Conseil constitutionnel

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Commentaire de la décision 2023-1065 QPC

28/02/2024

Non conformité totale

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 26 juillet 2023 par le Conseil d’État (décision nos 471674, 471713 et 471778 du même jour) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l’association France énergie éolienne et plusieurs sociétés 1, portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

 

Dans sa décision n° 2023-1065 QPC du 26 octobre 2023, le Conseil constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires à la Constitution.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Présentation des dispositions contestées

 

1. – Le soutien public à la production d’électricité d’origine renouvelable et les contrats de complément de rémunération

 

Pour permettre l’essor des différentes filières de production d’énergies renouvelables à hauteur des objectifs retenus2 par les pouvoirs publics, ces derniers ont mis en place des dispositifs de soutien à la construction et à l’exploitation d’installations produisant de l’électricité d’origine renouvelable.

 

* Ce soutien public a d’abord pris la forme, avec la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, d’un dispositif d’obligation d’achat3 dans le cadre duquel EDF ou les entreprises locales de distribution chargées de la fourniture de l’électricité sont tenues de conclure, lorsque les producteurs intéressés en font la demande, un contrat pour l’achat de l’électricité produite par certains types d’installations (dit « contrat d’achat »). Ce contrat peut être conclu dans le cadre d’un « guichet ouvert »4 ou au terme d’une procédure de mise en concurrence5.

 

Ainsi, dans le cadre de ce dispositif, le producteur d’électricité vend son électricité à EDF et bénéficie d’un tarif d’achat qui est fixé par arrêté, après avis de la commission de régulation de l’énergie6 et garanti pour toute la durée du contrat (d’une durée de quinze à vingt ans maximum). Il ne subit donc pas les fluctuations de prix du marché de l’électricité. En retour, ces obligations d’achat donnent lieu, pour EDF et les autres opérateurs qui la supportent, à un mécanisme de compensation7.

 

* La loi n° 2015-992 du 17 août 20158 a créé au bénéfice des producteurs d’électricité à partir d’énergies renouvelables un nouveau dispositif de soutien public sous la forme d’un complément de rémunération, dont le régime juridique est fixé aux articles L. 314-18 et suivants du code de l’énergie.

 

Institué sous l’impulsion des lignes directrices de la Commission européenne relatives aux aides d’État à l’énergie9 et destiné à progressivement remplacer l’obligation d’achat10, ce nouveau dispositif est fondé sur la possibilité pour les producteurs de vendre directement sur le marché l’électricité produite tout en bénéficiant du versement d’une prime. Il doit, ce faisant, permettre une rémunération directe des producteurs d’énergie renouvelable sur le marché de l’électricité ainsi que sur le marché de capacité, en bénéficiant, si nécessaire, d’un complément de rémunération, sous forme d’une « prime à l’énergie » garantissant aux bénéficiaires de ce mécanisme une rentabilité « normale » de leur activité, et ce, quel que soit le prix de marché de l’électricité.

 

L’article L. 314-18 du code de l’énergie prévoit qu’EDF est tenue, lorsqu’un producteur éligible en fait la demande11, de conclure un contrat offrant un complément de rémunération, dont la durée maximale est fixée par arrêté pour chaque filière d’énergies renouvelables sans pouvoir dépasser vingt années12,  et qui est qualifié de contrat administratif par détermination de la loi13. Le complément de rémunération constitue une des charges imputables aux missions de service public assignées principalement à EDF qui doivent être intégralement compensées par l’État14.

 

S’agissant de la détermination du complément de rémunération, l’article L. 314-20 du code de l’énergie en précise certains critères :

- les conditions du complément de rémunération doivent être établies en tenant compte, notamment, des investissements et des charges d’exploitation d’installations performantes, représentatives de chaque filière, dont les frais de contrôle15, du coût d’intégration de l’installation dans le système électrique et des recettes de l’installation, notamment la valorisation de l’électricité produite ;

- le niveau de ce complément de rémunération est encadré, dans la mesure où « [il] ne peut conduire à ce que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l’installation et des aides financières ou fiscales, excède une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à ces activités. Le bénéfice du complément de rémunération peut, à cette fin, être subordonné à la renonciation, par le producteur, à certaines de ces aides financières ou fiscales »16.

 

Ainsi qu’il ressort des travaux préparatoires dont sont issues ces dispositions, le niveau de complément de rémunération doit « assurer une rémunération raisonnable des capitaux au regard des risques inhérents à ces activités. Il s’agit d’éviter de reproduire les effets d’aubaine auxquels ont pu conduire, par le passé, la fixation de tarifs de rachat qui, par leur niveau trop élevé, ont abouti à une rémunération excessive des capitaux investis et, partant, à la constitution de bulles spéculatives »17.

 

À cette fin, d’ailleurs, l’article L. 314-20 précité ouvre la possibilité d’une révision périodique des conditions du complément de rémunération « afin de tenir compte de l’évolution des coûts des installations bénéficiant de cette rémunération »18.

 

Pour le surplus, la loi ne prévoit ni la nature ni les modalités du complément de rémunération (qui pouvait prendre la forme soit d’une prime fixe « ex ante », soit d’une prime « ex post », tenant compte des fluctuations de prix sur le marché19), ces précisions étant expressément renvoyées au pouvoir réglementaire20.

 

* Les dispositions réglementaires prises à cet effet précisent les modalités de calcul du complément de rémunération, qui prend la forme, outre d’une prime de gestion21, d’une « prime à l’énergie » (articles R. 314-33 et suivants du code de l’énergie).

 

Cette prime est égale à la différence entre, d’une part, un tarif de référence et, d’autre part, un prix de marché de référence :

– le tarif de référence est défini ab initio par le producteur lui-même dans le cadre de la procédure d’appel d’offre ou par un arrêté ministériel dans le cadre du guichet ouvert (il est basé sur les coûts d’investissement et d’exploitation moyens d’une installation performante et représentative de la filière considérée22) ;

– le prix de marché de référence est établi chaque mois par la Commission de régulation de l’énergie (CRE). Il correspond à une moyenne des prix de gros de l’électricité pratiqué sur le marché23.

