Conformité - réserve
Le Conseil constitutionnel a été saisi le 9 octobre 2023 par le Conseil d’État (décision n° 475884 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par MM. Matthieu V. et Yves D., portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
Dans sa décision n° 2023-1073 QPC du 1er décembre 2023, le Conseil constitutionnel a, sous une réserve d’interprétation, déclaré conformes à la Constitution les mots « conseiller départemental » figurant au premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral, dans cette rédaction.
I. – Les dispositions contestées
A. – Historique et objet des dispositions contestées
1. – Le régime d’incompatibilité entre le mandat parlementaire et certains mandats locaux
Comme l’indiquait le professeur Marcel Waline, à la différence de l’inéligibilité, qui est « un obstacle dirimant à l’élection régulière de celui qui en est frappé », « l’incompatibilité entre telle fonction élective et telle autre fonction ou tel emploi, ne crée aucun obstacle à l’élection de celui qui occupait, au jour du scrutin, la fonction ou l’emploi incompatible avec la fonction élective. Elle oblige seulement l’élu à opter entre l’une ou l’autre des deux fonctions incompatibles entre elles, la loi lui impartissant généralement un délai (assez bref) pour déclarer son choix, et établissant au besoin une présomption de choix, à défaut d’une telle déclaration »1.
a. – Les incompatibilités parlementaires
En application de l’article 25 de la Constitution, seul le législateur organique est compétent pour fixer « le régime des inéligibilités et des incompatibilités » des membres des assemblées parlementaires.
Au sein des dispositions du code électoral relatives à l’élection des députés (figurant au titre II de son livre Ier), la question des incompatibilités parlementaires est ainsi régie par une subdivision dédiée, de rang organique, le chapitre IV (« Incompatibilités »), rassemblant les articles L.O. 137 à L.O. 153.
* Outre certaines incompatibilités professionnelles2, le législateur a prévu des incompatibilités de nature politique :
- des incompatibilités politiques « horizontales », auxquelles se rattachent par exemple l’interdiction du cumul des mandats de député et de sénateur (art. L.O. 137), ou encore des mandats de député et de représentant au Parlement européen (art. L.O. 137-1) ou de membre du Conseil économique, social et environnemental (art. L.O. 139) ;
- et des incompatibilités politiques « verticales », qui limitent le cumul entre un mandat de député et certains mandats locaux (art. L.O. 141), voire interdisent désormais un tel cumul avec certaines fonctions exécutives locales (art. L.O. 141-1).
En vertu de l’article L.O. 297 du code électoral, le régime des incompatibilités applicable aux députés l’est également aux sénateurs.
Pour les mandats électifs des collectivités d’outre-mer, afin notamment de prendre en compte la spécificité de l’organisation territoriale de ces collectivités, ces dispositions de portée générale relatives aux incompatibilités politiques sont complétées par des dispositions propres d’adaptation et d’application3.
b. – Le principe d’incompatibilité du mandat parlementaire avec plus d’un mandat local
* Le premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral (les dispositions objet de la décision commentée) pose le principe d’une incompatibilité du mandat de député4 « avec l’exercice de plus d’un des mandats » locaux qu’il énumère.
Selon la liste des mandats électifs concernés, entrent ainsi dans le champ de cette incompatibilité les mandats :
- de conseiller régional, de conseiller départemental et de conseiller municipal « d’une commune soumise au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du présent livre », c’est-à-dire d’une commune de 1 000 habitants et plus5 ;
- de conseiller à l’Assemblée de Corse, de conseiller de Paris, de conseiller à l’Assemblée de Guyane et de conseiller à l’Assemblée de Martinique.
Le second alinéa de cet article détermine les modalités de calcul des indemnités de l’élu qui se trouve dans une situation d’incompatibilité6.
Les modalités de résolution d’un cumul prohibé par ces dispositions sont déterminées par le paragraphe I de l’article L.O. 151, qui prévoit que le député qui se trouve dans un des cas d’incompatibilité est tenu de démissionner d’un des mandats qu’il détenait antérieurement7.
À défaut d’option dans le délai imparti, le mandat acquis à la date la plus ancienne prend fin de plein droit.
L’évolution historique du régime des incompatibilités avec les mandats électifs locaux
* Le régime actuellement applicable résulte d’une série de réformes entamées en 1985.
- La loi organique n° 85-1405 du 30 décembre 19858 constitue la première étape de l’édification d’un régime d’incompatibilités « verticales » applicable aux parlementaires afin de prévoir, si ce n’est une interdiction, du moins un encadrement des possibilités de cumul avec des mandats électoraux ou fonctions électives.
À cet effet, a notamment été créé, au sein du code électoral, un article L.O. 141 prévoyant que le mandat de député serait désormais incompatible avec l’exercice de plus d’un mandat électoral ou fonction élective dont il déterminait alors la liste (mandats de représentant à l’Assemblée des communautés européennes, conseiller régional, conseiller général, conseiller de Paris et les fonctions de maire d’une commune d’au moins 20 000 habitants autre que Paris ou d’adjoint au maire d’une commune d’au moins 100 000 habitants autre que Paris).
Cette règle, pour ce qui est de l’échelon local, ne concernait ainsi que les plus importantes des fonctions exécutives locales (le mandat de conseiller municipal n’y figurait alors pas), et n’interdisait pas tout cumul mais uniquement celui entre un mandat parlementaire et plus d’un des mandats ou fonctions précitées9.
- Afin de tenir compte de la réforme de 1991 ayant créé le statut de la collectivité territoriale de Corse, collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution10, la loi organique du 19 janvier 1995 a ajouté à la liste des mandats concernés celui de conseiller à l’Assemblée de Corse11.
- La loi organique du 5 avril 2000 a étendu le champ des incompatibilités entre le mandat parlementaire et certains mandats locaux, en incluant dans la liste fixée à l’article L.O. 141 du code électoral précité le mandat de conseiller municipal d’une commune d’au moins 3 500 habitants. Elle a également créé une incompatibilité de principe entre le mandat de député et celui de représentant au Parlement européen (article L.O. 137-1 du code électoral)12.
