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Commentaire de la décision 2023-1084 QPC

22/05/2024

Conformité

 

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 21 décembre 2023 par le Conseil d’État (décision n° 475351 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la Fédération hospitalière de France portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe I de l’article 48 de la loi n° 2020–1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale (LFSS) pour 2021, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2022–1157 du 16 août 2022 de finances rectificative (LFR) pour 2022.

 

Dans sa décision n° 2023–1084 QPC du 21 mars 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré conformes à la Constitution : 

 

– les mots « rattachés à un établissement public de santé mentionné à l’article L. 6111-3 du code de la santé publique » et les mots « relevant d’un établissement public gérant un ou plusieurs établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes mentionnés au 3° de l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière » figurant respectivement aux 6° et 7° du A du paragraphe I de l’article 48 de la loi du 14 décembre 2020 précitée, dans sa rédaction résultant de la loi du 16 août 2022 précitée ;

 

– les mots « les fonctions d’aide-soignant, d’infirmier, de puéricultrice, de cadre de santé de la filière infirmière et de la filière de rééducation, de masseur-kinésithérapeute, de pédicure-podologue, d’orthophoniste, d’orthoptiste, d’ergothérapeute, d’audioprothésiste, de psychomotricien, de sage-femme, d’auxiliaire de puériculture, de diététicien, d’aide médico–psychologique, d’auxiliaire de vie sociale ou d’accompagnant éducatif et social » figurant au premier alinéa du B du paragraphe I du même article, dans la même rédaction.

 

I. – Les dispositions renvoyées

 

A. – Objet des dispositions renvoyées

 

1. – L’instauration d’un complément de traitement indiciaire au profit des agents publics de certains établissements de santé et médico-sociaux

 

* Faisant suite à la mobilisation exceptionnelle des personnels de santé dans le cadre de la lutte contre la Covid-19, les accords du « Ségur de la santé », conclus le 13 juillet 2020 entre le Gouvernement et les partenaires sociaux, avaient pour objet de moderniser le système de santé, d’améliorer la prise en charge des patients et de revaloriser certaines professions.

 

Parmi les mesures prises pour mettre en œuvre ces accords, le décret n° 2020–1152 du 19 septembre 20201 a instauré un complément de traitement indiciaire (CTI) au bénéfice des fonctionnaires de la fonction publique hospitalière (FPH) et des agents contractuels de droit public exerçant leurs fonctions au sein d’un établissement public de santé (EPS), d’un groupement de coopération sanitaire2 ou d’un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD).

 

Ce complément, applicable aux rémunérations versées à compter du mois de septembre 2020, prend la forme d’une majoration de points d’indice, correspondant à un montant de 183 euros par mois3. Il bénéficie à l’ensemble des agents concernés, sans condition d’activité ou de sujétion particulière4.

 

* Ces dispositions ont été reprises et complétées par l’article 48 de la LFSS pour 20215 pour en étendre l’application à d’autres agents publics.

 

Le paragraphe I de cet article a ainsi étendu le bénéfice du CTI, de manière rétroactive6, à tous les fonctionnaires, militaires, agents contractuels et ouvriers des établissements industriels de l’État exerçant des fonctions non médicales au sein de certains établissements, mentionnés aux 1° à 5° du A de ce même paragraphe.

 

Sont ainsi concernés les personnels paramédicaux (notamment infirmiers et aides–soignants), les cadres de santé et les personnels administratifs et techniques des EPS (1°), des groupements de coopération sanitaire (2°) et des EHPAD publics (3°) – lesquels bénéficiaient déjà du décret du 19 septembre 2020 –, auxquels s’ajoutent ceux des hôpitaux des armées (4°) et de l’Institution nationale des invalides (5°)7.

 

En revanche, les personnels médicaux, comme les médecins, les chirurgiens–dentistes et les pharmaciens, y compris en formation8, ont été exclus du bénéfice du CTI, au motif qu’ils bénéficiaient de mesures spécifiques de revalorisation salariale9.

 

* L’exposé des motifs du projet de loi à l’origine de la LFSS pour 2021 indiquait que le CTI constituait « une mesure de revalorisation salariale inédite de par son montant et son périmètre puisque sont concernés l’ensemble des personnels hospitaliers et des EHPAD quel que soit leur statut (titulaire ou contractuel, soignant ou non soignant). Il vise à mieux prendre en compte les sujétions particulières de ces métiers du soin au service de la population afin de les rendre attractifs »10.

 

Lors de l’examen de cette mesure par le Parlement, le champ des professionnels en bénéficiant a toutefois suscité des débats. Le rapporteur général de l’Assemblée nationale indiquait ainsi que, s’il était convaincu « qu’il était urgent d’agir pour les personnels des EHPAD »11, « La question qui se pose désormais est celle de l’articulation avec les autres secteurs du médico-social. Je souhaite que nous ayons le débat dès maintenant, notamment pour ce qui concerne les interventions au domicile »12.

 

En réponse, si le ministre de la santé de l’époque indiquait que d’autres mesures avaient été prévues pour ces personnels et qu’il n’y avait ainsi pas d’« oubliés du Ségur »13, il rappelait toutefois l’engagement du Gouvernement d’examiner la situation particulière des personnels des autres établissements et services sociaux et médico–sociaux et d’étendre, le cas échéant, le champ des bénéficiaires de ce complément de rémunération. Il expliquait à cet égard que « l’accord du 13 juillet signé avec les organisations syndicales prévoyait une clause de revoyure selon laquelle un travail serait conduit pour l’ensemble des salariés n’ayant pas pu faire l’objet d’un traitement précis dans le cadre du premier échelon de revalorisation. Le secteur est compliqué – pas les gens qui y travaillent – car il comporte beaucoup d’établissements différents avec des missions et des métiers différents. C’est beaucoup moins "carré" que la simple distinction entre hôpital et EHPAD »14.

 

2. – L’extension progressive du CTI à certains agents des établissements sociaux et médico–sociaux

 

* Le secteur social et médico-social regroupe un grand nombre d’établissements et de services chargés de mettre en œuvre, au niveau national ou local, diverses politiques publiques en faveur des personnes les plus vulnérables, en particulier les personnes mineures, handicapées ou âgées.

 

Selon l’article L. 312-1 du CASF, qui en dresse la liste15, ces établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS) délivrent des prestations, réalisées par des équipes pluridisciplinaires, à domicile, en milieu de vie ordinaire, en accueil familial ou dans des structures de prise en charge.

 

À la suite de l’adoption de la LFSS pour 2021, la situation des agents exerçant leurs fonctions dans ce secteur a été évaluée, comme s’y était engagé le Gouvernement, afin notamment d’apprécier la nécessité d’étendre à leur profit les mesures de revalorisation salariale déjà mises en œuvre pour les agents des EPS et des EHPAD.