 

Lorsque, pour un mois donné, le tarif de référence du contrat (ou le tarif de référence fixé par arrêté ministériel) est supérieur au prix de marché de référence établi par la CRE, la différence est versée par EDF au producteur sous la forme d’une prime dite « positive »24. Dans cette configuration, le producteur a donc la garantie de toujours percevoir au moins le tarif de référence initialement prévu par son contrat, même s’il a effectivement dû vendre son électricité sur le marché à un prix inférieur audit tarif. L’aide qui lui est versée sert à compléter sa rémunération, à concurrence de ce tarif.

 

À l’inverse, si le tarif de référence est inférieur au prix de marché de référence, le producteur doit reverser une « prime négative », correspondant à la différence entre ces montants. Elle est versée par le producteur à EDF sous la forme d’un avoir accompagné du règlement correspondant. Ainsi, lorsque le producteur d’énergie renouvelable parvient à vendre son électricité sur le marché à un prix supérieur au tarif de référence résultant de son contrat, les gains de marché dont il a bénéficié pour un mois donné sont, dans un tel cas, « récupérés » par l’État, dans le cadre du dispositif de compensation des charges du service public d’électricité25.

 

2. – La modification par la loi du mécanisme réglementaire de plafonnement des primes négatives pour les contrats de complément de rémunération en cours d’exécution (les dispositions objet de la décision commentée)

 

* Dans sa rédaction initiale, issue du décret n° 2016-682 du 27 mai 201626, l’article R. 314-49 du code de l’énergie prévoyait un plafonnement des primes négatives27 et des sommes versées, à ce titre, à l’État par les producteurs. Selon cet article, le producteur était en effet redevable de cette prime négative « dans la limite des montants totaux perçus depuis le début du contrat au titre du complément de rémunération ». Dès lors que ce plafond était atteint, c’est-à-dire lorsque le producteur avait remboursé l’intégralité des aides publiques déjà perçues depuis le début de l’exploitation, il pouvait conserver le reste éventuel des bénéfices tirés de la vente de son électricité sur le marché.

 

Dans ses conclusions sous la décision de renvoi du Conseil d’État à l’origine de la décision commentée, Mme Céline Guibé observait à ce propos que, « à la date à laquelle ont été conclus nombre de ces contrats [offrant un complément de rémunération], l’on pouvait raisonnablement penser que le plafond ne jouerait que de manière marginale – ou, du moins, secondaire, la rentabilité du projet reposant, principalement, sur le choix du tarif de référence, dont il était anticipé qu’il resterait durablement supérieur au prix du marché »28. L’éventuel bénéfice tiré d’un plafonnement de la prime négative, tout en étant pris en compte dans les prévisions contractuelles, ne semblait pas constituer dans les faits un élément déterminant de rentabilité des projets engagés.

 

Cependant, la très forte augmentation des prix de marché de l’électricité à partir de 202129 a eu un impact direct sur les contrats de complément de rémunération, conduisant mécaniquement à une forte hausse du prix de marché de référence fixé par la CRE, bien au-delà des tarifs de référence contractuels. Dans ce contexte, les producteurs d’électricité à partir d’énergies renouvelables se sont trouvés dans une situation où ils étaient redevables envers EDF de primes négatives, dans la limite du plafond (constitué de l’ensemble des aides qui leur avaient déjà été versées).

 

Ainsi, alors que la règle de plafonnement des primes négatives n’avait initialement vocation à jouer qu’à la marge, la très forte augmentation des prix de l’électricité sur le marché a permis à nombre de producteurs d’énergie renouvelable de rembourser rapidement l’intégralité des aides perçues et donc de conserver de très importants gains de marché supplémentaires30.

 

Considérant que ces gains constituaient un effet d’aubaine injustifié et conduisaient à une « sur-rentabilité » des exploitations concernées, les pouvoirs publics ont réagi en deux temps.

 

* S’agissant, tout d’abord, des futurs contrats de complément de rémunération, le décret du 17 décembre 202131 a supprimé, au sein de l’article R. 314-49 du code de l’énergie, les dispositions qui prévoyaient le plafonnement des primes négatives. Désormais, pour les nouveaux contrats offrant un complément de rémunération conclus dans le cadre du guichet ouvert32, du fait de ce « déplafonnement », les producteurs doivent reverser à EDF l’intégralité des primes négatives résultant d’une vente sur les marchés à un prix supérieur au tarif de référence, et ce quand bien même les gains liés à ces ventes seraient finalement supérieurs au montant des aides publiques perçues.

 

* S’agissant, ensuite, des contrats en cours d’exécution, le ministre chargé de l’énergie avait donné l’instruction à EDF de suspendre, à titre conservatoire, l’application du plafonnement à compter du 1er avril 2022 et jusqu’au 31 décembre 2022.

 

Le Gouvernement a par la suite proposé d’inscrire dans la loi la suppression, pour 2022, du plafonnement des versements à EDF des primes négatives. L’article 13 du projet de loi de finances rectificative pour 2022 prévoyait en ce sens que, « Pour les contrats offrant un complément de rémunération conclus en application des articles L. 311-12 et L. 314-18 du code de l’énergie, dans les cas où la prime à l’énergie mensuelle est négative, le producteur dont le contrat stipule qu’il est redevable de cette somme dans la limite des montants totaux perçus depuis le début du contrat au titre du complément de rémunération, est redevable de l’intégralité de cette somme pour l’énergie produite entre le 1er janvier et le 31 décembre 2022 inclus »33.

 

Initialement, il était donc envisagé de suspendre, de manière ponctuelle, le plafonnement des primes négatives pour les contrats en cours.

 

Toutefois, lors de l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a réécrit cet article par voie d’amendement, afin d’« étendre au-delà de l’année 2022 la période d’application du déplafonnement des montants dus à l’État au titre des contrats offrant un complément de rémunération, au vu des perspectives actuelles d’un maintien durable des prix de marché à un niveau élevé »34.

 

L’article 38 de la loi du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022 (les dispositions objet de la décision commentée), tel que définitivement adopté par le Parlement, a ainsi prévu un dispositif pérenne et variable de déplafonnement des primes négatives.

 

En vertu des deux premiers alinéas de cet article 38, le dispositif finalement adopté s’applique à tous les contrats « À compter du 1er janvier 2022 » (c’est-à-dire de façon rétroactive, depuis le début de l’année 2022, et sans limite de temps, pour le futur).

