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Commentaire de la décision 2023-1064 QPC

17/01/2024

Conformité - réserve

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 18 juillet 2023 par le Conseil d’État (décision n° 461605 du 13 juillet 2023) d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) posée par l’association des avocats pénalistes portant sur la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit des articles 62–3, 63, 63–5, 154 et 706–88 du code de procédure pénale (CPP).

                                                     

Dans sa décision n° 2023-1064 QPC du 6 octobre 2023, le Conseil constitutionnel a, sous une réserve d’interprétation, déclaré conforme à la Constitution le premier alinéa de l’article 63-5 du code de procédure pénale, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011–392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue.

 

I. – Les dispositions contestées

 

A. – Objet des dispositions contestées

 

1. – L’évolution du régime de la garde à vue

 

* La garde à vue s’est d’abord développée « en marge du droit »1 , pour permettre aux services de police et de gendarmerie de garder à leur disposition l’individu mis en cause lorsqu’il ne pouvait être immédiatement conduit devant le procureur de la République en vue de le déférer devant le juge d’instruction ou la juridiction de jugement en cas de flagrant délit.

 

Cette mesure a été institutionnalisée avec l’adoption du CPP en 19582. Après être resté stable entre 1958 et 1993, la première réforme d’ampleur de ce régime est intervenue avec la loi n° 93-2 du 4 janvier 19933 par laquelle, prenant acte du développement considérable de l’utilisation de cette mesure de contrainte dans le cadre des enquêtes policières, le législateur a consacré le contrôle du procureur de la République et reconnu un certain nombre de droits à la personne retenue4.

 

Le régime de la garde à vue a ensuite été remanié à de très nombreuses reprises5, notamment sous l’effet de condamnations de la France par la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH)6 et de décisions du Conseil constitutionnel7.

 

À la suite, en particulier, de la décision du Conseil n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 20108, le législateur a procédé à une réforme d’ensemble avec la loi précitée du 14 avril 2011 relative à la garde à vue, qui poursuivait, selon son exposé des motifs, deux objectifs principaux : maîtriser le nombre des gardes à vue, en constante augmentation depuis plusieurs années, et accroître de façon significative les droits des personnes gardées à vue, notamment le droit à l’assistance d’un avocat.

 

Introduisant une définition législative de la garde à vue, cette loi a restreint la possibilité d’y recourir aux seuls crimes et délits punis d’emprisonnement et prévu l’obligation de notifier à la personne gardée à vue le droit de garder le silence, le droit d’être assisté d’un avocat au cours des auditions et confrontations ainsi que celui, pour ce dernier, de consulter les procès-verbaux d’audition.

 

* Fruit de ces évolutions, la garde à vue est aujourd’hui définie, selon l’article 62–2 du CPP, comme « une mesure de contrainte décidée par un officier de police judiciaire, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, par laquelle une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs ».

 

Elle doit constituer « l’unique moyen de parvenir » à l’un des six objectifs limitativement énumérés par ce même article, à savoir :

1° permettre l’exécution des investigations impliquant la présence ou la participation de la personne ;

2° garantir la présentation de la personne devant le procureur de la République afin que ce magistrat puisse apprécier la suite à donner à l’enquête ;

3° empêcher que la personne ne modifie les preuves ou indices matériels ;

4° empêcher que la personne ne fasse pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur leur famille ou leurs proches ;

5° empêcher que la personne ne se concerte avec d’autres personnes susceptibles d’être ses coauteurs ou complices ;

6° garantir la mise en œuvre des mesures destinées à faire cesser le crime ou le délit.

 

Le recours à la garde à vue est exclu en matière contraventionnelle (et en matière délictuelle si aucune peine d’emprisonnement n’est encourue à raison de l’infraction réprimée) et ne peut concerner que la personne suspectée (et non le simple témoin9).

 

2. – Le contrôle de la garde à vue par l’autorité judiciaire

 

Les mesures de garde à vue sont placées sous le contrôle de l’autorité judiciaire. Ce contrôle, qui constituait un des apports majeurs de la loi du 4 janvier 1993 précitée, a notamment été renforcé par la loi du 14 avril 2011 et résulte de la combinaison de plusieurs dispositions du CPP.

 

Si la plupart de ces dispositions figurent au sein d’une subdivision consacrée à la poursuite des crimes et délits lors de l’enquête de flagrance10, des renvois les rendent applicables aux mesures de garde à vue ordonnées dans les autres cadres procéduraux, à savoir :

- lors de l’enquête préliminaire, en application de l’article 77 du CPP ;

- et lors de l’information judiciaire, en application de l’article 154 du CPP.

 

Le premier alinéa de l’article 154 précise ainsi notamment que les dispositions des articles 62-2 à 64-1 du CPP sont applicables lors de l’exécution des commissions rogatoires, c’est-à-dire que la garde à vue s’exécute dans les conditions de droit commun (sous le contrôle de l’autorité judiciaire et dans le respect des droits reconnus à la personne gardée à vue). Son second alinéa dispose que les attributions conférées au procureur de la République par ces dispositions sont alors exercées par le juge d’instruction.

 

a) La décision de placement en garde à vue et l’encadrement de sa durée

 

Quel que soit le régime applicable aux investigations pénales, la loi attribue à l’officier de police judiciaire (OPJ) compétence pour décider du placement d’une personne en garde à vue.

 

Le paragraphe I de l’article 63 du CPP confère ainsi cette prérogative à l’OPJ dans le cadre de l’enquête de flagrance, « d’office ou sur instruction du procureur de la République » (premier alinéa).

 

Afin de permettre le contrôle de l’autorité judiciaire sur les conditions auxquelles est subordonnée la possibilité de recourir à la garde à vue et sur son déroulement, l’OPJ doit informer le procureur de la République, dès le début de la mesure du placement, des motifs de la mesure et de la qualification des faits notifiée à la personne concernée11 (second alinéa du même paragraphe I). La jurisprudence de la Cour de cassation précise, à cet égard, que le retard dans l’information du procureur ne peut être justifié que par des circonstances insurmontables12, le défaut d’accomplissement de cette formalité faisant nécessairement grief à la personne concernée, puisqu’elle vise à assurer le contrôle effectif sur la garde à vue, et entraînant dès lors la nullité de cette mesure13.

 

Le paragraphe II du même article limite la durée de la garde à vue de droit commun à vingt-quatre heures14. La mesure peut cependant être prolongée, pour un nouveau délai de vingt–quatre heures au plus15, sur autorisation écrite et motivée du procureur de la République, qui peut subordonner cette autorisation à la présentation de la personne devant lui16.

