Conseil constitutionnel

  • Commentaire QPC
  • Social
  • Droit de la sécurité sociale
  • Droit fiscal
  • sécurité sociale
  • cotisation sociale
  • résidence
  • domicile légal
  • impôt

Commentaire de la décision 2023-1081 QPC

07/05/2024

Conformité - réserve

 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 19 décembre 2023 par la Cour de cassation (deuxième chambre civile, arrêt n° 1300 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la société Premium Models portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de la dernière phrase du second alinéa de l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale (CSS), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012.

 

Dans sa décision n° 2023-1081 QPC du 15 mars 2024, le Conseil constitutionnel a, sous une réserve d’interprétation, déclaré ces dispositions conformes à la Constitution, dans cette rédaction.

 

I. – Les dispositions renvoyées

 

A. – Objet des dispositions renvoyées

 

1. – L’évolution du financement de la sécurité sociale

 

* Lors de leur création en 1945, les régimes de sécurité sociale, organisés par profession ou statut professionnel, étaient financés exclusivement par les cotisations prélevées sur les revenus du travail. Plusieurs évolutions ont toutefois amené le législateur à diversifier ce financement : « d’une part, les besoins de financement ont conduit à aménager le système de cotisations et à chercher de nouvelles recettes1 ; d’autre part, le financement de la sphère sociale a été mobilisé pour diminuer le coût du travail et favoriser l’emploi »2. La place prise par l’impôt dans ce financement a ainsi fortement augmenté depuis la fin du XXe siècle3.

 

Aujourd’hui, le financement de la sécurité sociale est mixte, puisqu’il repose à la fois sur les cotisations sociales et sur l’impôt. Cette évolution a en particulier été marquée par la création de la CSG qui « a constitué une refondation du financement de la protection sociale. La CSG définit en effet une nouvelle approche de la contributivité aux assurances sociales, suite à l’universalisation progressive des couvertures »4.

 

Instituée par la loi de finances pour 19915, la CSG, dont le régime est aujourd’hui fixé aux articles L. 136-1 à L. 136-8 du CSS, est principalement affectée au financement des prestations familiales et de l’assurance maladie6. Elle se caractérise par une assiette plus large que celle des cotisations sociales, qui recouvre non seulement les revenus d’activité7, mais aussi les revenus de remplacement8 et ceux du capital ou du patrimoine9. Y sont assujetties les personnes physiques considérées comme domiciliées en France pour l’établissement de l’impôt sur le revenu10.

 

Dès lors qu’elle ne constitue pas la contrepartie du bénéfice de prestations en nature de l’assurance maladie, la CSG est classée parmi les « impositions de toute nature » visées à l’article 34 de la Constitution11. Elle est aujourd’hui considérée comme le premier impôt direct supporté par les ménages, loin devant l’impôt sur le revenu.

 

2. – L’instauration de taux particuliers de cotisations sociales pour les revenus perçus en France par les non-résidents fiscaux

 

* La loi de financement de la sécurité sociale pour 199812 a accentué le mouvement de fiscalisation des ressources de la sécurité sociale.

 

Pour rendre le financement de la protection sociale « plus juste et plus stable »13, le législateur a en effet décidé de transférer une fraction significative des cotisations salariales sur la CSG. Corrélativement, pour assurer la neutralité financière de ce transfert, il a été prévu que le pouvoir réglementaire, compétent en matière de taux de cotisations sociales, baisserait, à due proportion, ceux applicables aux cotisations salariales.

 

Cet objectif de neutralité financière du transfert des cotisations salariales vers la CSG se heurtait cependant à la circonstance que certains revenus d’activité, soumis à cotisations, échappent à la CSG. En effet, l’assujettissement des revenus d’activité à cet impôt suppose que la personne qui les perçoit soit imposable en France et qu’elle y ait donc sa résidence fiscale.

 

* Dès lors, le législateur a prévu l’instauration de taux particuliers de cotisations sociales applicables aux non-résidents fiscaux afin d’éviter l’effet d’aubaine induit par le transfert des cotisations salariales vers la CSG.

 

Lors des débats devant l’Assemblée nationale, M. Alfred Recours a fait état de la situation particulière des personnes qui, d’un côté, n’étant pas domiciliées en France au titre de l’impôt sur le revenu n’acquittaient pas la CSG, mais, d’un autre côté, étant assurés sociaux en France, auraient bénéficié d’une baisse des cotisations salariales, si cette réforme était adoptée en l’état. Jugeant que cette situation n’était « pas acceptable et, dans un souci d’équité », il a déposé un amendement visant à « les exclure du mécanisme de baisse des cotisations » pour leur appliquer au contraire des taux particuliers de cotisation 14.

 

Interrogé sur ce point, le Gouvernement a émis un avis favorable à cet amendement en considérant qu’il s’agissait d’« éviter que les personnes résidant à l’étranger et travaillant en France, qui bénéficient à ce titre de la sécurité sociale française, ne s’ouvrent des droits à l’assurance maladie sans payer de cotisations, puisque celles-ci vont être presque intégralement supprimées et que ces personnes n’acquittent pas la CSG »15. En d’autres termes, l’institution de taux majorés de cotisations sociales pour les affiliés non-résidents fiscaux devait permettre tout à la fois de réserver la suppression de cotisations maladie aux personnes qui, étant imposables en France, supportaient la CSG, et d’« éviter que les étrangers travaillant en France mais dont le domicile fiscal est hors de France, puissent bénéficier d’une couverture maladie sans acquitter aucune des cotisations maladie ni la CSG »16.

 

Le second alinéa de l’article L. 131-7-1 CSS, dans sa rédaction issue de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, prévoyait donc que « Des taux particuliers de cotisations d’assurance maladie, maternité, invalidité et décès à la charge des assurés sont applicables aux revenus d’activité et de remplacement perçus par les personnes qui ne remplissent pas les conditions de résidence définies à l’article L. 136-1 et qui relèvent à titre obligatoire d’un régime français d’assurance maladie »17. Ces taux particuliers ont été ensuite fixés par décret18.

