits de caractère civil, en particulier dans une instance prud’homale introduite sur le fondement des dispositions [de l’article L. 8252-1] du code du travail ». Elle avait ensuite relevé que ces dispositions « font l’objet d’une dérogation prévue au troisième alinéa du même article qui prévoit que l’aide juridictionnelle peut être accordée, à titre exceptionnel, à un étranger en situation irrégulière lorsque sa situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès. Toutefois, ces dispositions pourraient être regardées comme vagues et imprécises ».

 

La Cour de cassation en avait déduit que « la question présente un caractère sérieux en raison de la différence de traitement instituée, par les dispositions critiquées, selon que l’étranger réside ou non de manière régulière en France au regard du principe d’égalité devant la loi et du droit à un procès équitable », et l’avait donc renvoyée au Conseil constitutionnel par trois arrêts comportant une motivation identique.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a décidé de joindre les trois QPC pour y statuer par une seule décision (paragr. 1).

 

Les requérants, rejoints par les parties aux instances à l’occasion desquelles les questions prioritaires de constitutionnalité avaient été posées et par les parties intervenantes, reprochaient à ces dispositions de subordonner pour les étrangers le bénéfice de l’aide juridictionnelle à la régularité de leur séjour en France. Selon eux, en excluant par principe les étrangers en situation irrégulière du bénéfice de cette aide, elles instituaient une différence de traitement injustifiée, en méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

 

Ils soutenaient également que, en n’assurant pas aux étrangers en situation irrégulière des garanties égales à celles dont bénéficient les autres justiciables pour agir en justice, alors que la loi leur reconnaît des droits, en particulier lorsqu’ils sont salariés, ces dispositions méconnaissaient le principe d’égalité devant la justice.

 

Enfin, ils considéraient que ces dispositions faisaient en particulier obstacle à ce que les étrangers en situation irrégulière puissent être représentés dans les contentieux pour lesquels le ministère d’avocat est obligatoire ou être assistés par un avocat lorsqu’ils sont attraits en justice. Il en résultait, selon eux, une méconnaissance du droit à un recours juridictionnel effectif, des droits de la défense ainsi que du droit à un procès équitable.

 

* Dans la mesure où ces griefs mettaient seulement en cause la condition tenant à la régularité du séjour, à laquelle est subordonné le bénéfice de l’aide juridictionnelle pour une personne étrangère, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait sur les mots « et régulièrement » figurant au deuxième alinéa de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 (paragr. 6).

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle

 

1. – La jurisprudence constitutionnelle relative au principe d’égalité devant la justice

 

* Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi […] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d’égalité devant la loi « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »31.

 

Toutefois, en matière de justice, l’exigence d’égalité est renforcée. Le Conseil constitutionnel se fonde en effet à la fois sur les articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789, pour juger que, « Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales »32.

 

Le principe d’égalité devant la justice implique donc non seulement la prohibition de distinctions injustifiées, à l’instar du principe d’égalité devant la loi, mais également l’obligation d’assurer, en cas de distinctions justifiées, des garanties égales aux justiciables.

 

Au regard de ce principe, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a notamment pour objet de veiller au respect du droit des justiciables placés dans une situation identique à être jugés devant les mêmes formations de jugement, ou selon des garanties de procédure égales, et à ne pas voir celles-ci varier en fonction de critères qui ne seraient pas objectifs et rationnels33

 

À ce titre, le Conseil s’assure non seulement qu’une différence de traitement, qu’elle soit d’ordre juridictionnel34 ou procédural35, est justifiée par une différence de situation36, mais en outre qu’elle ne prive pas le justiciable d’une garantie reconnue à d’autres.

 

* Ainsi, même lorsque la différence de traitement instituée par la loi ne procède pas d’une distinction injustifiée, le Conseil s’assure que le législateur a bien assuré aux justiciables des garanties égales ou, à tout le moins, équivalentes.