- En 2011, la loi organique du 27 juillet 2011 relative aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution a inséré, par coordination, les mandats de conseiller à l’Assemblée de Guyane et de conseiller à l’Assemblée de Martinique à la liste de l’article L.O. 141 du code électoral13.
- En 2013, l’article L.O. 141 a été modifié par la loi organique du 17 mai 2013 qui a remplacé la référence au mandat de conseil général par celle de conseiller départemental et a abaissé le seuil prévu pour le mandat de conseiller municipal (qui est passé de 3 500 habitants à 1 000 habitants14).
En ce sens, elle a créé un nouvel article L.O. 141-1 du code électoral qui détermine la liste des fonctions exécutives relevant de cette interdiction de cumul. Désormais, en vertu de ces dispositions, le mandat de député (ou sénateur) est incompatible avec les fonctions de maire, de maire d’arrondissement, de maire délégué et d’adjoint au maire, les fonctions de président et de vice-président d’un établissement public de coopération intercommunale ou d’un syndicat mixte, les fonctions de président et de vice-président d’un conseil régional ou d’un conseil départemental.
Au-delà des fonctions exécutives des collectivités territoriales de « droit commun », figurent également la référence à celles des collectivités à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, des collectivités ultramarines relevant des articles 73 et 74 de la Constitution. À ce titre, par exemple, l’article L.O. 141-1 du code électoral fait mention des fonctions de président, de membre du conseil exécutif de Corse et de président de l’Assemblée de Corse15.
Si la loi organique du 14 février 2014 n’a pas modifié le champ d’application des incompatibilités prévues au premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral, elle l’a complété par un nouvel alinéa qui détermine les modalités de calcul des indemnités de l’élu qui se trouve dans une situation d’incompatibilité. Ainsi, en vertu du second alinéa de l’article L.O. 141, tant qu’il n’est pas mis fin à l’incompatibilité visée au premier alinéa, l’élu concerné ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire et l’indemnité attachée à un autre de ses mandats de son choix16.
Il s’agit, à ce jour, de la dernière modification de l’article L.O. 141 du code électoral.
* Dès lors qu’elles ne concernent pas les parlementaires, les dispositions qui prévoient des limitations ou des interdictions de cumul uniquement applicables à d’autres mandats électifs relèvent du domaine de la loi17.
À ce titre, les articles L. 2122-4, L. 3122-3 et L. 4133-3 du code général des collectivités territoriales (CGCT) rendent incompatibles entre elles les fonctions de maire, de président d’un conseil départemental et de président d’un conseil régional.
Par ailleurs, l’article L. 46-1 du code électoral prévoit une incompatibilité limitant à deux le nombre de mandats électoraux de niveau local pouvant être détenus simultanément. Sont mentionnés les mandats de conseiller régional, conseiller à l’Assemblée de Corse, conseiller départemental, conseiller de Paris, conseiller à l’Assemblée de Guyane, conseiller à l’Assemblée de Martinique, et de conseiller municipal. L’ordonnance n° 2014-1539 du 19 décembre 201418 y a ajouté le mandat de conseiller métropolitain de Lyon.
2. – La création de la métropole de Lyon et ses conséquences sur les règles d’incompatibilité
* La métropole de Lyon a été créée par la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, dite « MAPTAM »19. Elle fait l’objet d’un livre spécifique – le livre VI, composé des articles L. 3611–1 à L. 3665-2 du CGCT – au sein de la troisième partie de ce code relative au département.
L’article L. 3611-1 consacre son existence comme « collectivité à statut particulier, au sens de l’article 72 de la Constitution (…) en lieu et place de la communauté urbaine de Lyon et, dans les limites territoriales précédemment reconnues à celle-ci, du département du Rhône »20.
La métropole de Lyon s’administre librement par un conseil élu, dans les conditions particulières définies par la loi21. Ainsi, en vertu de l’article L. 3631-1 du CGCT, son organe délibérant est composé de conseillers métropolitains qui sont élus au suffrage universel direct dans les conditions prévues par le code électoral22. Le président du conseil de la métropole de Lyon est élu en son sein.
Concernant ses compétences, il résulte de façon générale de l’article L. 3641-2 que, sauf disposition spéciale contraire, la métropole de Lyon exerce de plein droit sur son territoire, depuis le 1er janvier 2015, celles que les lois attribuent au département.
* Dans le prolongement de cette réforme, plusieurs règles électorales concernant les conseillers départementaux ont été modifiées par le législateur ordinaire pour tenir compte de la création de cette nouvelle collectivité territoriale et étendre leur champ d’application aux conseillers métropolitains de Lyon.
Ainsi, au sein des « dispositions spéciales à l’élection des conseillers métropolitains de Lyon » formant le nouveau titre III bis du livre premier du code électoral et créées par l’ordonnance du 19 décembre 201423, plusieurs d’entre elles renvoient directement aux règles applicables aux élections départementales.
En ce sens, l’article L. 224-8 du code électoral prévoit que les règles d’éligibilité et d’inéligibilité des conseillers départementaux, fixées aux articles L. 194 à L. 204 du même code, sont applicables aux conseillers métropolitains24. De la même manière, l’article L. 224-10 du code électoral étend aux conseillers métropolitains le régime des incompatibilités professionnelles applicables aux conseillers départementaux25.
En outre, afin de tenir compte de la création de cette nouvelle collectivité territoriale à statut particulier, l’ordonnance du 19 décembre 2014 a également revu certaines règles relatives au cumul des mandats.
Ainsi, l’article L. 46-1 du code électoral, mentionné plus haut, relatif aux incompatibilités à l’échelon local, et qui limite à deux le nombre de mandats que peuvent détenir des élus, a été actualisé par l’adjonction à la liste des mandats énumérés d’une mention expresse du mandat de conseiller métropolitain de Lyon.