 

Le surplus de cet article 38 donne un caractère variable au déplafonnement, en distinguant trois scénarios en fonction des niveaux respectifs d’un « prix seuil », qu’il revient aux ministres chargés de l’énergie et du budget de fixer par un arrêté conjoint35, du tarif de référence du producteur et du prix de marché de référence de l’électricité constaté par la CRE :

 

1° Lorsque, pour un mois donné, le tarif de référence contractuel est supérieur ou égal à ce prix seuil, si la prime à l’énergie mensuelle est négative, le déplafonnement est intégral, de sorte que le producteur doit alors reverser l’intégralité de ses gains de marché à EDF (1° de l’article 38) ;

 

2° À l’inverse, lorsque le tarif de référence est strictement inférieur au prix seuil pour le mois considéré, deux situations sont distinguées :

 

- si le prix de marché est inférieur ou égal au prix seuil, les stipulations contractuelles qui prévoient le plafonnement des primes négatives s’appliquent (a du 2° de l’article 38). Le producteur peut donc conserver l’intégralité de ses gains de marché une fois qu’il a remboursé le montant des aides antérieurement versées au titre du complément de rémunération ;

 

- si, en revanche, le prix de marché est supérieur au prix seuil, il y a partage des gains, le plafonnement s’appliquant dans la limite du prix seuil. Le producteur peut ainsi imputer sur les aides déjà versées les gains de marché correspondant à la différence entre le tarif de référence et le prix seuil ou conserver les gains au-delà du plafond. Si le plafond est atteint, il doit reverser à EDF les gains compris entre le prix seuil et le prix de marché (b du 2° de l’article 38).

 

Il ressort de l’amendement précité du Gouvernement, à l’origine de ces dispositions, que ce mécanisme de déplafonnement est destiné à « préserver l’espérance de gains que pouvaient raisonnablement anticiper les producteurs concernés au titre du plafonnement au moment de la conclusion des contrats » ; il doit aussi introduire « [u]n partage entre l’État et les producteurs et dans certaines conditions des recettes générées en cas de prix de marché de l’électricité supérieur aux tarifs de référence des contrats ». Ce partage des recettes provenant du marché « est mis en œuvre par la définition d’une trajectoire de prix "seuil" pivot, représentative d’un scénario réaliste d’évolution des prix de marché vu depuis le moment où ces contrats ont été conclus. Pour chaque contrat concerné, si le niveau du tarif de référence du contrat est inférieur au prix seuil, le mécanisme de plafonnement prévu initialement continue de s’appliquer au profit des producteurs dans la limite de ce prix seuil, tandis que les recettes correspondant au dépassement de ce prix seuil reviennent à l’État. Pour les contrats ayant un tarif de référence plus haut que le prix seuil, le déplafonnement est intégral »36.

 

Ainsi que le soulignait M. Jean-François Husson, rapporteur au Sénat, à propos de la détermination de la trajectoire du « prix seuil », ce nouveau mécanisme « prévoit de tenir compte des plans d’affaires qui avaient pu raisonnablement, lorsqu’ils avaient été conçus, intégrer une perspective crédible d’activation des dispositifs de plafonnement sur la fin de la période de leurs contrats. Cependant, comme indiqué supra, cette problématique, probablement très circonscrite, ne doit pas se poser avant de nombreuses années dans la mesure où les contrats, signés entre 2016 et 2019, ont une durée de 20 ans. Aussi, sous réserve de la trajectoire de "prix seuil" définie par l’arrêté ministériel, la potentielle activation des plafonnements qui résulterait du dispositif tel qu’il est prévu par le présent article, n’interviendrait pas avant plusieurs années »37.

 

Pour l’application de ces dispositions, un arrêté du 28 décembre 2022 des ministres chargés de l’énergie et du budget38, pris après avis de la CRE39, a déterminé le prix seuil sur une durée de vingt ans (qui correspond à la durée maximale des contrats de complément de rémunération). Ce prix seuil a été fixé à 44,78 euros/MWh pour 2022 avec une augmentation progressive d’un peu plus de 2 % par an, pour atteindre, en 2042, 66,55 euros/MWh.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

L’arrêté du 28 décembre 2022 précité avait fait l’objet de trois recours en annulation pour excès de pouvoir formés, respectivement, par l’association France énergie éolienne, la société PSTW SAS ainsi que la société TTR Energy et quinze autres sociétés dont les activités relèvent du secteur des énergies renouvelables.

 

À l’occasion de ces recours, ces requérantes avaient chacune soulevé une QPC dirigée contre l’article 38 de la loi du 16 août 202240.

 

Dans sa décision précitée du 26 juillet 2023, après avoir joint les affaires, le Conseil d’État avait jugé que les questions soulevées par les requérantes à l’encontre des dispositions de l’article 38 de la loi du 16 août 2022, qui invoquaient une atteinte au droit de propriété, ainsi qu’à la liberté contractuelle et au droit au maintien de l’économie des situations légalement acquises, ainsi que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence, présentaient un caractère sérieux. Il les avait donc renvoyées au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

Les requérantes, rejointes par les différentes parties à l’instance à l’occasion de laquelle la QPC avait été posée, reprochaient d’abord aux dispositions renvoyées de revenir, et ce, de manière rétroactive, sur le plafonnement des primes négatives dues par les producteurs d’électricité qui avaient conclu avec EDF un contrat de complément de rémunération. Elles soutenaient que, en remettant ainsi en cause, sans motif, des contrats en cours d’exécution, ces dispositions portaient une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle et au droit au maintien des conventions légalement conclues.

 

Elles soutenaient, pour les mêmes motifs, que ces dispositions portaient atteinte aux situations légalement acquises ainsi qu’aux attentes légitimes des opérateurs concernés, en méconnaissance de la garantie des droits. Selon certaines requérantes, il en résultait également une méconnaissance du droit de propriété.

 

Elles soutenaient ensuite que, en ne définissant ni la notion de « prix seuil » en fonction duquel sont calculés les reversements dus par les producteurs à EDF, ni les modalités de détermination de ce prix, le législateur avait méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant les exigences constitutionnelles précitées ainsi que le principe de sécurité juridique, la liberté d’entreprendre et l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi.