 

- En ce sens, dans sa décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2023, le Conseil constitutionnel était saisi de la conformité à la Constitution de l’article L. 131-7 du CESEDA prévoyant que les décisions de la CNDA étaient désormais rendues par le président de la formation de jugement statuant seul, sauf si le président de la Cour ou le président de la formation de jugement décide qu’une affaire nécessite un examen devant une formation collégiale. Aux termes de cette décision, le Conseil a relevé que, « D’une part, le fait que la Cour nationale du droit d’asile statue à juge unique ne porte pas, par lui-même, atteinte aux droits de la défense » et que « D’autre part, le président de la Cour nationale du droit d’asile ou le président de la formation de jugement peut décider de sa propre initiative ou à la demande du requérant, de renvoyer l’examen d’une affaire à une formation collégiale à tout moment de la procédure, s’il estime que celle-ci pose une question qui le justifie ».

 

S’étant ainsi assuré que l’ensemble des justiciables bénéficiaient de garanties équivalentes, il en a déduit qu’« En laissant au président de la Cour nationale du droit d’asile ou au président de la formation de jugement le soin d’apprécier si une affaire requiert un examen devant une formation collégiale, le législateur n’a pas instauré de discrimination injustifiée entre les demandeurs d’asile auxquels sont assurées des garanties égales »37.

 

- De même, dans sa décision n° 2023-1069/1070 QPC du 24 novembre 2023, saisi des articles 359 et 362 du code de procédure pénale (CPP) fixant les règles de vote au sein de la cour criminelle départementale, pour juger que ces dispositions ne méconnaissaient pas le principe d’égalité devant la justice, le Conseil constitutionnel a constaté, d’une part, que le législateur n’avait pas instauré de discriminations injustifiées entre les accusés selon qu’ils étaient jugés devant une cour criminelle départementale ou devant une cour d’assises et, d’autre part, que des garanties équivalentes étaient assurées à ces derniers. Il a relevé à cet égard que, « à l’exception de celles mettant en jeu la présence du jury, les règles de procédure applicables devant la cour criminelle départementale sont identiques à celles applicables devant la cour d’assises. En outre, la cour criminelle départementale présente, par sa composition, les mêmes garanties d’indépendance et d’impartialité »38

 

* À l’inverse, lorsque le Conseil constitutionnel est saisi de dispositions instituant une différence de traitement entre certains justiciables et qu’il constate que la loi n’a pas prévu dans leur cas de garanties équivalentes, il en conclut que le principe d’égalité devant la justice n’est pas respecté.

 

- Ainsi, dans sa décision n° 2011-112 QPC du 1er avril 2011, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions du CPP réservant à la seule partie civile la possibilité d’obtenir, devant la Cour de cassation, le remboursement des frais exposés à l’occasion d’un pourvoi. Il a d’abord relevé « qu’aucune exigence constitutionnelle n’impose qu’une partie au procès puisse obtenir du perdant le remboursement des frais qu’elle a exposés en vue de l’instance ; que, toutefois, la faculté d’un tel remboursement affecte l’exercice du droit d’agir en justice ».

 

Après avoir constaté que ces dispositions avaient pour effet de priver, en toute circonstance, la personne dont la relaxe ou l’acquittement a acquis un caractère définitif de la faculté d’obtenir de la partie civile le remboursement de tels frais, il en a déduit qu’elles portaient atteinte à l’équilibre entre les parties au procès pénal dans l’accès de la voie du recours en cassation et les a donc déclarées contraires à la Constitution39.

 

- De même, dans sa décision n° 2016-566 QPC du 16 septembre 2016, le Conseil a censuré des dispositions du CPP ayant pour effet de priver les parties non assistées par un avocat de la possibilité d’avoir connaissance des réquisitions du ministère public devant la chambre de l’instruction. Pour les juger contraires au principe d’égalité devant la justice, après avoir rappelé qu’était reconnue aux parties la liberté d’être assistées par un avocat ou de se défendre seules, le Conseil s’est notamment fondé sur la circonstance que « le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense exige que toutes les parties à une instance devant la chambre de l’instruction puissent avoir connaissance des réquisitions du ministère public jointes au dossier de la procédure »40.

 

2. – La jurisprudence constitutionnelle relative aux droits des étrangers

 

Dans sa décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de préciser le cadre constitutionnel applicable aux étrangers en se prononçant en particulier sur les conditions dans lesquelles le législateur peut décider de les soumettre à des règles spécifiques.