 

L’article 706–88 du CPP prévoit une durée maximale dérogatoire en matière de délinquance organisée. En effet, pour les nécessités des enquêtes ou de l’instruction relatives à une infraction entrant dans le champ d’application de l’article 706-73 du même code – c’est-à-dire des crimes et délits en bande organisée – est possible, de façon exceptionnelle, la prolongation à deux reprises de la garde à vue pour une durée de vingt-quatre heures17.

 

Ces prolongations sont autorisées par décision écrite et motivée, soit du juge des libertés et de la détention, à la demande du procureur de la République, soit du juge d’instruction en fonction de la phase procédurale au cours de laquelle intervient la garde à vue.

 

b) L’exécution de la mesure de garde à vue

 

* L’article 62-3 du CPP, créé par la loi du 14 avril 2011 précitée, prévoit que « la garde à vue s’exécute sous le contrôle du procureur de la République »18.

 

Reprenant les termes de la décision du Conseil constitutionnel n° 2010–14/22 QPC du 30 juillet 201019, son deuxième alinéa dispose que « Le procureur de la République apprécie si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre ».

 

Aux termes de son troisième alinéa, « Il assure la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue ».

 

Son dernier alinéa ajoute qu’ » Il peut ordonner à tout moment que la personne gardée à vue soit présentée devant lui ou remise en liberté ».

 

Ces dispositions traduisent ainsi, pour la garde à vue, les exigences posées sous une forme plus générale à l’article préliminaire du CPP depuis la loi du 15 juin 200020 et qui apparaissent déjà en termes proches à l’article 41 du même code21.

 

* Lorsqu’une information judiciaire a été ouverte, les attributions conférées au procureur de la République sont exercées par le juge d’instruction (second alinéa de l’article 154 du CPP).

 

c) La protection de la dignité de la personne placée en garde à vue (les dispositions objet de la décision commentée)

 

L’article préliminaire du CPP ne consacre pas seulement le contrôle de l’autorité judiciaire sur les mesures de contrainte : il pose également le principe selon lequel ces mesures ne doivent « pas porter atteinte à la dignité de la personne ». Cette exigence, qui a été réaffirmée par le législateur s’agissant spécifiquement de la garde à vue, se traduit par plusieurs règles et garanties procédurales instituées pour en assurer l’effectivité.

 

L’article 63–5 du CPP (les dispositions objet de la décision commentée) affirme ainsi, depuis la loi du 14 avril 2011, que « La garde à vue doit s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne. / Seules peuvent être imposées à la personne gardée à vue les mesures de sécurité strictement nécessaires ».

 

Il ressort des travaux parlementaires que le législateur a, ce faisant, entendu tenir compte, en particulier, de la décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 précitée. Selon le rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, le premier alinéa de l’article 63-5 « donne au principe constitutionnel de respect de la dignité de la personne une déclinaison légale particulière dans le domaine de la garde à vue »22. Quant au second alinéa du même article, il « introduit les deux articles suivants (…) qui définissent les motifs et la nature des mesures de sécurité et des fouilles auxquelles peuvent être soumises les personnes gardées à vue ».

 

À cet égard, le législateur a prévu des garanties destinées à préserver de façon plus concrète la dignité de la personne placée en garde à vue lorsque sont réalisés, au cours de la procédure, certains actes particuliers :

- concernant les conditions matérielles des auditions, la personne conserve au cours de celles-ci les objets dont le port ou la détention sont nécessaires au respect de sa dignité (article 63-6 du CPP)23 ;

- concernant les fouilles, la fouille intégrale n’est possible que si celle par palpation ou par un moyen de détection électronique ne peut être réalisée. S’il est indispensable, pour les nécessités de l’enquête, de procéder à une fouille intégrale, celle-ci doit être décidée par un OPJ et être réalisée dans un espace fermé par une personne du même sexe que celle faisant l’objet de la fouille. S’il est indispensable de procéder à des investigations corporelles internes sur le gardé à vue, elles ne peuvent être réalisées que par un médecin requis à cet effet (article 63-7 du même code).

 

Enfin, bien qu’aucune disposition ne régisse les temps de repos et d’alimentation de la personne gardée à vue, le paragraphe II de l’article 64 du CPP prévoit que le procès-verbal établi par l’OPJ doit indiquer, notamment, la durée des auditions et des repos qui les ont séparées, ainsi que les heures auxquelles la personne a pu s’alimenter. De même doivent être mentionnées les fouilles corporelles intégrales ou investigations corporelles internes qui ont été réalisées, le cas échéant. Ces mentions, qui figurent aussi sur un registre spécial, doivent permettre le contrôle des conditions d’exécution de la garde à vue et l’appréciation par le juge de la valeur probante des déclarations effectuées au regard de ces conditions.

 

3. – Le contrôle des locaux de garde à vue

 

* Souhaitant renforcer l’effectivité du contrôle du procureur de la République sur les mesures de garde à vue, le législateur lui a prescrit, avec la loi du 15 juin 2000 précitée, de procéder à un contrôle périodique obligatoire des locaux où elles sont mises en œuvre24.

 

L’article 41 du CPP précité, prévoit ainsi que le procureur de la République « visite les locaux de garde à vue chaque fois qu’il l’estime nécessaire et au moins une fois par an » et tient un registre répertoriant ces visites25. Celles-ci donnent lieu à un rapport, adressé au procureur général, relatif aux mesures et à l’état des locaux de garde à vue de son ressort26. Ce rapport est ensuite transmis au garde des sceaux, qui rend compte de l’ensemble des informations recueillies dans un rapport rendu public27.

 

La circulaire du garde des sceaux portant application de ces dispositions28 précise les modalités de ces visites par les procureurs et les conséquences à tirer de leurs éventuelles constatations. Elle prévoit à cet égard que : « Ce contrôle se matérialisera par des mentions sur un registre spécial tenu au parquet et répertoriant le nombre et la fréquence des contrôles effectués dans les différents locaux de garde à vue. (…) / La loi n’exige pas que figurent dans ce registre les appréciations sur l’état des locaux et les diligences effectuées, mais il est souhaitable que celles-ci figurent dans une colonne "observations" (rapports au parquet général, observations au service de police judiciaire concerné, etc.). / Si le magistrat du parquet estime que les conditions matérielles de garde à vue sont incompatibles pour des raisons diverses (locaux insalubres, non chauffés en période froide, etc.) avec la protection de la dignité des personnes retenues, il lui appartiendra de le faire connaître par écrit au chef du service de police ou de gendarmerie dans lequel sont situés les locaux, et d’en informer par rapport le procureur général, lui-même devant en informer la direction des affaires criminelles et des grâces (sous le timbre du bureau de la police judiciaire). / Il conviendra ensuite que le procureur de la République s’informe des suites qui auront pu être réservées à ses observations, et en avise sa hiérarchie afin que, si dans un délai raisonnable, les conditions matérielles de la garde à vue n’ont pas pu être améliorées, la Chancellerie en saisisse directement le ministère de l’intérieur ou celui de la défense ».