L’ordonnance du 19 décembre 2014 a également complété de la même manière la liste des mandats figurant à l’article 6-3 de la loi du 7 juillet 1977 s’agissant du régime d’incompatibilités applicable aux représentants au Parlement européen26.
Le rapport au Président de la République, qui accompagnait cette ordonnance, soulignait que « Compte tenu de la création de la métropole de Lyon, des dispositions organiques spéciales devront également intervenir pour adapter les règles de cumul de mandats applicables aux parlementaires conseillers métropolitains, le droit de présenter un candidat à l’élection du Président de la République (article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel) […] ainsi que, le cas échéant, les règles d’adaptation du nouveau mandat des conseillers métropolitains aux élections sénatoriales, qui imposeraient de définir un collège électoral supplémentaire, distinct de celui du département du Rhône et le nombre de sièges de sénateurs à pourvoir ».
À ce titre, la loi organique du 25 avril 2016 a modifié les dispositions de la loi du 6 novembre 1962 afin d’ouvrir aux conseillers métropolitains de Lyon la possibilité de présenter un candidat à l’élection présidentielle27. De la même manière, depuis sa modification par la loi du 24 juillet 2019, l’article L. 280 du code électoral intègre les conseillers métropolitains de Lyon au sein du collège électoral appelé à élire les sénateurs28.
* En revanche, à ce jour, les dispositions de l’article L.O. 141 du code électoral n’ont, quant à elles, jamais été actualisées afin de tirer les conséquences de la création de la métropole de Lyon pour ce qui est des incompatibilités parlementaires.
Si une telle modification avait été intégrée à deux reprises dans des projets de réformes institutionnelles déposés en mai 2018, puis en août 2019, afin d’y insérer la référence au conseiller métropolitain29, ces projets n’ont pas été adoptés.
Il résulte de ce qui précède que, en l’état du droit, en application de la règle d’incompatibilité prévue au premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral, un député ou un sénateur ne peut exercer ses fonctions en cumulant, par ailleurs, un premier mandat électif local avec un mandat de conseiller départemental.
En revanche, ces dispositions ne s’opposent pas à ce qu’un député ou un sénateur, qui est investi par ailleurs d’un mandat électif local, comme par exemple celui de conseiller municipal, cumule aussi ses fonctions avec un mandat de conseiller métropolitain de Lyon30.
B. – Origine de la QPC et question posée
* M. Alexandre V. avait été élu conseiller municipal de Rillieux-la-Pape (Rhône), commune de plus de 1 000 habitants, le 15 mars 2020, puis conseiller métropolitain de Lyon pour la circonscription du Plateau Nord-Caluire le 28 juin 2020 et, enfin, député de la 7e circonscription du Rhône, lors des élections législatives du 19 juin 2022.
M. Matthieu V., conseiller métropolitain de Lyon, et M. Yves D., conseiller municipal de Rillieux-la-Pape, avaient demandé à la préfète du Rhône de constater que le mandat de conseiller municipal de M. V. avait pris fin de plein droit, estimant que ce dernier se trouvait, depuis son élection comme député, dans une situation de cumul irrégulière au regard des dispositions de l’article L.O. 141 du code électoral. Ils sollicitaient ainsi que M. V. soit déclaré démissionnaire en application du paragraphe I de l’article L.O. 151 du même code.
La préfète du Rhône avait toutefois rejeté cette demande en considérant que la situation de M. V. ne contrevenait pas aux textes en vigueur, au motif que le mandat de conseiller métropolitain de Lyon ne figurait pas parmi ceux limitativement énumérés à l’article L.O. 141 du code électoral.
MM. V. et D. avaient alors formé contre ce refus un recours en annulation devant le tribunal administratif de Lyon, à l’occasion duquel ils avaient soulevé une QPC portant sur le premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral.
Par une ordonnance du 12 juin 2023, le tribunal administratif de Lyon avait rejeté cette protestation au motif de sa tardiveté. MM. V. et D. avaient alors fait appel de cette ordonnance devant le Conseil d’État. Ils contestaient en particulier le refus implicite du tribunal de transmettre la QPC qu’ils avaient posée.
Dans sa décision précitée du 9 octobre 2023, le Conseil d’État avait statué sur cette QPC. Il avait d’abord constaté que les dispositions contre lesquelles elle était formée « sont issues de dispositions de la loi organique du 30 décembre 1985 tendant à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives par les parlementaires et de la loi organique du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux, déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de ses décisions n° 85-205 DC du 28 décembre 1985 et n° 2000-427 DC du 30 mars 2000, et ont été modifiées par la loi organique du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux, elle-même déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans les motifs et le dispositif de sa décision n° 2013-668 DC du 16 mai 2013 ».
Il avait néanmoins relevé que, si les dispositions critiquées avaient déjà été déclarées conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel, « [t]outefois, la création ultérieure de la métropole de Lyon et du mandat de conseiller métropolitain de Lyon, à la date du 1er janvier 2015 fixée par l’article 36 de la loi du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, constitue un changement de circonstances, au sens des dispositions de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958, justifiant que puisse être réexaminée la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution ».
Après avoir constaté que « le mandat de conseiller de la métropole de Lyon comporte notamment les mêmes attributions que celui d’un conseiller départemental », il avait jugé que « Dans ces conditions, le grief tiré de ce que les dispositions contestées, en tant qu’elles ne mentionnent pas le mandat de conseiller de la métropole de Lyon alors qu’y figure le mandat de conseiller départemental, portent atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution, notamment au principe d’égalité devant la loi, soulève une question présentant un caractère sérieux ».
Pour ces motifs, il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.
II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées
Les requérants reprochaient à ces dispositions d’instituer une différence de traitement injustifiée entre les conseillers de la métropole de Lyon, qui ne sont pas soumis à la règle d’incompatibilité parlementaire qu’elles prévoient, et les conseillers départementaux, auxquels cette règle s’applique, alors qu’ils exercent des attributions similaires. Il en résultait selon eux une méconnaissance du principe d’égalité devant la loi.