 

Par ailleurs, certaines requérantes soutenaient que ces dispositions procédaient à la validation d’une instruction ministérielle illégale en méconnaissance des exigences découlant de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.

 

Enfin, l’une des requérantes reprochait à ces dispositions d’instituer une différence de traitement entre les producteurs d’électricité à partir d’énergies renouvelables et les autres producteurs, en méconnaissance de l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement.

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle

 

1. – La jurisprudence relative à la liberté contractuelle et au droit au maintien des conventions légalement conclues

 

Le Conseil constitutionnel a consacré le droit au maintien des conventions légalement conclues dans sa décision n° 98-401 DC du 10 juin 199841 et lui a reconnu valeur constitutionnelle en le rattachant d’abord, dans sa décision n° 2000–437 DC, à l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 178942. Depuis, le Conseil constitutionnel a forgé son contrôle du respect de cette exigence en s’appuyant le plus souvent sur la combinaison de cet article et de l’article 16 de la Déclaration de 178943.

 

Selon sa formule de principe, le Conseil considère qu’« Il est loisible au législateur d’apporter à la liberté contractuelle, qui découle de l’article 4 de la Déclaration de 1789, des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi. Par ailleurs, le législateur ne saurait porter aux contrats légalement conclus une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant sans méconnaître les exigences résultant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789 »44.

 

Il en résulte que si le législateur peut déroger au droit au maintien des conventions légalement conclues, il ne peut y porter une atteinte qui ne soit justifiée par un motif d’intérêt général suffisant. Le contrôle de ce caractère suffisant conduit le Conseil à vérifier que l’atteinte n’est pas disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi. Il identifie à cet égard les garanties légales qui peuvent accompagner cette atteinte.

 

– Dans sa décision n° 2017-758 DC du 28 décembre 2017, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions de la loi de finances pour 2018 qui, instituant une réduction de loyer de solidarité, avaient pour effet de diminuer les ressources des bailleurs du parc social.

 

S’agissant de l’objectif poursuivi, le Conseil a considéré que, « en adoptant [ces dispositions], le législateur a entendu non seulement réduire le coût pour les finances publiques de la politique du logement, mais aussi améliorer les mécanismes de fixation des loyers afin de mieux les ajuster à la réalité des niveaux de vie des locataires, en particulier ceux aux revenus modestes et rencontrant des difficultés particulières d’accès au logement social. Ce faisant, il a poursuivi un motif d’intérêt général ».

 

S’agissant des garanties légales apportées, le Conseil constitutionnel a relevé que « la réduction de loyer de solidarité s’applique à des loyers dont le prix est fixé selon une procédure réglementée dans laquelle il appartient à l’autorité administrative de chercher à assurer l’équilibre de la situation financière des organismes de logement social. En outre, en application des cinquième et sixième alinéas du 4° du paragraphe I, le montant de la réduction est plafonné et encadré, en fonction de la composition du foyer et du zonage géographique retenu pour le calcul des aides au logement. Enfin, ses conséquences financières pour les organismes de logement social font l’objet de mesures de compensation, sous la forme notamment d’une modulation de leur cotisation à la caisse de garantie du logement locatif social ».

 

Il en a conclu que « Compte tenu du motif d’intérêt général poursuivi, des différentes garanties légales qui précèdent et de la nature même des contrats de location passés par les bailleurs du parc social pour l’exercice de leurs missions d’intérêt général, l’atteinte portée par les dispositions contestées au droit au maintien des contrats légalement conclus et à la liberté contractuelle n’est pas disproportionnée »45.

 

– Dans sa décision n° 2020-813 DC du 28 décembre 2020, le Conseil constitutionnel était saisi de dispositions de la loi de finances pour 2021 qui prévoyaient la réduction pour les contrats conclus entre 2006 et 2010 du tarif d’achat de l’électricité photovoltaïque ou thermodynamique prévus par des arrêtés pris à cet effet.

 

Après avoir constaté que ces dispositions portaient effectivement atteinte au droit au maintien des conventions légalement conclues, le Conseil s’est assuré de leur conformité à la Constitution, en identifiant le motif poursuivi, puis en examinant la proportionnalité de cette atteinte.

 

Sur le premier point, il a jugé que le législateur avait poursuivi un objectif d’intérêt général à plusieurs titres. Après avoir relevé que « la baisse importante et rapide des coûts de production des installations photovoltaïques au sol ou sur grande toiture, qui avait été mal anticipée lors de la fixation des conditions tarifaires, a eu pour conséquence une augmentation considérable du profit généré par certaines installations de production d’électricité bénéficiant de ces contrats », il a considéré qu’« en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu remédier à la situation de déséquilibre contractuel entre les producteurs et les distributeurs d’électricité et ainsi mettre un terme aux effets d’aubaine dont bénéficiaient certains producteurs, au détriment du bon usage des deniers publics et des intérêts financiers de l’État, qui supporte les surcoûts incombant aux distributeurs ».

 

Sur le second point, le Conseil constitutionnel a tenu compte des différentes garanties apportées par le législateur pour limiter l’atteinte portée au droit au maintien des conventions légalement conclues.

 

Il a constaté, d’une part, que « si la réduction tarifaire affecte un élément essentiel des contrats conclus en application des arrêtés précités, le législateur a veillé à ce qu’elle préserve en tout état de cause la rentabilité des installations ». En dépit de la baisse de rémunération qui en résultera pour les producteurs visés par la mesure, le Conseil a en effet rappelé qu’en application des termes mêmes des dispositions contestées, « cette réduction devra aboutir à ce que le prix d’achat corresponde à une rémunération raisonnable des capitaux immobilisés, compte tenu des risques inhérents à leur exploitation. À cet égard, la réduction du tarif tient compte de l’arrêté tarifaire au titre duquel le contrat est conclu, des caractéristiques techniques de l’installation, de sa localisation, de sa date de mise en service et de ses conditions de fonctionnement ».