 

* La loi du 15 juin 2000 a également institué un droit de visite à tout moment de certains lieux de privation de liberté, dont les locaux de garde à vue, au profit des députés et des sénateurs29 – droit qui a par la suite été étendu aux représentants du Parlement européen élus en France30, puis aux bâtonniers, sur leur ressort, ou à leurs délégués au sein du conseil de l’ordre31. La portée de ce droit de visite est cependant circonscrite, ne conférant aucun autre pouvoir que celui d’effectuer des constats, en particulier sur le respect de la dignité des personnes privées de liberté32.

 

* Enfin, la loi du 30 octobre 2007 a institué un Contrôleur général des lieux de privation de liberté, autorité administrative indépendante chargée de contrôler les conditions de prise en charge des personnes privées de liberté, afin de s’assurer du respect de leurs droits fondamentaux33.

 

Depuis lors, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté s’est attaché à mettre en lumière, dans ses rapports annuels et thématiques, la réalité des conditions matérielles des gardes à vue et l’état insatisfaisant d’un grand nombre de locaux de garde à vue. S’il prend soin de souligner que ces locaux se distinguent des autres lieux de privation de liberté par leur multiplicité et leur répartition sur l’ensemble du territoire, et qu’il en résulte une certaine hétérogénéité, particulièrement entre les locaux de gendarmerie et ceux de police, il dénonce régulièrement leur état et les conditions matérielles dans lesquelles se déroulent les gardes à vue.

 

* Si, depuis la loi du 24 août 1993, il résulte des articles 171 et 802 du CPP que la personne placée en garde à vue peut demander l’annulation de cette mesure en cas de méconnaissance d’une formalité substantielle prévue par la loi et portant atteinte aux intérêts de la personne concernée34, l’article 63-5 ne prévoit pas de nullité à raison de l’exposition de la personne gardée à vue à des conditions indignes. Aussi, en l’état de la jurisprudence de la Cour de cassation, l’exécution d’une mesure de garde à vue dans des conditions indignes n’entraîne pas, par principe, la nullité de la procédure35.

 

En revanche, la responsabilité de l’État du fait du dommage causé par le fonctionnement défectueux du service public de la justice, prévue à l’article L. 141-1 du code de l’organisation judiciaire, peut être engagée à raison de l’exécution d’une garde en vue dans des conditions indignes36. Ces dispositions imposent cependant la démonstration d’une faute lourde37.

 

B. – Origine de la QPC et question posée

 

L’association des avocats pénalistes avait formé un recours en excès de pouvoir devant le Conseil d’État contre la décision implicite par laquelle les ministres de l’intérieur et de la justice avaient rejeté sa demande tendant à ce que soient prises toutes mesures utiles permettant de mettre fin aux atteintes à la dignité, à la vie privée et aux droits de la défense subies par les personnes placées au sein de locaux de garde à vue et de dégrisement38.

 

Dans ce cadre, elle avait soulevé une QPC portant sur les articles 62–3, 63, 63–5, 154 et 706–88 du CPP.

 

Par la décision du 13 juillet 2023 précitée, le Conseil d’État avait considéré que les décisions n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020 et n° 2021-898 QPC du 16 avril 202139 pouvaient constituer un changement de circonstances de nature à justifier que la conformité à la Constitution de certaines de ces dispositions soient réexaminée et jugé que « soulèvent une question présentant un caractère sérieux les moyens tirés de ce que les dispositions [des articles 62-3, 63, 63-5, 154 et 706–88 du CPP] portent atteinte au principe de sauvegarde de la dignité humaine et sont entachées d’incompétence négative affectant par elle-même ce principe, faute de subordonner le placement et le maintien en garde à vue à des capacités d’accueil et des conditions matérielles assurant le respect de la dignité des personnes ». Il avait donc renvoyé la QPC au Conseil constitutionnel.

 

II. – L’examen de la constitutionnalité des dispositions contestées

 

* L’article 62-3 du CPP renvoyé par le Conseil d’État avait été créé par la loi n° 2011–392 du 14 avril 2011 et existait depuis l’origine dans cette rédaction. 

 

Le Conseil d’État n’ayant pas précisé la version dans laquelle les articles 63, 63-5, 154 et 706–88 du CPP étaient renvoyés au Conseil constitutionnel, il appartenait à ce dernier de procéder lui-même à cette détermination.

 

Conformément à sa jurisprudence constante, selon laquelle la QPC doit être considérée comme portant sur les dispositions applicables au litige à l’occasion duquel elle a été posée40, le Conseil a jugé, en l’espèce, que, pour celles des dispositions dont la rédaction n’avait pas été précisée, il était saisi :

- de l’article 63-5 du CPP dans sa rédaction résultant de la loi n° 2011–392 du 14 avril 2011 ;

- de l’article 63 du même code dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019–222 du 23 mars 2019 ;

- et des articles 154 et 706–88 de ce code dans leur rédaction résultant de la loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 (paragr. 1).

 

* L’association requérante reprochait à ces dispositions de permettre la mise en œuvre d’une garde à vue dans des conditions indignes, faute de prévoir que la décision de placement ou de maintien en garde à vue doit être subordonnée aux capacités d’accueil et aux conditions matérielles des locaux dans lesquels cette mesure doit se dérouler. Ce faisant, selon elle, le législateur aurait méconnu sa propre compétence dans des conditions affectant le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et porté une atteinte injustifiée et disproportionnée à ce même principe.

 

* Au regard de ces griefs, le Conseil constitutionnel a jugé que la QPC portait sur le premier alinéa de l’article 63–5 du CPP (paragr. 8), aux termes duquel « La garde à vue doit s’exécuter dans des conditions assurant le respect de la dignité de la personne ».

 

* Le Conseil était saisi de deux demandes d’intervention au soutien de la QPC, émanant du syndicat des avocats de France et du Conseil national des barreaux.

 

Selon le deuxième alinéa de l’article 6 du règlement intérieur du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité : « Lorsqu’une personne justifiant d’un intérêt spécial adresse des observations en intervention relatives à une question prioritaire de constitutionnalité dans un délai de trois semaines suivant la date de sa transmission au Conseil constitutionnel, mentionnée sur son site internet, celui-ci décide que l’ensemble des pièces de la procédure lui est adressé et que ces observations sont transmises aux parties et autorités mentionnées à l’article 1er. Il leur est imparti un délai pour y répondre. En cas d’urgence, le président du Conseil constitutionnel ordonne cette transmission ».