Au regard de ces griefs, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait sur les mots « conseiller départemental » figurant au premier alinéa de l’article L.O 141 du code électoral (paragr. 3).
A. – La jurisprudence constitutionnelle relative au contrôle des incompatibilités entre mandats électoraux à l’aune du principe d’égalité devant la loi
* Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion, à plusieurs reprises, de se prononcer sur la conformité à la Constitution de dispositions instituant en matière électorale des règles d’incompatibilité.
Il ressort de la jurisprudence développée en matière de cumul entre des mandats politiques, qu’il s’agisse d’une incompatibilité touchant un autre mandat électif ou une fonction exécutive, que le Conseil n’opère qu’un contrôle restreint31.
En ce sens, dans sa décision n° 2000-426 DC du 30 mars 2000, le Conseil constitutionnel était saisi des dispositions qui modifiaient les articles L. 2122-4, L. 3122-3 et L. 4133-3 du CGCT afin de rendre incompatibles entre elles les fonctions de maire, de président d’un conseil général et de président d’un conseil régional. Le Conseil a jugé que les incompatibilités instituées n’étaient pas contraires à la Constitution après avoir souligné « qu’il était en effet loisible au législateur de renforcer les incompatibilités entre fonctions électives, dès lors qu’il estimait que le cumul de fonctions exécutives locales ne permettait pas à leur titulaire de les exercer de façon satisfaisante »32.
Tout en laissant au législateur une grande marge d’appréciation en matière de détermination des régimes d’incompatibilité entre mandats ou fonctions politiques, le Conseil constitutionnel s’assure que les différences de traitement que ce dernier institue respectent toutefois le principe d’égalité devant la loi.
Suivant une formulation classique, le principe d’égalité, qui découle de l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, « ne s’oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes, ni à ce qu’il déroge à l’égalité pour des raisons d’intérêt général pourvu que, dans l’un et l’autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit »33. En cette matière, c’est la première branche de l’alternative – la différence de situation entre les mandats concernés – qui a permis au Conseil de considérer que les différences de traitement contrôlées étaient ou non conformes à la Constitution.
* Dans certaines hypothèses, le Conseil constitutionnel a admis que les spécificités attachées à certains mandats électifs puissent justifier que la loi (ordinaire ou organique) institue des différences de traitement entre des mandats électoraux, qui se trouvaient soumis à des règles d’incompatibilité différentes.
- Ainsi, dans sa décision n° 2000-426 DC du 30 mars 2000, il était saisi des dispositions instituant notamment des règles d’incompatibilité entre les fonctions de représentant au Parlement européen et d’autres mandats électifs. Les députés requérants reprochaient à ces dispositions d’instituer une différence de traitement injustifiée entre les parlementaires européens et les parlementaires nationaux puisque, selon eux, elles créaient un régime d’incompatibilités « plus sévère » pour les premiers que pour les seconds (les représentants au Parlement européen ne pouvant exercer une fonction exécutive locale à la différence des députés et des sénateurs).
Le Conseil constitutionnel a écarté ce grief après avoir jugé « que les compétences spécifiques exercées par le Parlement européen sont différentes de celles de l’Assemblée nationale et du Sénat de la République, qui participent à l’exercice de la souveraineté nationale en vertu de l’article 3 de la Constitution ; qu’eu égard à la spécificité du mandat des représentants au Parlement européen et des contraintes inhérentes à son exercice, il était en particulier loisible à la loi ordinaire, dont relève leur situation, de décider que le cumul dudit mandat et d’une fonction exécutive locale ne permettrait pas à leur titulaire d’exercer l’un et l’autre de manière satisfaisante ; que doivent être par suite rejetés les moyens tirés d’une rupture d’égalité entre représentants au Parlement européen et parlementaires nationaux »34.
- Dans sa décision n° 2007-547 DC du 15 février 2007, le Conseil était saisi des dispositions d’une loi organique qui, à l’occasion d’une réforme concernant les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution, modifiaient l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant statut de la magistrature afin d’y instituer une incompatibilité absolue entre les fonctions de magistrat de l’ordre judiciaire, quel que soit le ressort de la juridiction où elles sont exercées, et les mandat électifs relevant de ces collectivités. Ces dispositions instituaient ainsi un régime plus strict d’incompatibilité pour les élus ultramarins que pour les élus des collectivités territoriales de la métropole.
Examinant cette différence de traitement à l’aune du principe d’égalité devant la loi, le Conseil a jugé « qu’eu égard aux attributions conférées aux institutions des collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 et à celles de la Nouvelle-Calédonie, dont le rôle ne se limite pas à la simple administration de ces collectivités, le législateur pouvait prévoir un régime d’incompatibilité plus strict que celui qui s’applique aux mandats électifs des autres collectivités territoriales »35.
* Le Conseil constitutionnel a également admis que des règles d’incompatibilités distinctes soient instituées pour un même mandat électoral, sous réserve que le critère sur lequel se fonde alors cette distinction ne soit pas arbitraire.
Ainsi, dans sa décision n° 2000-427 DC du 30 mars 2000, le Conseil a déclaré conformes à la Constitution les dispositions de la loi organique qui prévoyaient une extension du champ d’application de l’article L.O. 141 du code électoral à l’égard du mandat de conseiller municipal. En effet, il a jugé « qu’il était loisible à la loi organique de ne faire figurer, dans le dispositif de limitation de cumul du mandat de parlementaire et de mandats électoraux locaux, le mandat de conseiller municipal qu’à partir d’un certain seuil de population, à condition que le seuil retenu ne soit pas arbitraire ; que cette condition est remplie en l’espèce, dès lors que le seuil de 3 500 habitants détermine, en vertu de l’article L. 252 du code électoral, un changement de mode de scrutin pour l’élection des membres des conseils municipaux »36.
