Non conformité totale
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 21 décembre 2023 par le Conseil d’État (décision n° 488692 du 20 décembre 2023) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du paragraphe II de l’article 250 de la loi n° 2018-1317 du 28 décembre 2018 de finances pour 2019, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
Dans sa décision n° 2023-1083 QPC du 21 mars 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le premier alinéa du paragraphe II de cet article, dans cette rédaction.
Dans cette affaire, Mme Jacqueline Gourault a estimé devoir s’abstenir de siéger.
I. – Les dispositions renvoyées
A. – Objet des dispositions renvoyées
1. – La dotation d’intercommunalité perçue par les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre
* La dotation globale de fonctionnement (DGF), qui constitue le principal concours de l’État au financement des collectivités territoriales1, recouvre un ensemble de dotations réparties entre les collectivités territoriales et leurs établissements publics.
Parmi ces dotations, les établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) reçoivent une dotation de compensation et une dotation d’intercommunalité, qui s’élevait à près d’1,7 milliards d’euros en 2023.
Cette seconde dotation, prévue aux articles L. 5211–28 et suivants du code général des collectivités territoriales (CGCT), a pour double objet d’encourager l’intégration intercommunale et de favoriser la péréquation entre les EPCI. Elle est seulement perçue par les EPCI à fiscalité propre.
* La dotation d’intercommunalité ayant fait l’objet de diverses critiques2, elle a été profondément réformée par l’article 250 de la loi de finances pour 2019 précitée.
L’article L. 5211-28 du CGCT prévoit ainsi désormais que le montant total de la dotation réparti chaque année est fixé par référence à celui perçu l’année précédente, augmenté d’une certaine somme3.
La dotation perçue par chaque EPCI est constituée, à hauteur de 30 %, d’une dotation de base et, à hauteur de 70 %, d’une dotation de péréquation. La première est calculée en fonction de la population de l’EPCI au 1er janvier, pondérée par le coefficient d’intégration fiscale4 de cet EPCI. La seconde dotation part de la même base de calcul, en multipliant ce résultat par la somme du rapport entre le potentiel fiscal par habitant moyen au sein de la même catégorie d’EPCI et le potentiel fiscal5 par habitant de l’EPCI et du rapport entre le revenu par habitant moyen au sein de la même catégorie et le revenu par habitant de l’EPCI.
En outre, afin d’éviter la trop grande volatilité de la dotation d’intercommunalité et sa déconnexion avec la richesse effective de l’EPCI, certaines garanties ont été prévues. D’abord, le montant de dotation est garanti, d’une année à l’autre, par un plancher et un plafond6. Ensuite, en cas de modification du périmètre de l’EPCI, la répartition est calquée sur celle qui aurait été pratiquée pour les communes membres du nouvel EPCI, en fonction de leur population, au sein de leurs EPCI d’origine7. Enfin, un mécanisme dit de « réalimentation » prévoit que les EPCI dont la dotation par habitant perçue l’année précédente est inférieure à 5 euros bénéficient l’année de répartition, avant l’application des garanties précédentes, d’un complément égal à la différence entre, d’une part, une attribution de 5 euros par habitant, multipliée par la population de l’EPCI au 1er janvier et, d’autre part, l’attribution qu’ils ont perçue l’année précédente8.
2. – La contribution au redressement des comptes publics appliquée aux EPCI à fiscalité propre jusqu’en 2018
* En 2013, l’État a décidé de faire participer les collectivités territoriales à l’effort budgétaire de rétablissement des comptes publics, au moyen d’une réduction des concours financiers qu’il leur versait. À cette fin, la loi du 29 décembre 2013 de finances pour 20149 a précisé, pour chaque catégorie de collectivités, la nature des dotations concernées et les montants de minoration appliqués en 2014. Elle a également fixé les règles de répartition de ces montants entre collectivités. Ces dispositions ont été directement introduites dans le CGCT.
Au sein du « bloc communal », cet effort budgétaire a été réparti en fonction des recettes réelles de fonctionnement. Il était ainsi supporté à 70 % par les communes et à 30 % par les EPCI à fiscalité propre10.