 

Or, en l’espèce, les observations adressées par le Conseil national des barreaux dans le délai de trois semaines mentionné ci-dessus ne développaient aucun grief et se bornaient à renvoyer la démonstration de l’inconstitutionnalité des dispositions contestées à de prochaines écritures. Dès lors, cette intervention n’a pas été admise (paragr. 10)41.

 

L’autre partie intervenante rejoignait l’association requérante au soutien des griefs qu’elle soulevait. Elle soutenait par ailleurs que, pour les mêmes motifs, les dispositions contestées méconnaissaient le droit à un recours juridictionnel effectif et les droits de la défense des personnes en garde à vue.

 

A. – La jurisprudence constitutionnelle

 

1. – La jurisprudence sur l’incompétence négative

 

* Apparu dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel dès la décision n° 67–31 DC du 26 janvier 196742, le contrôle de l’incompétence négative sanctionne le fait, pour le législateur, de ne pas avoir pleinement exercé sa compétence. Il se fonde sur la définition par la Constitution, notamment à son article 34, d’un domaine dans lequel le législateur doit fixer les règles et principes applicables. Le Conseil veille dès lors à ce que la loi ne reporte pas sur d’autres autorités, réglementaires ou juridictionnelles, l’exercice d’une compétence que la Constitution a réservée au législateur.

 

Ainsi, une disposition législative peut être entachée d’incompétence négative parce que le législateur est intervenu sans avoir épuisé sa compétence dans un domaine qui, en lui-même, lui est réservé par la Constitution. L’incompétence négative peut alors notamment résulter du renvoi explicite à un acte réglementaire sur une question relevant du domaine législatif43 ou de dispositions excessivement imprécises ou ambiguës44.

 

L’incompétence négative est également caractérisée lorsque le législateur a omis de prévoir les garanties légales dont le dispositif institué devait être entouré pour assurer le respect d’exigences constitutionnelles45. Il est alors regardé comme n’ayant pas pleinement exercé la compétence que lui attribue par exemple l’article 34 de la Constitution pour fixer les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l’exercice des libertés publiques46.

 

* Dans le cadre du contentieux des QPC, le contrôle de l’incompétence négative du législateur par le Conseil constitutionnel connaît certaines particularités.

 

Depuis sa décision n° 2012-254 QPC du 18 juin 2012, le Conseil constitutionnel juge « que la méconnaissance par le législateur de sa propre compétence ne peut être invoquée à l’appui d’une question prioritaire de constitutionnalité que dans le cas où cette méconnaissance affecte par elle-même un droit ou une liberté que la Constitution garantit »47. À défaut, le grief tiré de l’incompétence négative est inopérant.

 

Le Conseil a été amené à préciser les conditions permettant de considérer qu’une incompétence négative affectait « par elle-même » un droit ou une liberté garanti par la Constitution, à travers plusieurs décisions portant sur les règles applicables aux personnes détenues48. Il en ressort que le Conseil vérifie que les conditions suivantes sont réunies afin qu’une telle critique puisse aboutir à une censure :

 

– l’incompétence alléguée doit viser une disposition particulière et contester les insuffisances du dispositif que cette disposition instaure49 ;

 

– l’application de la disposition contestée, par ses manques, doit par elle-même entraîner une atteinte à un droit ou une liberté que la Constitution garantit ;

 

– l’atteinte aux droits et libertés invoqués ne doit pas résulter de l’application d’une autre disposition légale. Le contrôle de l’incompétence négative n’a pas vocation à se déployer dans toutes les directions possibles à partir d’une disposition « prétexte », mais doit au contraire être borné par le contenu propre à cette dernière et, à défaut, pouvoir être adressé à d’autres dispositions ;

 

– les garanties qu’il est reproché au législateur de ne pas avoir prévu dans la disposition contestée doivent être nécessaires au respect des droits et libertés invoqués et ne doivent pas être prévues par d’autres dispositions législatives.

 

2. – La jurisprudence sur le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine dans le cadre de mesures privatives de liberté

 

* Le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur constitutionnelle du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine dans la décision n° 94–343/344 DC du 27 juillet 1994 sur les lois bioéthiques de 1994 : « le Préambule de la Constitution de 1946 a réaffirmé (…) que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ; (…) que la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle »50.

 

Les termes d’asservissement et de dégradation font directement référence à ceux expressément employés par le Préambule de la Constitution de 1946 : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ».

 

Ce principe constitutionnel appartient à la catégorie des « droits et libertés » que la Constitution garantit et est invocable en QPC51.

 

Si le grief tiré de sa méconnaissance a été invoqué à plusieurs reprises par des requérants, jamais, avant 2020, le Conseil constitutionnel n’avait prononcé de censure ni d’ailleurs de réserve d’interprétation sur son fondement. Ceci tient notamment au fait que ce principe était souvent invoqué dans le cadre de législations relatives à des questions bioéthiques et scientifiques, sur lesquelles le Conseil ne se reconnaît pas la même marge d’appréciation que le législateur52. Mais ceci tient également au fait que, en dehors de ce cadre, ce qui est souvent dénoncé par les requérants est moins l’atteinte portée à la dignité par le dispositif législatif lui-même que par les conditions de son application.

 

Le Conseil constitutionnel s’est prononcé à plusieurs reprises sur des griefs tirés de la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine à l’occasion d’affaires relatives à des mesures privatives de liberté et aux modalités du contrôle des conditions de détention.

 

Il a progressivement dégagé une double exigence constitutionnelle en la matière, s’imposant tant au législateur qu’aux autorités compétentes pour mettre en œuvre et contrôler ces mesures.

 

- En premier lieu, il a dégagé de la combinaison entre le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine et l’article 34 de la Constitution une obligation positive pour le législateur de déterminer les conditions et les modalités d’exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne.

 

Ainsi, dès sa décision n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009, saisi de l’article 91 de la loi pénitentiaire modifiant l’article 726 du CPP relatif au régime disciplinaire des personnes détenues placées en détention provisoire ou exécutant une peine privative de liberté, le Conseil a rappelé que « l’exécution des peines privatives de liberté en matière correctionnelle et criminelle a été conçue, non seulement pour protéger la société et assurer la punition du condamné, mais aussi pour favoriser l’amendement de celui-ci et préparer son éventuelle réinsertion ; qu’il appartient, dès lors, au législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le droit pénal et la procédure pénale, de déterminer les conditions et les modalités d’exécution des peines privatives de liberté dans le respect de la dignité de la personne »53.