 

Il a jugé en effet « qu’aucun principe non plus qu’aucune règle de valeur constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national ; que les conditions de leur entrée et de leur séjour peuvent être restreintes par des mesures de police administrative conférant à l’autorité publique des pouvoirs étendus et reposant sur des règles spécifiques ; que le législateur peut ainsi mettre en œuvre les objectifs d’intérêt général qu’il s’assigne ; que dans ce cadre juridique, les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux ; […] »41.

 

Toutefois, il a précisé aussi que « si le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques, il lui appartient de respecter les libertés et droits fondamentaux de valeur constitutionnelle reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République ; que s’ils doivent être conciliés avec la sauvegarde de l’ordre public qui constitue un objectif de valeur constitutionnelle, figurent parmi ces droits et libertés, la liberté individuelle et la sûreté, notamment la liberté d’aller et venir, la liberté du mariage, le droit de mener une vie familiale normale ».

 

Le Conseil a jugé qu’« en outre les étrangers jouissent des droits à la protection sociale, dès lors qu’ils résident de manière stable et régulière sur le territoire français ; qu’ils doivent bénéficier de l’exercice de recours assurant la garantie de ces droits et libertés »42.

 

À l’aune de ces exigences, le Conseil admet, en particulier, que le législateur puisse prévoir des distinctions entre étrangers, selon la situation dans laquelle ils se trouvent, pour déterminer les règles qui leur sont applicables.

 

Il a par exemple jugé, dans sa décision n° 93-325 DC précitée, que le principe d’égalité devant la loi n’était pas méconnu par des dispositions modifiant les conditions dans lesquelles est délivrée de plein droit une carte de résident, dès lors que « pour l’obtention des droits que comporte la carte de résident, les étrangers qui ont séjourné préalablement sur le territoire français dans le seul but d’y effectuer des études, lesquelles se seraient prolongées pendant dix années au moins, sont placés dans une situation différente de celle des autres étrangers au regard des raisons justifiant le séjour qu’a entendu prendre en compte le législateur »43.

 

Le Conseil a également jugé que, pour l’attribution d’avantages sociaux, les « étrangers qui résident et travaillent régulièrement sur le territoire français et ceux qui ne satisfont pas aux mêmes conditions de régularité ne sont pas dans la même situation »44.

 

B. – L’application à l’espèce

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel était invité à examiner des dispositions qui, sauf dans des cas limitativement énumérés, excluaient les étrangers en situation irrégulière du bénéfice de l’aide juridictionnelle. Eu égard à cet objet, il a procédé à leur contrôle en se plaçant sur le terrain de l’égalité devant la justice dont se prévalaient principalement les requérants.

 

Après avoir rappelé les termes des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789, le Conseil a énoncé sa formulation de principe sur les exigences découlant du principe d’égalité devant la justice dans les termes suivants : « Si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales, notamment quant au respect du droit d’agir en justice et des droits de la défense » (paragr. 7). Ce faisant, il a rappelé que les justiciables doivent bénéficier de garanties égales tant au regard des droits de la défense45 que du droit d’agir en justice, ce dernier droit étant pour la première fois mentionné au titre des garanties participant de l’égalité devant la justice.

 

Le Conseil a ensuite relevé que, en application de l’article 2 de la loi du 10 juillet 1991, l’aide juridictionnelle bénéficie aux personnes physiques dont les ressources sont insuffisantes pour faire valoir leurs droits en justice (paragr. 8).

 

Puis il a constaté que son article 3 réserve l’octroi de cette aide aux personnes de nationalité française ainsi qu’aux ressortissants des États membres de l’Union européenne (paragr. 9) et que, en vertu des dispositions contestées de ce même article, « sauf dans certains cas, les autres personnes de nationalité étrangère résidant habituellement en France ne peuvent être admises au bénéfice de l’aide juridictionnelle que si, en outre, elles y résident régulièrement » (paragr. 10).