 

D’autre part, s’appuyant sur les possibilités d’aménagement individuel de la réduction tarifaire prévues, il a relevé que « si les nouveaux tarifs résultant de l’application des dispositions contestées sont de nature à compromettre la viabilité économique du producteur, il est prévu que, sur demande motivée du producteur et sous certaines conditions, les ministres chargés de l’énergie et du budget fixent au cas par cas, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie, un niveau de tarif ou une date de prise d’effet de ce tarif différents ou allongent la durée du contrat d’achat ».

 

Pour ces raisons, le Conseil constitutionnel a jugé que l’atteinte portée par les dispositions contestées au droit au maintien des conventions légalement conclues n’était pas disproportionnée46.

 

– En revanche, dans sa décision n° 2021-968 QPC du 11 février 2022, le Conseil constitutionnel a jugé contraires à la Constitution des dispositions qui imposaient aux exploitants d’installation de stockage de déchets de réceptionner prioritairement les déchets ultimes issus de certaines filières de traitement des déchets. Cette nouvelle obligation était dénoncée, au motif qu’elle pouvait contraindre ces sociétés à devoir refuser des déchets apportés par d’autres sociétés de traitement avec qui elles avaient pourtant régulièrement conclus des contrats en vue de ce stockage. L’obligation instituée par le législateur pouvait donc faire obstacle à l’exécution de contrats en cours.

 

Le Conseil a d’abord identifié l’objectif poursuivi en soulignant qu’« Il ressort des travaux préparatoires que, dans un contexte de raréfaction des capacités de stockage, le législateur a entendu garantir un exutoire aux déchets ultimes de certaines installations de valorisation et favoriser ainsi une gestion plus vertueuse des déchets. Ce faisant, il a poursuivi l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement ».

 

Toutefois, le Conseil a conclu que l’atteinte portée au droit au maintien des conventions légalement conclues était manifestement disproportionnée après avoir souligné les différentes carences du dispositif mis en place.

 

En ce sens, il a jugé : « en premier lieu, les dispositions contestées obligent l’exploitant à réceptionner tous les déchets ultimes qui lui sont apportés par certaines filières industrielles, quand bien même elles ne rencontreraient pas de difficultés pour procéder à leur traitement. / En deuxième lieu, les dispositions contestées prévoient que l’exploitant doit être informé de la nature et de la quantité des déchets ultimes qu’il est tenu de prendre en charge au plus tard le 31 décembre de l’année précédant leur réception et au moins six mois avant celle-ci. Néanmoins, ce délai n’est pas de nature à garantir qu’il sera en mesure, à la date de réception de ces déchets, d’exécuter les contrats préalablement conclus avec les apporteurs d’autres déchets, dès lors que les dispositions contestées ne prévoient aucune exception à son obligation de réception. / En dernier lieu, les apporteurs de déchets dont le contrat avec un exploitant n’aura pu être exécuté, en tout ou partie, du fait des dispositions contestées, sont privés, quelle que soit la date de conclusion de leur contrat, de la possibilité de demander réparation des conséquences de cette inexécution ».

 

De l’ensemble de ces éléments, le Conseil a déduit que « si pour mettre en œuvre l’objectif de valeur constitutionnelle de protection de l’environnement, il est loisible au législateur d’instituer une obligation pour les installations de stockage de réceptionner certains déchets ultimes, les dispositions contestées portent une atteinte manifestement disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues »47. Il les a donc déclarées contraires à la Constitution.

 

2. – La jurisprudence constitutionnelle relative à l’incompétence négative

 

* Suivant une jurisprudence constante, le Conseil constitutionnel juge que « La méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit »48.

 

Dans son contrôle du respect de cette exigence, le Conseil est attentif à ce que le législateur ne reporte pas sur une autorité administrative, notamment le pouvoir réglementaire, le soin de fixer des règles ou des principes dont la détermination n’a été confiée qu’à la loi. Pour ne pas se placer en situation d’incompétence négative, le législateur doit ainsi déterminer avec une précision suffisante les conditions dans lesquelles est mis en œuvre le principe ou la règle qu’il vient de poser.

 

Par exemple, dans sa décision n° 2020-861 QPC du 15 octobre 2020, le Conseil était saisi de dispositions qui instituaient un plafonnement, exprimé en pourcentage, des frais d’intermédiation commerciale pour la vente de logements éligibles à certaines réductions d’impôt. Il était reproché au législateur d’avoir méconnu l’étendue de sa compétence, dans des conditions affectant la liberté d’entreprendre, en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de fixer le niveau du plafond des frais et commissions d’intermédiation commerciale. Pour juger ces dispositions conformes à la Constitution, le Conseil a notamment souligné que « si le législateur a renvoyé à un décret le soin de fixer le plafond des frais et commissions d’intermédiation commerciale, il a veillé à ce que ce plafond soit proportionné au prix de revient du logement, dont la définition relève en tout état de cause du pouvoir réglementaire. D’autre part, il appartient à ce dernier de fixer ce plafond à un niveau suffisamment élevé pour éviter les seules tarifications abusives »49.

 

Dans sa décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, le Conseil a considéré que le législateur avait précisé de manière suffisante les tarifs applicables aux professions juridiques réglementées en prévoyant que ces tarifs, déterminés par arrêté ministériel, seront fixés en fonction des coûts pertinents du service rendu et afin d’assurer une rémunération raisonnable au professionnel concerné. Selon les motifs de cette décision, « il ressort des dispositions contestées que, d’une part, les tarifs des professions juridiques mentionnés à l’article L. 444-1 sont fixés par un arrêté conjoint des ministres de la justice et de l’économie en fonction des "coûts pertinents" du service rendu et afin d’assurer une "rémunération raisonnable" au professionnel et qu’un décret en Conseil d’État précise les modes d’évaluation de ces coûts et de cette rémunération ; que les modalités de détermination des "coûts pertinents", qui prennent en compte les coûts supportés par le professionnel pour la réalisation de l’acte, et celles de la "rémunération raisonnable", qui sera fixée au regard de la nature de l’acte et des diligences nécessaires à son établissement, seront définies par le pouvoir réglementaire, sous le contrôle du juge administratif ; que d’autre part, si ces tarifs sont en principe fixes, certains peuvent, afin d’assurer une péréquation des tarifs applicables à l’ensemble des prestations servies, être déterminés proportionnellement à la valeur du bien ou du droit objet de la prestation lorsque la valeur de ce bien ou de ce droit excède un certain seuil ; qu’il résulte de ce qui précède que le législateur a précisé de manière suffisante les conditions dans lesquelles ces tarifs, applicables à des professions réglementées, seront fixés »50.