Il a statué dans le même sens, dans sa décision n° 2013-668 DC du 16 mai 2013, à propos des dispositions de la loi organique qui ont permis d’étendre de nouveau le champ d’application de ces dispositions en abaissant le seuil de population applicable aux conseillers communautaires par une référence au mode de scrutin applicable aux communes d’au moins 1 000 habitants : « il est loisible à la loi organique de ne faire figurer, dans le dispositif de limitation de cumul du mandat de parlementaire et de mandats électoraux locaux, le mandat de conseiller municipal qu’à partir d’un certain seuil de population, à condition que le seuil retenu ne soit pas arbitraire ; que cette condition est remplie en l’espèce dès lors que le seuil de 1 000 habitants détermine, en vertu de la nouvelle rédaction de l’article L. 252 du code électoral, un changement de mode de scrutin pour l’élection des membres des conseils municipaux »37.
* Lorsque le législateur décide d’assimiler entre eux certains mandats électifs, le Conseil s’assure qu’il ne résulte pas des règles d’incompatibilités auxquelles ils sont respectivement soumis une différence de traitement contraire au principe d’égalité.
- Dans sa décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, le Conseil était saisi des dispositions de la loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse (collectivité à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution). Les requérants critiquaient notamment les dispositions édictant les incompatibilités spécifiques aux élus de Corse, dont celle instituée entre le mandat de conseiller à l’Assemblée de Corse et le mandat de conseiller général. Selon eux, une telle incompatibilité était contraire au principe d’égalité des citoyens devant la loi électorale puisque des élus investis d’un mandat de même nature, comme les conseillers régionaux et les conseillers à l’Assemblée de Corse, se trouvaient soumis à un régime différent quant à la possibilité d’exercer le mandat de conseiller général, les premiers pouvant cumuler leur mandat avec celui de conseiller général, alors que les élus de la collectivité de Corse ne le pouvaient pas.
Le Conseil a d’abord relevé « que l’article L. 46-1 ajouté au code électoral par la loi n° 85-1406 du 30 décembre 1985 limite la possibilité pour une même personne de cumuler plus de deux des mandats électoraux ou fonctions électives qu’il énumère ; qu’au nombre des mandats pris en compte pour l’application de cette législation de portée générale figurent notamment le mandat de conseiller général et celui de conseiller régional ; que l’article 8 de la loi présentement soumise à l’examen du Conseil constitutionnel place sur le même plan au regard de la réglementation générale des cumuls le mandat de conseiller à l’Assemblée de Corse et celui de conseiller régional ». Il en a déduit « que dès lors qu’il entendait procéder à une semblable assimilation, le législateur ne pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, interdire aux conseillers à l’Assemblée de Corse de cumuler ce mandat avec celui de conseiller général alors qu’un tel cumul est autorisé sur l’ensemble du territoire de la République et qu’aucune justification tirée de la spécificité de la collectivité territoriale de Corse ne fonde une telle interdiction ». Le Conseil a donc déclaré cette règle d’incompatibilité touchant les élus de la collectivité de Corse contraire à la Constitution38.
- De manière plus topique encore, à l’occasion de la création de la métropole de Lyon, les dispositions législatives du régime d’incompatibilité des élus locaux ont été adaptées pour tenir compte de cette réforme et certaines d’entre elles ont été déférées au Conseil constitutionnel.
Dans sa décision n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014, le Conseil était saisi des règles d’incompatibilité applicables aux fonctions de président du conseil de la métropole de Lyon. Les requérants soutenaient que ces dispositions créaient « une inégalité devant le suffrage selon qu’on est maire, président de conseil général ou de conseil régional », puisqu’elles permettaient un cumul entre les fonctions de président du conseil de la métropole et de maire, alors qu’était incompatible l’exercice simultané des fonctions de président du conseil départemental et de maire.
Le Conseil a construit son raisonnement à partir d’un double constat : il a relevé, d’une part, qu’« afin de permettre aux titulaires de fonctions exécutives locales de les exercer de façon satisfaisante, le législateur a prévu aux articles L. 2122-4, L. 3122-3, L. 4133-3 et L. 4422-19 du code général des collectivités territoriales que sont incompatibles entre elles les fonctions de maire, de président du conseil général, de président du conseil régional et de président du conseil exécutif de Corse » ; d’autre part, qu’« à compter du 1er janvier 2015, la métropole de Lyon exerce de plein droit, en application de l’article L. 3641-2 introduit dans le même code par l’article 26, les compétences que les lois, dans leurs dispositions non contraires à celle qui est déférée, attribuent au département ; qu’ainsi le président du conseil de la métropole de Lyon exerce notamment toutes les attributions d’un président de conseil général ».
De ces éléments, le Conseil a déduit que « si le législateur pouvait, à titre transitoire et afin de permettre la mise en place des institutions de la métropole de Lyon, ne pas prévoir d’incompatibilité entre les fonctions de président du conseil de cette métropole et celles de maire, il ne pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, et en l’absence de toute différence de situation pouvant justifier une différence de traitement au regard de l’objectif poursuivi par les règles prévues aux articles L. 2122-4, L. 3122-3, L. 4133-3 et L. 4422-19 du code général des collectivités territoriales sur l’interdiction de cumul de fonctions exécutives locales, prévoir de façon pérenne que les fonctions de maire ne sont pas incompatibles avec celles de président du conseil de la métropole de Lyon ».
Afin de neutraliser cette atteinte au principe d’égalité, le Conseil a alors jugé, par une réserve d’interprétation, « que, dès lors, les dispositions du premier alinéa de l’article L. 3631-8 introduit dans le code général des collectivités territoriales par l’article 26 de la loi déférée ne sauraient être interprétées comme autorisant, à compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux suivant la création de la métropole de Lyon, le cumul des fonctions de président du conseil de cette métropole et de maire ». Sous cette réserve applicable à compter du prochain renouvellement général des conseils municipaux suivant la création de la métropole de Lyon, le premier alinéa de l’article L. 3631-8 du CGCT a été déclaré conforme à la Constitution39.
