Non conformité totale - effet différé
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 6 décembre 2023 par la Cour de cassation (chambre criminelle, arrêt n° 1566 du 29 novembre 2023) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par la SCI de la Fontaine portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l’article 710 du code de procédure pénale (CPP), dans sa rédaction résultant de la loi n° 2021–1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
Dans sa décision n° 2023-1080 QPC du 6 mars 2024, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution le deuxième alinéa de l’article 710 du CPP, dans cette rédaction.
I. – Les dispositions renvoyées
A. – Objet des dispositions renvoyées
1. – La peine complémentaire de confiscation des biens
* Conformément au premier alinéa de l’article 131-21 du code pénal, la peine complémentaire de confiscation d’un bien, qui emporte transfert forcé de propriété de ce bien à l’État1, est encourue dans les cas prévus par la loi ou le règlement ainsi que, de plein droit, pour les crimes et les délits punis d’au moins un an d’emprisonnement, à l’exception des délits de presse.
Si le principe est celui de la confiscation en nature2, il résulte du neuvième alinéa de l’article 131-21 que la confiscation peut également être ordonnée en valeur. Elle peut alors « être exécutée sur tous biens, quelle qu’en soit la nature, appartenant au condamné ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, dont il a la libre disposition »3. À cet égard, « les juridictions ne sont pas contraintes de confisquer des biens déterminés de manière limitative dans leur décision mais peuvent prononcer des peines de confiscation déterminées d’après l’estimation de la valeur du produit des infractions, ce qui permet l’exécution de la décision de confiscation sur l’ensemble des biens du condamné, à hauteur du montant fixé par la juridiction, même si ces biens ne sont identifiés qu’ultérieurement ou n’ont pas de lien direct avec la commission de l’infraction »4.
* La peine de confiscation a normalement vocation à être dirigée contre le propriétaire du bien, c’est-à-dire la personne qui peut justifier d’un tel titre sur la chose confisquée.
Toutefois, cette peine peut également s’appliquer aux biens dont l’auteur de l’infraction n’est pas le propriétaire, mais dont il a la libre disposition. Cette possibilité est expressément prévue par l’article 131-21 du code pénal lorsque la confiscation est ordonnée en valeur et lorsque la confiscation en nature porte sur l’instrument de l’infraction, des biens dont la personne condamnée ne peut justifier de l’origine ou tout ou partie de son patrimoine.
Le périmètre des biens pouvant faire l’objet de cette peine, qui a été progressivement étendu5, répond au souhait du législateur d’en assurer l’effectivité en évitant que les personnes anticipant une peine de confiscation ne prennent les dispositions juridiques nécessaires pour que leurs biens soient formellement la propriété d’autres personnes servant de prête–nom, alors qu’elles en conserveraient le contrôle effectif et continueraient, en pratique, d’en jouir ou d’en retirer des bénéfices6.
La Cour de cassation a ainsi admis la saisie d’un immeuble appartenant à une société civile immobilière ou celle d’un fonds de commerce exploité par une société dont les titres étaient, dans les deux cas, détenus exclusivement par les personnes poursuivies7 ou encore la saisie d’un bien immobilier qui était la propriété d’une SCI constituée entre les deux filles du prévenu, mais dont il était le gérant de fait8. Elle admet en outre que la confiscation puisse porter sur des biens dont la personne mise en cause est seulement détentrice lorsqu’il s’agit de l’objet ou du produit de l’infraction9.
2. – Les droits des tiers propriétaires du bien confisqué
a. – Les droits des tiers propriétaires dont le titre est connu ou qui ont réclamé cette qualité au cours de la procédure
* L’extension du champ de la peine de confiscation à des biens dont la personne mise en cause n’est pas propriétaire mais dont elle a la disposition a pu engendrer des difficultés d’exécution de cette mesure. La confiscation de tels biens étant susceptibles de porter préjudice aux intérêts de leur propriétaire, tiers à la procédure, il est apparu nécessaire de permettre à ce dernier de se défendre à l’occasion de cette procédure.
L’article 131-21 du code pénal a prévu en ce sens que la confiscation ne peut intervenir que « sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi »10.
Cette règle a été introduite en même temps que les dispositions élargissant la confiscation à des biens qui étaient seulement détenus par la personne condamnée (sans qu’elle en soit nécessairement elle-même propriétaire), afin de permettre au tiers ignorant l’usage ou la destination délictueuse donnée à ses biens d’en recouvrer la pleine propriété. La bonne foi du propriétaire étant présumée, il appartient au ministère public de rapporter la preuve contraire s’il estime que le tiers avait laissé en conscience son bien à la libre disposition de l’auteur de l’infraction11.
* À l’exception de l’hypothèse particulière visée au cinquième alinéa de l’article 131-21, qui prévoit expressément que le tiers propriétaire est alors « mis en mesure de s’expliquer sur les biens dont la confiscation est envisagée », aucune garantie procédurale n’avait toutefois été instituée de manière générale pour permettre aux tiers propriétaires d’être entendus ou même attraits à la procédure de jugement dans le cas où la juridiction compétente envisage de prononcer cette peine. Cette lacune avait été critiquée par la doctrine comme compromettant l’effectivité des droits de ces personnes, en méconnaissance des exigences du droit de l’Union européenne et de la Cour européenne des droits de l’homme12.
Dans le cas où le bien du tiers propriétaire avait été saisi en cours de procédure, ce dernier disposait certes de la faculté d’en demander la restitution lors de l’audience de jugement en application de l’article 479 du CPP13. La juridiction se prononçait alors sur l’éventuelle confiscation après un débat contradictoire auquel il pouvait ainsi prendre part. Dans ce cadre, elle appréciait notamment si le tiers pouvait faire valoir son droit de propriété de bonne foi.
En revanche, aucune disposition ne prévoyait l’information des tiers ou la faculté pour eux d’exercer un recours contre la confiscation des biens leur appartenant lorsque ceux-ci n’avaient pas été préalablement saisis et n’avaient donc pu, pour ce motif, faire l’objet d’une requête en restitution. Il en résultait que, toutes les fois où le tiers propriétaire était resté dans l’ignorance de la procédure, la confiscation de son bien pouvait intervenir sans qu’il n’ait pu présenter ses observations.