 

a. – L’extension du CTI résultant de la LFSS pour 2022

 

* À la suite d’une mission sur l’attractivité des métiers de l’autonomie confiée à M. Michel Laforcade, le Gouvernement a conclu trois accords avec les partenaires sociaux visant à étendre le bénéfice du CTI à certains agents publics exerçant leurs fonctions dans le secteur social et médico-social16.

 

Transposant au niveau législatif une partie de ces engagements, l’article 42 de la LFSS pour 202217 a modifié l’article 48 de la LFSS pour 2021 afin d’accorder le CTI, de manière rétroactive, à trois nouvelles catégories d’agents publics, soit :

 

– les fonctionnaires et les militaires exerçant leurs fonctions au sein des ESSMS rattachés à un EPS (6° du A du paragraphe I de cet article 48) ou relevant d’un EHPAD18 (7° du même A), ou au sein de certains groupements de coopération sanitaire ou d’intérêt public à vocation sanitaire19 (8° à 9° du même A) ;

 

– les fonctionnaires et militaires exerçant certaines fonctions (aide-soignant, infirmier, cadre de santé de la filière infirmière et de la filière de rééducation, masseur–kinésithérapeute, pédicure-podologue, orthophoniste, orthoptiste, ergothérapeute, audioprothésiste, psychomotricien, sage-femme, auxiliaire de puériculture, diététicien, aide médico-psychologique, auxiliaire de vie sociale ou accompagnant éducatif et social) au sein de certains ESSMS20 (B du paragraphe I) ;

 

– les agents publics qui suivent des études favorisant la promotion professionnelle et préparant aux diplômes ou certificats du secteur sanitaire et social21.

 

Afin de prendre en compte la pluralité des statuts des agents publics des différents établissements concernés par ces dispositions, il est également prévu qu’une indemnité équivalente au CTI est versée, dans des conditions fixées par décret, aux agents contractuels de droit public et aux ouvriers des établissements industriels de l’État employés au sein des établissements visés au A du paragraphe I, ainsi qu’à ceux exerçant les fonctions mentionnées à son B.

 

Par ailleurs, à l’initiative du Gouvernement, le bénéfice du CTI a également été étendu, par l’article 43 de la LFSS pour 2022, aux agents publics exerçant ces mêmes fonctions au sein d’ESSMS accueillant des personnes en situation de handicap et des personnes âgées, financés par les départements (le surcoût résultant de ces dispositions pour ces derniers étant pris en charge par la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie aux départements)22.

 

* Selon les travaux préparatoires, ces dispositions « Au-delà de la nécessaire reconnaissance du travail réalisé par ces professionnels » devaient notamment permettre « d’apporter une réponse aux tensions de recrutement dans ce secteur [social et médico-social] qui, de facto, est devenu moins attractif à la suite de l’accord du Ségur »23.

 

Toutefois, si ces extensions du bénéfice du CTI ont été favorablement accueillies par les deux assemblées, des interrogations ont été de nouveau exprimées sur le champ de leurs bénéficiaires. La rapporteure générale de la commission des affaires sociales du Sénat soulignait ainsi que « La méthode choisie par le Gouvernement, qui consiste à étendre le périmètre des revalorisations par cercles excentriques (…) suscite d’abord des incompréhensions et des incohérences, parfois au sein d’un même établissement, entre les professionnels éligibles au CTI et ceux qui ne le sont pas » et que cette situation provoquait « un profond déséquilibre dans les ressources des établissements du secteur sanitaire et social, l’attraction exercée par les établissements où est versé le CTI contribuant à tarir le personnel des autres structures ». Elle appelait ainsi « le Gouvernement à agir pour améliorer l’attractivité de l’ensemble du secteur médico-social et social »24.

 

Relevant que « Ce que révèle la succession de ces mesures gouvernementales, […] c’est aussi la complexité de notre système et de ses circuits de financement », notamment dans le secteur médico-social, le Gouvernement avait toutefois précisé que « les travaux sur l’extension des revalorisations salariales vont se poursuivre avec la réunion d’une conférence des métiers de l’accompagnement social et médico-social »25.

 

b. – L’extension du CTI résultant de la LFR pour 2022

 

* De nouveaux accords ont été conclus le 18 février 2022 en vue de revaloriser certains métiers du secteur social et médico-social.

 

Après la mise en œuvre temporaire de mesures de complément de rémunération prenant la forme de primes par trois décrets du 28 avril 202226, la LFR pour 202227 a de nouveau modifié l’article 48 de la LFSS pour 2021, afin d’étendre le CTI à deux catégories d’agents publics supplémentaires.

 

Tout d’abord, le B du paragraphe I de cet article a été complété de manière, d’une part, à ajouter les fonctions de puéricultrice à celles pouvant ouvrir droit au CTI et, d’autre part, à étendre la liste des établissements dans lesquelles ces fonctions doivent être exercées à l’ensemble des ESSMS relevant de l’article L. 312-1 du CASF28, ainsi qu’à d’autres structures, services et établissements29 (1° à 13° du même B).

 

En outre, d’une part, conformément au C de ce même paragraphe, le bénéfice du CTI a été accordé aux fonctionnaires et militaires relevant de corps ou de cadres d’emplois précisés par décret et exerçant, à titre principal, des fonctions d’accompagnement socio-éducatif au sein des ESSMS et de certaines structures, services et établissements recoupant, pour partie, ceux précédemment mentionnés30.

 

D’autre part, son D a étendu cette mesure aux fonctionnaires et militaires relevant de corps ou de cadres d’emplois précisés par décret et exerçant des missions d’aide à domicile auprès des personnes âgées ou des personnes handicapées au sein des services d’aide et d’accompagnement à domicile mentionnés aux 6° et 7° du paragraphe I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles31.

 

Enfin, le E du même paragraphe a précisé notamment qu’une indemnité équivalente au complément de traitement indiciaire est versée aux agents contractuels de droit public et aux ouvriers des établissements industriels de l’État exerçant, au sein des structures mentionnées aux B, C et D, des fonctions analogues à celles mentionnées par ces mêmes dispositions.

 

Par conséquent, les agents publics exerçant ces fonctions au sein d’un ESSMS bénéficient désormais tous du CTI.