Le commentaire de cette décision indique que, compte tenu de la rédaction de cet alinéa (qui prévoit simplement les fonctions avec lesquelles le mandat de président du conseil de la métropole de Lyon est incompatible, sans citer celles de maire), le Conseil ne pouvait pas censurer ces dispositions. Aussi a-t-il prononcé une réserve d’interprétation pour limiter le caractère dérogatoire du régime d’incompatibilité prévu par le législateur à une période transitoire.
- Le Conseil a procédé de la même manière, peu après, dans sa décision n° 2014–689 DC du 13 février 2014 à l’occasion du contrôle de l’article L.O. 141-1 du code électoral qui, ainsi qu’il a été vu précédemment, prévoit une interdiction de cumul entre le mandat parlementaire et certaines fonctions exécutives locales.
Examinant la liste des fonctions et des collectivités territoriales visées, le Conseil a constaté que le législateur organique avait estimé que les fonctions de vice-président de toutes les collectivités dotées d’une assemblée délibérante en métropole, en outre-mer et en Nouvelle-Calédonie ne pouvaient être cumulées avec l’exercice d’un mandat de député ou sénateur. Or, s’agissant de la collectivité de Corse, les dispositions de la loi organique prévoyaient une interdiction de cumul touchant uniquement la fonction de président de l’assemblée délibérante, laissant ainsi à un parlementaire la possibilité de cumuler son mandat avec les fonctions de vice-président de cette collectivité à statut particulier.
Examinant la différence de traitement ainsi instituée, le Conseil constitutionnel a formulé une réserve d’interprétation et jugé que « les dispositions du 6° de l’article L.O. 141-1 ne sauraient, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, être interprétées comme permettant le cumul du mandat de député ou de sénateur avec les fonctions de vice-président élu par l’assemblée de Corse en application de l’article L. 4422-9 du code général des collectivités territoriales ». Il a donc déclaré cet article, sous cette réserve d’interprétation, conforme à la Constitution40.
B. – L’application à l’espèce
* Conformément aux dispositions combinées du troisième alinéa de l’article 23-2 et du troisième alinéa de l’article 23-5 de l’ordonnance du 7 novembre 1958 portant loi organique sur le Conseil constitutionnel, le Conseil ne peut être saisi d’une QPC relative à une disposition qu’il a déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une de ses décisions que si un changement de circonstances est intervenu postérieurement à cette déclaration de conformité.
Or, la QPC à l’origine de la décision commentée portait sur des dispositions qui, dans la même rédaction que celle contestée par les requérants, avaient déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision antérieure. Le Conseil a ainsi relevé que « Dans sa décision du 16 mai 2013 mentionnée ci–dessus, le Conseil constitutionnel a spécialement examiné les mots "conseiller départemental" figurant au premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi organique du 17 mai 2013 mentionnée ci-dessus. Il a déclaré ces dispositions conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de cette décision » (paragr. 5).
Il appartenait donc au Conseil de se prononcer tout d’abord sur l’existence de circonstances nouvelles justifiant leur réexamen.
En l’espèce, ainsi que l’avait d’ailleurs relevé le Conseil d’État dans sa décision de renvoi, le Conseil constitutionnel a considéré que la loi du 27 janvier 2014 précitée, qui a créé la métropole de Lyon et le mandat de conseiller métropolitain de Lyon, constituait un changement des circonstances justifiant le réexamen des dispositions contestées (paragr. 6).
* Après avoir admis la recevabilité de la QPC, le Conseil constitutionnel s’est prononcé au fond sur la conformité à la Constitution des dispositions contestées.
Il a d’abord rappelé sa formulation de principe relative au principe d’égalité devant la loi (paragr. 7) puis a décrit l’objet du premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral en relevant qu’il « prévoit que le mandat de député est incompatible avec l’exercice de plus d’un des mandats locaux qu’il énumère, parmi lesquels figure, aux termes des dispositions contestées, celui de conseiller départemental » (paragr. 8).
Ainsi que le dénonçait justement les requérants, le Conseil a constaté que, faute de mentionner les élus de la métropole de Lyon, « Cette incompatibilité parlementaire ne s’applique pas au mandat de conseiller de la métropole de Lyon » (même paragr.).
Le Conseil s’est alors attaché à examiner la conformité au principe d’égalité devant la loi de cette différence de traitement instituée en matière d’incompatibilités de mandat.
À ce titre, il a relevé qu’« il résulte des articles L. 3611-1, L. 3611-3 et L. 3641-2 du code général des collectivités territoriales que, sauf disposition spéciale contraire, la métropole de Lyon, collectivité territoriale à statut particulier au sens de l’article 72 de la Constitution, s’administre dans les conditions fixées par la législation en vigueur relative au département et exerce de plein droit sur son territoire les compétences que les lois attribuent au département » (paragr. 9).
De ce constat, il a déduit, à l’instar du Conseil d’État dans sa décision de renvoi, que « le mandat de conseiller de la métropole de Lyon comporte notamment les mêmes attributions que celui de conseiller départemental » (même paragr.).
Dès lors, il n’existait entre ces élus locaux aucune différence de situation permettant de justifier la différence de traitement en matière d’incompatibilités de mandat résultant des dispositions contestées.
Ainsi qu’il l’avait déjà fait dans ses décisions n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014 et n° 2014-689 DC du 13 février 2014 précitées à propos de règles d’incompatibilités de mandats, le Conseil constitutionnel a décidé, en l’espèce, de formuler une réserve d’interprétation permettant de mettre fin à cette différence de traitement injustifiée.
En ce sens, il a jugé que « les dispositions contestées ne sauraient, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, être interprétées comme autorisant le cumul du mandat de député avec l’exercice simultané du mandat de conseiller de la métropole de Lyon et de l’un des autres mandats locaux énumérés au premier alinéa de l’article L.O. 141 du code électoral » (paragr. 10).
Le Conseil a estimé nécessaire de préciser en outre les conditions d’application de cette réserve d’interprétation aux situations en cours à la date de sa décision41, en la combinant avec les règles, fixées au paragraphe I de l’article L.O. 151 du code électoral, applicables à un député qui se trouve dans un des cas d’incompatibilités mentionnés à l’article L.O. 141 du code électoral.