Pour résoudre en partie cette difficulté, la Cour de cassation avait d’abord jugé, par un arrêt du 20 mai 2015, que la juridiction de jugement peut, sur le fondement de l’article 710 du CPP, être saisie postérieurement au prononcé de la peine d’un incident contentieux relatif à son exécution par le tiers propriétaire, sans que puisse alors lui être opposée l’autorité de la chose jugée14.
Certains auteurs15 ont toutefois pointé les limites de cette jurisprudence dans la mesure où, d’une part, il n’est pas prévu que la décision de confiscation doive être notifiée aux tiers – ce qui pouvait conférer à la voie de droit ouverte par l’article 710 du CPP un caractère contingent – et où, d’autre part, cette procédure ne prévoit qu’un rétablissement a posteriori du caractère contradictoire de la procédure.
* Le Conseil constitutionnel a été saisi à plusieurs reprises, en 2021, de dispositions du code de procédure pénale auxquelles il était reproché de ne pas prévoir que le tiers propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure doit être cité à comparaître devant la juridiction de jugement et pouvoir présenter de ses observations.
Par ses décisions nos 2021-899 QPC du 23 avril 2021, 2021-932 QPC du 23 septembre 2021 et 2021-949/950 QPC du 24 novembre 2021, il a déclaré plusieurs dispositions de l’article 131-21 du code pénal contraires aux exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration de 1789, après avoir constaté que ni les dispositions contestées ni aucune autre disposition ne prévoyaient que le tiers propriétaire soit mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée devant la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir ses droits et sa bonne foi16.
À la suite de ces décisions, le législateur est intervenu, par la loi du 22 décembre 202117 puis par la loi du 2 mars 202218, afin, d’une part, de compléter l’article 131–21 par un nouvel alinéa prévoyant que, en dehors du cas dans lequel la confiscation est obligatoire, « lorsque la peine de confiscation porte sur des biens sur lesquels toute personne autre que le condamné dispose d’un droit de propriété, elle ne peut être prononcée si cette personne dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure n’a pas été mise en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement aux fins, notamment, de faire valoir le droit qu’elle revendique et sa bonne foi ». D’autre part, les autres alinéas de cet article relatifs aux différentes catégories de biens pouvant faire l’objet d’une confiscation ont été complétés afin de prévoir expressément que cette mesure ne peut intervenir que sous réserve des dispositions de son dernier alinéa19.
Depuis ces réformes, le tiers propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure doit donc être entendu par la juridiction de jugement avant que la peine de confiscation ne soit prononcée.
En outre, la Cour de cassation a jugé, au visa notamment des jurisprudences de la CEDH et de la CJUE, qu’il est recevable à interjeter appel ou à former un pourvoi en cassation contre la décision ordonnant la confiscation de son bien, y compris lorsqu’il n’a pas été mis en mesure de présenter ses observations sur la mesure de confiscation envisagée par la juridiction de jugement, en méconnaissance des dispositions précitées de l’article 131-21 du code pénal20.
b. – Les droits des tiers propriétaires dont le titre n’est pas connu et qui n’ont pas réclamé cette qualité au cours de la procédure
* Si, désormais, le tiers propriétaire dont le titre est connu ou qui a réclamé cette qualité au cours de la procédure dispose de garanties procédurales propres à lui permettre de faire valoir ses droits devant la juridiction susceptible de prononcer la confiscation, il en va différemment du tiers propriétaire dont le titre n’est pas connu ou qui n’a pas réclamé cette qualité au cours de la procédure, qui peut toujours voir ses biens saisis sans avoir été mis en mesure d’exercer ses droits devant la juridiction de jugement.
Dans cette hypothèse, il résulte de la jurisprudence constante de la Cour de cassation précédemment rappelée que la juridiction de jugement peut, sur le fondement de l’article 710 du CPP, être saisie postérieurement au prononcé de la peine par le tiers propriétaire d’un incident contentieux relatif à son exécution. Elle apprécie alors s’il y a lieu de confirmer la peine ou de restituer le bien.
Le premier alinéa de l’article 710 détermine, à cet égard, la juridiction compétente pour examiner cet incident contentieux. Son premier alinéa énonce ainsi le principe selon lequel « Tous incidents contentieux relatifs à l’exécution sont portés devant le tribunal ou la cour qui a prononcé la sentence »21.
Selon la Professeure Martine Herzog-Evans, « l’esprit de ce texte est […] de saisir immédiatement ou, à tout le moins, rapidement, une juridiction pénale pour lui demander de traiter de la difficulté qui est née de l’interprétation, d’une erreur, ou encore de la suite immédiate d’un arrêt (restitution d’objet par exemple)»22.
Toutefois, le deuxième alinéa de l’article 710 (les dispositions renvoyées) précise, par dérogation à ce principe, qu’« En matière criminelle, la chambre de l’instruction connaît des rectifications et des incidents d’exécution auxquels peuvent donner lieu les arrêts de la cour d’assises ».
La même autrice souligne à cet égard qu’« Il n’est naturellement pas possible de confier à la cour d’assises, juridiction temporaire au domaine spécial et limité au jugement des crimes, les recours fondés sur l’article 710. Elle est donc incompétente pour réparer ses erreurs matérielles ou omissions, même s’agissant de décisions civiles (Crim. 27 sept. 2000, pourvoi n° 99-87.598, Bull. crim. n° 282, D. 2000, IR 280). Il serait tout à fait aussi inenvisageable d’en confier le contentieux aux juridictions correctionnelles. C’est donc tout naturellement à la chambre de l’instruction, "bonne à tout faire" de la procédure pénale, mais également juridiction de second degré, que le contentieux relatif aux crimes est confié par l’article 710 ».
* Les voies de recours contre la décision rendue sur la requête en difficulté d’exécution du tiers propriétaire d’un bien confisqué résultent de l’application des règles de droit commun et varient ainsi en fonction de la juridiction qui a rendu la décision.
Ainsi, si la décision a été rendue par le tribunal correctionnel, elle pourra faire, comme tout jugement rendu par cette juridiction, l’objet d’un appel23.
Si la décision a été rendue par la chambre des appels correctionnels ou, en matière criminelle, par la chambre de l’instruction, qui sont des formations des cours d’appel, la décision ne sera pas susceptible d’appel, mais seulement d’un pourvoi en cassation24.
B. – Origine de la QPC et question posée
Dans le cadre d’une information judiciaire relative à un trafic de stupéfiants, M. Sylvain C., associé minoritaire de la société requérante, avait été mis en examen et placé en détention provisoire. Le 29 mars 2011, ce dernier avait cédé l’ensemble de ses parts sociales à l’épouse de M. Frédéric C., actionnaire majoritaire.