Lors de sa mise en place, le montant global de la contribution des EPCI au rétablissement de l’équilibre des comptes publics avait été fixé à 252 millions d’euros par le troisième alinéa de l’article L. 5211-28 du CGCT11. Lors de sa suppression, ce montant atteignait 310,5 millions d’euros12.
Cette contribution au redressement des finances publiques (CRFP) prenait la forme d’une minoration du montant de la dotation d’intercommunalité attribué à chaque EPCI à fiscalité propre.
Elle s’appliquait après détermination du montant individuel de la dotation attribuée à l’EPCI : d’abord, la dotation d’intercommunalité était calculée conformément à la clé de répartition prévue (en fonction du coefficient d’intégration fiscale et de la population), puis les « garanties » et écrêtements éventuels y étaient appliqués et, enfin, la minoration due au titre de la CRFP, répartie au prorata des recettes réelles de fonctionnement de chaque établissement, venait s’imputer sur ce montant.
Deux cas de figure pouvaient alors se présenter :
– lorsque le solde était positif (c’est-à-dire lorsque le montant de la CRFP exigée était inférieur à la part de dotation d’intercommunalité qui pouvait être perçue par l’EPCI), l’établissement demeurait bénéficiaire net de la dotation d’intercommunalité ;
– en revanche, lorsque le solde était négatif (c’est-à-dire lorsque le montant de la CRFP exigée dépassait la part de dotation d’intercommunalité que l’EPCI avait vocation à recevoir), un second mécanisme était prévu pour garantir le paiement intégral de la CRFP ; en vertu de la dernière phrase du troisième alinéa de l’article L. 5211–28 du CGCT, l’EPCI était alors soumis à un prélèvement sur les compensations d’exonérations qui lui était dues ou, à défaut, sur le produit de la fiscalité13, et ce jusqu’à hauteur du solde à acquitter par l’établissement public.
En 2018, cent trente-deux EPCI étaient concernés par une telle situation de « DGF négative »14. Pratiquement, ce prélèvement sur fiscalité pouvait représenter quelques milliers d’euros ou centaines de milliers d’euros. Dans des cas plus rares, il a même dépassé un ou deux millions d’euros.
* Cette situation a été critiquée. En 2016, un rapport sénatorial faisait ainsi notamment valoir que « La poursuite de la baisse des dotations en 2017 accentuera ce phénomène. Or les cas de "DGF négatives" posent problème puisque les collectivités territoriales dont la dotation forfaitaire est nulle ne participent plus au financement de la hausse de la péréquation verticale. Il s’agit pourtant de communes qui bénéficient d’un potentiel financier par habitant important et dont il serait légitime qu’elles participent au financement de la péréquation ». Les auteurs de ce rapport considéraient plus largement que le système d’imputation de la CRFP sur la dotation forfaitaire pour les communes et sur la dotation d’intercommunalité pour les EPCI avait atteint ses limites15.
3. – La pérennisation du prélèvement sur la fiscalité par le paragraphe II de l’article 250 de la loi de finances pour 2019 (les dispositions objet de la décision commentée)
* En même temps qu’il procédait, à l’article 250 de la loi de finances pour 2019, à la réforme de la dotation d’intercommunalité (cf. supra), le législateur a prévu d’imputer, à compter de 2019, la CRFP à la masse à répartir de la dotation.
Concrètement, cette réforme a consisté à minorer l’enveloppe globale dédiée à la dotation d’intercommunalité à hauteur du montant atteint par la CRFP lors de sa dernière année d’application.
Cette imputation ab initio de la CRFP sur cette dotation a pour effet direct de réduire l’enveloppe globale à répartir – alors que précédemment, comme dit plus haut, la CRFP s’imputait, après répartition et mise en jeu des mécanismes de garanties et d’écrêtements, sur la part de dotation d’intercommunalité attribuée à chaque EPCI.
Il s’agissait ce faisant d’éviter que la répartition résultant des modalités de calcul de la dotation d’intercommunalité soit remise en cause par celles propres à la CRFP, ce qui était à l’origine d’une certaine volatilité des sommes perçues par les EPCI d’une année à l’autre. Cette intégration a également permis de mutualiser la contribution entre les EPCI à fiscalité propre.