 

Le Conseil en a déduit que ces dispositions instauraient, quant à l’accès à l’aide juridictionnelle, « une différence de traitement entre les étrangers selon qu’ils se trouvent ou non en situation régulière en France » (paragr. 11).

 

Il lui appartenait dès lors de vérifier, d’une part, si cette différence de traitement ne procédait pas d’une distinction injustifiée et, d’autre part, si des garanties égales étaient assurées aux justiciables.

 

Dans le prolongement de sa décision précitée n° 93-325 DC du 13 août 1993, le Conseil a tout d’abord rappelé que « Si le législateur peut prendre des dispositions spécifiques à l’égard des étrangers, en tenant compte notamment de la régularité de leur séjour, c’est à la condition de respecter les droits et libertés garantis par la Constitution reconnus à tous ceux qui résident sur le territoire de la République et, en particulier, pour se conformer au principe d’égalité devant la justice, d’assurer des garanties égales à tous les justiciables » (paragr. 12).

 

Puis, il a constaté que l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 permettait, dans certains cas limitativement énumérés, aux étrangers en situation irrégulière de bénéficier de l’aide juridictionnelle. Il a ainsi relevé qu’« Il résulte des trois derniers alinéas de [cet] article 3 que les étrangers ne résidant pas régulièrement en France peuvent bénéficier, par dérogation, de l’aide juridictionnelle lorsqu’ils sont mineurs, qu’ils sont mis en cause ou parties civiles dans une procédure pénale, ou font l’objet de certaines mesures prévues par l’article 515-9 du code civil ou par le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, ainsi que, à titre exceptionnel, lorsque leur situation apparaît particulièrement digne d’intérêt au regard de l’objet du litige ou des charges prévisibles du procès » (paragr. 13).

 

Toutefois, il a estimé que ces dérogations n’étaient pas suffisantes pour assurer aux étrangers en situation irrégulière des garanties égales à celles dont bénéficient les autres justiciables pour défendre devant un juge les droits qui leur sont reconnus par la loi.

 

Il a jugé en ce sens que, « en privant dans tous les autres cas les étrangers ne résidant pas régulièrement en France du bénéfice de l’aide juridictionnelle pour faire valoir en justice les droits que la loi leur reconnaît, les dispositions contestées n’assurent pas à ces derniers des garanties égales à celles dont disposent les autres justiciables » (paragr. 14).

 

Sans dénier au législateur la possibilité de prévoir des dispositions spécifiques aux étrangers pour le bénéfice de l’aide juridictionnelle, le Conseil a ainsi considéré qu’il ne pouvait, en revanche, prévoir pour ces derniers une protection variable en fonction notamment du type de contentieux, eu égard à la nécessité dans laquelle tout justiciable étranger peut se trouver de faire valoir ses droits en justice. Il en va ainsi notamment en droit du travail, comme l’illustraient les affaires à l’origine des QPC ayant donné lieu à la décision commentée, le salarié étranger employé irrégulièrement étant assimilé à un salarié régulièrement engagé pour le bénéfice de certains droits46. Or, dans ce cas, quand bien même lui seraient reconnus les mêmes droits qu’à tout autre salarié, ce salarié étranger ne dispose pas des mêmes garanties pour agir en justice.

 

Le Conseil constitutionnel a dès lors jugé que les dispositions contestées méconnaissaient le principe d’égalité devant la justice et, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres griefs, les a déclarées contraires à la Constitution (paragr. 15 et 16).

 

* Le Conseil a alors déterminé les effets dans le temps de sa décision.

 

Considérant qu’aucun motif ne justifiait en l’espèce de reporter les effets de la déclaration d’inconstitutionnalité, il a décidé que celle-ci intervenait dès la publication de sa décision et qu’elle était « applicable à toutes les affaires non jugées définitivement » à cette date (paragr. 18).

 

Cela signifie que cette déclaration d’inconstitutionnalité est invocable, à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, non seulement, dans les instances juridictionnelles pendantes ou à venir, mais également, dans le cadre de l’instruction des demandes d’aide juridictionnelle dont peuvent être saisis les BAJ, y compris pour les demandes qui seraient encore en cours d’examen. En revanche, les décisions devenues définitives ne peuvent être remises en cause sur le fondement de cette déclaration d’inconstitutionnalité.