Par deux ordonnances du 3 décembre 2013, le juge d’instruction avait ordonné la saisie de ces parts sociales ainsi que de deux immeubles détenus par la société requérante.
Par deux arrêts du 6 novembre 2014, la chambre de l’instruction de la cour d’appel avait confirmé ces ordonnances.
Par un arrêt du 2 avril 2015, la cour d’assises avait notamment déclaré M. Sylvain C. coupable du chef d’importation de stupéfiants en bande organisée et ordonné la mainlevée de la saisie des parts sociales, sans toutefois se prononcer sur la saisie des deux immeubles détenus par la société requérante.
Le 30 juillet 2018, la société requérante avait saisi la chambre de l’instruction de la cour d’appel d’une requête en difficulté d’exécution de l’arrêt du 2 avril 2015 afin notamment qu’elle ordonne la restitution de ces deux biens. Par arrêt du 19 avril 2023, la chambre de l’instruction avait rejeté cette requête.
La société avait alors formé un pourvoi contre cette décision, à l’occasion duquel elle avait soulevé une QPC portant sur l’article 710 du code de procédure pénale.
Dans son arrêt précité du 29 novembre 2023, la Cour de cassation avait jugé que cette question présentait un caractère sérieux. Elle avait en effet d’abord rappelé qu’« en cas de confiscation d’un bien appartenant à une personne non condamnée pénalement dont le titre est inconnu et qui n’a pas réclamé cette qualité au cours de la procédure, cette dernière est recevable à soulever, devant la juridiction ayant ordonné la confiscation, un incident contentieux relatif à l’exécution de cette peine, afin de solliciter la restitution du bien lui appartenant, sans que puisse être opposée à l’intéressé l’autorité de la chose jugée de la décision de confiscation (Crim., 20 mai 2015, pourvoi n° 14-81.741, Bull. crim. 2015, n° 121). La juridiction est alors tenue d’apprécier si, en application des dispositions prévoyant la confiscation, il y a lieu de confirmer cette peine et, à défaut, de prononcer sur la demande de restitution sur le fondement des textes applicables à ce contentieux. / En matière correctionnelle, l’incident est porté devant le tribunal correctionnel ou la cour d’appel, selon que la confiscation a été prononcée par l’une ou l’autre de ces juridictions. Lorsque l’incident est porté devant le tribunal correctionnel, le requérant peut contester la décision par la voie de l’appel. / Au contraire, en matière criminelle, en application des dispositions contestées, l’incident est porté devant la chambre de l’instruction dont les décisions ne sont pas susceptibles d’être attaquées par la voie de l’appel ». Elle avait ainsi constaté qu’« Il en résulte une différence de traitement entre les propriétaires non condamnés pénalement de biens confisqués selon que la confiscation a été prononcée par un tribunal correctionnel ou par une cour d’assises ».
Puis elle avait considéré que « si une telle différence de traitement pourrait être justifiée par la nécessité de saisir de la difficulté d’exécution la juridiction ayant rendu la décision litigieuse, qui est la plus à même de porter une appréciation à cet égard, cela n’est pas le cas en l’espèce, dès lors que l’incident n’est pas porté devant la cour d’assises mais devant la chambre de l’instruction ». Elle en avait déduit que « les dispositions contestées sont susceptibles de procéder à une distinction injustifiée entre les propriétaires non condamnés pénalement de biens confisqués et d’ainsi méconnaître le principe d’égalité devant la justice ».
Elle avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.
II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
* Les requérants faisaient valoir que les dispositions renvoyées, telles qu’interprétées par la jurisprudence de la Cour de cassation, méconnaissaient le principe d’égalité à un double titre. D’une part, elles ne permettaient pas au tiers propriétaire d’un bien confisqué, dont le titre n’est pas connu et qui n’a pas réclamé cette qualité au cours de la procédure, d’interjeter appel de la décision statuant sur sa requête en incident contentieux sur l’exécution de cette peine lorsque celle-ci a été prononcée par une cour d’assises, alors que cette faculté lui est ouverte lorsque cette peine a été prononcée par un tribunal correctionnel. D’autre part, elles traitaient différemment ce tiers propriétaire de celui qui a été identifié au cours de la procédure, dès lors que ce dernier peut, en application de l’article 131-21 du code pénal, interjeter appel de la décision de confiscation de son bien prononcée par une juridiction criminelle de première instance.
Selon eux, ces dispositions méconnaissaient, pour les mêmes motifs, le droit à un recours juridictionnel effectif.
A. – La jurisprudence constitutionnelle
* Aux termes de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « La loi … doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ». De manière constante, le Conseil constitutionnel juge que le principe d’égalité devant la loi « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »25.
Sur ce fondement, le Conseil veille, de manière générale, à ce que les différences de traitement opérées par la loi soient à la fois justifiées par une raison suffisante – qu’elle procède d’une différence de situation ou d’un motif d’intérêt général – et en adéquation avec l’objet de la loi.
* En matière de justice, l’exigence d’égalité est renforcée. Le Conseil constitutionnel se fonde alors en effet sur l’article 6, précité, et sur l’article 16 de la Déclaration de 1789, en vertu duquel « Toute société dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n’a point de Constitution » qui assure la garantie des droits et, en particulier, les droits de la défense, le droit à un recours juridictionnel effectif et le droit à un procès équitable
Il juge, sur ce double fondement, que « si le législateur peut prévoir des règles de procédure différentes selon les faits, les situations et les personnes auxquelles elles s’appliquent, c’est à la condition que ces différences ne procèdent pas de distinctions injustifiées et que soient assurées aux justiciables des garanties égales »26.
Le principe d’égalité devant la justice implique donc non seulement la prohibition des distinctions injustifiées, à l’instar du principe d’égalité devant la loi, mais également l’obligation d’assurer, en cas de distinctions justifiées, des garanties égales aux justiciables.
Au regard de ce principe, la jurisprudence du Conseil constitutionnel a un double objet :
– D’une part, elle garantit l’égalité entre les parties à une même procédure : c’est « l’équilibre des droits des parties ». Cette dimension du principe constitutionnel d’égalité devant la justice implique de comparer la situation des différentes parties à une même procédure et, notamment, en procédure pénale, celle de la personne mise en cause (mis en examen ou prévenu), de la partie civile et du ministère public27.