 

* Comme le soulignent les travaux préparatoires, « Le principal apport de [ces dispositions] est l’inscription dans la loi des revalorisations des professionnels du secteur socio-éducatif, ainsi que l’élargissement du CTI pour les personnels paramédicaux qui n’en bénéficiaient pas encore. […] il était inéquitable que des personnels paramédicaux rattachés à la fonction publique qui exercent exactement les mêmes fonctions soient ou ne soient pas éligibles à la revalorisation du Ségur selon la structure dans laquelle ils travaillent. […] L’article apporte aussi une clarification bienvenue de la situation des professionnels des établissements et services sociaux et médico-sociaux non rattachés à un établissement de santé. La distinction entre les établissements et services éligibles ou non dans les articles 42 et 43 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2022 précitée est particulièrement complexe, et elle n’était pas justifiée, dans la mesure où les professionnels exerçant dans ces structures ont des fonctions similaires. À présent, l’ensemble des établissements et services sociaux et médico-sociaux est inclus dans la revalorisation du Ségur de la Santé »32.

 

c. – Les agents publics demeurant exclus du bénéfice du CTI

 

* Malgré ces extensions successives, le CTI ne bénéficie pas à l’ensemble des agents publics du secteur social et médico–social.

 

Pour éclairer leur situation, l’article 83 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023 avait prévu la remise d’un rapport du Gouvernement au Parlement sur l’application de l’article 48 de la LFSS pour 2021 visant « à identifier les professions du soin, du médico-social et du social qui n’ont pas bénéficié des mesures de revalorisation prises dans le cadre du "Ségur de la santé" et des accords dits "Laforcade" », ainsi qu’à présenter « des pistes pour améliorer la rémunération des personnels exclus et pour assurer plus largement l’attractivité de tous les métiers des secteurs sanitaire, social et médico-social ».

 

Il ressort ainsi du rapport remis le 11 décembre 2023 que certains personnels sont exclus à raison de leur appartenance à des structures non comprises dans les secteurs d’activité retenus, strictement limités aux secteurs sanitaire, social et médico–social. Tel est le cas des agents exerçant dans des secteurs connexes, tels que les caisses de sécurité sociale, les centres sociaux et culturels, les établissements de la petite enfance, les missions d’évaluation ou de coordination (comme, par exemple, les maisons départementales des personnes handicapées), ainsi que les missions locales.

 

D’autres sont exclus du CTI dès lors qu’ils exercent des fonctions dont le législateur n’a, à ce jour, pas considéré qu’elles justifiaient une revalorisation salariale. Il en est ainsi, comme le relève le Conseil d’État dans sa décision de renvoi du 21 décembre 2023 précitée, des agents des filières administrative, technique et ouvrière, ainsi que des agents des services hospitaliers qualifiés (« ASHQ ») chargés de l’entretien et de l’hygiène des locaux lorsqu’ils exercent leurs fonctions au sein des établissements sociaux et médicaux sociaux autonomes (hors EHPAD).

 

À ce titre, le rapport relève que « les différents vagues de revalorisation relatives à l’attribution du CTI, ou de son équivalent dans le secteur privé, ont poursuivi un objectif de ciblage des métiers en tension faisant face à des enjeux d’attractivité importants, nécessitant une action prioritaire de la part des pouvoirs publics. C’est la raison pour laquelle les professionnels du soin et de l’accompagnement socio-éducatif ont été prioritairement visés. Par conséquent, l’attribution du CTI ne correspond pas à un objectif de revalorisation par secteur d’activité mais plutôt par type de professionnels au sein des établissements sanitaires et des ESSMS, à l’exception de la mesure initiale du Ségur de la santé (accord de juillet 2020) qui s’inscrivait dans un contexte spécifique lié à la crise sanitaire qui a particulièrement touché les professionnels exerçant dans les établissements de santé et les EHPAD »33.

 

Selon l’évaluation proposée par ce rapport, 120 800 professionnels exerçant au sein d’un ESSMS ne bénéficieraient pas du CTI, parmi lesquels principalement des personnels de direction, administratifs et techniques.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

La fédération hospitalière de France avait formé un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’État contre le décret du 19 septembre 2020 relatif au versement d’un complément indemnitaire indiciaire à certains agents publics précité, dans sa rédaction résultant du décret n° 2022-1497 du 30 novembre 2022. À cette occasion, elle avait soulevé une QPC à l’encontre de l’article 48 de la LFSS pour 2021.

 

Dans sa décision de renvoi du 21 décembre 2023 précitée, le Conseil d’État avait jugé que « Présente un caractère sérieux la question de l’atteinte que ces dispositions porteraient aux droits et libertés garantis par la Constitution, et notamment au principe d’égalité devant la loi, en ce qu’elles excluent du bénéfice du complément de traitement indiciaire qu’elles instituent les agents des filières administrative, technique, ouvrière, ainsi que les agents des services hospitaliers qualifiés exerçant leurs fonctions au sein des établissements sociaux et médicaux–sociaux autonomes hors établissement d’hébergement pour personnes âgés dépendantes et appartenant à la fonction publique hospitalière ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

* La fédération requérante reprochait aux dispositions renvoyées d’exclure du bénéfice du complément de traitement indiciaire les agents publics des filières administrative, technique et ouvrière ainsi que ceux des services hospitaliers qualifiés exerçant leurs fonctions au sein d’un établissement social et médico-social autonome, hors établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Elles instituaient ainsi, selon elle, une différence de traitement injustifiée entre ces agents publics et ceux qui bénéficient d’un complément de rémunération soit parce qu’ils exercent d’autres fonctions au sein d’un tel établissement, soit parce qu’ils exercent des fonctions dans un établissement social et médico-social rattaché à un établissement public de santé ou à un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes. Il en résultait une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

 

* Au regard de ce grief, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait uniquement sur :

 

– les mots « rattachés à un établissement public de santé mentionné à l’article L. 6111-3 du code de la santé publique » et les mots « relevant d’un établissement public gérant un ou plusieurs établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes mentionnés au 3° de l’article 2 de la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière » figurant respectivement au 6° et 7° du A du paragraphe I de l’article 48 de la loi du 14 décembre 2020 ;

 

– ainsi que sur les mots « les fonctions d’aide-soignant, d’infirmier, de puéricultrice, de cadre de santé de la filière infirmière et de la filière de rééducation, de masseur-kinésithérapeute, de pédicure-podologue, d’orthophoniste, d’orthoptiste, d’ergothérapeute, d’audioprothésiste, de psychomotricien, de sage-femme, d’auxiliaire de puériculture, de diététicien, d’aide médico-psychologique, d’auxiliaire de vie sociale ou d’accompagnant éducatif et social » figurant au premier alinéa du B du même paragraphe (paragr. 3).

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle relative au principe d’égalité devant la loi

 

De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d’égalité devant la loi, qui résulte de l’article 6 de la Déclaration de 1789, « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »34.