Ainsi, il a jugé que cette réserve d’interprétation « s’applique à compter de la date de publication de la présente décision. En application du paragraphe I de l’article L.O. 151 du code électoral, il appartient ainsi au député qui se trouve dans une telle situation d’incompatibilité à cette date de la faire cesser en démissionnant d’un des mandats qu’il détient au plus tard le trentième jour qui suit cette même date. À défaut d’option dans ce délai, le mandat acquis à la date la plus ancienne prend fin de plein droit » (paragr. 11).
Sous cette réserve dont il a ainsi précisé les conditions d’application, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi et déclaré les dispositions contestées de l’article L.O. 141 du code électoral conformes à la Constitution (paragr. 12 et 13).
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1 Marcel Waline, Commentaire sur CE, 7 janvier 1966, Élections du maire de Marcoing, RDP, 1966, p. 577.
2 Prévues aux articles L.O. 140 et L.O. 142 et suivants du code électoral. En vertu de l’article L.O. 151-2 de ce code, le Conseil constitutionnel peut être amené à apprécier, au cas par cas, la compatibilité avec le mandat parlementaire de certaines activités professionnelles ou d’intérêt général ou les participations financières mentionnées dans la déclaration d’intérêts et d’activités des députés et sénateurs.
3 Ainsi, aux termes de l’article L.O. 394-1 du code électoral : « Les dispositions ayant valeur de loi organique du titre II du livre Ier sont applicables à l’élection des députés en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna ».
4 Ces dispositions s’appliquent également au mandat de sénateur en vertu de l’article L.O. 297 du code électoral auxquelles cet article renvoie.
5 Seuil déclenchant, en vertu de l’article L. 252 du code électoral, le passage à un mode de scrutin majoritaire pour l’élection des membres des conseils municipaux.
6 Tant qu’il n’est pas mis fin à l’incompatibilité visée au premier alinéa, l’élu concerné ne perçoit que l’indemnité attachée à son mandat parlementaire et l’indemnité attachée à un autre de ses mandats de son choix.
7 Et ce au plus tard le trentième jour qui suit la date de la proclamation des résultats de l’élection qui l’a mis en situation d’incompatibilité ou, en cas de contestation, la date à laquelle le jugement confirmant cette élection est devenu définitif.
8 Loi organique n° 85-1405 du 30 décembre 1985 tendant à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives par les parlementaires.
9 S’agissant de la portée de cette limitation du cumul des mandats, l’article 4 de la loi organique du 30 décembre 1985 précisait que les mandats de membre de l’assemblée territoriale de Polynésie française, de membre de l’assemblée territoriale du territoire des îles Wallis-et-Futuna, de membre du congrès du territoire de Nouvelle-Calédonie et dépendances, de conseiller général de Saint-Pierre-et-Miquelon et de conseiller général de Mayotte étaient, pour l’application des articles L.O. 141 et L.O. 297 du code électoral, assimilés au mandat de conseiller général d’un département.
10 Article 2 de la loi n° 91-428 du 13 mai 1991 portant statut de la collectivité territoriale de Corse.
11 Loi organique n° 95-62 du 19 janvier 1995 modifiant diverses dispositions relatives à l’élection du Président de la République et à celle des députés à l’Assemblée nationale.
12 Articles 2 et 3 de la loi organique n° 2000-294 du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux. En cohérence, la mention relative à ce mandat a été supprimée de la liste figurant à l’article L.O. 141.
13 Article 5 de la loi organique n° 2011-883 du 27 juillet 2011 relative aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution
14 Par une référence aux communes soumises au mode de scrutin prévu au chapitre III du titre IV du livre Ier. Depuis la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral, le mode de scrutin auquel il est fait référence est applicable aux communes d’au moins 1 000 habitants.
15 Dans sa décision n° 2014-689 DC du 13 février 2014, Loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, le Conseil constitutionnel a jugé que ces dispositions ne sauraient, sans méconnaître le principe d’égalité devant la loi, être interprétées comme permettant le cumul du mandat de député ou de sénateur avec les fonctions de vice-président élu par l’Assemblée de Corse (cons. 11) : voir infra.
16 2° de l’article 2 de la loi organique n° 2014-125 du 14 février 2014 interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur.
17 En vertu de l’article 34 de la Constitution, le législateur est compétent pour fixer les règles concernant le régime électoral des assemblées locales ainsi que « les conditions d’exercice des mandats électoraux et des fonctions électives des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ». À ce titre, il est donc compétent pour fixer le régime applicable aux autres mandats électifs (pour les mandats locaux et ceux de représentant au parlement européen, par exemple). Font exception à cette compétence du législateur certaines incompatibilités :
- de rang constitutionnel (incompatibilité du mandat parlementaire avec les fonctions de ministre, régie par les articles 23 et 25 de la Constitution, ou concernant les membres du Conseil constitutionnel, régie par son article 57) ;
- ou relevant de la loi organique car elles concernent les membres des assemblées locales ou les titulaires de fonctions exécutives propres aux collectivités d’outre-mer régies par l’article 74 de la Constitution (car il s’agit alors d’une matière statutaire et que les « statuts des territoires d’outre-mer sont fixés par des lois organiques » en vertu du deuxième alinéa de l’article 74 de la Constitution) ou à la Nouvelle-Calédonie (l’article 77 de la Constitution confiant à une loi organique, notamment, « les règles d’organisation et de fonctionnement des institutions de la Nouvelle-Calédonie »).
18 Ordonnance n° 2014-1539 du 19 décembre 2014 relative à l’élection des conseillers métropolitains de Lyon, ratifiée par la loi n° 2015-816 du 6 juillet 2015.
19 Loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles.
20 Article 72, alinéa 1er de la Constitution : « Les collectivités territoriales de la République sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74. Toute autre collectivité territoriale est créée par la loi, le cas échéant en lieu et place d’une ou de plusieurs collectivités mentionnées au présent alinéa ». En Métropole, sont des collectivités à statut particulier, au sens de cet article 72, la collectivité de Corse, la ville de Paris et, désormais, la métropole de Lyon.