En revanche, le remplacement de la CRFP par une minoration de l’enveloppe de la dotation d’intercommunalité était susceptible d’avantager grandement les EPCI qui, précédemment, ne percevaient aucune dotation d’intercommunalité parce que celle–ci était totalement consommée par la part de CRFP qui leur revenait. En effet, la CRFP disparaissant, le prélèvement spécifique (la « DGF négative ») qui l’accompagnait en ce qui les concernait disparaissait également et ils n’avaient plus à contribuer au redressement des finances publiques.
C’est la raison pour laquelle le paragraphe II de l’article 250 de la loi de finances pour 2019 a prévu, à son premier alinéa, de reconduire désormais chaque année le prélèvement spécifique opéré en dernier lieu en 2018 (tel que défini au troisième alinéa de l’article L. 5211–28 du CGCT, dans sa rédaction résultant de la loi de finances pour 2017 précitée), antérieurement à la réforme de la dotation d’intercommunalité.
Cette reconduction a eu pour conséquence de soumettre chaque année, de manière pérenne, les EPCI à fiscalité propre qui étaient soumis au prélèvement spécifique en 2018 à un prélèvement d’un montant identique à ce qu’il était cette année-là.
Les deuxième à quatrième alinéas du paragraphe II de l’article 250 précité ne prévoient qu’une exception à cette reconduction à l’identique : lorsque le périmètre de l’EPCI évolue d’une année sur l’autre (fusion entre deux EPCI, retrait d’une commune au profit d’un autre EPCI, etc.), le montant du prélèvement doit être recalculé en imputant à chaque commune de la nouvelle intercommunalité la part de prélèvement correspondant, dans l’EPCI dont elle provient, à sa population.
* Le paragraphe II de l’article 250 de la loi de finances pour 2019 a par la suite été modifié par la loi du 28 décembre 2019 de finances pour 2020 précitée afin de préciser l’application de ces dispositions au cas des communes nouvelles16.
* Ce même paragraphe II a, en dernier lieu, été modifié par la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 202117.
Le législateur a en effet souhaité tirer les conséquences de la décision n° 2020–862 QPC du 15 octobre 202018, par laquelle le Conseil constitutionnel avait déclaré contraire à la Constitution le premier alinéa du paragraphe II de cet article, dans sa rédaction initiale, au motif que ces dispositions laissaient subsister de façon pérenne une différence de traitement entre les EPCI selon qu’ils étaient ou non soumis au prélèvement spécifique en 2018.
Un amendement a été adopté à l’initiative du Gouvernement, lors des débats en première lecture de la loi de finances pour 2021, afin d’organiser « une procédure d’ajustement des prélèvements sur la fiscalité des EPCI » destinée à tenir compte « de l’évolution des recettes réelles de fonctionnement intervenues depuis l’application de la dernière tranche de contribution au redressement des finances publiques, de même que de la population des établissements concernés »19.
Trois nouveaux alinéas, insérés après le premier alinéa du paragraphe II de l’article 250 de la loi de finances pour 2019, prévoient ainsi que :
« À compter du prélèvement effectué au titre de l’année 2021, le montant de ce prélèvement est minoré pour les établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre dont le montant des recettes réelles de fonctionnement du budget principal du pénultième exercice par habitant a diminué par rapport à l’année 2015 de plus de 5 % de ces mêmes recettes.
« Pour chaque établissement qui remplit la condition mentionnée au deuxième alinéa du présent II, il est calculé l’écart entre les recettes réelles de fonctionnement de son budget principal du pénultième exercice par habitant et les recettes réelles de fonctionnement de son budget principal de l’exercice 2015 par habitant diminuées du pourcentage prévu au même deuxième alinéa. Au titre d’un exercice donné, le prélèvement de chacun de ces établissements est minoré à hauteur de cet écart multiplié par le nombre d’habitants de l’établissement.
« Le décret précité précise également les modalités d’application du présent II, notamment en ce qui concerne les données de population à prendre en compte et les règles de calcul des recettes réelles de fonctionnement en cas d’évolution du périmètre d’un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre ».
B. – Origine de la QPC et question posée
Un arrêté ministériel du 29 décembre 2020, pris pour l’application au titre de l’année 2020 des dispositions prévues à l’article 250 de la loi de finances pour 2019, avait fixé le montant de la contribution sur la fiscalité directe locale due par la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire.