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1 Jeannette Bougrab, « Aide juridictionnelle, un droit fondamental ? », AJDA, 2001, p. 1016.

2 Sur ce point, voir Stéphane Bortoluzzi et alii, Règles de la profession d’avocat, 17e éd., Dalloz action, 2022/2023, nos 751.21 et suivants.

3 Le second alinéa de l’article 1er de la loi du 10 juillet 1991 précise que « L’aide juridique comprend l’aide juridictionnelle, l’aide à l’accès au droit et l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles ». La première partie de la loi est consacrée au régime de l’aide juridictionnelle et de l’aide à l’intervention de l’avocat dans les procédures non juridictionnelles (articles 2 à 52-1). Sa deuxième partie porte sur l’aide à l’accès au droit (articles 53 à 61).

4 Cette dépense, qui n’est pas conditionnée par la disponibilité des crédits budgétaires correspondants, a progressé de 84 % entre 2017 et 2022, passant de 342,4 millions à 629,8 millions d’euros (observations de la Cour des comptes, « L’aide juridictionnelle », juillet 2023, p. 27).

5 Voir le rapport d’information n° 2183 de M. Philippe Gosselin et Mme Naïma Moutchou fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, 23 juillet 2019, p. 7 et 11 : « Le nombre d’admissions est ainsi passé de 388 250 en 1992 à 688 637 en 2002 avant d’atteindre 915 563 en 2012 et 985 110 en 2017 ».

6 Observations de la Cour des comptes, précitées, p. 29. La Cour des comptes relève en effet que « en ne tenant pas compte de l’année 2020, le nombre d’admissions par an s’est situé sur la période de 2017 à 2021 entre 925 000 et 1 027 000 admissions ».

7 Les demandes sont examinées par les bureaux d’aide juridictionnelle dont les missions et l’organisation sont précisées aux articles 12 et suivants de la loi du 10 juillet 1991.

8 Voir en ce sens l’exposé des motifs du projet de loi à l’origine de ces dispositions, texte n° 1949, déposé le 5 avril 1991 devant l’Assemblée nationale, qui justifiait ainsi la généralisation de l’aide à toutes les procédures juridictionnelles : « Dans cette matière en effet, limiter l’octroi de l’aide à certains types de contentieux équivaudrait à conférer sans raison aux droits de la défense un contenu variable. Les contentieux actuellement exclus (litiges relatifs à l’autorité parentale, assistance éducative, tribunal de police, contentieux des réfugiés notamment) sont désormais couverts par les dispositions du projet de loi ».

9 Sous l’empire du droit antérieur, certains contentieux étaient par nature exclus du champ de l’aide judiciaire. Depuis 1991, elle peut être demandée pour tous les types de contentieux qui peuvent être examinés devant les juridictions de l’ordre judiciaire (civil, pénal, social, travail, etc.) et de l’ordre administratif, ainsi que devant le tribunal des conflits. De rares dispositions dérogent à cette règle de principe. Ainsi, l’article L. 2333-87-10 du code général des collectivités territoriales prévoit que cet article 10 n’est pas applicable aux recours présentés devant la commission du contentieux du stationnement payant.

10 Le premier alinéa de l’article 10 précise également qu’elle est accordée à l’occasion de la procédure d’audition du mineur prévue à l’article 388-1 du code civil (audition dans toute procédure le concernant d’un mineur capable de discernement) et de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

11 L’article 50 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 pris pour l’application de la loi du 10 juillet 1991 précise que « pour apprécier le caractère manifestement irrecevable, dénué de fondement ou abusif de l’action, les bureaux d’aide juridictionnelle ne sont pas liés par la qualification juridique des faits qui font l’objet de l’instance ».

12 Article 7 de la loi du 10 juillet 1991, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020. Cette loi a ajouté un motif de refus d’admission tenant au caractère abusif de la procédure qui ne pouvait justifier jusque-là que le retrait de l’aide juridictionnelle, lorsqu’elle avait été accordée.