 

Lorsqu’il constate que les dispositions contestées opèrent une différence de traitement, le Conseil vérifie non seulement si celle-ci est justifiée par une différence de situation ou un motif d’intérêt général, mais aussi si elle est en rapport avec l’objet de la loi.

 

* Sur ce fondement, le Conseil constitutionnel est régulièrement amené à examiner des différences de traitement entre des personnes exerçant les mêmes professions, des professions proches, ou relevant d’un même statut.

 

Il ressort de sa jurisprudence que de telles différences, lorsqu’elles sont établies au sein d’une même profession, sont davantage susceptibles de prêter à censure que celles établies entre des professions différentes, dans la mesure où ces dernières reposent souvent sur une différence de situation en raison de la nature particulière des missions, des obligations ou des conditions d’exercice de chacune des professions.

 

Par exemple, le Conseil a eu l’occasion de censurer des dispositions relatives à la déontologie ou à la carrière des magistrats, qui opéraient entre eux des distinctions injustifiées. Il en est allé ainsi de la définition d’un régime particulier de rémunération pour les conseillers et avocats généraux en service extraordinaire, le Conseil estimant que, « dès lors qu’ils sont appelés à exercer les mêmes fonctions que les conseillers ou avocats généraux à la Cour de cassation, les personnels en service extraordinaire ont vocation à être rémunérés selon les mêmes règles qu’eux »35.

 

À l’inverse, dans sa décision n° 2012-243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012, le Conseil constitutionnel a jugé, au sujet du régime spécial d’indemnisation de la rupture du contrat de travail organisé pour les seuls journalistes professionnels, que, « par la loi du 29 mars 1935 susvisée, dont sont issues les dispositions contestées, le législateur a mis en place un régime spécifique pour les journalistes qui, compte tenu de la nature particulière de leur travail, sont placés dans une situation différente de celle des autres salariés ; que les dispositions contestées, propres à l’indemnisation des journalistes professionnels salariés, visent à prendre en compte les conditions particulières dans lesquelles s’exerce leur profession ; que, par suite, il était loisible au législateur, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, d’instaurer un mode de détermination de l’indemnité de rupture du contrat de travail applicable aux seuls journalistes à l’exclusion des autres salariés »36.

 

Des différences de situation, ou un motif d’intérêt général, ne peuvent cependant justifier un traitement différencié qu’à condition que celui-ci soit en lien avec l’objet de la loi qui l’institue. Cette seconde condition permet, en particulier, d’éviter que des situations objectivement différentes soient le prétexte à des différences de traitement incohérentes avec l’objet même des dispositions examinées par le Conseil constitutionnel.

 

Par exemple, dans sa décision n° 2020-860 QPC du 15 octobre 2020, le fait que des syndicats représentatifs ne soient pas dans la même situation que des syndicats non représentatifs n’était pas contesté. Mais cette différence de situation ne pouvait pas justifier de réserver aux premiers la possibilité d’assister un fonctionnaire faisant l’objet d’une procédure de rupture conventionnelle. En effet, « le caractère représentatif ou non d’un syndicat ne détermine pas la capacité du conseiller qu’il a désigné à assurer l’assistance du fonctionnaire […]. Dès lors, la différence de traitement est sans rapport avec l’objet de la loi » (lequel était d’« accorder une garantie au fonctionnaire durant la procédure de rupture conventionnelle »)37.

 

À l’inverse, dans sa décision n° 2022-1033 QPC du 27 janvier 2023, saisi de dispositions privant d’exonération partielle à l’impôt sur le revenu les indemnités perçues par les agents publics à l’occasion d’un licenciement, le Conseil a jugé qu’« en exonérant partiellement d’impôt sur le revenu les indemnités de rupture conventionnelle perçues par les agents publics, le législateur a entendu favoriser les reconversions professionnelles de ces agents vers le secteur privé. / Les agents publics qui sont convenus avec leur employeur des conditions de la cessation définitive de leurs fonctions ne sont pas placés dans la même situation que ceux ayant fait l’objet d’une décision de licenciement. / Ainsi, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi »38.

 

* Cette facette du contrôle du respect du principe d’égalité devant la loi trouve particulièrement à s’illustrer lorsque le Conseil constitutionnel est saisi de dispositions instituant certaines prestations (allocations, pensions, rentes, etc.) au bénéfice d’une catégorie de personnes. En effet, s’il est alors souvent aisé de relever l’existence d’une différence de situation entre la catégorie bénéficiaire et d’autres personnes, la recherche du lien entre l’avantage octroyé et l’objet de la loi peut être plus ardue.

 

- Dans sa décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000, à propos de dispositions instaurant une exonération de cotisations sociales au profit de marins-pêcheurs victimes d’une catastrophe naturelle, le Conseil a jugé que constituait une rupture d’égalité le fait de distinguer, pour l’éligibilité à cette exonération, selon que ces marins-pêcheurs étaient ou non « à jour de leur paiement de rôle d’équipage » : « au regard de l’objet de la loi, qui est de favoriser le rétablissement rapide des capacités de production après un cyclone, les marins-pêcheurs embarqués, qu’ils aient ou non acquitté leur rôle d’équipage, sont dans la même situation »39.

 

- De même, dans la décision n° 2010-101 QPC du 11 février 2011, le Conseil était saisi de dispositions qui n’incluaient pas les membres de professions libérales exerçant à titre individuel dans le champ d’application du bénéfice de la remise de plein droit des pénalités, majorations de retard et frais de poursuites dus aux organismes sociaux, en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement ou de liquidation judiciaires. Accueillant un grief tiré de ce qu’il n’y avait pas lieu de traiter différemment le membre d’une profession libérale qui exerce à titre individuel et celui qui exerce sous la forme sociale, le Conseil a jugé que, « en étendant l’application des procédures collectives à l’ensemble des membres des professions libérales […], le législateur a entendu leur permettre de bénéficier d’un régime de traitement des dettes en cas de difficultés financières ; que, par suite, les dispositions précitées des premier et sixième alinéas de l’article L. 243–5 ne sauraient, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, être interprétées comme excluant les membres des professions libérales exerçant à titre individuel du bénéfice de la remise de plein droit des pénalités, majorations de retard et frais de poursuites dus aux organismes de sécurité sociale »40.