Cette dernière avait saisi le tribunal administratif de Paris aux fins d’annulation de cet arrêté20. À cette occasion, elle avait soulevé une QPC portant sur les dispositions du paragraphe II de l’article 250 de la loi de finances pour 2019 « dans leur version en vigueur du 30 décembre 2019 au 31 décembre 2020 », c’est-à-dire dans leur rédaction résultant de la loi de finances pour 2020.
Par une ordonnance du 2 octobre 2023, le tribunal l’avait transmise au Conseil d’État.
Dans sa décision du 20 décembre 2023 précitée, après avoir rappelé les motifs de la décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020, le Conseil d’État avait jugé que « Si les dispositions contestées par la présente question prioritaire de constitutionnalité sont substantiellement identiques à celles déclarées contraires à la Constitution par le Conseil constitutionnel, la modification introduite par la loi de finances pour 2020 se bornant à étendre, dans certaines conditions, le prélèvement en cause aux communes nouvelles, sans modifier le principe d’un prélèvement sans possibilité, hors cas de changement de périmètre d’un établissement, d’ajustement dans le temps, il ressort de la décision du 15 octobre 2020 que cette déclaration d’inconstitutionnalité et les effets que le Conseil constitutionnel a décidé de lui attacher ne portent que sur la version initiale de l’article 250 de la loi de finances pour 2019 et ne s’étendent pas à sa version immédiatement postérieure. La question n’a donc, contrairement à ce que soutient le ministre de l’intérieur, pas perdu son objet. Il découle en outre des motifs de la décision du 15 octobre 2020 que la communauté de communes Chinon, Vienne et Loire, en soutenant notamment que les dispositions en cause, dans leur version issue de la loi de finances pour 2020, méconnaissent le principe d’égalité devant les charges publiques, soulève une question qui présente un caractère sérieux ». Il avait donc renvoyé cette QPC au Conseil constitutionnel.
II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
* La communauté de communes requérante reprochait aux dispositions renvoyées de maintenir de manière pérenne, pour les seuls EPCI à fiscalité propre qui y étaient assujettis en 2018, le prélèvement acquitté cette année-là au titre de la CRFP. Elle soutenait que, ce faisant, le montant à acquitter ne rendait plus compte des caractéristiques démographiques ou financières des établissements publics en cause. Il en résultait, selon elle, une différence de traitement injustifiée entre les EPCI à fiscalité propre, selon qu’ils ont ou non été assujettis à ce prélèvement en 2018, et une charge excessive pour ceux qui y ont été assujettis, en méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.
La communauté de communes requérante faisait également valoir que ce prélèvement était susceptible de peser fortement sur les capacités d’autofinancement des établissements publics en cause et contrevenait, pour cette raison, aux principes de libre administration et d’autonomie financière des collectivités territoriales.
* Au regard de ces griefs, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait sur le premier alinéa du paragraphe II de l’article 250 de la loi de finances pour 2019, dans sa rédaction résultant de la loi de finances pour 202021 (paragr. 4).
A. – La jurisprudence constitutionnelle
* Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi […] doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d’égalité devant la loi « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »22.
Le Conseil veille également au respect du principe d’égalité devant les charges publiques sur le fondement de l’article 13 de la Déclaration de 1789, selon lequel : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Selon une jurisprudence constante, « Cette exigence ne serait pas respectée si l’impôt revêtait un caractère confiscatoire ou faisait peser sur une catégorie de contribuables une charge excessive au regard de leurs facultés contributives. En vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques »23.
* Le Conseil constitutionnel a été saisi à plusieurs reprises de réformes des finances locales dans lesquelles survivaient partiellement, au sein du nouveau régime juridique, des éléments du régime juridique antérieur.
D’une manière générale, il juge que « la différence de traitement qui résulte de la succession de deux régimes juridiques dans le temps n’est pas, en elle-même, contraire au principe d’égalité »24. Toutefois, la possibilité, pour le législateur de fonder une différence de traitement en fonction d’un événement situé dans le temps n’est pas sans limite, en particulier lorsque la différence a vocation à perdurer.