13 Elle peut néanmoins être octroyée, à titre exceptionnel, à des personnes morales à but non lucratif ayant leur siège en France qui ne disposent pas des ressources suffisantes pour faire valoir leurs droits en justice, ainsi qu’à certains syndicats de copropriétaires.

14 Cette formule n’a pas été modifiée depuis son adoption et ne tient pas compte de l’évolution des traités européens. Pour autant, l’application de cette disposition aux ressortissants de l’ensemble des États membres de l’Union européenne ne fait pas de doute.

15 Voir en ce sens le texte adopté par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Cette position a ensuite été soutenue en séance publique à l’Assemblée nationale par M. Henri Nallet, garde des sceaux, ministre de la justice.

16 En vertu de l’article 9-2 de la loi du 10 juillet 1991, la condition de ressources n’est pas exigée des victimes de crimes d’atteintes volontaires à la vie ou à l’intégrité de la personne.

17 L’article 2 de la loi énonce néanmoins un principe de « subsidiarité » de l’aide juridictionnelle dans la mesure où celle-ci ne peut être accordée lorsque les frais couverts par cette aide sont déjà pris en charge au titre d’un contrat d’assurance de protection juridique ou d’un système de protection.

18 À titre d’illustration, pour que le demandeur soit admis à l’aide juridictionnelle totale, le plafond pour une personne seule est fixé actuellement à un montant de 12 271 euros (voir le décret du 28 décembre 2010 précité et la circulaire précisant le montant des plafonds de ressources et de patrimoine pour l’admission à l’aide juridictionnelle).

19 Rapport n° 1991 (Assemblée nationale – IVe législature) de M. Michel de Grailly fait au nom de la commission des lois, déposé le 2 octobre 1971.

20 Cette formule résulte du projet de loi initial et du texte tel qu’amendé par la commission des lois de l’Assemblée nationale. Cette dernière a estimé « qu’il y avait lieu de laisser aux bureaux une issue pour certaines situations limites » (rapport précité).

21 Sans condition de résidence en France.

22 Projet de loi n° 1949relatif à l’aide juridique, déposé le 5 avril 1991 devant l’Assemblée nationale.

23 Voir en ce sens l’exposé des motifs du projet de loi (I. a.).

24 Amendement n° 76 rectifié de Mme Nicole Catala déposé en séance publique.

25 Assemblée nationale, compte-rendu des débats, 2e séance du 29 avril 1991. Il était donc proposé d’imposer cette condition de résidence habituelle et régulière aux étrangers ne bénéficiant pas de la Convention de La Haye du 25 octobre 1980 tendant à faciliter l’accès international à la justice (convention internationale qui impose d’admettre les étrangers d’un autre État contractant au bénéfice de l’assistance judiciaire en matière civile et commerciale au même titre que ses propres nationaux).

26 Compte-rendu des débats, 2e séance du 29 avril 1991, précité.

27 Sénat, compte-rendu des débats, séance du 29 mai 1991.

28 À savoir les procédures prévues aux articles L. 222-1 à L. 222-6, L. 312-2, L. 511-1, L. 511-3-1, L. 511-3-2, L. 512-1 à L. 512-4, L. 522-1, L. 522-2, L. 552-1 à L. 552-10 et L. 742-4 du CESEDA, ou lorsqu’il est fait appel des décisions mentionnées aux articles L. 512-1 à L. 512-4 du même code. Cette liste ne tient pas compte de la recodification du CESEDA opérée par l’ordonnance n° 2020-1733 du 16 décembre 2020 portant partie législative du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. L’article 74 de la loi n° 2024-42 du 26 janvier 2024 pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration a modifié l’article 3 de la loi du 10 juillet 1991 afin de tirer les conséquences de cette recodification.

29 Cette liste a évolué à plusieurs reprises pour tenir compte des modifications apportées en cette matière aux règles du CESEDA. Elle a été modifiée en dernier lieu par la loi n° 2015-925 du 29 juillet 2015 relative à la réforme du droit d’asile qui y a ajouté la référence à l’article L. 742-4 de ce code, ouvrant ainsi le bénéfice de l’aide juridictionnelle dans le cadre du recours formé contre une décision de transfert d’un demandeur d’asile vers l’État responsable de l’examen de sa demande d’asile.