 

- Dans sa décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024, saisi de dispositions portant sur le droit à congé payé des salariés en arrêt maladie, le Conseil a tout d’abord rappelé qu’en les adoptant, « le législateur a souhaité éviter que le salarié, victime d’un accident ou d’une maladie résultant de son activité professionnelle et entraînant la suspension de son contrat de travail, ne perde de surcroît tout droit à congé payé au cours de cette période ». Il a alors rappelé que « La maladie professionnelle et l’accident du travail, qui trouvent leur origine dans l’exécution même du contrat de travail, se distinguent des autres maladies ou accidents pouvant affecter le salarié », puis il a jugé que « le législateur a pu prévoir des règles différentes d’acquisition des droits à congé payé pour les salariés en arrêt maladie selon le motif de la suspension de leur contrat de travail. Dès lors, la différence de traitement résultant des dispositions contestées, qui est fondée sur une différence de situation, est en rapport avec l’objet de la loi »41.

 

Lorsqu’il est saisi d’une différence de traitement portant sur des professionnels dont les missions ou les attributions présentent des similitudes sans qu’ils soient pour autant dans une situation identique, le Conseil apprécie ainsi au plus près l’objet des dispositions adoptées par le législateur pour s’assurer que cette différence est bien en lien avec ce dernier.

 

* Le Conseil a par ailleurs déjà été amené à examiner des griefs tirés de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi en matière d’offre de soins. Dans plusieurs décisions, il a jugé que la différence de traitement critiquée reposait sur une différence de situation et qu’elle était en rapport avec l’objet de la loi :

 

- Dans sa décision n° 2015-723 DC du 17 décembre 2015, le Conseil a ainsi jugé que « les établissements de santé publics et les établissements de santé privés participant au service public hospitalier sont, compte tenu de leurs statuts, placés dans des situations différentes de celle des autres établissements de santé au regard des règles de tarification des soins ; qu’ainsi en prolongeant pour une durée de quatre ans les règles dérogatoires relatives à la détermination de l’assiette de la participation financière des assurés aux frais de soins, le législateur a traité différemment des situations différentes ; que cette différence de traitement est en rapport avec l’objet de la loi qui l’établit ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être écarté »42.

 

- Dans sa décision n° 2019-792 QPC du 21 juin 201943, saisi, à la suite de sa décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016 précitée, de la possibilité pour les praticiens statutaires à temps plein dans les établissements publics de santé d’exercer, dans leur établissement, une activité libérale et de bénéficier de dérogations à l’interdiction de facturation de dépassements d’honoraires, le Conseil a examiné la différence de traitement pouvant en résulter entre les établissements publics de santé et les établissements de santé privés.

 

Il a relevé, d’une part, que les praticiens publics qui peuvent bénéficier de la dérogation prévue par les dispositions contestées sont tenus, en raison de leur situation statutaire, de consacrer la totalité de leur activité professionnelle à leurs fonctions hospitalières et universitaires. Puis, il a distingué la situation de ces praticiens de celle des médecins libéraux employés par un établissement de santé privé assurant le service public hospitalier, qui n’ont pas nécessairement vocation à y consacrer l’intégralité de leur carrière et qui ne sont pas tenus d’exercer à plein temps leur activité au sein de cet établissement. Ces derniers peuvent ainsi exercer, « dans des proportions que la loi les laisse libres de déterminer, d’autres activités médicales, non soumises à l’interdiction de dépassements d’honoraires, dans le cadre de la médecine de ville ou dans un établissement de santé n’assurant pas le service public hospitalier »44. Le Conseil en a déduit que la différence de traitement contestée reposait sur une différence de situation.

 

Il s’est, d’autre part, attaché à déterminer si cette différence de traitement était en rapport avec l’objet de la loi. À cette fin, il a examiné les conditions auxquelles est soumis l’exercice d’une activité libérale au sein d’un établissement public de santé, puis en a déduit que l’objet de la loi était d’« offrir, uniquement à titre accessoire, un complément de rémunération et de retraite aux praticiens statutaires à temps plein des établissements publics de santé », afin « d’améliorer l’attractivité des carrières hospitalières publiques et la qualité des établissements publics de santé »45.

 

Constatant ensuite que « la possibilité de pratiquer des dépassements d’honoraires contribue à cette attractivité », le Conseil a jugé que « la différence de traitement contestée est en rapport direct avec l’objet de la loi »46. Il a par conséquent écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.

 

- En revanche, dans sa décision n° 2020-890 QPC du 19 mars 2021, le Conseil constitutionnel devait examiner un dispositif permettant, à titre dérogatoire, aux praticiens hospitaliers disposant d’un diplôme étranger de médecin d’obtenir l’autorisation d’exercer la médecine en France. Plusieurs critères cumulatifs étaient institués par la loi. Parmi ceux-ci figurait celui selon lequel les candidats devaient avoir précédemment exercé des fonctions rémunérées en tant que professionnel de santé dans un établissement de santé mentionné à l’article L. 6111-1 du CSP. Cette condition tenant au lieu d’exercice des fonctions de professionnel de santé instituait une différence de traitement entre les praticiens titulaires de diplômes étrangers puisqu’elle avait pour effet d’exclure la possibilité d’être autorisé à exercer la médecine en France pour ceux d’entre eux qui avaient exercé une profession de santé au sein d’un établissement social ou médico-social.

 

Examinant la justification de cette différence de traitement, le Conseil a relevé que, « d’une part, comptent au nombre des professions de santé dont l’exercice est requis pour bénéficier de ce dispositif les professions médicales, pharmaceutiques, d’auxiliaire médical, d’aide-soignant, d’auxiliaire de puériculture, d’ambulancier ou d’assistant dentaire. D’autre part, l’objet de la procédure est d’obtenir une autorisation d’exercice de la profession de médecin, de chirurgien-dentiste, de sage-femme ou de pharmacien. Or, au regard de la diversité des professions de santé dont l’exercice est requis pour bénéficier de ce dispositif, la circonstance que l’une de ces professions soit exercée au sein d’un établissement de santé ou au sein d’un établissement social ou médico-social ne permet pas de rendre compte d’une différence de situation au regard de l’objet de la loi »47.

 

Il en a déduit que la différence de traitement contestée, qui n’était pas non plus justifiée par un motif d’intérêt général, méconnaissait le principe d’égalité devant la loi48.

 

B. – L’application à l’espèce

 

* Dans la décision commentée, après avoir rappelé les termes de l’article 6 de la Déclaration de 1789 et sa formulation de principe relative au principe d’égalité devant la loi (paragr. 4), le Conseil constitutionnel s’est attaché à décrire l’objet des dispositions contestées.

 

Il a d’abord relevé que l’article 48 de la loi du 14 décembre 2020 institue un complément de traitement indiciaire afin de revaloriser les carrières des personnels non médicaux de certains établissements relevant des secteurs sanitaire, social et médico-social (ESSMS) et que le paragraphe I de cet article prévoit que ce complément est versé notamment aux agents publics des établissements publics de santé et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), ainsi qu’à certains agents publics des établissements et services sociaux et médico-sociaux mentionnés à l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles, hors EHPAD (paragr. 5).