Le législateur doit en effet veiller soit à ce que ce maintien d’une différence de traitement soit transitoire – la différence de traitement est alors justifiée par la volonté d’organiser une transition douce, évitant des ruptures trop marquées , soit à ce que la différence de traitement maintenue trouve une justification pérenne dans le cadre du nouveau régime juridique.
Ainsi, dans sa décision n° 2018-711 QPC du 8 juin 2018, le Conseil a pris en considération, dans son contrôle, le caractère temporaire d’une différence de traitement entre EPCI instituée par le législateur en matière de calcul de la dotation d’intercommunalité. Étaient contestées en l’espèce certaines dispositions de l’article L. 5211-33 du CGCT qui garantissaient aux communautés d’agglomération ayant au moins trois ans d’ancienneté de percevoir une attribution par habitant au moins égale à 95 % de celle perçue l’année précédente. Appréciant la différence de traitement instituée entre les communautés d’agglomération d’au moins trois ans d’existence et celles nouvellement créées, il a tout d’abord relevé que « si la garantie contestée assure, selon les cas, une attribution individuelle par habitant supérieure à celle garantie aux communautés d’agglomération nouvellement créées, son montant diminue chaque année, puisqu’elle s’élève à 95 % de l’attribution individuelle par habitant de l’année précédente. La différence de traitement ainsi instaurée n’est donc pas pérenne ». Il a ensuite observé que « les communautés d’agglomération d’au moins trois ans d’existence ne sont pas placées dans la même situation que les établissements publics de coopération intercommunale nouvellement créés, qui n’ont jamais perçu une telle dotation ». Il en a déduit que les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques devaient être écartés25.
Inversement, le Conseil a censuré deux dispositifs qui instauraient de manière pérenne une inégalité qui ne trouvait qu’une justification transitoire :
- Dans sa décision n° 2013-323 QPC du 14 juin 2013, il a jugé, s’agissant du dispositif de répartition de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle (DCRTP) et des prélèvements ou reversements au titre du fonds national de garantie individuelle des ressources (FNGIR), dont le législateur avait réservé l’application aux EPCI dont le périmètre était modifié à compter de 2012, que « s’il était loisible au législateur de procéder, dès 2012, à la substitution de nouveaux critères aux précédents critères qu’il avait retenus pour la répartition des montants de la [DCRTP] et des prélèvements ou reversements au titre du [FNGIR] en cas de modification de périmètre, fusion, scission ou dissolution d’un ou plusieurs établissements publics de coopération intercommunale et de laisser subsister à titre transitoire une différence de régime selon la date de cette modification, il ne pouvait, compte tenu de l’objet de cette dotation et de ce Fonds, laisser subsister une telle différence de façon pérenne, sans porter une atteinte caractérisée à l’égalité devant les charges publiques entre les communes et entre les établissements publics de coopération intercommunale »26.
Le commentaire de cette décision relève qu’elle « illustre, en matière d’égalité devant les charges publiques, l’hypothèse d’une différence de traitement fondée sur la succession dans le temps de deux régimes juridiques qui n’est pas, en elle-même, inconstitutionnelle, mais qui le devient en raison de sa pérennité. À mesure que le fait générateur de la différence dans le temps s’éloigne, le lien entre la différence de traitement et la différence de situation s’estompe et il appartient au législateur, pour assurer le respect de l’égalité, d’adopter des dispositions transitoires pour faire disparaître une telle différence » ;
- Dans sa décision n° 2014-397 QPC du 6 juin 2014, le Conseil a également censuré les dispositions réservant aux seules communes contributrices en 2009 au fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France le bénéfice du plafonnement de la croissance du prélèvement sur les ressources des communes au profit de ce fonds. En effet, le plafonnement contesté, bien qu’évolutif de 2012 à 2015, n’était pas limité dans le temps et créait une différence de traitement substantielle et pérenne entre les communes contributrices. Selon un raisonnement similaire à celui qu’il avait tenu dans la décision précédente, le Conseil a jugé que « la différence de traitement ainsi instituée entre les communes repose uniquement sur la date à laquelle elles ont commencé à contribuer au fonds ; que, s’il était loisible au législateur de prévoir, à titre transitoire, dans le cadre de la mise en œuvre des nouvelles règles de plafonnement des contributions des communes, un dispositif spécifique réservé aux seules communes contributrices en 2009, il ne pouvait, compte tenu de l’objet de ce fonds, laisser subsister de façon pérenne une telle différence de traitement sans porter une atteinte caractérisée à l’égalité devant les charges publiques entre les communes contributrices au fonds » 27.