– D’autre part, elle s’assure du respect du droit des justiciables placés dans une situation identique à être jugés devant les mêmes formations de jugement ou selon des garanties de procédure égales. À ce titre, le Conseil constitutionnel veille à ce qu’une différence de traitement, qu’elle soit d’ordre juridictionnel28 ou procédural29, ne soit pas injustifiée et à ce qu’elle ne prive pas le justiciable d’une garantie reconnue à d’autres. Il s’assure également que la différence de traitement repose sur des critères objectifs et rationnels30.
* Dans sa décision n° 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, le Conseil a admis que les règles de procédure pénale diffèrent selon que la personne est poursuivie pour un crime devant la cour d’assises ou pour un délit ou une contravention devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police : « Considérant […] que les personnes accusées de crime devant la cour d’assises sont dans une situation différente de celle des personnes qui sont poursuivies pour un délit ou une contravention devant le tribunal correctionnel ou le tribunal de police ; que, par suite, le législateur a pu, sans méconnaître le principe d’égalité, édicter pour le prononcé des arrêts de la cour d’assises des règles différentes de celles qui s’appliquent devant les autres juridictions pénales »31.
Par ailleurs, dans sa récente décision n° 2023-1069/1070 QPC du 24 novembre 202332, saisi de dispositions relatives aux cours criminelles départementales, le Conseil constitutionnel a jugé que « En premier lieu, d’une part, les personnes jugées devant une cour criminelle départementale sont, eu égard à la nature des faits qui leur sont reprochés et aux circonstances exigées pour leur renvoi devant cette juridiction, dans une situation différente de celle des personnes jugées devant une cour d’assises. Ainsi, en retenant de tels critères, le législateur n’a pas instauré de discriminations injustifiées entre ces personnes. / D’autre part, si les accusés ne sont pas soumis aux mêmes règles de majorité selon qu’ils comparaissent devant une cour d’assises ou devant une cour criminelle départementale, cette différence de traitement est justifiée par une différence de situation tenant à la composition respective de ces deux juridictions. / En second lieu, à l’exception de celles mettant en jeu la présence du jury, les règles de procédure applicables devant la cour criminelle départementale sont identiques à celles applicables devant la cour d’assises. En outre, la cour criminelle départementale présente, par sa composition, les mêmes garanties d’indépendance et d’impartialité. Sont ainsi assurées aux accusés, qu’ils soient jugés devant une cour d’assises ou devant une cour criminelle départementale, des garanties équivalentes ». Il a donc écarté les griefs tirés de la méconnaissance des principes d’égalité devant la loi et la justice.
* En revanche, le Conseil censure des dispositions qui créent sans justification des distinctions entre les justiciables.
Dans la décision n° 2007-559 DC du 6 décembre 2007, le Conseil était saisi de dispositions permettant à tout représentant à l’assemblée de la Polynésie française, lorsqu’il saisit le tribunal administratif ou le Conseil d’État d’un recours en annulation d’un acte de la Polynésie française, d’assortir ce recours d’une demande de suspension sans qu’il soit justifié de la condition d’urgence. Le Conseil constitutionnel a jugé que, par ces dispositions, « le législateur a instauré une différence de situation entre les représentants à l’assemblée de la Polynésie française et les autres justiciables qui n’est pas justifiée au regard de l’objectif de contrôle juridictionnel des actes administratifs ; qu’il a, par suite, méconnu le principe d’égalité devant la justice ; qu’il s’ensuit que le deuxième alinéa du II de l’article 32 doit être déclaré contraire à la Constitution »33.
Dans sa décision n° 2015-492 QPC du 16 octobre 2015, le Conseil a censuré des dispositions qui prévoyaient que seule une association se proposant, par ses statuts, de défendre les intérêts moraux et l’honneur de la Résistance ou des déportés peut exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les délits d’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité réprimés par le cinquième alinéa de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881. Le Conseil a jugé : « Considérant, d’une part, que le législateur n’a pas prévu une répression pénale différente pour l’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité selon que ces crimes ont été commis ou non pendant la seconde guerre mondiale ; que, d’autre part, il ne ressort ni des dispositions contestées ou d’une autre disposition législative ni des travaux préparatoires de la loi du 13 juillet 1990 l’existence de motifs justifiant de réserver aux seules associations défendant les intérêts moraux et l’honneur de la Résistance ou des déportés la faculté d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité ; que, par suite, les dispositions contestées, en excluant du bénéfice de l’exercice des droits reconnus à la partie civile les associations qui se proposent de défendre les intérêts moraux et l’honneur des victimes de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité autres que ceux commis durant la seconde guerre mondiale, méconnaissent le principe d’égalité devant la justice »34.
Dans sa décision n° 2021-909 QPC du 26 mai 2021, s’agissant de dispositions prévoyant que la personne citée directement par la partie civile à comparaître devant le tribunal de police ne peut, dans la même instance, demander que cette dernière soit condamnée, en cas de relaxe, au paiement de dommages-intérêts pour abus de constitution de partie civile, le Conseil a constaté que cette possibilité était ouverte, en cas de désistement de la partie civile, pour la personne directement citée devant le tribunal de police en application de l’article 536 du CPP. Elle l’est aussi pour le prévenu qui, après avoir été cité directement devant le tribunal de police, est relaxé en appel, en application de l’article 549 du même code. Il en a déduit que « Dès lors, les dispositions contestées procèdent à une distinction injustifiée entre les justiciables poursuivis par citation directe devant le tribunal de police. Par conséquent, elles méconnaissent le principe d’égalité devant la justice et doivent donc être déclarées contraires à la Constitution »35.
* Dans la même logique, le Conseil constitutionnel juge de manière constante que si le principe de double degré de juridiction n’est pas une exigence constitutionnelle36, le principe d’égalité devant la justice est méconnu lorsque des dispositions réservent de manière injustifiée un double degré de juridiction à certains justiciables et l’excluent pour d’autres.
Par exemple, dans sa décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, le Conseil a censuré des dispositions permettant à la partie civile de présenter de nouvelles demandes en cause d’appel et de se constituer, pour la première fois, en cause d’appel. Il a jugé que « si la faculté pour la victime s’étant constituée partie civile en première instance de présenter des demandes nouvelles en cause d’appel et celle pour la personne lésée de se constituer partie civile pour la première fois en appel ne sont ouvertes qu’autant que des motifs sérieux peuvent être invoqués par les intéressés, leur exercice pourtant serait nécessairement générateur d’inégalités devant la justice, puisque, selon l’attitude de la personne qui demande réparation, les prévenus bénéficieraient ou ne bénéficieraient pas d’un double degré de juridiction en ce qui concerne les intérêts civils »37.