 

Ces dispositions, transférées à l’article L. 131-9 du même code par la loi du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 200519, ont été progressivement étendues :

 

– aux personnes étrangères, résidant à l’étranger (hors Union européenne et Espace économique européen), bénéficiant d’une pension servie par un régime obligatoire français20 ;

 

– aux fonctionnaires internationaux français qui, en raison d’accords conclus entre les organismes internationaux et la France ne sont assujettis ni à l’impôt sur le revenu, ni à la CSG21 ;

 

– aux personnes qui, travaillant à la fois en France et à l’étranger, ne sont, en vertu d’une convention fiscale destinée à éviter les doubles impositions, pas imposables en France pour leurs revenus de source étrangère22 ;

 

– aux artistes du spectacle et aux mannequins, non imposables en France à l’impôt sur le revenu, qui perçoivent une rémunération sous forme de redevances (ou « royalties »)23.

 

3. – Le régime applicable aux redevances versées aux artistes du spectacle et aux mannequins (les dispositions renvoyées)

 

Les revenus perçus par les artistes du spectacle et les mannequins en contrepartie d’une prestation de travail constituent en principe un salaire, même lorsque celui–ci ne leur est pas versé mensuellement mais prend la forme d’un cachet perçu pour chaque passage en public ou pour chaque  enregistrement24.

 

Pour les mannequins, dont l’activité est définie par l’article L. 7123-2 du code du travail25, est en outre prévue une présomption légale de salariat26, quels que soient leur liberté d’action, le mode ou le montant de la rémunération perçue pour une présentation, dès lors qu’une telle prestation nécessite la présence physique de l’intéressé.

 

Il en va toutefois autrement de la rémunération due au mannequin à l’occasion de la vente ou de l’exploitation de l’enregistrement de sa présentation par son employeur ou tout autre utilisateur de cet enregistrement. En application de l’article L. 7123-6 du même code, les redevances ou « royalties » perçues à ce titre n’ont pas la nature d’un salaire, dès lors « que la présence physique du mannequin n’est plus requise pour exploiter cet enregistrement et que cette rémunération n’est pas fonction du salaire reçu pour la production de sa présentation, mais est fonction du produit de la vente ou de l’exploitation de l’enregistrement »27.

 

* Le régime fiscal applicable à ces redevances, qui a pu fluctuer en fonction de la catégorie de revenus à laquelle elles ont été rattachées, a été stabilisé avec la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, par laquelle le législateur a choisi de les assujettir au régime des revenus du patrimoine, puis avec celle pour 2012.

 

- À l’origine, l’article 13 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 201128 avait prévu, afin de répondre au but poursuivi par le législateur de mettre fin à plusieurs « niches sociales », de soumettre ces redevances, déjà assujetties à la CSG, au prélèvement que constitue le forfait social prévu par l’article L. 137–15 du CSS29, au motif qu’elles auraient constitué un complément de revenu d’activité échappant aux cotisations sociales30.

 

Cette disposition avait toutefois été supprimée au cours de la navette parlementaire à la suite de l’adoption d’un amendement de Mme Catherine Morin–Desailly31, dès lors, d’une part, que ces rémunérations devaient être regardées, non comme des revenus d’activité, mais comme des revenus du patrimoine (en raison de leur lien avec le droit de la propriété intellectuelle)32 et, d’autre part, que les artistes et les mannequins non-résidents fiscaux n’auraient pas pu être soumis au forfait social.

 

À cet égard, Mme Morin-Desailly faisait valoir que, « puisque le forfait social ne s’appliquerait qu’aux artistes résidant en France, il aurait alors pour effet direct d’handicaper lourdement la production locale au profit d’artistes internationaux ou d’expatriés pour lesquels une telle taxe n’est pas applicable […]. Compte tenu de son adossement à la CSG/CRDS, le forfait social ne concernerait pas les redevances versées aux artistes étrangers, aux artistes français expatriés fiscaux, aux héritiers des artistes disparus, aux artistes notoires pour conclure des contrats de licence avec les maisons de disques »33.

 

- L’année suivante, lors de l’examen de la loi de financement de la sécurité sociale pour 201234, un nouvel amendement de la même sénatrice a été adopté35 afin, d’une part, de déterminer les modalités spécifiques de recouvrement de la CSG et des prélèvements sociaux applicables à ces redevances36 et, d’autre part, de prévoir que les non-résidents fiscaux, à défaut d’être imposables en France, devaient être assujettis à des cotisations sociales à raison de ces mêmes revenus.

 

L’article 19 de la loi du 21 décembre 2011, issu de cet amendement, a ainsi modifié l’article L. 131-9 du CSS, pour prévoir que les taux particuliers de cotisations sociales prévus par la première phrase de ce même alinéa sont applicables aux redevances versées aux artistes du spectacle et aux mannequins qui sont affiliés au régime général de sécurité sociale sans être fiscalement domiciliés en France.

 

Ainsi, en vertu de la dernière phrase du second alinéa de l’article L. 131-9 du CSS dans cette rédaction, les taux particuliers de cotisations d’assurance maladie, maternité, invalidité et décès à la aux revenus d’activité et de remplacement « sont également applicables aux redevances mentionnées au IV de l’article L. 136-6 versées aux personnes qui ne remplissent pas la condition de résidence fiscale fixée au I du même article »37.

 

Il résulte de cette évolution législative que le régime applicable aux mannequins et artistes de spectacle diffère selon qu’ils sont ou non résidents fiscaux en France :

 

– d’une part, les redevances perçues par les mannequins qui ont leur domicile fiscal en France sont exclues de l’assiette des cotisations sociales, telle que prévue par l’article L. 242-1 du CSS, à défaut de constituer un revenu d’activité. En revanche, elles sont soumises à la CSG et aux autres prélèvements sociaux en application du paragraphe I de l’article L. 136-6 du même code38, à un taux global de 17,2 %39 ;

 

– d’autre part, les redevances perçues par les mannequins non-résidents fiscaux ne sont pas assujetties à la CSG ni aux autres prélèvements sociaux, faute pour ces derniers d’être imposables en France. Ces redevances sont néanmoins soumises à des cotisations sociales selon des taux particuliers dans les conditions prévues par l’article L. 131-9 du CSS, quand bien même elles constituent des revenus du patrimoine. Le taux global qui leur est appliqué à ce titre s’élève actuellement à 12,95 %40 (il était de 12,81 % entre 2005 et 2016).