21 Article L. 3611-3 du CGCT.
22 Voir les articles L. 224-1 et suivants du code électoral.
23 Ordonnance n° 2014-1539 du 19 décembre 2014 relative à l’élection des conseillers métropolitains de Lyon, ratifiée par l’article unique de la loi n° 2015-816 du 6 juillet 2015.
24 À l’instar de l’article L. 3611-3 du CGCT, l’article L. 224-8 du code électoral prévoit que pour l’application de ces règles d’éligibilité et d’inéligibilités, la métropole est assimilée au département, les services métropolitains aux services départementaux, la circonscription métropolitaine au canton, le conseil métropolitain au conseil départemental et le conseiller métropolitain au conseiller départemental.
25 Articles L. 206 et L. 207 du code électoral qui rendent le mandat de conseiller départemental incompatible avec les fonctions de militaires et certaines fonctions ou professions exercées dans le département.
26 Loi n° 77-729 du 7 juillet 1977 relative à l’élection des représentants au Parlement européen.
27 Article 3 de la loi n° 62-1292 du 6 novembre 1962 relative à l’élection du Président de la République au suffrage universel, dans sa rédaction résultant de la loi organique n° 2016-506 du 25 avril 2016 de modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle.
28 Le collège électoral appelé à élire les sénateurs est composé : « 3° Des conseillers départementaux et des conseillers métropolitains de Lyon » (extrait de l’article L. 280 du code électoral, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-776 du 24 juillet 2019 visant à permettre aux conseillers de la métropole de Lyon de participer aux prochaines élections sénatoriales).
29 Article 4 du projet de loi organique n° 977 (Assemblée nationale – XVe législature) pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 23 mai 2018. Selon son exposé des motifs, cet article devait permettre d’« actualise[r] les articles L.O. 141 et L.O. 141-1 du code électoral qui précisent les mandats ou fonctions exécutives dont la détention est incompatible avec un mandat parlementaire, en les complétant notamment par ceux de membre, président et vice-président du conseil métropolitain de Lyon à la suite de la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, et par la fonction de vice-président de l’assemblée de Corse, en application de la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-689 du 13 février 2014 ». Ce projet de texte avait été retiré au bénéfice d’un nouveau projet de loi organique n° 2204 pour un renouveau de la vie démocratique, enregistré à la présidence de l’Assemblée nationale le 29 août 2019. Son article 4 avait exactement le même objet que l’article précité.
30 En ce sens, voir encore récemment la réponse du Gouvernement à une question parlementaire : « Madame la sénatrice Cukierman, vous avez raison : l’article L.O. 141 du code électoral fixe la liste des mandats locaux incompatibles avec celui de député, au nombre desquels ne figure effectivement pas celui de conseiller de la métropole de Lyon. (…) Comme vous l’avez souligné, madame la sénatrice, cette situation devra être rectifiée à l’occasion de l’examen d’une prochaine loi organique contenant des dispositions de nature électorale ou institutionnelle » (Sénat, compte rendu, séance du 2 août 2022, p. 2987 – Question n° 52 de Mme Cécile Cukierman adressée à M. le ministre de l’intérieur et des outre-mer).
31 Le contrôle opéré par le Conseil en matière d’incompatibilités professionnelles avec des fonctions publiques électives est différent de celui opéré en matière d’incompatibilités entre des mandats politiques. En effet, une telle incompatibilité affecte plus largement l’égale admissibilité aux emplois publics proclamée par l’article 6 de la Déclaration de 1789. Le contrôle consiste à s’assurer de la réalité du risque que l’interférence possible entre l’activité professionnelle et le mandat électoral ou la fonction élective fait peser sur la « liberté de choix de l’électeur ou l’indépendance de l’élu » (Décisions nos 82-146 DC du 18 novembre 1982, Loi modifiant le code électoral et le code des communes et relative à l’élection des conseillers municipaux et aux conditions d’inscription des Français établis hors de France sur les listes électorales, cons. 7, et 2000-426 DC du 30 mars 2000, Loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d’exercice, cons. 15).
32 Décision n° 2000-426 DC du 30 mars 2000, Loi relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions et à leurs conditions d’exercice, cons. 5. Voir également la décision n° 2000-427 DC du 30 mars 2000, Loi organique relative aux incompatibilités entre mandats électoraux, cons. 1 et 2.
33 Voir, par exemple, décision n° 2023-1039 QPC du 24 mars 2023, Association Handi-social et autre (Financement des fonds départementaux de compensation et plafonnement des frais restant à la charge des personnes handicapées), paragr. 13.
34 Décision n° 2000-426 DC du 30 mars 2000 précitée, cons. 12.
35 Décision n° 2007-547 DC du 15 février 2007, Loi organique portant dispositions statutaires et institutionnelles relatives à l’outre-mer, cons. 18.
36 Décision n° 2000-427 DC du 30 mars 2000, Loi organique relative aux incompatibilités entre mandats électoraux, cons. 1 et 2.
37 Décision n° 2013-668 DC du 16 mai 2013, Loi organique relative à l’élection des conseillers municipaux, des conseillers communautaires et des conseillers départementaux, cons. 3.
38 Décision n° 91-290 DC du 9 mai 1991, Loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse, cons. 21 à 24.
39 Décision n° 2013-687 DC du 23 janvier 2014, Loi de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, cons. 62 à 64.
40 Décision n° 2014-689 DC du 13 février 2014, Loi organique interdisant le cumul de fonctions exécutives locales avec le mandat de député ou de sénateur, cons. 11 et 14.
41 Pour un exemple d’aménagement dans le temps d’une réserve d’interprétation formulée dans le cadre d’une décision QPC, voir la décision n° 2015-503 QPC du 4 décembre 2015, M. Gabor R. (Effets de la représentation mutuelle des personnes soumises à imposition commune postérieurement à leur séparation), cons. 15 et 16.