Dans sa décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985, le Conseil a censuré des dispositions prévoyant que lorsque la cour d’appel n’a pas statué au fond dans les deux mois suivant le prononcé du jugement entrepris, celui-ci acquiert autorité de la chose jugée. Il a ainsi jugé : « qu’il résulte de ces dispositions que, dans toutes les procédures d’appel prévues par la loi, les justiciables sont placés quelles que soient leurs diligences, dans des situations différentes au regard des garanties qu’offre l’exercice d’une même voie de recours selon que la cour d’appel statue ou non dans le délai qui lui est imparti ; que le premier alinéa de l’article 175 méconnaît ainsi le principe d’égal accès des citoyens à la justice et doit être déclaré non conforme à la Constitution » 38.
Dans sa décision n° 2010-81 QPC du 17 décembre 2010, le Conseil constitutionnel a censuré, au regard du principe d’égalité devant la justice, des dispositions permettant à la chambre de l’instruction de se dire seule compétente pour statuer en matière de détention provisoire, privant ainsi le détenu d’un double degré de juridiction. Le Conseil a jugé « que ces dispositions confèrent à la chambre de l’instruction le pouvoir discrétionnaire de priver une personne mise en examen, durant toute la procédure d’instruction, des garanties prévues par les articles 144–1 et 147 du code de procédure pénale qui prescrivent au juge d’instruction ou au juge des libertés et de la détention d’ordonner sa mise en liberté immédiate dès que les conditions légales de la détention ne sont plus remplies, de celles prévues par l’article 148 du même code pour l’examen des demandes de mise en liberté en première instance et du droit à un double degré de juridiction instauré pour toute décision en matière de détention provisoire ; que l’éventuelle divergence entre les positions respectives des juridictions de première instance et d’appel relativement à la nécessité ultérieure de la détention de la personne mise en examen ne peut toutefois justifier qu’il soit ainsi porté atteinte aux droits qui sont accordés par la loi à toute personne placée en détention provisoire »39.
Dans un registre plus proche de la présente QPC, dans sa décision n° 2021–925 QPC du 21 juillet 2021, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions prévoyant que, lorsque les condamnations prononcées contre une même personne sont devenues définitives, le tribunal ou la cour qui a prononcé l’une des peines sont compétents pour statuer sur la demande de confusion de peines de la personne condamnée et que, lorsque les peines ont été prononcées par une cour d’assises, la demande doit être portée devant la chambre de l’instruction.
Après avoir rappelé qu’en application de l’article 567 du CPP, les arrêts de la chambre d’instruction et des juridictions correctionnelles d’appel sont rendus en dernier ressort, le Conseil a constaté que « dès lors, il résulte des dispositions contestées que, dans le cas où les peines dont elle demande la confusion ont toutes été prononcées par des cours d’assises ou des juridictions correctionnelles d’appel, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est insusceptible d’appel. En revanche, dans le cas où au moins l’une des peines dont elle demande la confusion a été prononcée par une juridiction correctionnelle de première instance, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est susceptible d’appel »40.
Il a estimé qu’« une telle distinction, qui n’est au demeurant pas fondée sur la nature criminelle ou correctionnelle de la peine, est sans lien avec l’objet des dispositions contestées, qui est de permettre à une personne condamnée de demander la confusion de peines après que les condamnations sont devenues définitives »41. Il en a déduit que, procédant à une distinction injustifiée entre les personnes condamnées qui demandent la confusion de peines après qu’elles sont devenues définitives, les dispositions contestées méconnaissaient le principe d’égalité devant la justice et les a censurées pour ce motif.
Le commentaire de la décision soulignait que, « Au-delà de ne trouver aucune justification, cette distinction semblait résulter uniquement d’un effet de bord de dispositions alignant la compétence des juridictions pour connaître des demandes de confusion de peines sur la compétence des juridictions pour connaître des incidents d’exécution »42.
Dernièrement, dans sa décision n° 2023-1057 QPC du 7 juillet 2023, le Conseil était saisi de dispositions prévoyant que le relèvement des mesures d’interdiction, de déchéance, d’incapacité ou de publication peut être demandé à la juridiction qui a prononcé la condamnation ou, en cas de pluralité de condamnations, à la juridiction qui a statué en dernier et que lorsque la condamnation a été prononcée par une cour d’assises, la juridiction compétente pour statuer sur cette demande est la chambre de l’instruction.
Il a constaté qu’« il résulte des dispositions contestées que, lorsque la mesure dont le relèvement est demandé a été prononcée par l’une de ces juridictions ou, en cas de pluralité de condamnations, par une telle juridiction statuant en dernier, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est insusceptible d’appel. En revanche, lorsque cette mesure a été prononcée par une juridiction correctionnelle de première instance ou, en cas de pluralité de condamnations, par une telle juridiction statuant en dernier, la personne condamnée porte sa demande devant une juridiction dont la décision est susceptible d’appel »43.
Dans la droite ligne de sa décision n° 2021-925 QPC précitée, il a toutefois jugé qu’« une telle distinction, qui n’est au demeurant pas fondée sur la nature criminelle ou correctionnelle de la peine, est sans lien avec l’objet des dispositions contestées, qui est de permettre à une personne condamnée de demander le relèvement d’une mesure d’interdiction, de déchéance, d’incapacité ou de publicité prononcée à son encontre » et que, « Dès lors, les dispositions contestées procèdent à une distinction injustifiée entre les personnes condamnées qui demandent le relèvement d’une telle mesure. Elles méconnaissent donc le principe d’égalité devant la justice »44.
B. – L’application à l’espèce
* Dans la décision commentée, après avoir rappelé les termes des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 et sa formulation de principe relative au principe d’égalité devant la justice (paragr. 6), le Conseil constitutionnel s’est attaché à décrire l’objet des dispositions contestées.