 

Cette solution a par la suite été confirmée, notamment dans la décision n° 2014–393 QPC du 25 avril 201454 relative à l’organisation et au régime intérieur des établissements pénitentiaires, dans laquelle il a jugé « que la méconnaissance, par le législateur, de sa compétence dans la détermination des conditions essentielles de l’organisation et du régime intérieur des établissements pénitentiaires prive de garanties légales l’ensemble des droits et libertés constitutionnellement garantis dont bénéficient les détenus dans les limites inhérentes à la détention »55.

 

En outre, à partir de cette combinaison de l’article 34 de la Constitution et du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, le Conseil a aussi pu considérer, dans la décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, « qu’il appartient (…) au législateur, compétent en application de l’article 34 de la Constitution pour fixer les règles concernant le droit pénal et la procédure pénale, de déterminer les conditions et les modalités des enquêtes et informations judiciaires dans le respect de la dignité de la personne »56. Le commentaire de cette décision soulignait à ce propos que « le principe de dignité humaine trouve naturellement application en matière de procédure pénale », avant de préciser que les dispositions du CPP contestées en l’espèce étaient « très nettes sur l’impossibilité de procéder à un examen des caractéristiques génétiques des personnes ayant subi un prélèvement, que celui-ci soit ou non conservé dans le fichier ».

 

- En second lieu, le Conseil constitutionnel a également précisé à plusieurs reprises qu’il appartient aux autorités compétentes – et, notamment, à l’autorité judiciaire chargée du contrôle des conditions de détention ou de rétention – de veiller à ce que la mesure privative de liberté soit « en toutes circonstances » mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne.

 

Dès sa décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 relative à la garde à vue, il a ainsi jugé « qu’il appartient aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne ; qu’il appartient, en outre, aux autorités judiciaires compétentes, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont reconnus par le code de procédure pénale et, le cas échéant, sur le fondement des infractions pénales prévues à cette fin, de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée à vue et d’ordonner la réparation des préjudices subis »57.

 

Ce faisant, il a imposé aux autorités compétentes un triple devoir : prévenir et (s’agissant des autorités judiciaires) réprimer les atteintes à la dignité, et réparer les préjudices subis.

 

Il a réitéré la même exigence pour l’hospitalisation sans consentement (décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 201058) et pour le « petit dépôt », c’est-à-dire la période qui commence entre la fin de la garde à vue et, en cas de décision de défèrement, la comparution de la personne devant le tribunal correctionnel (décision n° 2010-80 QPC du 17 décembre 201059).

 

Rappelant les limites inhérentes à son office en QPC, le Conseil a en revanche insisté sur le fait que le contrôle du respect de l’exigence de sauvegarde de la dignité de la personne humaine se borne au contrôle des dispositions législatives qui, par elles-mêmes ou leurs conséquences nécessaires, portent atteinte à cette exigence ou la privent de garanties essentielles. En effet, conformément à sa jurisprudence traditionnelle lorsqu’est mise en avant la mauvaise application d’une disposition législative, le Conseil constitutionnel a précisé, dans les trois décisions précitées, que « la méconnaissance éventuelle de cette exigence dans l’application des dispositions législatives précitées n’a pas, en elle-même, pour effet d’entacher ces dispositions d’inconstitutionnalité ».

 

Le commentaire de la décision n° 2010-14/22 QPC précitée relevait, à cet égard, que le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine « n’est pas de nature à permettre au Conseil constitutionnel d’exercer un contrôle des conditions matérielles dans lesquelles les gardes à vue sont mises en œuvre. Seules les dispositions législatives qui, par elles-mêmes, y compris par leur insuffisance, porteraient atteinte à la dignité ou priveraient de garanties légales cette exigence, pourraient faire l’objet d’une censure par le Conseil constitutionnel ».

 

* Plus récemment, dans sa décision n° 2020–858/859 QPC du 2 octobre 202060, le Conseil constitutionnel a en revanche exigé du législateur qu’il prévoie un recours juridictionnel effectif pour les personnes placées en détention provisoire dans des conditions indignes.

 

Fondant sa décision, à la fois, sur le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, l’interdiction du recours à une rigueur non nécessaire découlant de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 et le droit à un recours juridictionnel effectif découlant de son article 16, il a rappelé, en premier lieu, « qu’il appartient aux autorités judiciaires ainsi qu’aux autorités administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes placées en détention provisoire soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne. Il appartient, en outre, aux autorités et juridictions compétentes de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne placée en détention provisoire et d’ordonner la réparation des préjudices subis ». En second lieu, après avoir constaté qu’il n’existait aucun recours suffisant pour mettre un terme, à brève échéance, à des conditions de détention provisoire indignes, il a considéré explicitement qu’ » il incombe au législateur de garantir aux personnes placées en détention provisoire la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin »61.

 

Le commentaire de cette décision relève, s’agissant de cette dernière exigence inédite, qu’ » Elle impose l’existence d’un recours juridictionnel permettant au justiciable d’obtenir du juge qu’il soit mis fin à des conditions de détention provisoire indignes. Ceci est susceptible de recouvrir deux situations : celle où le juge peut prendre des mesures permettant de remédier à l’indignité des conditions de détention et celle où, faute qu’il puisse être mis fin à cette indignité, c’est à la détention elle-même que le juge peut mettre un terme ».

 

Le Conseil a, en conséquence, censuré le second alinéa de l’article 144-1 du CPP au motif qu’il méconnaissait, en l’absence d’un tel recours, l’article 9 de la Déclaration de 1789, le principe de sauvegarde de la dignité humaine et le droit à un recours effectif devant une juridiction.

 

Comme le souligne le commentaire de cette décision, « En se fondant sur l’article 9 [de la Déclaration de 1789], le Conseil avait limité la portée de sa décision au seul cas de la détention provisoire dès lors que cet article prohibe le recours à une rigueur non nécessaire dans les actes d’investigation ou les mesures prises à l’encontre d’un suspect ».

 

Dans sa décision n° 2021–898 QPC du 16 avril 202162, le Conseil a transposé ce raisonnement aux conditions de détention indignes de personnes définitivement condamnées à des peines privatives de liberté.

 

Il a rappelé qu’il appartient « aux autorités judiciaires ainsi qu’aux autorités administratives de veiller à ce que la privation de liberté des personnes condamnées soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne. Il appartient, en outre, aux autorités et juridictions compétentes de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne condamnée détenue et d’ordonner la réparation des préjudices subis. Enfin, il incombe au législateur de garantir aux personnes condamnées la possibilité de saisir le juge de conditions de détention contraires à la dignité de la personne humaine, afin qu’il y soit mis fin ». Afin de laisser au législateur la possibilité de retenir des modalités de recours différentes par rapport à la détention provisoire, le Conseil a ajouté que « Dans le choix des modalités retenues pour assurer cette protection, il peut toutefois tenir compte des exigences liées à l’exécution de la peine »63.