 

B. – L’application à l’espèce

 

* Dans la décision commentée, après avoir rappelé les formulations de principe de sa jurisprudence relatives au droit au maintien des conventions légalement conclues (paragr. 7) et au grief d’incompétence négative invoqué en QPC (paragr. 8), le Conseil constitutionnel a commencé par décrire l’objet des dispositions contestées.

 

À ce titre, il a d’abord rappelé le cadre légal applicable aux contrats offrant un complément de rémunération qui peuvent être conclus, sous certaines conditions, avec EDF par les exploitants des installations de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables (paragr. 9).

 

Il a également décrit le mécanisme réglementaire encadrant le versement des primes et, plus particulièrement, celui des primes dites « négatives », correspondant au cas dans lequel, le tarif de référence fixé par le contrat ou par arrêté étant inférieur au prix du marché, il est prévu que les producteurs d’électricité reversent à EDF le montant correspondant à la différence entre ces deux prix. Dans ce cas particulier, le Conseil a souligné que l’article R. 314-49 du code de l’énergie prévoyait initialement51, au profit des producteurs d’électricité, un plafonnement du reversement des primes négatives à hauteur du montant total des aides perçues, depuis le début du contrat, au titre du complément de rémunération (paragr. 10).

 

Le Conseil constitutionnel a ensuite rappelé l’objet et la portée des dispositions contestées.

 

L’article 38 de la loi du 16 août 2022 visait à modifier rétroactivement, à compter du 1er janvier 2022, le plafonnement des primes négatives pour les contrats en cours, en prévoyant que « le reversement dû à Électricité de France n’est plus, dans certaines hypothèses, limité au montant total des aides perçues. Ce reversement est calculé en fonction d’un prix seuil, qui est déterminé, chaque année jusqu’à la fin du contrat, par arrêté conjoint des ministres chargés de l’énergie et du budget » (paragr. 11).

 

Pour apprécier la conformité de ces dispositions aux droits et libertés garantis par la Constitution, le Conseil s’est d’abord attaché à les contrôler à l’aune de la norme de fond qui était principalement en cause ici, à savoir le droit au maintien des conventions légalement conclues, avant de vérifier si elles n’étaient pas entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ce même droit.

 

* S’agissant du grief tiré de la méconnaissance du droit au maintien des conventions légalement conclues, le Conseil constitutionnel a constaté que les dispositions contestées portaient bien atteinte à ce droit, dès lors qu’elles modifiaient en cours d’exécution les modalités contractuelles déterminant le montant des reversements dus par les producteurs lorsque la prime à l’énergie mensuelle est négative (paragr. 12).

 

Il lui revenait donc d’apprécier, en premier lieu, si cette atteinte était justifiée par un motif d’intérêt général suffisant.

 

À cet égard, s’appuyant sur l’objectif initial de la loi du 17 août 2015 qui avait institué le dispositif de complément de rémunération, le Conseil a relevé que le législateur avait « entendu soutenir la production d’électricité à partir d’énergie renouvelable en assurant aux producteurs une rémunération raisonnable des capitaux investis » (paragr. 13). Il a toutefois observé que, depuis lors, « la très forte augmentation des prix de l’électricité sur le marché à partir de septembre 2021, qui était imprévisible lors de la conclusion de ces contrats, a eu pour conséquence une augmentation considérable du profit généré par les installations de production d’électricité » (même paragr.).

 

Il ressort des travaux préparatoires exposés plus haut de la loi de finances rectificative pour 2022 que, compte tenu du plafonnement des primes négatives, après avoir procédé à leur reversement dans la limite des aides publiques perçues depuis le début de leur contrat, les producteurs d’électricité ont pu réaliser des gains très importants, dus à la forte hausse des prix du marché.

 

Le Conseil constitutionnel a relevé que, dans ces conditions, « En adoptant les dispositions contestées, dans un contexte de forte hausse des prix de l’électricité, le législateur a ainsi entendu corriger les effets d’aubaine dont ont bénéficié les producteurs qui ont reçu un soutien public, afin d’atténuer l’effet préjudiciable de cette hausse pour le consommateur final ». Il en a déduit que, ce faisant, le législateur avait poursuivi un objectif d’intérêt général (même paragr.).

 

Pour apprécier la proportionnalité de l’atteinte portée au droit au maintien des conventions légalement conclues, le Conseil a constaté, en second lieu, que « si la modification des modalités de calcul des reversements dus par les producteurs d’électricité bénéficiant d’un complément de rémunération affecte un élément essentiel de leurs contrats, il résulte de l’article L. 314-20 du code de l’énergie que leur est garantie, quelle que soit l’évolution des prix du marché, une rémunération raisonnable des capitaux immobilisés tenant compte des risques inhérents à leur exploitation jusqu’à l’échéance de leur contrat » (paragr. 14).

 

De ces éléments, le Conseil a déduit que « les dispositions contestées, en ce qu’elles reviennent sur le plafonnement auquel les producteurs pouvaient prétendre en vertu des contrats en cours, ne portent pas une atteinte disproportionnée au droit au maintien des conventions légalement conclues » (paragr. 15).

 

* Si le Conseil a ainsi jugé que les dispositions contestées ne méconnaissaient pas, en substance, les exigences découlant des articles 4 et 16 de la Déclaration de 1789, il a en revanche considéré qu’elles étaient entachées d’incompétence négative dans des conditions affectant ces mêmes exigences, faute pour le législateur d’avoir défini les critères de détermination du prix seuil.

 

À cet égard, il a constaté que les dispositions contestées « se bornent à renvoyer à un arrêté ministériel la fixation d’un prix seuil en fonction duquel sont calculés les reversements dus par les producteurs bénéficiant d’un complément de rémunération au titre des contrats en cours d’exécution » (paragr. 16).