Il a d’abord relevé que, selon l’article 131-21 du code pénal, la peine complémentaire de confiscation peut notamment porter sur des biens dont le condamné a seulement la libre disposition, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi (paragr. 7). Puis, il a constaté qu’il résulte de l’article 710 du CPP, tel qu’interprété par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, que, lorsque le tiers propriétaire n’a pas été identifié et n’a pas réclamé cette qualité au cours de la procédure, il peut, postérieurement au prononcé de la peine de confiscation, saisir la juridiction de jugement qui l’a prononcée d’un incident contentieux relatif à son exécution afin de solliciter la restitution du bien (paragr. 8).
Il a alors observé que « dans le cas où la peine a été prononcée par une cour d’assises, les dispositions contestées de cet article prévoient que la chambre de l’instruction est compétente pour connaître de cet incident contentieux » (paragr. 9).
S’attachant à la portée de ces dispositions, le Conseil a ensuite constaté que les arrêts de la chambre de l’instruction étant rendus en dernier ressort en application de l’article 567 du CPP, il résultait des dispositions contestées que, lorsque la peine de confiscation a été prononcée par une cour d’assises, le tiers propriétaire dont le titre n’est pas connu et qui n’a pas réclamé cette qualité au cours de la procédure porte sa requête en incident contentieux devant une juridiction dont la décision est insusceptible d’appel. En revanche, lorsque cette peine a été prononcée par le tribunal correctionnel, il porte sa requête devant une juridiction dont la décision est susceptible d’appel (paragr. 10).
Ainsi, les dispositions contestées instauraient bien une différence de traitement entre les justiciables en fonction de la nature de la juridiction ayant prononcé la peine de confiscation du bien dont la restitution est demandée.
* Il appartenait dès lors au Conseil constitutionnel d’apprécier si cette différence de traitement quant au bénéfice d’un double degré de juridiction était justifiée.
Or, il ne résultait ni des travaux parlementaires ni de l’économie générale du dispositif que cette distinction procédait d’une volonté particulière du législateur.
S’inscrivant dans le droit fil de ses décisions n° 2021–925 QPC et n° 2023-1057 QPC précitées, le Conseil a donc considéré qu’« une telle distinction, qui n’est au demeurant pas justifiée par la nature criminelle ou correctionnelle de la peine, est sans lien avec l’objet des dispositions contestées, qui est de permettre [au] tiers propriétaire [dont le titre n’est pas connu et qui n’a pas réclamé cette qualité au cours de la procédure] de solliciter, par la voie de l’incident contentieux, la restitution du bien confisqué » (paragr. 11).
Il a dès lors jugé que les dispositions contestées procédaient à une distinction injustifiée entre les tiers propriétaires qui soulèvent un incident contentieux relatif à l’exécution d’une peine de confiscation, en méconnaissance du principe d’égalité devant la justice (paragr. 12). Par conséquent, sans qu’il soit besoin d’examiner l’autre grief, il les a déclarées contraires à la Constitution (paragr. 13).
En ce qui concerne les effets dans le temps de la déclaration d’inconstitutionnalité, le Conseil constitutionnel a constaté que l’abrogation immédiate des dispositions contestées aurait eu notamment pour effet de donner compétence à la cour d’assises pour connaître des incidents d’exécution auxquels ont pu donner lieu ses arrêts, « alors qu’elle n’est pas une juridiction permanente » (paragr. 15). Comme certains auteurs avaient pu le souligner, un tel contentieux ne pouvait être confié à cette juridiction, qui se réunit de manière temporaire pour juger exclusivement de crimes, sauf à engendrer d’importantes difficultés d’organisation. Le Conseil a donc considéré qu’une telle abrogation entraînerait des conséquences manifestement excessives et l’a reportée au 1er mars 2025 (même paragr.).
Il a ensuite jugé que les « les mesures prises avant cette date en application de ces dispositions ne peuvent être contestées sur le fondement de cette inconstitutionnalité » (paragr. 16).
_______________________________________
1 Le dixième alinéa de cet article précise, à ce titre, que « La chose confisquée est, sauf disposition particulière prévoyant sa destruction ou son attribution, dévolue à l’État, mais elle demeure grevée, à concurrence de sa valeur, des droits réels licitement constitués au profit de tiers ».
2 Les deuxième à quatrième alinéas de cet article prévoient à cet égard que, lorsqu’elle est encourue de plein droit ou en raison d’une disposition expresse, la confiscation peut porter spécialement sur certains biens (on parle alors de confiscation « spéciale ») : les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis, « ayant servi à commettre l’infraction ou qui étaient destinés à la commettre » (deuxième alinéa) ; les biens « qui sont l’objet ou le produit direct ou indirect de l’infraction » (troisième alinéa) ; « tout bien meuble ou immeuble défini par la loi ou le règlement qui réprime l’infraction » (quatrième alinéa). Par ailleurs, son cinquième alinéa prévoit, en cas de crime ou de délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement « et ayant procuré un profit direct ou indirect » à la personne condamnée, que celle-ci peut être privée de tous « les biens meubles ou immeubles, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis », dont elle n’a pu justifier l’origine. Son sixième alinéa prévoit, quant à lui, la forme de confiscation la plus grave, à savoir la confiscation générale du patrimoine, qui peut porter sur « tout ou partie des biens appartenant au condamné […], qu’elle qu’en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis », sous réserve que la loi réprimant le crime ou le délit le prévoit expressément. Enfin, et à la différence des cas précédents, dans lesquels la confiscation de la chose demeure facultative pour la juridiction de jugement, le septième alinéa du même article prévoit que celle–ci est tenue d’ordonner la confiscation des objets qualifiés de dangereux ou nuisibles, ou dont la détention est illicite, quand bien même la personne condamnée n’en serait pas propriétaire. Enfin, son huitième alinéa précise que la peine de confiscation s’applique dans les mêmes conditions aux droits incorporels, quelle qu’en soit la nature, divis ou indivis.
3 Il est également précisé que, « Pour le recouvrement de la somme représentative de la valeur de la chose confisquée, les dispositions relatives à la contrainte judiciaire sont applicables ».
4 Rapport n° 4112 de M. Jean-Paul Garraud, fait au nom de la commission des lois de l’Assemblée nationale, sur le projet de loi relatif à l’exécution des peines, déposé le 21 décembre 2011.
5 Ces extensions découlent, pour les confiscations en nature, des lois n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance et n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines précitées, ainsi que, pour les confiscations en valeur, de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance.