 

Constatant de nouveau l’absence de recours suffisant, permettant à une personne condamnée de mettre fin à une situation de détention indigne par une autre mesure, le Conseil a jugé que, indépendamment des actions en responsabilité susceptibles d’être engagées, les dispositions contestées méconnaissaient le droit à un recours juridictionnel effectif et le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine. Il a, en conséquence, censuré le paragraphe III de l’article 707 du CPP, dans sa rédaction résultant de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

 

B. – L’application à l’espèce

 

* Dans la décision commentée, le Conseil constitutionnel a d’abord déterminé les exigences constitutionnelles à l’aune desquelles s’exerce son contrôle.

 

L’association requérante, qui développait un grief en incompétence négative du législateur de nature à affecter le principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, mettait en évidence les constats dressés par diverses autorités dénonçant l’absence d’effectivité des garanties légales pourtant prévues pour protéger la dignité des personnes retenues dans les locaux de garde à vue. Cependant, une telle argumentation confinait, sur ce point, à une critique en fait des conditions matérielles d’application de la loi, qui n’entrent pas dans le champ du contrôle abstrait de la constitutionnalité des lois dont est chargé le Conseil constitutionnel, ainsi qu’il l’a jugé dès sa décision n° 2010–14/22 QPC précitée.

 

Le Conseil a dès lors examiné la critique sur le terrain de la méconnaissance des exigences spécifiques qu’il a dégagées en matière de contrôle des mesures privatives de liberté.

 

Il s’est ainsi fondé sur le Préambule de la Constitution de 1946 et le principe qui en résulte, selon lequel « la sauvegarde de la dignité de la personne humaine contre toute forme d'asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle ». Par une norme de concrétisation inédite à ce jour, il a précisé qu’il en résulte que « toute mesure privative de liberté doit être mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne humaine » (paragr. 12).

 

Reprenant sa formule de principe en matière de contrôle de dispositions relatives à la privation de liberté au regard du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine, il a rappelé qu’il appartient « dès lors aux autorités judiciaires et aux autorités de police judiciaire compétentes de veiller à ce que la garde à vue soit, en toutes circonstances, mise en œuvre dans le respect de la dignité de la personne » (paragr. 13).

 

Par une incise, le Conseil a également souligné que ces autorités doivent, à ce titre, « s’assurer que les locaux dans lesquels les personnes sont gardées à vue sont effectivement aménagés et entretenus dans des conditions qui garantissent le respect de ce principe », renouvelant ainsi le constat opéré dans la décision n° 2010-80 QPC précitée (même paragr.).

 

Puis, en puisant là encore dans sa formule de principe, le Conseil a rappelé qu’ » Il appartient, en outre, aux autorités judiciaires compétentes, dans le cadre des pouvoirs qui leur sont reconnus par le code de procédure pénale et, le cas échéant, sur le fondement des infractions pénales prévues à cette fin, de prévenir et de réprimer les agissements portant atteinte à la dignité de la personne gardée à vue et d’ordonner la réparation des préjudices subis » (paragr. 14).

 

* C’est à l’aune de ces différentes exigences que le Conseil constitutionnel a examiné les dispositions contestées.

 

Le Conseil a commencé par préciser que, selon les termes de l’article 62–2 du CPP, « la garde à vue est une mesure de contrainte par laquelle une personne soupçonnée d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement est maintenue à la disposition des enquêteurs » (paragr. 15).

 

Il a ensuite relevé, en premier lieu, que les dispositions contestées de l’article 63-5, loin d’ignorer les exigences constitutionnelles précitées, ont pour objet même d’assurer leur mise en œuvre, en imposant que la dignité de la personne gardée à vue soit protégée en toutes circonstances (paragr. 17).

 

En second lieu, le Conseil a souligné que le législateur avait entouré la mise en œuvre de la garde à vue de certaines garanties propres à assurer le respect de ces exigences (paragr. 18).

 

À ce titre, il a constaté, d’une part, que seules les mesures de sécurité strictement nécessaires peuvent être imposées à la personne gardée à vue, qui bénéficie par ailleurs du droit d’être examinée par un médecin se prononçant sur l’aptitude au maintien en garde à vue. En outre, la durée des repos séparant ses auditions et les heures auxquelles elle a pu s’alimenter figurent dans le procès-verbal dressé, en application de l’article 64 du CPP, par l’OPJ (paragr. 19).

 

Il a relevé, d’autre part, que la mesure de garde à vue est décidée par un OPJ, sous le contrôle de l’autorité judiciaire, et qu’elle s’exécute sous le contrôle du procureur de la République ou du juge d’instruction. Lorsque le magistrat se prononce sur l’éventuelle prolongation de la garde à vue, la personne gardée à vue peut présenter des observations tendant à ce qu’il y soit mis fin. Enfin, conformément à l’article 41 du CPP, le procureur de la République doit contrôler les locaux de garde à vue à chaque fois qu’il l’estime nécessaire et au moins une fois par an (paragr. 20).

 

Le Conseil a en outre relevé qu’en application de l’article 62-3 du CPP, le magistrat compétent doit assurer la sauvegarde des droits reconnus par la loi à la personne gardée à vue et peut notamment, pour ce faire, ordonner, à tout moment, que celle-ci soit présentée devant lui ou remise en liberté (paragr. 21).

 

Ces différentes garanties légales témoignent de ce que l’autorité judiciaire est dotée des moyens juridiques lui permettant de tirer les conséquences d’un constat de conditions indignes de garde à vue.

 

Afin d’en assurer la pleine effectivité, le Conseil a toutefois jugé, par une réserve d’interprétation, que, pour répondre aux exigences constitutionnelles précitées, en cas d’atteinte à la dignité de la personne humaine résultant de ses conditions de garde à vue, ces dispositions doivent s’interpréter « comme imposant au magistrat compétent de prendre immédiatement toute mesure permettant de mettre fin à cette atteinte ou, si aucune mesure ne le permet, d’ordonner sa remise en liberté. À défaut, la personne gardée à vue dans des conditions indignes peut engager la responsabilité de l’État afin d’obtenir réparation du préjudice en résultant » (paragr. 22).

 

Sous cette réserve, le Conseil constitutionnel a écarté le grief tiré de la méconnaissance du principe de sauvegarde de la dignité de la personne humaine (paragr. 23).

 

Les dispositions contestées n’étant pas non plus entachées d’incompétence négative et ne méconnaissant pas le droit à un recours juridictionnel effectif, ni aucun autre droit ou liberté que la Constitution garantit, il les a déclarées, sous cette réserve, conformes à la Constitution (paragr. 24).