* Concernant spécifiquement la pérennisation du prélèvement minorant la dotation d’intercommunalité, le Conseil constitutionnel a par ailleurs déjà été saisi, comme vu supra, des dispositions du premier alinéa du paragraphe II de l’article 250 de la loi de finances pour 2019, dans sa rédaction initiale, sur lesquelles il s’est prononcé dans sa décision n° 2020–862 QPC du 15 octobre 2020.
Se plaçant sur le terrain de l’égalité devant les charges publiques, le Conseil a d’abord rappelé le cadre dans lequel s’inscrivait le prélèvement sur la fiscalité jusqu’en 2018 et les conditions dans lesquelles il a été pérennisé pour tous les EPCI qui y avaient été assujettis en 2018. Il a alors caractérisé la différence de traitement instituée entre les EPCI par ces dispositions en précisant que celle-ci reposait uniquement « sur la circonstance que, compte tenu de leur niveau de richesse relative et des montants de dotation individuelle d’intercommunalité et de contribution au redressement des finances publiques qui en découlaient, ils ont été ou non soumis à ce prélèvement en 2018 »28.
Le Conseil a ensuite relevé que, hors le cas d’une modification du périmètre de l’EPCI, « aucune autre évolution de la situation, notamment financière ou démographique, des établissements publics intéressés n’est susceptible de remettre en cause ni leur assujettissement au prélèvement ni son montant »29. Le maintien du prélèvement se fondait donc uniquement, sans autre possibilité d’ajustement qu’un changement de périmètre de l’EPCI, sur la situation desdits EPCI lors de l’année 2018. Or, ce maintien n’était pas transitoire mais pérenne, même si, dans les faits, il n’avait jusqu’alors joué qu’en 2019 et en 2020.
Selon un raisonnement similaire à celui qu’il avait tenu dans ses décisions n° 2013–323 QPC du 14 juin 2013 et n° 2014-397 QPC du 6 juin 2014 précitées, le Conseil constitutionnel a enfin jugé que, « s’il était loisible au législateur de prévoir, dans le cadre de la réforme de la dotation d’intercommunalité, le maintien à titre transitoire du prélèvement auquel certains établissements publics de coopération intercommunale étaient jusqu’alors soumis, afin de garantir qu’ils continueraient à participer, à hauteur de leur richesse relative constatée en 2018, au redressement des finances publiques, il ne pouvait, compte tenu de l’objet de ce prélèvement et sans autre possibilité d’ajustement, laisser subsister de façon pérenne une telle différence de traitement sans porter une atteinte caractérisée à l’égalité devant les charges publiques ». Il a donc déclaré les dispositions contestées contraires à la Constitution30.
B. – L’application à l’espèce
* La censure des dispositions contestées était acquise, puisqu’elles étaient rédigées en des termes strictement identiques à ceux des dispositions examinées dans la décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020, et ce sans qu’aucune possibilité d’ajustement du prélèvement litigieux ne soit par ailleurs prévue.
Se plaçant à nouveau sur le terrain de l’égalité devant les charges publiques (paragr. 5), le Conseil constitutionnel a d’abord rappelé les conditions dans lesquelles le prélèvement sur la fiscalité des EPCI s’appliquait jusqu’en 2018, ainsi que son objet à l’époque. Il s'agissait « d’assurer que tous les établissements publics de coopération intercommunale participent, à hauteur de leur richesse relative, à l’effort de redressement des finances publiques » (paragr. 6).
S’attachant ensuite à la réforme de la dotation d’intercommunalité intervenue en 2019, le Conseil a constaté que le législateur avait maintenu ce prélèvement, de manière pérenne, pour tous les EPCI qui y avaient été assujettis en 2018, à hauteur du montant appliqué cette même année (paragr. 7).
Enfin, le Conseil a renvoyé aux motifs énoncés aux paragraphes 7 et 8 de la décision du 15 octobre 2020 pour conclure à l’inconstitutionnalité des dispositions contestées (paragr. 8).