6 Comme le souligne le rapport parlementaire précité, le législateur souhaitait, en adoptant ces dispositions, renforcer l’effectivité de la peine de confiscation dite « élargie », « dont le champ d’application est actuellement limité aux biens dont le condamné est propriétaire, [et qui] apparaît cependant en pratique trop souvent mise en échec par le recours à des prête-noms ou à l’interposition de structures sociales permettant au condamné de ne pas apparaître comme étant juridiquement propriétaire des biens, alors même qu’il en aurait la disposition et en serait le propriétaire économique réel ».
7 Cass. crim., 29 janvier 2014, nos 13‐80.062 et 13-80.063.
8 Cass. crim., 19 novembre 2014, nos 13-88.331 et 13-88.332.
9 Voir, par exemple, Cass. crim., 25 novembre 2015, n° 15-83.112.
10 Article 131-21, alinéa 2, du code pénal. Voir notamment, décision n° 2010-66 QPC du 26 novembre 2010, M. Thibaut G. (Confiscation de véhicules), cons. 7.
11 Si la mention de cette réserve tenant aux droits du propriétaire de bonne foi n’avait pas été expressément prévue dans toutes les situations passibles de la confiscation régie par l’article 131-21 du code pénal, la Cour de cassation en a opéré une application générale (Cass. crim., 7 novembre 2018, n° 17-87.424). Ce faisant, le tiers propriétaire est en mesure de solliciter la restitution du bien confisqué constituant l’instrument, l’objet ou le produit de l’infraction.
12 Anne-Sophie Chavent-Leclère, « Halo sur la jurisprudence de la Chambre criminelle en matière de confiscations et saisies », AJ Pénal, 2019, p. 8.
13 Le premier alinéa de cet article dispose ainsi que « Toute personne autre que le prévenu, la partie civile ou la personne civilement responsable qui prétend avoir droit sur des objets placés sous la main de la justice, peut également en réclamer la restitution au tribunal saisi de la poursuite ». L’article 482 du même code ouvre au tiers qui a formé cette demande la faculté d’interjeter appel de la décision rejetant une demande de restitution.
14 Cass. crim., 20 mai 2015, n° 14-81.741. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a jugé que devait être examinée au regard de l’article 710 du CPP « la requête de toute personne non condamnée pénalement qui est copropriétaire d’un bien indivis et qui soulève des incidents contentieux relatifs à l’exécution d’une décision pénale ordonnant la confiscation de ce bien ». Elle a également jugé qu’une personne définitivement acquittée pouvait saisir la chambre de l’instruction sur le fondement de cet article (Cass. crim., 10 avril 2019, n° 18-85.370). Dans un arrêt du 4 novembre 2021, elle a jugé de manière plus générale que devait être examinée au regard de cet article « la requête de toute personne non condamnée pénalement propriétaire d’un bien et qui soulève des incidents contentieux relatifs à l’exécution d’une décision pénale, même définitive, ordonnant la confiscation de ce bien » (Cass. crim., 4 novembre 2021, n° 21-80.487). M. Lionel Ascensi soulignait à propos de cette décision que « c’est précisément parce que l’instance doit présenter un caractère contradictoire, qu’il est essentiel que les effets du jugement ne s’étendent pas aux tiers. Et ce d’autant que la procédure pénale présente une caractéristique majeure, laquelle la distingue d’ailleurs de la procédure civile et du contentieux administratif : elle ne connaît pas l’institution de la tierce-opposition qui permet précisément à un tiers de contester un jugement portant atteinte à ses intérêts. En effet, si l’autorité relative de la chose jugée protège l’intérêt des tiers, encore faut-il que ces tiers disposent d’un recours pour s’opposer aux effets d’une décision de justice si celle-ci vient néanmoins modifier leur situation juridique. […] Permettre, comme l’a jugé la Cour de cassation, aux tiers indivisaires de solliciter la restitution de leur part indivise du bien confisqué, nonobstant la première décision de confiscation pure et simple de ce bien, est ainsi de nature à rétablir a posteriori le caractère contradictoire du procès pénal à leur égard » (« Les conditions de confiscation d’un bien indivis », AJ pénal, 2015, p. 441).
15 Voir notamment Raphaële Parizot, « La confiscation, sanction applicable en droit pénal des affaires », Lamy droit pénal des affaires, 2020, n° 187.
16 Décisions n° 2021-899 QPC du 23 avril 2021, M. Henrik K. et autres (Droits des propriétaires tiers à la procédure de confiscation de patrimoine prévue à titre de peine complémentaire des infractions de proxénétisme et de traite des êtres humains), n° 2021-932 QPC du 23 septembre 2021, Société SIMS Holding agency corp et autres (Droits des propriétaires tiers à la procédure de confiscation des biens prévue à titre de peine complémentaire de certaines infractions), et n° 2021-949/950 QPC du 24 novembre 2021, Mme Samia T. et autre (Droits de l’époux commun en biens en cas de confiscation prévue à titre de peine complémentaire de certaines infractions).
17 Article 51 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.
18 Article 12 de la loi n° 2022-299 du 2 mars 2022 visant à combattre le harcèlement scolaire.
19 Ces dispositions ont été précisées par les articles D. 45-1-4 et D. 45-2-1, insérés au sein du CPP par le décret n° 2021-1794 du 23 décembre 2021, qui organisent la convocation des tiers à l’audience de jugement du tribunal correctionnel et de la cour d’assises, ainsi que le recours contre la décision de confiscation. Ces articles mentionnent notamment la possibilité, pour le tiers propriétaire du bien d’en demander la restitution en application de l’article 710 du même code, même lorsque la décision est définitive.
20 Cass. crim., 7 septembre 2022, n° 21-84.322 ; Cass. crim., 17 mai 2023, n° 20-87.060. Les voies de recours contre la décision rendue par la juridiction compétente résultent de l’application des règles de droit commun et varient ainsi en fonction de la juridiction qui a rendu la décision.
21 Selon l’article 711 du CPP, la juridiction compétente est saisie sur requête du ministère public ou de la partie intéressée. Elle statue en chambre du conseil après avoir entendu le ministère public, le conseil de la partie s’il le demande et, le cas échéant, la partie elle-même.
22 Martine Herzog-Evans, « Incidents contentieux d’exécution des sentences pénales », Répertoire de droit pénal et de procédure pénale, Dalloz, octobre 2008, point 5.
23 Article 496, alinéa premier, du CPP : « Les jugements rendus en matière correctionnelle peuvent être attaqués par la voie de l’appel ».