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

À l’occasion d’un contrôle réalisé par les services de l’URSSAF, la société Premium Models avait demandé le remboursement d’un montant correspondant à des cotisations sociales acquittées au titre de redevances versées à des mannequins non–résidents fiscaux. Elle contestait en effet que ces rémunérations puissent être soumises aux taux majorés de cotisations sociales prévus par l’article L. 131-9 du CSS, dès lors qu’elles constituent des revenus du patrimoine.

 

Après un recours infructueux devant la commission de recours amiable, la société requérante avait saisi le tribunal judiciaire devant lequel elle avait soulevé une question prioritaire de constitutionnalité à l’encontre de la dernière phrase du second alinéa de l’article L. 131-9 du CSS, qui avait été transmise à la Cour de cassation.

 

Dans son arrêt précité du 19 décembre 2023, la Cour de cassation avait jugé que la question présentait « un caractère sérieux au regard des exigences des principes de sécurité juridique, d’égalité devant la loi et les charges publiques garantis par les articles 2, 6 et 13 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 ». Elle l’avait en conséquence renvoyée au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

La société requérante, rejointe par la partie intervenante41, reprochait aux dispositions renvoyées de l’article L. 131-9 du CSS de soumettre désormais à des cotisations sociales les redevances perçues par les mannequins non-résidents fiscaux en France, alors qu’elles constituent des revenus du patrimoine qui ne pouvaient pas, selon elle, y être assujettis. Il en résultait une méconnaissance du principe de sécurité juridique découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

 

Elles leur reprochaient également d’instituer une double différence de traitement injustifiée, d’une part, entre les mannequins, selon qu’ils avaient leur résidence fiscale en France ou à l’étranger, et, d’autre part, entre les personnes non-résidentes fiscales, selon que leurs revenus perçus en France constituaient des redevances visées par ces dispositions ou d’autres revenus du patrimoine. Il en résultait, selon elles, une méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle sur les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques en matière de protection sociale 

 

* Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi … doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d’égalité devant la loi « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général, pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »42.

 

Aux termes de l’article 13 de la Déclaration de 1789 : « Pour l’entretien de la force publique, et pour les dépenses d’administration, une contribution commune est indispensable : elle doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Le Conseil juge qu’en vertu de l’article 34 de la Constitution, il appartient au législateur de déterminer, dans le respect des principes constitutionnels et compte tenu des caractéristiques de chaque impôt, les règles selon lesquelles doivent être appréciées les facultés contributives. En particulier, pour assurer le respect du principe d’égalité, il doit fonder son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se propose. Cette appréciation ne doit cependant pas entraîner de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques.

 

Même si la compétence législative en matière de cotisations sociales, qui se fonde sur le dix-septième alinéa de l’article 34 de la Constitution (« La loi détermine ... les principes fondamentaux … de la sécurité sociale »)43 est limitée, la fixation de leur taux relevant notamment du pouvoir réglementaire44, le Conseil s’assure que les dispositions législatives qui en fixent les principes et en organisent le régime sont conformes aux principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques45.

 

1. – Les différences de traitement en matière de cotisations sociales

 

* De manière classique, le Conseil constitutionnel veille à la rationalité de la différence de traitement introduite par les dispositions en cause, ce qui se traduit notamment par le fait qu’elle ait bien un rapport avec l’objet de la loi.

 

Il a ainsi censuré une différence de traitement établie entre les marins pêcheurs pour l’obtention d’une exonération de cotisations sociales pour une durée de six mois après une catastrophe naturelle, selon qu’ils aient ou non acquitté leur rôle d’équipage et soient ainsi à jour de leurs cotisations. En effet, au regard de l’objet de cette exonération, qui était de favoriser le rétablissement rapide des capacités de production après un cyclone, les marins-pêcheurs étaient dans la même situation qu’ils fussent ou non à jour du règlement de leurs cotisations46.

 

Inversement, il a jugé conforme au principe d’égalité devant la loi la limitation d’une exonération de cotisations patronales pour les rémunérations d’aides à domicile des personnes âgées ou handicapées aux seules prestations effectuées « au domicile à usage privatif » des intéressés. L’objet de cette exonération étant de favoriser le maintien chez elles de personnes dépendantes, la différence de traitement établie entre les prestations accomplies dans des structures médico–sociales et au domicile privatif des intéressées était bien en lien direct avec cet objet47.

 

* Une différence de régime dans l’application des cotisations sociales peut trouver sa justification dans une différence plus structurelle entre les cotisants.

 

Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé qu’était justifiée une différence d’assiette de cotisations établie entre les résidents français qui, bien que travaillant en Suisse, sont affiliés au régime d’assurance maladie français et les personnes qui ont un emploi salarié en France. En effet, si cette assiette recouvre, pour les premiers, l’ensemble du revenu fiscal de référence, elle se limite, pour les seconds – qui correspondent au cas général – aux seuls revenus d’activité. Toutefois, cette différence de traitement se fondait « sur la différence de situation entre les personnes qui sont affiliées au régime général d’assurance maladie au titre de leur activité salariée en France, et pour lesquelles sont recouvrées à la fois une cotisation salariale et une cotisation patronale, et les personnes qui sont affiliées au régime général d’assurance maladie au titre de leur résidence en France, pour lesquelles une seule cotisation est recouvrée directement auprès de l’assuré »48. Elle reposait donc bien sur des critères objectifs et rationnels en lien avec l’objet des cotisations d’assurance maladie. Le Conseil constitutionnel a toutefois formulé une réserve d’interprétation prohibant qu’entrent dans le revenu fiscal de référence, soumis à cotisation, des revenus du foyer fiscal qui ont déjà été soumis à cotisation au titre de l’affiliation d’un des membres du foyer fiscal à un régime d’assurance maladie obligatoire49.

 

De même, dans sa décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018, saisi de dispositions instituant une cotisation particulière au titre de la protection universelle maladie en fonction du niveau de revenu d’activité, le Conseil a jugé qu’« en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu faire contribuer à la prise en charge des frais de santé les personnes ne percevant pas de revenus professionnels ou percevant des revenus professionnels insuffisants pour que les cotisations assises sur ces revenus constituent une participation effective à cette prise en charge./ Dès lors, en créant une différence de traitement entre les personnes pour la détermination des modalités de leur participation au financement de l’assurance maladie selon le montant de leurs revenus professionnels, le législateur a fondé son appréciation sur des critères objectifs et rationnels en fonction des buts qu’il se proposait »50. Le Conseil a ainsi accepté de prendre en compte l’objectif d’une contribution suffisante, par chaque bénéficiaire de l’assurance maladie, au financement du régime obligatoire.