30 Cass. Civ. 2, arrêts n° 272, 274 et 275 du 29 février 2024.

31 Par exemple, récemment, la décision n° 2023-1084 QPC du 21 mars 2024, Fédération hospitalière de France (Versement d’un complément de traitement indiciaire à certains agents publics), paragr. 4.

32 Voir en dernier lieu, la décision n° 2023-1080 QPC du 6 mars 2024, Société de la Fontaine (Double degré de juridiction pour l’examen d’un incident contentieux relatif à l’exécution d’une peine de confiscation), paragr. 6.

33 La jurisprudence du Conseil constitutionnel a également pour objet de veiller à l’égalité entre les parties à une même procédure. Cette dimension du principe constitutionnel d’égalité devant la justice implique de comparer, par exemple, en procédure pénale, la situation de la personne mise en cause (mis en examen ou prévenu) avec celle de la partie civile ou du ministère public (voir, par exemple, sur la communication des pièces aux parties, les décisions n° 2011-160 QPC du 9 septembre 2011, M. Hovanes A. [Communication du réquisitoire définitif aux parties], cons. 3, et n° 2012-284 QPC du 23 novembre 2012, Mme Maryse L. [Droit des parties non assistées par un avocat et expertise pénale], cons. 3).

34 À travers, notamment, l’existence de dispositions attribuant un contentieux spécifique à une juridiction spécialisée. Voir, par exemple, la décision n° 2018-756 QPC du 17 janvier 2019, M. Jean-Pierre F. (Compétence des juridictions spécialisées en matière militaire pour les infractions commises par des militaires de la gendarmerie dans le service du maintien de l’ordre).

35 Voir, par exemple, la décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019, Mme Fabienne V. (Mise en mouvement de l’action publique en cas d’infraction commise par un militaire lors d’une opération extérieure).

36 Voir, par exemple, la décision n° 2019-831 QPC du 12 mars 2020, M. Pierre V. (Limitation géographique de l’intervention du défenseur syndical).

37 Décision n° 2023-863 DC du 25 janvier 2024, Loi pour contrôler l’immigration, améliorer l’intégration, paragr. 243.

38 Décision n° 2023-1069/1070 QPC du 24 novembre 2023, M. Sékou D. et autre (Cours criminelles départementales), paragr. 21 à 23 ; dans le même sens, décision n° 2023-1067 QPC du 10 novembre 2023, M. Bechir C. (Conservation d’un échantillon des produits stupéfiants saisis avant leur destruction), aux termes de laquelle, pour estimer que le principe d’égalité devant la justice n’était pas méconnu par les dispositions contestées, le Conseil relève que « sont assurées aux personnes mises en cause, qu’elles soient jugées à l’issue d’une information judiciaire ou d’une enquête, des garanties équivalentes ».

39 Décision n° 2011-112 QPC du 1er avril 2011, Mme Marielle D. (Frais irrépétibles devant la Cour de cassation), cons. 4 à 7. Voir dans le même sens les décisions n° 2011-190 QPC du 21 octobre 2011, M. Bruno L. et autre (Frais irrépétibles devant les juridictions pénales), et n° 2019-773 QPC du 5 avril 2019, Société Uber B.V. et autre (Frais irrépétibles devant les juridictions pénales II).

40 Décision n° 2016-566 QPC du 16 septembre 2016, Mme Marie-Lou B. et autre (Communication des réquisitions du ministère public devant la chambre de l’instruction), paragr. 9.

41 Décision n° 93-325 DC du 13 août 1993, Loi relative à la maîtrise de l’immigration et aux conditions d’entrée, d’accueil et de séjour des étrangers en France, cons. 2.

42 Ibid., cons. 3.

43 Ibid., cons. 26.

44 Ibid., cons. 118.

45 Voir récemment, la décision n° 2024-1088 QPC du 17 mai 2024, Mme Juliette P. (Procédure applicable en matière de délits de presse), paragr. 18.

46 Articles L. 8252-1 et suivants du code du travail.