_______________________________________

1 Jacques Leroy, « Garde à vue », Jurisclasseur Procédure pénale, fasc. 30, § 25.

2 Auparavant, il était seulement prévu par l’article 307 du décret du 20 mai 1903 portant règlement sur l’organisation et le service de la gendarmerie que les gendarmes disposaient de vingt-quatre heures pour conduire devant le procureur de la République les personnes arrêtées en délit flagrant, précisant qu’elles pouvaient être retenues, dans l’attente, dans la chambre de sûreté de la caserne de gendarmerie.

3 Loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale.

4 À savoir le droit de faire avertir un proche, le droit à un examen médical et le droit de s’entretenir avec un avocat.

5 Loi n° 93-1013 du 24 août 1993 modifiant la loi n° 93-2 du 4 janvier 1993 portant réforme de la procédure pénale ; loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes ; loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice ; loi n° 2004–204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité ; loi n° 2006-64 du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers ; loi n° 2011-392 du 14 avril 2011 relative à la garde à vue ; loi n° 2014-535 du 27 mai 2014 portant transposition de la directive 2012/13/UE du Parlement européen et du Conseil, du 22 mai 2012, relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales ; loi n° 2016-731 du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale.

6 Sur les exigences de l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales imposant le droit de garder le silence et l’assistance d’un avocat, dès le début de la mesure et pendant les interrogatoires, voir notamment : CEDH, 27 novembre 2008, Salduz c/ Turquie, n° 36391/02 ; CEDH, 16 juin 2009, Karabil c/ Turquie, n° 5256/02 ; CEDH, 2 mars 2010, Adamkiewicz c/ Pologne, n° 54729/00 et CEDH, 13 octobre 2009, Dayanan c/ Turquie, n° 7377/03 ; concernant la France : CEDH, 27 août 1992, Tomasi c/ France, n° 12850/87 et CEDH, 14 octobre 2010, Brusco c/ France, n° 1466/07.

7 Voir infra l’exposé de la jurisprudence du Conseil constitutionnel en la matière.

8 Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres (garde à vue).

9 La personne à l’égard de laquelle il existe des raisons plausibles de soupçonner qu’elle a commis ou tenté de commettre une infraction n’est cependant pas nécessairement placée en garde à vue. Elle peut également, sous certaines conditions, être entendue sous le régime de l’audition libre (article 61-1 du CPP).

10 Chapitre Ier (« Des crimes et des délits flagrants ») du titre II (« Des enquêtes et des contrôles d’identité ») du livre Ier (« De la conduite de la politique pénale, de l’exercice de l’action publique et de l’instruction ») du CPP.

11 Cette qualification peut être modifiée par le procureur, donnant alors lieu à une nouvelle notification à la personne gardée à vue.

12 Cass. crim., 12 avril 2005, n° 04-86.780.

13 L’article 63-1 du CPP (auquel renvoient les articles 77 et 154 du CPP pour, respectivement, l’enquête préliminaire et l’instruction) prévoit que l’OPJ doit en outre immédiatement informer la personne placée en garde à vue de ses droits et, en particulier, de son droit de faire prévenir un proche et son employeur, de son droit d’être examinée par un médecin, de son droit d’être assistée par un avocat et de son droit de présenter des observations au procureur de la République ou, le cas échéant, au juge des libertés et de la détention.

14 Le paragraphe III du même article 63 prévoit en outre les règles de fixation du point de départ de la garde à vue, afin de prendre en compte les cas où la personne a été préalablement appréhendée ou a fait l’objet de toute autre mesure de contrainte pour les mêmes faits (heure fixée à celle à partir de laquelle la personne a été privée de liberté) ou a été placée en garde à vue dans le prolongement immédiat d’une audition (heure du début de l’audition).

15 Cette prolongation n’est possible que si l’infraction que la personne est soupçonnée d’avoir commise est constitutive soit d’un crime, soit d’un délit puni d’une peine d’emprisonnement d’au moins un an, et qu’elle est « l’unique moyen de parvenir à l’un au moins des objectifs mentionnés aux 1° à 6° de l’article 62-2 », comme la décision de placement, ou de permettre la présentation de la personne devant l’autorité judiciaire, si la juridiction ne comporte pas de locaux spécialement aménagés pour permettre la rétention de nuit des personnes qui ne peuvent comparaître le jour même devant un magistrat.

16 Cass. crim., 25 juin 2013, n° 13-81.977.

17 Ces dispositions prévoient en outre que la personne gardée à vue doit être présentée au magistrat compétent pour statuer sur la prolongation (sauf exception, pour les nécessités de l’enquête, s’agissant de la seconde prolongation). Avant la première prolongation, la personne gardée à vue est examinée par un médecin désigné par le procureur, le juge d’instruction ou l’officier de police judiciaire, qui se prononce sur l’aptitude au maintien en garde à vue. La personne gardée à vue bénéficie du droit de demander un nouvel examen médical, qui lui est notifié par l’officier de police judiciaire. Exceptionnellement, si la durée prévisible des investigations restant à réaliser à l’issue des quarante-huit heures le justifie, le juge des libertés et de la détention ou le juge d’instruction peuvent décider d’une seconde prolongation de quarante-huit heures, selon les mêmes modalités que la première. Est enfin prévue et encadrée une possibilité, exceptionnelle, de différer l’intervention de l’avocat, en raison de considérations impérieuses limitativement énumérées.

18 Ces dispositions prévoient en outre que ce contrôle s’exerce « sans préjudice des prérogatives du juge des libertés et de la détention prévues aux articles 63-4-2 et 706-88 à 706-88-2 en matière de prolongation de la mesure au-delà de la quarante-huitième heure et de report de l’intervention de l’avocat ».

19 Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 précitée, cons. 26 : « il [appartient au procureur] d’apprécier si le maintien de la personne en garde à vue et, le cas échéant, la prolongation de cette mesure sont nécessaires à l’enquête et proportionnés à la gravité des faits que la personne est suspectée d’avoir commis ».

20 En vertu du quatrième alinéa du paragraphe III de cet article, « Les mesures de contraintes dont la personne suspectée ou poursuivie peut faire l’objet sont prises sur décision ou sous le contrôle effectif de l’autorité judiciaire ».

21 Article figurant au sein d’une section consacrée aux attributions du procureur de la République, selon lequel » Le procureur de la République contrôle les mesures de garde à vue ».

22 Rapport n° 3040 de M. Philippe Gosselin, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale sur le projet de loi n° 2855 relatif à la garde à vue, 15 décembre 2010, p. 150.