 

* Le Conseil constitutionnel s’attache également, sur le fondement du principe d’égalité, au respect de la logique propre aux cotisations sociales, qui interdit certaines différences de traitement entre cotisants.

 

Dans sa décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014, il a ainsi déclaré inconstitutionnel un dispositif instituant une réduction dégressive des cotisations salariales de sécurité sociale pour les salariés dont la rémunération à temps plein était comprise entre 1 et 1,3 salaire minimum de croissance. Le législateur avait, en revanche, maintenu inchangés, pour tous les salariés, l’assiette de ces cotisations ainsi que les prestations et avantages auxquels ces cotisations ouvrent droit. Il en résultait qu’un même régime de sécurité sociale continuait à financer, pour l’ensemble de ses assurés, les mêmes prestations malgré l’absence de versement, par près d’un tiers de ceux-ci, de la totalité des cotisations salariales ouvrant droit aux prestations servies par ce régime. Or, le Conseil a jugé qu’une telle différence de traitement, qui ne reposait pas sur une différence de situation entre les assurés d’un même régime de sécurité sociale, était « sans rapport avec l’objet des cotisations salariales de sécurité sociale »51.

 

Le Conseil constitutionnel a toutefois fait évoluer sa jurisprudence à l’occasion de sa décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017. Saisi d’une disposition prévoyant une dégressivité des seules cotisations d’assurance maladie et cotisations familiales applicables aux travailleurs indépendants en fonction de leurs revenus (et non, comme dans la décision précédente, des cotisations d’assurance maladie et de vieillesse), il a observé, que, pour ces cotisations, « le niveau des prestations auxquelles elles ouvrent droit ne dépend pas de la durée de cotisation ni du niveau des revenus d’activité sur lesquels ont porté ces cotisations »52. Il en a déduit qu’il n’y avait pas lieu de censurer, sur le fondement du principe d’égalité, la dégressivité en cause au motif qu’elle n’aurait pas été en rapport avec l’objet des cotisations de sécurité sociale.

 

2. – La jurisprudence applicable aux évolutions des modalités de financement de la protection sociale

 

* Le Conseil constitutionnel tient compte, lorsqu’il se prononce sur les différences de traitement engendrées par un régime de protection sociale, de l’état antérieur du dispositif.

 

Ainsi, il a jugé que « le principe d’égalité ne saurait imposer au législateur, lorsqu’il s’efforce, comme en l’espèce, de réduire les disparités de traitement en matière de protection sociale, de remédier concomitamment à l’ensemble des disparités existantes »53. Il rejette à ce titre certains griefs tirés de la méconnaissance du principe d’égalité, dans la mesure où ils portent sur une différence de traitement « inhérente aux modalités selon lesquelles s’est progressivement développée l’assurance maladie en France ainsi qu’à la diversité corrélative des régimes, que la loi […] ne remet pas en cause »54. Il en va ainsi, par exemple, de la différence de traitement entre les nouveaux bénéficiaires de la couverture maladie universelle, non soumis à cotisation en raison de la faiblesse de leur revenu, et les personnes qui, déjà assujetties à un régime d’assurance maladie, restent obligées, à revenu équivalent, de verser des cotisations55, de la différence d’assiette des cotisations d’assurance maladie des travailleurs indépendants non agricoles par rapport aux travailleurs salariés56 ou de la différence de traitement établie, au regard de l’assiette de leurs cotisations, entre les personnes affiliées à la branche maladie du régime général de sécurité sociale, selon qu’elles le sont au titre de leur activité professionnelle ou au titre de leur résidence en France57.

 

* Le Conseil constitutionnel a été saisi à plusieurs reprises de dispositions substituant à un financement par cotisations sociales un financement par l’impôt.

 

- Dans sa décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, le Conseil s’est prononcé sur l’article 5 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, qui avait notamment pour objet de majorer les taux de la CSG et de supprimer, en compensation, les cotisations d’assurance maladie dont le taux était inférieur à 2,8 % pour les revenus de remplacement et à 4,75 % pour les revenus d’activité. Les députés requérants dénonçaient les différences de traitement injustifiées qui devaient résulter, selon eux, des baisses de taux des cotisations sociales annoncées par le Gouvernement. Le Conseil a rejeté le grief après avoir relevé que les dispositions contestées se limitaient à la majoration du taux de la CSG et qu’elles étaient sans incidence, par elles-mêmes, sur les taux des cotisations d’assurance maladie, qu’il reviendrait au pouvoir réglementaire de fixer. Il a toutefois rappelé qu’il appartiendrait au pouvoir réglementaire de veiller, dans la fixation de ces taux, à ne pas créer de rupture caractérisée de l’égalité devant les charges publiques entre les catégories socioprofessionnelles du fait de la majoration de la CSG et des diminutions corrélatives des taux des cotisations sociales qui leur sont applicables58.

 

- Dans sa décision n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012 précitée, le Conseil a été amené à se prononcer sur l’article L. 131-9 du CSS à l’occasion d’une contestation plus générale de l’article 11 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, portant sur la suppression du plafonnement de l’assiette des cotisations d’assurance maladie des travailleurs indépendants non agricoles.

 

Les requérants dénonçaient la différence de traitement instituée par la seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 131-9 du CSS, qui prévoyait l’application de  taux particuliers de cotisations sociales pour les résidents français affiliés à un régime obligatoire de sécurité sociale, lorsqu’ils étaient dispensés, par une convention internationale, de tout ou partie des impôts directs sur leurs revenus d’activité. Le Conseil ayant estimé que l’article 11 contesté modifiait le domaine d’application de cette seconde phrase du deuxième alinéa de l’article L. 131-9 du CSS, il s’est déclaré compétent pour en connaître, conformément à sa jurisprudence « Nouvelle-Calédonie »59. Il a alors jugé que, en « soumettant à un régime dérogatoire de taux de cotisations certains des assurés d’un régime français d’assurance maladie, la deuxième phrase du second alinéa de l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale crée une rupture d’égalité entre les assurés d’un même régime qui ne repose pas sur une différence de situation en lien avec l’objet de la contribution sociale ». En conséquence, il a déclaré cette disposition contraire à la Constitution60.