 

Puis il a constaté que, selon les dispositions contestées de ce paragraphe, ce complément de traitement indiciaire est versé « à tous les agents publics des établissements et services sociaux et médico-sociaux qui exercent leurs fonctions au sein d’un établissement rattaché à un établissement public de santé ou à un établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, et qu’il est également versé à ceux qui exercent certaines fonctions paramédicales, sociales ou éducatives au sein d’un établissement social ou médico-social autonome » (paragr. 6).

 

Il en a déduit que ces dispositions instauraient bien, comme le soutenait la fédération requérante, une différence de traitement « entre les agents des établissements et services sociaux et médico–sociaux selon qu’ils exercent leurs fonctions dans un établissement rattaché à un autre établissement ou [dans un établissement] autonome et, dans ce dernier cas, selon les fonctions qu’ils exercent » (paragr. 7).

 

* Il lui appartenait dès lors d’apprécier si cette différence de traitement était fondée sur une différence de situation ou un motif d’intérêt général, et si elle était, dans l’un ou l’autre cas, en rapport avec l’objet de la loi.

 

À cet égard, le Conseil s’est attaché à l’objet des extensions successives du champ des bénéficiaires du CTI, tel qu’il ressortait des travaux préparatoires des lois ayant procédé à de telles extensions, afin d’examiner si le législateur était fondé, au regard de cet objet, à en exclure certains agents.

 

Il a ainsi constaté, d’une part, qu’« il ressort des travaux préparatoires de la loi du 23 décembre 2021 mentionnée ci-dessus que, en prévoyant que le complément de traitement indiciaire versé aux agents des établissements publics de santé et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes est également versé aux agents des établissements et services sociaux et médico-sociaux qui leur sont rattachés, le législateur a entendu que tous les agents publics exerçant leurs fonctions au sein de ces établissements bénéficient des mêmes conditions de rémunération » (paragr. 8) et, d’autre part, qu’« il ressort des travaux préparatoires de la loi du 16 août 2022 que, en étendant le bénéfice du complément de traitement indiciaire aux seuls agents publics des établissements sociaux et médico-sociaux autonomes exerçant certaines fonctions paramédicales, sociales et éducatives, le législateur a entendu renforcer l’attractivité de ces fonctions eu égard aux difficultés particulières de recrutement que rencontrent ces établissements » (paragr. 9).

 

Puis, le Conseil a considéré qu’au regard de l’objet de ces dispositions, les ESSMS rattachés à un établissement public de santé ou à un EHPAD se distinguent, en raison des modalités particulières de leur gestion, des ESSMS autonomes. Il a en outre jugé que les agents de ces établissements autonomes exerçant des fonctions paramédicales, sociales et éducatives ne sont pas placés dans la même situation que ceux exerçant d’autres fonctions, notamment administratives, techniques ou ouvrières (paragr. 10).

 

Il en a déduit que le législateur avait pu réserver le bénéfice du complément de traitement indiciaire aux seuls agents publics visés par les dispositions contestées, sans l’étendre à l’ensemble des agents des ESSMS (paragr. 11).

 

Ce faisant, le Conseil constitutionnel s’est inscrit dans la continuité de sa jurisprudence précitée qui reconnaît la possibilité pour le législateur de traiter différemment des personnes placées dans des situations qui, quand bien même elles pourraient présenter des traits communs, demeurent distinctes. Le Conseil se refusant à substituer son appréciation à celle du législateur dans le choix même des critères devant guider, à ses yeux, le bénéfice du complément de traitement indiciaire aux agents des établissements sociaux et médico-sociaux hors EHPAD, il a ainsi admis que ces agents puissent être soumis à des règles différentes au regard de l’objet des lois ayant conduit à élargir le périmètre de ce complément dans une certaine mesure seulement. Cela ne fait bien sûr pas obstacle à la possibilité pour le législateur de reconsidérer à nouveau le champ du complément de traitement indiciaire.

 

La différence de traitement résultant des dispositions contestées étant fondée sur une différence de situation et en rapport direct avec l’objet de la loi, le Conseil a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi (paragr. 12 et 13).

 

Les dispositions contestées ne méconnaissant aucun autre droit ou liberté garantis par la Constitution, il les a déclarées conformes à la Constitution (paragr. 14).

 

_______________________________________

1 Décret n° 2020–1152 du 19 septembre 2020 relatif au versement d’un complément de traitement indiciaire à certains agents publics.

2 Conformément à l’article L. 6133-1 du code de la santé publique, ces groupements ont pour objet « de faciliter, de développer ou d’améliorer l’activité de [leurs] membres » en organisant certaines activités en commun, en réalisant certains équipements, en permettant des interventions communes de certains professionnels ou en exploitant sur un site unique certaines autorisations de l’agence régionale de santé détenues par l’un ou plusieurs de ses membres.

3 Le CTI correspondait initialement à une majoration de 24 points d’indice (arrêté du 19 septembre 2020 fixant le montant du complément de traitement indiciaire applicable aux agents des établissements publics de santé, des groupements de coopération sanitaire et des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes de la fonction publique hospitalière). Pour les agents contractuels, dont la rémunération n’est pas calculée par référence à un indice, « Son montant est équivalent à celui du complément de traitement indiciaire, après déduction des cotisations salariales et des prélèvements sociaux » (article 1er du décret du 19 septembre 2020).

4 Ce CTI se distingue ainsi de la « nouvelle bonification indiciaire » (NBI), créée en 1991, qui constitue un élément de rémunération versé à certains fonctionnaires ou militaires occupant des emplois présentant une technicité, des sujétions ou des responsabilités particulières.

5 Loi n° 2020-1576 du 14 décembre 2020 de financement de la sécurité sociale pour 2021.

6 Soit à compter du 1er septembre 2020.

7 Mentionnée à l’article L. 621-1 du code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre.

8 Notamment les internes des hôpitaux des armées et les élèves des écoles du service de santé des armées.

9 Ces personnels bénéficient en effet d’une revalorisation de l’indemnité d’engagement de service public exclusif (IESPE) et d’une modification des grilles de rémunération des praticiens hospitaliers. Les personnels de l’administration pénitentiaire ont également été exclus du champ d’application de l’article 48 de la LFSS pour 2021 au motif « qu’ils exercent des missions de nature différente de celles des autres agents en fonction dans les établissements concernés » (annexe 9 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, fiches d’évaluation préalable des articles du projet de loi, p. 108). Par ailleurs, si les personnels des établissements de santé privés à but non lucratif ne sont pas concernés par ces mesures, ils ont également bénéficié, pour leur part, de mesures salariales prévues par des accords conclus entre les partenaires sociaux.