* Pour finir, il appartenait au Conseil constitutionnel de se prononcer sur les effets de cette nouvelle déclaration d’inconstitutionnalité.
D’une part, comme dans sa décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020, il a constaté que les dispositions déclarées contraires la Constitution, dans leur rédaction contestée, n’étaient plus en vigueur. En effet, ainsi qu’il a été dit plus haut, l’article 250 de la loi de finances pour 2020 a été modifié par la loi du 29 décembre 2020 de finances pour 2021. Il n’y avait donc pas lieu de statuer sur un éventuel report de la date de leur abrogation (paragr. 11).
D’autre part, le Conseil constitutionnel s’est prononcé sur les effets que ces dispositions avaient déjà produits. S’éloignant sur ce point de sa décision n° 2020–862 QPC, il a décidé de conférer à la censure un effet utile en jugeant que « la déclaration d’inconstitutionnalité, qui n’emporte pas de conséquences manifestement excessives, peut être invoquée dans les instances introduites à la date de publication de la présente décision et non jugées définitivement » (même paragr.).
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1 Le montant de cette dotation est fixé à un peu plus de 27 milliards d’euros par la loi n° 2023-1322 du 29 décembre 2023 de finances pour 2024.
2 En raison de son mode de calcul, elle était jugée volatile d’une année sur l’autre, déconnectée des niveaux de richesse et d’intégration intercommunale et mal adaptée aux évolutions démographiques ou à l’approfondissement de l’intégration intercommunale.
3 Cette augmentation annuelle du montant total de la dotation d’intercommunalité, d’abord fixée à 30 millions d’euros, a été fixée à 90 millions d’euros à compter de 2024 par la loi de finances pour 2024 précitée.
4 Ce coefficient rend compte du degré d’intégration intercommunale de l’EPCI au travers du rapport entre la fiscalité qu’il lève et la totalité de la fiscalité levée sur son territoire par les communes et leurs groupements. Il constitue un indicateur de la part des compétences exercées au niveau du groupement.
5 En vertu de l’article L. 5211-29 du CGCT, le potentiel fiscal, qui est un indicateur de la richesse fiscale de l’EPCI, est déterminé en additionnant les recettes fiscales dont l’EPCI pourrait disposer en appliquant à ses bases d’imposition le taux moyen national d’imposition et certaines dotations de compensation qui lui sont versées.
6 2° et 3° du paragraphe IV de l’article L. 5211-28 du CGCT. Ainsi, au bout de trois ans, les EPCI ne peuvent percevoir une attribution par habitant de la dotation inférieure à 95 % de la dotation perçue l’année précédente, voire pour les communautés les plus intégrées, à 100 % de cette dotation. Cette attribution ne peut pas non plus être supérieure de 110 % à celle de l’année précédente (ce plafond a été porté à 120 % par la loi de finances pour 2024).
7 4° du paragraphe IV de l’article L. 5211-28 du CGCT.
8 Paragraphe III de l’article L. 5211-28 du CGCT. Sont toutefois exclus de cette garantie les EPCI dont le potentiel fiscal est le double du potentiel fiscal moyen de leur catégorie.
9 Article 132 de la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014. Pour l’année 2014, il s’agissait de répartir entre les différentes catégories de collectivités une baisse de 1,5 milliards d’euros.
10 Le projet de loi de finances pour 2014 déposé par le Gouvernement précisait que, en 2011, les recettes réelles de fonctionnement des communes s’élevaient à 77 milliards d’euros et celles des EPCI à fiscalité propre à 32,6 milliards d’euros. D’où une clé de répartition 70/30 pour le bloc communal.
11 Dans sa rédaction résultant de la loi de finances pour 2014 précitée.
12 Article L. 5211-28 du CGCT dans sa rédaction résultant respectivement de la loi n° 2014-1654 du 29 décembre 2014 de finances pour 2015, de la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 et de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017. Si la loi n° 2017-1837 du 30 décembre 2017 de finances pour 2018 n’a pas renouvelé cette contribution, toutefois, conformément aux dispositions de l’article L. 5211-18 du CGCT dans sa rédaction alors applicable, la dotation d’intercommunalité de chaque EPCI pour 2018 a été minorée des montants déjà fixés pour les exercices antérieurs.