 

Si le Conseil a ainsi pu considérer dans cette décision que l’objet propre des cotisations sociales – le financement par les assurés d’un régime et des prestations qu’il délivre – s’opposait à ce que soient établies, entre ces assurés, des différences de taux de cotisation, il a depuis accepté à plusieurs reprises que des différences de traitement puissent être opérées entre affiliés à un même régime aux fins de rétablir une égalité dans la contribution effective de l’ensemble des affiliés à ce régime.

 

- Ainsi, dans sa décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017, le Conseil constitutionnel a été saisi de l’augmentation de la CSG couplée à la suppression des cotisations salariales d’assurance maladie mise en œuvre par la loi de financement de la sécurité sociale pour 201861. Les requérants contestaient le fait que, d’une part, l’augmentation de la CSG ne concernait pas les allocations chômage et les pensions de retraite ou d’invalidité des personnes à revenu modeste et que, d’autre part, la suppression des cotisations salariales ne profitait pas aux fonctionnaires et aux titulaires de pensions de retraite ou d’invalidité.

 

Sur le premier point, le Conseil a considéré que la différence de traitement résultant des exceptions apportées à l’augmentation de la CSG était justifiée par la différence de situation existant entre les personnes percevant certains revenus de remplacement et les autres62.

 

Sur le second point, il a jugé que « les revenus d’activité des travailleurs du secteur privé sont soumis à des cotisations d’assurance maladie et d’assurance chômage alors que les revenus de remplacement des titulaires de pensions de retraite ou d’invalidité et les traitements des fonctionnaires ne sont pas soumis à de telles cotisations. Par conséquent, le législateur s’est fondé sur une différence de situation entre ces deux dernières catégories de personnes et les travailleurs du secteur privé. La différence de traitement qui en résulte est en rapport avec l’objet de la loi »63. Le choix du législateur de compenser la hausse de la CSG par une baisse des cotisations salariales n’est donc pas contraire au principe d’égalité devant la loi, même si ce choix a pour conséquence que seules les catégories professionnelles percevant des revenus soumis à ces cotisations sociales bénéficieront d’une telle compensation.

 

- Dans la décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018 précitée, le Conseil a également pris en compte, pour justifier la différence de traitement instaurée par la cotisation due au titre de la protection universelle maladie – qui est une cotisation sociale –, l’objectif d’une « participation effective » de chaque assuré au financement du régime obligatoire.

 

- Enfin, dans sa décision n° 2019-806 QPC du 4 octobre 201964, le Conseil était saisi de la première phrase du second alinéa de l’article L. 131-9 du CSS, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2015-1702 du 21 décembre 2015 de financement de la sécurité sociale pour 2016.

 

Il a tout d’abord relevé que ces dispositions permettent au pouvoir réglementaire de prévoir des taux particuliers de cotisations d’assurance maladie, maternité, invalidité et décès applicables aux revenus d’activité et de remplacement des assurés d’un régime obligatoire de sécurité sociale français qui, ne remplissant pas les conditions de résidence fiscale définies à l’article L. 136-1 du code de la sécurité sociale, ne sont pas assujettis à la contribution sociale généralisée sur ces mêmes revenus. Elles créent donc, au sein d’un même régime obligatoire, une différence de traitement entre les assurés sociaux selon qu’ils sont ou non résidents fiscaux en  France : pour des revenus relevant d’une même assiette, tirés d’une même activité professionnelle exercée en France, l’assuré qui réside fiscalement sur le territoire est assujetti aux cotisations de droit commun, alors que l’assuré qui n’a pas sa résidence fiscale en France verse des cotisations sociales à des taux majorés.

 

Le Conseil s’est ensuite attaché à l’objectif poursuivi par le législateur. À cet égard, il a relevé de manière générale que, « depuis plusieurs années, le financement de la protection sociale n’est plus assuré par les seules cotisations sociales mais pour partie par l’impôt »65.

 

Puis, se rapportant aux travaux préparatoires, le Conseil a considéré que le législateur, en prévoyant l’application de taux particuliers de cotisations sociales pour les assurés sociaux non fiscalement domiciliés en France, avait souhaité éviter, au regard de cette évolution, que puissent bénéficier des baisses de taux de cotisation des assurés sociaux qui, par ailleurs, ne seraient pas affectés par la hausse de la CSG, afin de garantir que « les assurés sociaux participent de manière équivalente au financement des régimes obligatoires d’assurance maladie »66. Or il a estimé qu’un tel objectif constituait bien un objectif d’intérêt général de nature à justifier une différence de traitement, pour peu que celle-ci soit rationnelle, c’est-à–dire en rapport avec l’objet de la loi qui l’instaure.

 

À cet égard, le Conseil a considéré que la différence de traitement ainsi instaurée était « en rapport direct avec l’objet des cotisations sociales, tel qu’il doit s’entendre dans le cadre d'un système de financement mixte de la protection sociale, pour des prestations d'assurance maladie, maternité, invalidité ou décès dont le niveau n'est pas nécessairement lié à la durée pendant laquelle ces cotisations ont été versées ou à leur montant »67.

 

Cette habilitation à fixer des taux particuliers de cotisation trouvant sa justification dans l’objectif que les assurés contribuent de manière équivalente au financement des régimes d’assurance maladie, la marge d’appréciation ouverte aux autorités réglementaires s’en trouve étroitement limitée. Le Conseil constitutionnel a ainsi jugé, sous la forme d’une réserve d’interprétation, que le pouvoir réglementaire ne saurait retenir « des taux particuliers de cotisations sociales de nature à créer des ruptures caractérisées de l’égalité dans la participation des assurés sociaux au financement des régimes d’assurance maladie dont ils relèvent »68.

 

Sous cette réserve, il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques.