10 Exposé des motifs de l’article 25 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2021, p. 41.

11 L’étude d’impact faisait en effet le constat que « la question de l’attractivité [y] est particulièrement sensible en comparaison des autres établissements du secteur » (annexe 9 du projet de loi précitée, p. 109).

12 Rapport n° 3432 de M. Thomas Mesnier, rapporteur général, et autres, fait au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, compte-rendu des débats en commission (tome III), du 14 octobre 2020. En séance publique, le député Thibault Bazin soulignait par exemple qu’« il faudrait un Ségur des oubliés, un Grenelle des invisibles de ce PLFSS, faute de quoi nous risquons une concurrence néfaste entre le médical et le médico–social, entre les établissements et les services d’aide à domicile. Il ne peut pas y avoir de telles différences, pour un même métier, selon qu’il est exercé à l’hôpital ou en maison d’accueil spécialisée. Je tiens donc, à mon tour, à vous alerter à propos des établissements relevant du champ du handicap » (compte-rendu de la 3e séance publique du 22 octobre 2020 à l’Assemblée nationale). De même, le sénateur Jean-Luc Fichet relevait qu’« Il est vrai qu’il a été procédé à des revalorisations salariales dans les secteurs hospitalier et sanitaire, ce qui est une bonne chose, mais celles-ci ne concernent pas le secteur médico-social public, et ses agents en sont fort marris. La façon dont ils acceptent cet état de fait force le respect, car ils accomplissent un travail tout à fait important. Le secteur médico-social, public ou privé non lucratif, a besoin de reconnaissance et ses agents méritent aussi cette revalorisation salariale qui bénéficie aux seuls agents titulaires du secteur public » (compte-rendu de la séance publique du 13 novembre 2020 au Sénat).

13 Le ministre de la santé, M. Olivier Véran, soulignait en effet qu’« il n’y a pas d’oubliés du Ségur. S’il y en avait eu, cela aurait voulu dire que nous n’aurions pas envisagé certaines situations parce que nous n’y aurions pas pensé. Premièrement, tous les salariés des établissements médico-sociaux du secteur public ont été pris en compte, d’autant qu’ils bénéficient déjà d’une partie de la revalorisation – alors qu’à entendre certains d’entre vous, on a l’impression qu’il ne s’est rien passé pour eux. La fusée comporte trois étages : l’augmentation des salaires – les 183 euros net par mois ; les grilles salariales, avec un équivalent métier de 35 euros par mois dont bénéficieront l’ensemble des salariés des établissements médico-sociaux relevant de la fonction publique ; ensuite, l’engagement collectif, qui ressemble à l’intéressement, permettra de porter certains projets pour lesquels les membres d’une même équipe percevront tous le même bonus, quel que soit le métier exercé, ce qui est aussi une première » (compte-rendu des débats à l’Assemblée nationale, 3e séance du 22 octobre 2020).

14 Ibidem.

15 La catégorie des ESSMS regroupe les établissements ou services mettant en œuvre des mesures de prévention au titre de l’article L. 112-3 ou d’aide sociale à l’enfance et les prestations d’aide sociale à l’enfance, les établissements ou services d’enseignement qui assurent, à titre principal, une éducation adaptée et un accompagnement social ou médico-social aux mineurs ou jeunes adultes handicapés ou présentant des difficultés d’adaptation, les centres d’action médico-sociale précoce, les établissements ou services mettant en œuvre les mesures éducatives ordonnées par l’autorité judiciaire ou concernant des majeurs de moins de vingt et un ans ou les mesures d’investigation préalables aux mesures d’assistance éducative, les établissements ou services d’accompagnement par le travail, les établissements et les services qui accueillent des personnes âgées ou qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale, les établissements et les services, y compris les foyers d’accueil médicalisé, qui accueillent des personnes handicapées ou des personnes atteintes de pathologies chroniques, qui leur apportent à domicile une assistance dans les actes quotidiens de la vie, des prestations de soins ou une aide à l’insertion sociale ou bien qui leur assurent un accompagnement médico-social en milieu ouvert, les établissements ou services comportant ou non un hébergement, assurant l’accueil, notamment dans les situations d’urgence, le soutien ou l’accompagnement social, l’adaptation à la vie active ou l’insertion sociale et professionnelle des personnes ou des familles en difficulté ou en situation de détresse, les établissements ou services qui assurent l’accueil et l’accompagnement de personnes confrontées à des difficultés spécifiques en vue de favoriser l’adaptation à la vie active et l’aide à l’insertion sociale et professionnelle ou d’assurer des prestations de soins et de suivi médical d’accompagnement et de prévention en addictologie, les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogue, les structures dénommées « lits halte soins santé », les structures dénommées « lits d’accueil médicalisés » et les appartements de coordination thérapeutique, les foyers de jeunes travailleurs, les établissements ou services de ressources, d’information, de coordination ou de services de proximité, mettant en œuvre des actions de dépistage, d’aide, de soutien, de formation ou d’information, de conseil, d’expertise ou de coordination au bénéfice d’usagers, ou d’autres établissements et services, les établissements ou services à caractère expérimental, les centres d’accueil pour demandeurs d’asile, les services mettant en œuvre les mesures de protection des majeurs ordonnées par l’autorité judiciaire, les services mettant en œuvre les mesures judiciaires d’aide à la gestion du budget familial, les services qui assurent des activités d’aide personnelle à domicile ou d’aide à la mobilité, ainsi que les établissements ou services mettant en œuvre des mesures d’évaluation de la situation des personnes se présentant comme mineures et privées temporairement ou définitivement de la protection de leur famille.

16 Le premier accord, signé le 11 février 2021, prévoyait l’extension du CTI aux ESSMS rattachés à un EPS ou à un EHPAD public. Les deux autres, signés le 28 mai 2021, étendaient son bénéfice à certains professionnels de santé non médicaux, cadres de santé, aides médico–psychologiques (AMP), accompagnants éducatifs et sociaux (AES) et auxiliaires de vie exerçant dans certains établissements sociaux et médico-sociaux.

17 Loi n° 2021-1754 du 23 décembre 2021 de financement de la sécurité sociale pour 2022.

18 Ou à un établissement ou service expérimental mentionnés au 12° du I de l’article L. 312-1 du code de l’action sociale et des familles, qui accueillent des personnes âgées et qui relèvent de l’assurance maladie (10° du A du paragraphe I).