 

Il a dès lors jugé que, « En s’abstenant de définir lui-même les critères de détermination de ce prix, le législateur a méconnu l’étendue de sa compétence dans des conditions affectant le droit au maintien des conventions légalement conclues » (même paragr.). Il les a donc déclarées contraires à la Constitution, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur les autres griefs (paragr. 17).

 

* Pour finir, le Conseil constitutionnel a précisé les effets dans le temps de sa décision en jugeant que, en l’espèce, aucun motif ne justifiait de reporter la prise d’effet de la déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions censurées. Suivant une formulation classique, il a jugé que leur abrogation intervenait donc à la date de publication de sa décision, qui est ainsi applicable à toutes les affaires non définitivement jugées à cette même date (paragr. 19).

_______________________________________

1 À savoir les sociétés PSTW, TTR Energy et Akuo Energy, Boralex Europe, CEH Clean Energies Holding, EOS Wind France, H2air, JP Energie Environnement, Neoen, QEIF General Partner, UNITe, Valeco, Valorem, Volskwind, Voltalia, VSB Green Yield One et W.E.B. Parc Eolien des Vallées.

2 Les articles L. 100-1 A à L. 100-4 du code de l’énergie fixent les objectifs de la politique énergétique. En vertu des articles L. 141-1 et suivants du même code, la programmation pluriannuelle de l’énergie, fixée par décret, définit les modalités d’action des pouvoirs publics pour la gestion de l’ensemble des formes d’énergie sur le territoire métropolitain continental, afin d’atteindre ces objectifs. L’article 3 du décret n° 2020-456 du 21 avril 2020 relatif à la programmation pluriannuelle de l'énergie détermine, pour chacune de ces filières, les objectifs chiffrés à atteindre pour 2023 et 2028.

3 L’obligation d’achat avait été initialement prévue par l’article 10 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité. Les principes applicables à ces contrats sont désormais déterminés par les articles L. 314-1 à L. 314-13 du code de l’énergie. Pris pour l’application de ces dispositions, l’article R. 314-12 du code de l’énergie prévoit qu’un arrêté des ministres chargés de l’électricité et de l’économie fixe le tarif d’achat de l’électricité applicable à ces contrats.

4 Article L.  314-1 du code de l’énergie.

5 Article L. 311-12 du code de l’énergie.

6 Article L. 314-4 du code de l’énergie.

7 Article L. 314-3 du code de l’énergie. En effet, les acheteurs obligés (EDF et les entreprises locales de distribution) sont compensés par l’État de l’écart entre le prix payé aux producteurs d’énergie renouvelable bénéficiant de l’obligation d’achat et le coût de production « évité », c’est-à-dire le coût de production auquel l’acheteur obligé aurait produit son électricité en l’absence de cette obligation d’achat (sur ce point, voir Cour des comptes, « Le soutien aux énergies renouvelables », Communication à la commission des finances du Sénat, mars 2018, pp. 43-44).

8 Loi n° 2015-992 du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte.

9 Lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement et à l’énergie pour la période 2014–2020. À cet égard, le soutien aux filières de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables est considéré comme une aide d’État, qui doit être encadrée pour que joue une concurrence libre et non faussée entre pays de l’Union. Il s’agit d’encourager l’intégration dans le marché de l’électricité produite à partir d’énergies renouvelables. Il a donc été demandé aux États membres d’ouvrir le recours à la vente directe sur le marché de l’électricité accompagnée d’une prime, à compter du 1er janvier 2016, tout en préservant la possibilité de recourir à des tarifs d’achats garantis (obligation d’achat) pour les plus petites installations.

10 Voir en ce sens l’exposé des motifs du projet de loi n° 2188 relatif à la transition énergétique pour la croissance verte déposé à l’Assemblée nationale le 30 juillet 2014, qui est à l’origine de la loi du 17 août 2015.

11 Il s’agit, par renvoi à l’article L. 314-1 du code de l’énergie, des installations de production d’électricité à partir d’énergies renouvelables éligibles dans le cadre de l’obligation d’achat. Néanmoins, les producteurs qui bénéficient ou ont bénéficié d’un tel contrat d’achat ne peuvent bénéficier, sauf dérogation, d’un contrat offrant un complément de rémunération (article L. 314–19 du code de l’énergie). Suivant la même logique, les installations bénéficiant du complément de rémunération ne peuvent bénéficier qu’une seule fois de ce dispositif de soutien. À l’instar du dispositif précédent, les contrats offrant un complément de rémunération peuvent être conclus sur demande du producteur intéressé (procédure dite de « guichet ouvert » (article L. 314-18) ou à la suite d’appels d’offres (article L. 311-12).

12 Article L. 314-22 du code de l’énergie.

13 Article L. 314-24 du code de l’énergie.

14 Article L. 121-7 du code de l’énergie.

15 En effet, lors de la demande et tout au long de l’exécution du contrat, les producteurs peuvent faire l’objet, en vertu de l’article L. 314-25, de contrôles « permettant de s’assurer que ces installations ont été construites ou fonctionnent dans les conditions requises par la réglementation ou par le contrat de complément de rémunération. Ces contrôles sont effectués aux frais du producteur par des organismes agréés ».

16 Huitième alinéa de l’article L. 314-20 du code de l’énergie, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017 ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables. Ces dispositions s’inspirent de celles, similaires, encadrant les possibilités de bénéficier du mécanisme d’obligation d’achat. L’article L. 314-4 du code l’énergie prévoit à cet égard que les conditions d’achat de l’électricité, qui sont précisées par voie réglementaire, doivent notamment prendre en compte les investissements et les charges d’exploitation d’installations performantes représentatives de chaque filière. Il dispose que « les conditions d’achat ne peuvent conduire à ce que la rémunération totale des capitaux immobilisés, résultant du cumul de toutes les recettes de l’installation et des aides financières ou fiscales octroyées au titre de celle-ci, excède une rémunération raisonnable des capitaux, compte tenu des risques inhérents à son exploitation ».

17 M. Ladislas Poniatowski, rapport n° 263 fait au nom de la commission des affaires économiques du Sénat, tome I, 28 janvier 2015.

18 Article L. 314-20, alinéa 10, du code de l’énergie.

19 Étude d’impact du projet de loi n° 2188 précité.