 

Comme le relève le commentaire de cette décision, le Conseil « a repris l’une des caractéristiques des cotisations d’assurance maladie mise en avant dans sa décision n° 2017-756 DC précitée et a accepté de prendre en compte l’évolution majeure, engagée depuis longtemps maintenant, que constitue le basculement du financement des régimes obligatoires d’assurance maladie d’un système bismarckien à un système mixte mêlant cotisations sociales et impôt. Ainsi entendu, l’objet des cotisations sociales d’assurance maladie ne se limite plus au financement à due proportion des prestations correspondantes mais autorise à prendre en compte la part de financement assurée par l’impôt et la nécessité d’assurer une participation équivalente de chacun au financement du régime. L’instauration de taux particuliers de cotisation pour les assurés sociaux qui ne sont pas assujettis à la CSG est donc bien en rapport direct avec l’objet des cotisations sociales ainsi entendu ».

 

B. – L’application à l’espèce

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a commencé par répondre au grief des parties requérante et intervenante tiré de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques garantis par les articles 6 et 13 de la Déclaration de 1789 (paragr. 4 et 5).

 

À cet égard, il a rappelé que les dispositions de l’article L. 131-9 du CSS permettent au pouvoir réglementaire de fixer des taux particuliers de cotisations d’assurance maladie, maternité, invalidité et décès à la charge de certains assurés (paragr. 6), dont font partie les artistes du spectacle et les mannequins qui n’ont pas leur résidence fiscale en France. Le Conseil a, en particulier, constaté que, pour ces derniers, les dispositions contestées prévoient que « les redevances qu’ils perçoivent, qui constituent des revenus du patrimoine, sont soumises à ces taux particuliers » (paragr. 7).

 

- Le Conseil a ensuite caractérisé une première différence de traitement « entre ces assurés sociaux, selon qu’ils sont ou non résidents fiscaux en France », alors qu’ils relèvent d’un même régime obligatoire de sécurité sociale (paragr. 8). En effet, les artistes du spectacle et les mannequins, qui sont affiliés à un régime de sécurité sociale, sont soumis au paiement de cotisations sociales sur les redevances qu’ils perçoivent en France, alors que tel n’est pas le cas de ceux qui ont leur résidence fiscale en France et y sont imposables.

 

Puis, le Conseil s’est attaché à identifier l’objectif poursuivi par le législateur.

 

Il a ainsi réitéré le constat, déjà formulé dans sa précédente décision n° 2019–806 QPC précitée du 4 octobre 2019, sur l’évolution du financement de la protection sociale selon lequel « depuis plusieurs années, (ce financement) n’est plus assuré par les seules cotisations sociales mais pour partie par l’impôt ». Il a dès lors relevé que, « En adoptant les dispositions contestées, le législateur a souhaité éviter que les artistes du spectacle et les mannequins non-résidents fiscaux qui sont obligatoirement affiliés à un régime de sécurité sociale, alors qu’ils ne sont pas soumis aux contributions sociales sur leurs revenus du patrimoine, soient par ailleurs dispensés de s’acquitter des cotisations sociales sur les redevances qu’ils perçoivent. En soumettant ces revenus à de telles cotisations, il a ainsi entendu que les assurés sociaux participent de manière équivalente au financement des régimes obligatoires de la sécurité sociale. Ce faisant, il a poursuivi un objectif d’intérêt général » (paragr. 9).

 

Cet objectif d’intérêt général étant à même de justifier la différence de traitement résultant des dispositions contestées, il appartenait encore au Conseil constitutionnel de vérifier qu’elle était rationnelle, c’est-à-dire en rapport avec l’objet de la loi. À cet égard, le Conseil a jugé que cette différence de traitement « est en rapport direct avec l’objet des cotisations sociales, tel qu’il doit s’entendre dans le cadre d’un système de financement mixte de la protection sociale, pour des prestations d’assurance maladie, maternité, invalidité ou décès dont le niveau n’est pas nécessairement lié à la durée pendant laquelle ces cotisations ont été versées ou à leur montant » (paragr. 10).

 

Il a ainsi prolongé la jurisprudence inaugurée par sa décision n° 2017-756 DC précitée du 21 décembre 2017, en tenant compte des évolutions engagées dans le financement de la protection sociale qui conduisent, au regard des nouvelles modalités de ce financement, à redéfinir l’objet des cotisations sociales. La protection sociale étant désormais en grande partie financée par l’impôt et non par les seules cotisations sociales, le législateur a pu tenir compte de cette évolution pour garantir que chaque assuré participe de manière équivalente au financement de ce régime par le paiement soit de l’impôt, soit de cotisations sociales.

 

Ainsi, l’application de taux particuliers de cotisations sociales aux redevances perçues par les artistes du spectacle et les mannequins affiliés à un régime de sécurité sociale, qui n’ont pas leur résidence fiscale en France, à l’instar des autres assurés sociaux et qui, de ce fait, ne sont pas assujettis à la CSG, traduit bien une différence de traitement en rapport direct avec l’objet des cotisations sociales ainsi entendu.

 

Ce faisant, le Conseil n’a relevé aucun obstacle qui s’opposerait à ce que le législateur décide de soumettre à des cotisations sociales de tels revenus du patrimoine.

 

Cependant, dès lors que l’habilitation accordée au pouvoir réglementaire par les dispositions contestées de fixer des taux particuliers de cotisations sociales à la charge de certains assurés trouve sa justification dans l’objectif d’une contribution équivalente des assurés au financement de la protection sociale, la marge d’appréciation ouverte à l’autorité compétente s’en trouve étroitement limitée. Le Conseil constitutionnel a donc réitéré la réserve d’interprétation formulée dans sa précédente décision n° 2019-806 QPC, aux termes de laquelle « les dispositions contestées de l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale ne sauraient, sans méconnaître les principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques, être interprétées comme autorisant le pouvoir réglementaire à fixer des taux particuliers de cotisations sociales de nature à créer des ruptures caractérisées de l’égalité dans la participation des assurés sociaux au financement du régime obligatoire dont ils relèvent » (paragr. 11).

 

- Le Conseil constitutionnel a ensuite examiné la seconde différence de traitement résultant des dispositions contestées entre, d’une part, les mannequins et artistes du spectacle non-résidents fiscaux, dont les redevances sont soumises à des cotisations sociales et, d’autre part, les autres personnes non domiciliées fiscalement en France, qui ne supportent pas de telles cotisations sur leurs revenus du patrimoine.