13 Produit versé par l’État collecteur à l’EPCI sous la forme de versement mensuel, « les douzièmes ».
14 Selon l’expression retenue par la doctrine pour caractériser ce cas de contribution nette au redressement des finances publiques à travers l’acquittement d’un prélèvement spécifique.
15 Rapport d’information n° 731 fait au nom de la commission des finances du Sénat sur la réforme de la dotation globale de fonctionnement (DGF) du bloc communal, par MM. Charles Guené et Claude Raynal, déposé le 29 juin 2016, p. 15 et s. En ce sens, les difficultés de calcul pour les exercices 2016, 2017 et 2018 ont conduit à abonder les enveloppes des communautés d’agglomération et des communautés de communes afin de mener à bien les répartitions.
16 A ainsi été ajouté un nouvel (et dernier) alinéa aux termes duquel : « Pour l’application de ces dispositions, les communes nouvelles rassemblant toutes les communes membres d’un ou de plusieurs établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre et qui n’appartiennent pas à un établissement public de coopération intercommunale à fiscalité propre sont assimilées à des établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre ».
17 Loi n° 2020-1721 du 29 décembre 2020 de finances pour 2021.
18 Décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020, Communauté de communes Chinon, Vienne et Loire (Pérennisation d’un prélèvement minorant la dotation d’intercommunalité).
19 Exposé sommaire de l’amendement n° II-3584 (Rect.) du 11 novembre 2020 déposé à l’Assemblée nationale et adopté en séance publique. Ainsi que le souligne ce même exposé, la dernière année de calcul d’une nouvelle part de CRFP, soit 2017, était fondée sur les recettes réelles de fonctionnement de l’exercice 2015, dernières disponibles à la date du calcul de ladite contribution.
20 La communauté de communes avait précédemment exercé un recours contre l’arrêté du 9 octobre 2019 fixant la liste des EPCI faisant l’objet d’un prélèvement sur leurs recettes de fiscalité au titre de la CRFP en application de l’article 250 de la loi de finances pour 2019 et soulevé, à cette occasion, une QPC qui a donné lieu à la décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020 précitée.
21 Ainsi qu’il a été dit plus haut, dans sa décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le premier alinéa du paragraphe II de l’article 250 de la loi de finances pour 2019, dans sa rédaction initiale. Si les dispositions contestées étaient rédigées en des termes strictement identiques, la présente QPC portait toutefois sur une autre version, à savoir celle résultant de la loi de finances pour 2020, comme l’avait d’ailleurs relevé le Conseil d’État dans sa décision de renvoi (cf. supra). Conformément au dernier état de la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à l’autorité de ses décisions (voir la décision n° 2020-836 QPC du 30 avril 2020, M. Maxime O. [Utilisation de la visioconférence sans accord du détenu dans le cadre d’audiences relatives au contentieux de la détention provisoire II], paragr. 6), il y avait donc bien lieu de statuer sur cette QPC, dont la recevabilité n’était au demeurant pas contestée.
22 Voir, par exemple, la décision n° 2023-1063 QPC du 6 octobre 2023, Société Compagnie Gervais Danone (Retenue à la source sur les revenus distribués à des sociétés non-résidentes), paragr. 4.
23 Voir, par exemple, la décision n° 2022-845 DC du 20 décembre 2022, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2023, paragr. 43.
24 Décision n° 2012-654 DC du 9 août 2012, Loi de finances rectificative pour 2012 (II), cons. 23.
25 Décision n° 2018-711 QPC du 8 juin 2018, Communauté d’agglomération du Grand Sénonais (Garantie d’octroi d’une dotation d’intercommunalité à hauteur de 95 % de la dotation de l’année précédente), paragr. 13 à 15.
26 Décision n° 2013-323 QPC du 14 juin 2013, Communauté de communes Monts d’Or Azergues (Répartition de la DCRTP et du FNGIR des communes et établissements publics de coopération intercommunale à fiscalité propre lors de la modification du périmètre des établissements), cons. 10.
27 Décision n° 2014-397 QPC du 6 juin 2014, Commune de Guyancourt (Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France), cons. 6.
28 Décision n° 2020-862 QPC du 15 octobre 2020 précitée, paragr. 7.
29 Ibid.
30 Ibid., paragr. 8 et 9.