20 Le dernier alinéa de l’article L. 314-20 précité prévoit que le décret en Conseil d’État déterminant les modalités d’application de ces dispositions précise, notamment, les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l’énergie et de l’économie arrêtent, après avis de la Commission de régulation de l’énergie, les conditions du complément de rémunération.

21 Selon l’article R. 314-41 du code de l’énergie, la prime unitaire de gestion est représentative des coûts supportés par le producteur pour valoriser sa production sur les marchés de l’énergie et de capacité.

22 Article R. 314-37 du code de l’énergie.

23 Articles R. 314-33 (f du paragraphe I) et R. 314-38 du code de l’énergie.

24 Dans les conditions prévues par l’article L. 121-7 du code de l’énergie, EDF reçoit ensuite une compensation à hauteur de ce montant au titre des charges imputables aux missions de service public.

25 Ainsi que le précisent les articles R. 121-27 (paragraphe I ter) et R. 314-49 du code de l’énergie, le montant de la prime négative est déduit des charges de service public de l’électricité constatées pour EDF pour l’exercice considéré, et pour lesquelles EDF reçoit une compensation.

26 Décret n° 2016-682 du 27 mai 2016 relatif à l’obligation d’achat et au complément de rémunération prévus aux articles L. 314-1 et L. 314-18 du code de l’énergie et complétant les dispositions du même code relatives aux appels d’offres et à la compensation des charges de service public de l’électricité.

27 L’article R. 314-49 du code de l’énergie était applicable aux contrats conclus dans le cadre du mécanisme du guichet ouvert. Des clauses analogues de plafonnement des primes négatives figuraient également dans les cahiers des charges des appels d’offres passés en application de l’article L. 311-12 du code de l’énergie.

28 Voir Céline Guibé, conclusions sur la décision du 26 juillet 2023 précitée.

29 Ainsi, alors que le prix moyen de l’électricité en France était de 37,97 euros par mégawattheure (MWh) en janvier 2020, il était de 59,47 euros/MWh en janvier 2021, et de 78,31 euros/MWh en juillet de la même année. Cette hausse s’est ensuite poursuivie : les prix ont atteint 274,51/MWh euros en décembre 2021 et plus de 430 euros/MWh en juillet 2022. Voir le rapport n° 147 fait au nom de la commission des finances de l’Assemblée nationale par M. Jean-René Cazenave, déposé le 13 juillet 2022.

30 Ces gains ont été évalués par la CRE à 132 millions d’euros pour l’année 2021 et à 2,4 milliards d’euros pour l’année 2022 (délibération n° 2022-202 du 13 juillet 2022 relative à l’évaluation des charges de service public de l’énergie pour 2023).

31 Voir le 9° du paragraphe II de l’article 2 du décret n° 2021-1691 du 17 décembre 2021 relatif à l’obligation de transmission d’une attestation de conformité aux prescriptions mentionnées à l’article R. 311-43 du code de l’énergie et portant modification de la partie réglementaire du code de l’énergie relative à la production d’électricité et à la vente de biogaz.

32 Les cahiers des charges des appels d’offres se sont alignés sur cette nouvelle règle.

33 Article 13 du projet de loi de finances rectificative pour 2022 déposé à l’Assemblée nationale le 7 juillet 2022.

34 Amendement n° 991 rect. déposé le 21 juillet 2022 par le Gouvernement en première lecture en séance publique à l’Assemblée nationale.

35 Ce nouveau prix seuil est déterminé pour chaque année comprise entre 2022 et la date de fin des contrats. Le projet d’arrêté est soumis pour avis à la Commission de régulation de l’énergie. Cet avis est rendu public.

36 Exposé sommaire de l’amendement gouvernemental précité.

37 Rapport n° 846 (2021-2022) de M. Jean-François HUSSON, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances du Sénat, déposé le 28 juillet 2022, p. 361.

38 Arrêté du 28 décembre 2022 fixant le prix seuil pris en application de l’article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

39 Commission de régulation de l’énergie, délibération n° 2022-361 du 16 décembre 2022 portant avis sur un projet d’arrêté fixant le prix seuil pris en application de l’article 38 de la loi n° 2022-1157 du 16 août 2022 de finances rectificative pour 2022.

40 Le syndicat France hydro électricité, d’une part, et la société Enerparc AG et trois autres sociétés, d’autre part, avaient demandé à intervenir au soutien de cette QPC.

41 Décision n° 98-401 DC du 10 juin 1998, Loi d’orientation et d’incitation relative à la réduction du temps de travail, cons. 29.

42 Décision n° 2000-437 DC du 19 décembre 2000, Loi de financement de la sécurité sociale pour 2001, cons. 37.

43 Décision n° 2002-465 DC du 13 janvier 2003, Loi relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l’emploi, cons. 4.

44 Voir par exemple les décisions n° 2018-740 QPC du 19 octobre 2018, Mme Simone P. et autre (Modification des documents d’un lotissement), paragr. 5, et n° 2018-769 DC du 4 septembre 2018, Loi pour la liberté de choisir son avenir professionnel, paragr. 50.

45 Décision n° 2017-758 DC du 28 décembre 2017, Loi de finances pour 2018, paragr. 119 à 124.

46 Décision n° 2020-813 DC du 28 décembre 2020, Loi de finances pour 2021, paragr. 38 à 42.

47 Décision n° 2021-968 QPC du 11 février 2022, Fédération nationale des activités de dépollution (Obligation de stockage des déchets ultimes issus d’activités de tri ou de recyclage pour les exploitants d’installations de stockage des déchets non dangereux), paragr. 8 à 14.

48 Voir, par exemple, récemment, décision n° 2023-1046 QPC du 21 avril 2023, M. Éric D. (Perquisitions réalisées dans les locaux d’un ministère), paragr. 8.

49 Décision n° 2020-861 QPC du 15 octobre 2020, Fédération nationale de l’immobilier et autre (Plafonnement des frais d’intermédiation commerciale pour la vente de logements éligibles à la réduction d’impôt sur le revenu en faveur de l’investissement locatif intermédiaire), paragr. 14.

50 Décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, cons. 38.

51 C’est-à-dire antérieurement à sa modification par l’article 2 du décret n° 2021-1691 du 17 décembre 2021.