 

Le Conseil a toutefois relevé que « les artistes du spectacle et les mannequins non-résidents fiscaux sont obligatoirement affiliés à un régime de sécurité sociale au titre de leur activité exercée en France » et qu’ils se trouvent « dans une situation différente des autres personnes non-résidentes fiscales qui perçoivent des revenus du patrimoine sans être affiliées à un tel régime ». Il en a déduit que « La différence de traitement ainsi instituée, qui repose sur une différence de situation, est en rapport direct avec l’objet de la loi » (paragr. 12).

 

Sous la réserve précédemment énoncée, le Conseil constitutionnel a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et devant les charges publiques (paragr. 13).

 

* Enfin, le Conseil constitutionnel a constaté que « les dispositions critiquées se bornent à prévoir, à compter de leur entrée en vigueur, l’application de taux particuliers de cotisations sociales aux redevances perçues par certains artistes du spectacle et mannequins, dès lors qu’ils sont affiliés à la sécurité sociale ». Il a donc écarté le grief tiré de la méconnaissance des exigences de l’article 16 de la Déclaration de 1789 (paragr. 14).

 

Jugeant que les dispositions contestées ne méconnaissaient aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, il les a donc, sous la réserve énoncée au paragraphe 11, déclarées conformes à la Constitution.

 

_______________________________________

1 Ces besoins résultaient notamment d’une extension progressive de prestations versées et de la généralisation de certaines d’entre elles sans contrepartie de cotisations (prestations dites « universelles »).

2 Benjamin Ferras, « Les évolutions du financement de la protection sociale française : réforme ou contre-réforme, évolution ou révolution ? », Revue de droit sanitaire et social, 2019, p. 901.

3 De manière générale, le financement de la protection sociale peut être assuré principalement de deux manières, soit par le versement de cotisations sociales, soit par l’impôt. Dans le système reposant sur un financement assuré par des cotisations sociales, dit « bismarckien », « le système des assurances sociales réserve le bénéfice de ses couvertures aux individus contribuant à son financement, par des cotisations prélevées sur leurs revenus d’activité » (Benjamin Ferras, article précité, p. 898). Dans le système de financement par l’impôt, dit « beveridgien », qui repose sur l’idée d’une universalité de la protection sociale, les prestations sont accordées uniformément aux membres de la collectivité indépendamment de leur statut professionnel et du risque social concerné (Romain Marié, « Vers un basculement du système français de sécurité sociale dans le modèle beveridgien ? », Revue de droit sanitaire et social, 2011, p. 727).

4 Benjamin Ferras, article précité, p. 901.

5 Article 127 de la loi n° 90-1168 du 29 décembre 1990 portant loi de finances pour 1991.

6 Cf. le 3° de l’article L. 131-8 du CSS.

7 Les revenus d’activité sont ceux qui sont liés aux activités salariées et aux activités non salariées pour les travailleurs indépendants.

8 Les revenus de remplacement sont ceux qui compensent une perte de rémunération pendant une période d’inactivité.

9 Les revenus du capital, ou revenus du patrimoine, correspondent aux revenus fonciers, aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux.

10 Pour la CSG portant sur les revenus d’activité et de remplacement, une seconde condition d’assujettissement est prévue : les intéressés doivent également être à la charge, à quelque titre que ce soit, d’un régime obligatoire d’assurance-maladie français.

11 Décision n° 90-285 DC du 28 décembre 1990, Loi de finances pour 1991, cons. 8 et 9.

12 Loi n° 97-1164 du 19 décembre 1997 de financement de la sécurité sociale pour 1998.

13 Avis n° 386 (Assemblée nationale - XIème législature) de M. Augustin Bonrepaux, au nom de la commission des finances, de l’économie générale et du plan du 23 octobre 1997.

14 Compte-rendu des débats, 2e séance du mardi 28 octobre 1997, Journal Officiel, p. 36 et 37.

15 Mme Martine Aubry, ministre de l’emploi et de la solidarité, ibid., p. 37.

16 Rapport n° 73 de M. Charles Descours fait au nom de la commission des affaires sociales du Sénat, Tome IV, 5 novembre 1997.

17 Le premier alinéa prévoyait, pour sa part que les cotisations sociales dues par ces personnes étaient supprimées « lorsque le taux de ces cotisations, en vigueur au 31 décembre 1997, est inférieur ou égal à 2,8 % pour les revenus de remplacement, à 4,75 % pour les revenus d’activité ».

18 Voir le décret n° 97-1252 du 29 décembre 1997 modifiant les taux de cotisations d’assurance maladie et d’allocations familiales de certains assurés et modifiant le code de la sécurité sociale. Ces taux ont été modifiés, en dernier lieu, par le décret n° 2018-162 du 6 mars 2018 relatif aux taux particuliers des cotisations d’assurance maladie des personnes visées à l’article L. 131-9 du code de la sécurité sociale.

19 Loi n° 2004-1370 du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005.

20 Article 40 de la loi n° 98-349 du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile.

21 Article 3 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 de financement de la sécurité sociale pour 1999.

22 Article 24 de la loi n° 2008-1330 du 17 décembre 2008 de financement de la sécurité sociale pour 2009.

23 Article 19 de la loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012.

24 Isabelle Daugareilh et Philippe Martin, « Artiste, mannequin et spectacle », Répertoire de droit du travail, Dalloz, septembre 2003 (actualisation : octobre 2015), § 96 et suivants.

25 L’article L. 7123-2 du code du travail prévoit qu’« Est considérée comme exerçant une activité de mannequin, même si cette activité n’est exercée qu’à titre occasionnel, toute personne qui est chargée : / 1° Soit de présenter au public, directement ou indirectement par reproduction de son image sur tout support visuel ou audiovisuel, un produit, un service ou un message publicitaire ; / 2° Soit de poser comme modèle, avec ou sans utilisation ultérieure de son image ».

26 Selon l’article L. 7123-3 du code du travail, « Tout contrat par lequel une personne s’assure, moyennant rémunération, le concours d’un mannequin est présumé être un contrat de travail ».

27 La même règle est également prévue par l’article L. 7121-8 du code du travail pour les royalties versées à un artiste du spectacle.

28 Loi n° 2010-1594 du 20 décembre 2010 de financement de la sécurité sociale pour 2011.

29 Le forfait social est une contribution à la charge de l’employeur prélevée sur les rémunérations ou gains exonérés de cotisations sociales mais assujettis à la CSG.

30 Voir le 1° de l’article 13 du projet de loi n° 2851 de financement de la sécurité sociale pour 2011 et son exposé des motifs.