24 Article 567, alinéa premier, du CPP : « Les arrêts de la chambre de l’instruction et les arrêts et jugements rendus en dernier ressort en matière criminelle, correctionnelle et de police peuvent être annulés en cas de violation de la loi sur pourvoi en cassation formé par le ministère public ou par la partie à laquelle il est fait grief, suivant les distinctions qui vont être établies ».
25 Décision n° 2023-1049 QPC du 26 mai 2023, Société Nexta 2022 (Exclusion des opérations portant sur les titres et contrats financiers du champ de la révision pour imprévision), paragr. 3.
26 Décision n° 2022-999 QPC du 17 juin 2022, Établissement public La Monnaie de Paris (Impossibilité pour le témoin assisté d’interjeter appel de la décision de refus du juge d’instruction de constater la prescription de l’action publique), paragr. 5.
27 Voir, par exemple, sur la communication des pièces aux parties : décisions n° 2011-160 QPC du 9 septembre 2011, M. Hovanes A. (Communication du réquisitoire définitif aux parties), cons. 4 et n° 2012-284 QPC du 23 novembre 2012, Mme Maryse L. (Droit des parties non assistées par un avocat et expertise pénale), cons. 3 ; et sur les frais irrépétibles : décisions n° 2011-112 QPC du 1er avril 2011, Mme Marielle D. (Frais irrépétibles devant la Cour de cassation) cons. 3 ; n° 2011-190 QPC du 21 octobre 2011, M. Bruno L. et autre (Frais irrépétibles devant les juridictions pénales), cons. 4.
28 À travers, notamment, l’existence de dispositions attribuant un contentieux spécifique à une juridiction spécialisée. Voir, par exemple, la décision n° 2018-756 QPC du 17 janvier 2019, M. Jean-Pierre F. (Compétence des juridictions spécialisées en matière militaire pour les infractions commises par des militaires de la gendarmerie dans le service du maintien de l’ordre), paragr. 6 à 10.
29 Voir, par exemple, la décision n° 2019-803 QPC du 27 septembre 2019, Mme Fabienne V. (Mise en mouvement de l’action publique en cas d’infraction commise par un militaire lors d’une opération extérieure), paragr. 8 à 10.
30 Voir, par exemple, s’agissant de compositions différentes du conseil de discipline des avocats de Paris et des autres barreaux, la décision n° 2011-179 QPC du 29 septembre 2011, Mme Marie-Claude A. (Conseil de discipline des avocats), cons. 4 ; ou, pour la réduction de peine encourue dont peuvent bénéficier certains délinquants, selon le concours qu’ils ont apporté aux services enquêteurs, la décision n° 2013-679 DC du 4 décembre 2013, Loi relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, cons. 15 et 16.
31 Décision n° 2011-113/115 QPC du 1er avril 2011, M. Xavier P. et autre (Motivation des arrêts d’assises) cons. 9.
32 Décision n° 2023-1069/1070 QPC du 24 novembre 2023, M. Sékou D. et autre (Cours criminelles départementales), paragr. 21 à 23.
33 Décision n° 2007-559 DC du 6 décembre 2007, Loi organique tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française, cons. 26.
34 Décision n° 2015-492 QPC du 16 octobre 2015, Association Communauté rwandaise de France (Associations pouvant exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité), cons. 7.
35 Décision n° 2021-909 QPC du 26 mai 2021, Mme Line M. (Impossibilité d’obtenir devant le tribunal de police la condamnation de la partie civile pour constitution abusive), paragr. 9.
36 Décision n° 2013-338/339 QPC du 13 septembre 2013, Société Invest Hôtels Saint-Dizier Rennes et autre (Prise de possession d’un bien exproprié selon la procédure d’urgence), cons. 8. Voir également décision n° 2012–243/244/245/246 QPC du 14 mai 2012, Société Yonne républicaine et autre (Saisine obligatoire de la commission arbitrale des journalistes et régime d’indemnisation de la rupture du contrat de travail), cons. 13. et décision n° 2004-491 DC du 12 février 2004, Loi complétant le statut d’autonomie de la Polynésie française, cons. 4.
37 Décision n° 80-127 DC du 20 janvier 1981, Loi renforçant la sécurité et protégeant la liberté des personnes, cons. 71.
38 Décision n° 84-183 DC du 18 janvier 1985, Loi relative au redressement et à la liquidation judiciaire des entreprises, cons. 15.
39 Décision n° 2010-81 QPC du 17 décembre 2010, M. Boubakar B. (Détention provisoire : réserve de compétence de la chambre de l’instruction), cons. 7. Alors que les requérants mettaient en avant une méconnaissance du « principe du double degré de juridiction », le Conseil a censuré ces dispositions en se fondant sur le principe d’égalité devant la justice et la différence de traitement en résultant selon que la chambre d’instruction choisit ou non d’évoquer. Dans le commentaire de cette décision, il est bien précisé que le Conseil n’a pas choisi de constitutionnaliser ce double degré existant compte tenu de sa jurisprudence et qu’il s’est à dessein fondé sur une autre exigence constitutionnelle.
40 Décision n° 2021–925 QPC du 21 juillet 2021, M. Ryan P. (Double degré de juridiction pour l’examen d’une requête en confusion de peines), paragr. 7.
41 Ibid., paragr. 8.
42 À titre informatif, il peut être rappelé qu’à la suite de cette décision n° 2021-925 QPC, le législateur a fait le choix de confier d’ouvrir la possibilité de faire appel d’une décision de refus d’une demande de confusion des peines à tous les justiciables. Il a, à cet effet, introduit un nouvel article 710-1 dans le CPP selon lequel « Lorsqu’une personne condamnée demande, en application de l’article 132 4 du code pénal, la confusion de peines prononcées contre elle après que les condamnations sont devenues définitives, sa demande est portée devant le tribunal correctionnel, dont la décision peut faire l’objet d’un appel devant la chambre des appels correctionnels. Sont compétents le ou les tribunaux correctionnels ayant prononcé les peines ou se trouvant au siège d'une des juridictions ayant prononcé les peines ».
43 Décision n° 2023-1057 QPC du 7 juillet 2023, M. José M. (Double degré de juridiction pour l’examen d’une demande de relèvement d’une interdiction, d’une déchéance, d’une incapacité ou d’une mesure de publicité), paragr. 9.
44 Ibid., paragr. 10 et 11.