19 Ces groupements doivent remplir les trois critères suivants : ils doivent exercer, à titre principal, une activité en lien direct avec la prise en charge de patients ou de résidents ; au moins l’un de leurs établissements membres doit être un EPS ou un EHPAD public ; enfin, leur activité principale doit bénéficier majoritairement à l’un de ces deux types d’établissement.

20 Soit les services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) aux personnes âgées et aux personnes handicapées, les établissements et services médico-sociaux, non rattachés à un établissement de santé ou à un EHPAD, prenant en charge des personnes en situation de handicap et financés en tout ou partie par l’assurance maladie et les établissements et services qui assurent l’accueil et l’accompagnement de personnes confrontées à des addictions, tels que les lits halte soins santé, les lits d’accueil médicalisés ou encore les appartements de coordination thérapeutique.

21 Ces dispositions, initialement inscrites au D du paragraphe I de l’article 48 du PLFSS sont, dans sa version en vigueur, désormais prévues par le F de ce même paragraphe.

22 Selon l’exposé sommaire de l’amendement n° 1069 du Gouvernement, adopté en séance publique au Sénat, « la revalorisation de ces mêmes professionnels exerçant dans des foyers et établissements du handicap à la charge des départements, doit pouvoir être décidée de façon à mettre fin aux iniquités entre deux soignants exerçant le même métier sous prétexte que l’un travaille dans une structure financée par l’assurance maladie et que l’autre travaille dans une structure financée par le département ».

23 Rapport n° 4568 de M. Thomas Mesnier, rapporteur général, et autres, fait au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, tome II, du 14 octobre 2021

24 Rapport n° 130 de Mme Élisabeth Doineau, rapporteure générale, et autres, fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, tome 2, déposé le 3 novembre 2021.

25 Rapport n° 4685 de M. Thomas Mesnier, rapporteur général et autres, fait au nom de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, en nouvelle lecture, déposé le 18 novembre 2021.

26 Décrets n° 2022–728 du 28 avril 2022 relatif au versement d’une prime de revalorisation à certains personnels relevant de la fonction publique territoriale, n° 2022–738 du 28 avril 2022 relatif au versement d’une prime de revalorisation à certains personnels relevant de la fonction publique hospitalière exerçant au sein des établissements et services sociaux et médico-sociaux et n° 2022–741 du 28 avril 2022 relatif au versement d’une prime de revalorisation à certains personnels relevant de la fonction publique de l’État.

27 Loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

28 À l’exception des services d’aide et d’accompagnement à domicile désormais visés au D du paragraphe I de l’article 48 du PLFSS pour 2021.

29 Soit les équipes mobiles chargées d’aller au contact des personnes sans abri ainsi que des accueils de jour mis en place dans le cadre des dispositifs de veille sociale, les structures exerçant les activités d’accompagnement social personnalisé, les structures d’hébergement d’urgence, les établissements et services de la protection judiciaire de la jeunesse, les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les services départementaux de protection maternelle et infantile, les établissements d’information, de consultation ou de conseil familial, les centres de santé sexuelle, les centres de lutte contre la tuberculose relevant d’un département, les centres de vaccination, les centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic et les services de l’aide sociale à l’enfance.

30 Ont ainsi été exclus les centres d’information, de dépistage, de lutte contre la tuberculose ou de vaccination, qui ne comportent pas de fonctions d’accompagnement socio-éducatif. En revanche, ont été ajoutés les services départementaux et centre communaux et intercommunaux d’action sociale (qui ne comportent, quant à eux, pas de personnels soignants).

31 L’article 43 de la LFSS pour 2022, qui portait notamment sur cette même catégorie d’agents publics, a été modifié afin de prendre en compte cet ajout au sein de l’article 48 de la LFSS pour 2021.

32 Rapport n° 846 de M. Jean-François Husson, fait au nom des finances du Sénat, déposé le 28 juillet 2022.

33 Rapport pris en application de l’article 83 de la LFSS pour 2023 sur les exclus du Ségur, précité.

34 Voir, par exemple, récemment, décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024, Mme Léopoldina P. (Droit à congé payé d’un salarié en arrêt maladie), paragr. 14.

35 Décision n° 92-305 DC du 21 février 1992, Loi organique modifiant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, cons. 72.

36 Décision n° 2012-243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012, Société YONNE REPUBLICAINE et autre (Saisine obligatoire de la commission arbitrale des journalistes et régime d’indemnisation de la rupture du contrat de travail), cons. 7.

37 Décision n° 2020-860 QPC du 15 octobre 2020, Syndicat des agrégés de l’enseignement supérieur et autre (Assistance d’un fonctionnaire durant une rupture conventionnelle), paragr. 6 à 8.

38 Décision n° 2022-1033 QPC du 27 janvier 2023, M. Patrick R. (Exonération d’impôt sur le revenu des indemnités spécifiques de rupture conventionnelle perçues par les agents publics), paragr. 7 à 9.

39 Décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000, Loi d’orientation pour l’outre-mer, cons. 45 à 48.

40 Décision n° 2010-101 QPC du 11 février 2011, Mme Monique P. et autre (Professionnels libéraux soumis à une procédure collective), cons. 5.

41 Décision n° 2023-1079 QPC du 8 février 2024, Mme Léopoldina P. précitée, paragr. 11 à 17.

42 Décision n° 2015-723 DC du 17 décembre 2015, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, cons. 42. Voir également la décision n° 2015-727 DC du 21 janvier 2016, Loi de modernisation de notre système de santé, dans laquelle le Conseil a tenu un raisonnement similaire en jugeant « que les établissements de santé ne se trouvent pas, au regard des transferts d’autorisation d’équipements sanitaires, dans la même situation selon qu’ils appartiennent ou non à un groupement hospitalier de territoire, lequel a vocation à assurer la coordination et la rationalisation de l’offre de soins entre les établissements publics de santé d’un même territoire ; que la différence de traitement qui résulte des dispositions de la dernière phrase du paragraphe I de l’article L. 6132-2 est en rapport avec l’objet de la loi ; que, par suite, le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité doit être écarté » (cons. 62).

43 Décision n° 2019-792 QPC du 21 juin 2019, Clinique Saint Cœur et autres (Dépassement d’honoraires dans le cadre de l’activité libérale des praticiens des établissements publics de santé).

44 Décision précitée, paragr. 9.

45 Ibid., paragr. 10.

46 Ibid., paragr. 11.

47 Décision n° 2020-890 QPC du 19 mars 2021, Association SOS praticiens à diplôme hors Union européenne de France et autres (Dispositif dérogatoire et temporaire d’accès aux professions médicales et pharmaceutiques ouvert aux praticiens titulaires de diplômes étrangers), paragr. 9.

48 Ibid., paragr. 10.