31 Amendement n° 101 rectifié bis.

32 L’exposé sommaire de l’amendement souligne ainsi que « En effet, les redevances ne doivent pas être versées en contrepartie ou à l’occasion du travail, faute de quoi elles cessent d’être des redevances et doivent être qualifiées de salaires. Elles sont, au contraire, impérativement fonction de l’exploitation de l’enregistrement et s’analysent toujours comme la contrepartie de l’exercice d’un droit de propriété intellectuelle ».

33 Compte rendu intégral de la séance du 12 novembre 2010.

34 Loi n° 2011-1906 du 21 décembre 2011 de financement de la sécurité sociale pour 2012

35 Amendement n° 175 rect. bis de Mme Catherine Morin-Desailly et autres, le 9 novembre 2011.

36 Cet amendement prévoyait ainsi que ce recouvrement prend la forme d’un précompte opéré par l’employeur ou l’utilisateur de l’enregistrement et versé à l’URSSAF selon des modalités identiques à celles applicables aux cotisations du régime général de la sécurité sociale

37 L’article L. 131-9 du CSS a depuis lors été modifié à plusieurs reprises, notamment par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, qui a abrogé son premier alinéa prévoyant une suppression des cotisations sociales sur les revenus d’activités et de remplacement, lorsque les taux de ces cotisations étaient inférieurs à un certain seuil. Ces dispositions ont également été modifiées, en dernier lieu, par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2024, qui a prévu, à compter de 2026, une simplification de l’assiette des cotisations et contributions sociales des travailleurs indépendants.

38 Selon les modalités de recouvrement spécifiques prévues par le paragraphe IV du même article.

39 Soit, 9,2 % pour la CSG, 0,5 %, pour la contribution au remboursement de la dette sociale (CRDS) et 7,5 %, pour le prélèvement de solidarité.

40 Si l’article D. 242-3 du CSS fixe respectivement à 13 % le taux de la cotisation à la charge de l’employeur et à 5,5 % celui à la charge du salarié ou assimilé, il y a lieu de tenir compte de la minoration de 70 % résultant de l’arrêté du 24 janvier 1975 fixant le taux des cotisations de sécurité sociale et d’allocations familiales dues au titre de l’emploi des artistes du spectacle.

41 Il s’agissait du syndicat national des agences de mannequins.

42 Voir, par exemple, décision n° 2023-1049 QPC du 26 mai 2023, Société Nexta 2022 (Exclusion des opérations portant sur les titres et contrats financiers du champ de la révision pour imprévision), paragr. 3.

43 Décision n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2013, cons. 10.

44 Même décision, cons. 12.

45 Voir, par exemple, les décisions n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, paragr. 17, 46 et 47, et n° 2019-806 QPC du 4 octobre 2019 M. Gilbert A. (Taux dérogatoires des cotisations sociales des assurés sociaux non fiscalement domiciliés en France), paragr. 7 à 12.

46 Décision n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000, Loi d’orientation pour l’outre-mer, cons. 48.

47 Décision n° 2010-620 DC du 16 décembre 2010, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, cons. 15.

48 Décision n° 2015-460 QPC du 26 mars 2015, Comité de défense des travailleurs frontaliers du Haut-Rhin et autre (Affiliation des résidents français travaillant en Suisse au régime général d’assurance maladie - assiette des cotisations), cons. 22.

49 Ibidem, cons. 23.

50 Décision n° 2018-735 QPC du 27 septembre 2018, M. Xavier B. et autres (Cotisation due au titre de la protection universelle maladie), paragr. 15 et 16.

51 Décision n° 2014-698 DC du 6 août 2014, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2014, cons. 13.

52 Décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2018, paragr. 17.

53 Décision n° 99-416 DC du 23 juillet 1999, Loi portant création d’une couverture maladie universelle, cons. 9. Cf., également, décision n° 2015-460 QPC du 26 mars 2015 précitée, cons. 14.

54 Décision n° 99-416 DC précitée, cons. 9.

55 Ibid.

56 Décision n° 2012-659 DC précitée. Dans cette décision, le Conseil évoque également, comme justification historique de la différence de traitement contestée, le « choix du partage de l’obligation de versement des cotisations sociales entre employeurs et salariés » (cons. 13).

57 Décision n° 2015-460 DC précitée, cons. 14. Pour une différence de traitement sur les compensations applicables entre les régimes obligatoires d’assurance-vieillesse, voir notamment décision n° 2015-495 QPC du 20 octobre 2015, Caisse autonome de retraite des médecins de France et autres (Compensation entre les régimes obligatoires de base d’assurance vieillesse), cons. 9.

58 Décision n° 97-393 DC du 18 décembre 1997, Loi de financement de la sécurité sociale pour 1998, cons. 5 à 7. Il peut être relevé que l’article 5 portait également sur l’article L. 131-7-1 du CSS dont, ainsi qu’il a été dit précédemment, les dispositions ont été transférées à l’article L. 131-9 du CSS par la loi du 20 décembre 2004 de financement de la sécurité sociale pour 2005. Or, le Conseil l’a déclaré, dans le dispositif de sa décision, conforme à la Constitution sans avoir examiné, dans ses motifs, la modification apportée à cet article (qui prévoyait, pour tous les assurés sociaux, que les cotisations d’un taux inférieur à certains seuils n’étaient plus exigibles).

59 Jurisprudence selon laquelle « la régularité au regard de la Constitution des termes d’une loi promulguée peut être utilement contestée à l’occasion de l’examen de dispositions législatives qui la modifient, la complètent ou affectent son domaine » (décision n° 85-187 DC du 25 janvier 1985, Loi relative à l’état d’urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances, cons. 10).

60 Décision n° 2012-659 DC du 13 décembre 2012 précitée, cons. 15.

61 Décision n° 2017-756 DC du 21 décembre 2017 précitée.

62 Ibidem, paragr. 15.

63 Ibidem, paragr. 16.

64 Décision n° 2019-806 QPC du 4 octobre 2019, M. Gilbert A. (Taux dérogatoires des cotisations sociales des assurés sociaux non fiscalement domiciliés en France).

65 Ibidem, paragr. 8.

66 Ibidem, paragr. 9.

67 Ibidem, paragr. 10.

68 Ibidem, paragr. 11.