23 Le port des menottes fait l’objet d’un encadrement spécifique (article 803 du CPP).

24 La circulaire du 27 janvier 1993 relative à la présentation de l’ensemble des dispositions de la loi du 4 janvier 1993 indiquait que : « Les procureurs de la République, dans le cadre des pouvoirs de direction de la police judiciaire qu’ils tiennent des articles 12 et 41 du code de procédure pénale, ont d’ores et déjà le pouvoir de contrôler le déroulement des gardes à vue en se déplaçant sur les lieux d’exécution de ces mesures. Pour autant, le principe de ce contrôle n’était pas posé dans la loi ».

25 Si la loi du 15 juin 2000 avait entendu renforcer l’effectivité du contrôle du procureur de la République sur les mesures de garde à vue en prescrivant qu’il visite les locaux dans lesquels elles sont exécutées « au moins une fois par trimestre », les difficultés à respecter cette périodicité, au regard de la charge de travail des parquets, ont conduit le législateur à abaisser cette périodicité minimale à « au moins une fois par an » (article 1er de la loi n° 2002–307 du 4 mars 2002).

26 L’article D. 15-2-1 du CPP prévoit la possibilité de regrouper l’ensemble des diverses informations requises par la loi (rapport annuel de politique pénale sur l’application de la loi et des instructions générales ainsi que le rapport annuel sur l’activité et la gestion de son parquet) en un rapport unique auquel sont annexés ou intégrés le rapport prévu par le troisième alinéa de l’article 41 du même code concernant les mesures de garde à vue et les locaux de garde à vue ainsi que le rapport sur l’état et les délais de l’exécution des peines prévu par l’article 709-2.

27 Disposition ajoutée par l’article 13 de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale.

28 Circulaire du 4 décembre 2000 de présentation des dispositions de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes concernant la garde à vue et l’enquête de police judiciaire, n° CRIM-00-13/F1.

29 Désormais codifié à l’article 719 du CPP, ce droit a été introduit par l’article 129 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.

30 Article 95 de la loi n° 2009–1436 du 24 novembre 2009 pénitentiaire.

31 Article 18 de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire.

32 Le Conseil d’État a ainsi pu juger que « Ces dispositions ont pour objet (…) de permettre aux élus de la Nation de vérifier que les conditions de détention répondent à l’exigence du respect de la dignité de la personne ; qu’il ne ressort ni de leur libellé, ni d’ailleurs des débats qui ont précédé leur adoption qu’elles conféreraient également aux parlementaires le droit d’exercer dans un établissement pénitentiaire une mission "de représentant du corps électoral" ». Il a également jugé que « si aucune disposition législative ou réglementaire ne prohibe l’organisation dans l’enceinte des établissements pénitentiaires de débats associant au besoin des parlementaires, aucun texte non plus qu’aucun principe général n’ouvre droit à l’organisation de tels débats » (CE, réf., 27 mai 2005, n° 280866).

33 Article 1er de la loi n° 2007-1545 du 30 octobre 2007 instituant un Contrôleur général des lieux de privation de liberté. La création d’un mécanisme de contrôle des lieux de privation de liberté s’imposait au législateur, en application de l’article 20 du protocole facultatif se rapportant à la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants du 18 décembre 2002. Elle répondait également à des préoccupations grandissantes au sein de la société, alors qu’en 2000, la création d’un contrôleur général des prisons était préconisée par la commission présidée par M. Guy Canivet relative à l’amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires (« Amélioration du contrôle extérieur des établissements pénitentiaires : rapport au garde des Sceaux, ministre de la justice », remis le 1er janvier 2000), et que la commission d’enquête sur la situation des prisons française de l’Assemblée nationale se déclarait favorable à l’instauration d’une Délégation générale à la liberté individuelle, chargée de contrôler tous les lieux d’enfermement (rapport n° 2521 de M. Jacques Floch, enregistré le 28 juin 2000, fait au nom de la commission d’enquête sur la situation dans les prisons françaises, présidée par M. Louis Mermaz, Tome 1, III, 3 : « Instaurer un contrôle extérieur efficace »).

34 Dans sa version issue de la loi du 4 janvier 1993, l’article 171 du CPP ne subordonnait pas la nullité de la garde à vue à une condition de grief, ce que la loi du 24 août 1993 est venue préciser.

35 Cass. Crim., 18 mai 2004, n° 03-84.174 : « Attendu que de mauvais traitements infligés au cours de la garde à vue, s’ils peuvent engager la responsabilité pénale de leurs auteurs, n’entraînent pas la nullité de la procédure dès lors qu’il n’est pas justifié de la violation d’une disposition de procédure pénale » ; Cass. crim., 22 juin 2010, n° 09–86.658 : « une éventuelle violation des dispositions de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, de l’article 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article préliminaire du code de procédure pénale, si elle est susceptible d’engager la responsabilité de la puissance publique en raison du mauvais fonctionnement du service public, ne saurait constituer une cause de nullité de procédure ». Il peut néanmoins être relevé que, dans un arrêt – inédit – rendu en 2008, la chambre criminelle a cassé pour insuffisance de motivation une décision ayant rejeté la requête en nullité d’une personne qui dénonçait les conditions de la garde à vue dont elle avait fait l’objet, faute notamment pour la juridiction du fond de s’être interrogée « sur l’adaptation des conditions de la garde à vue à la situation de l’intéressé », qui était paralysé des bras et des jambes (Cass. crim., 7 mai 2008, n° 08-81.419).

36 Cass. civ. 1re, 7 juin 2006, n° 04-17.884.

37 Pour un exemple récent, faisant suite au suicide d’une personne en garde à vue, Cass. civ. 1re, 18 janvier 2023, n° 21-20.029.

38 Antérieurement, et à la suite de la publication du rapport annuel du CGLPL en septembre 2021, l’association des avocats pénalistes, rejointe par plusieurs associations d’avocats, avait demandé au juge des référés du Conseil d’État d’ordonner toutes mesures utiles afin de garantir le respect de la dignité, de la vie privée et des droits de la défense des personnes placées en garde à vue et d’enjoindre aux ministres de l’intérieur et de la justice de suivre les recommandations du CGLPL concernant la propreté des locaux et la mise à disposition d’articles d’hygiène et de protection contre le covid-19. Dans sa décision du 22 novembre 2021, n° 456924, le juge des référés avait estimé que les difficultés relevées concernant la propreté des locaux et le matériel de couchage étaient suffisamment établies sur l’ensemble du territoire pour justifier la prescription de mesures d’ordre général. Toutefois, s’il avait ordonné la mise à disposition de kits d’hygiène, de gel hydro-alcooliques et de masques de protection aux personnes placée en garde à vue, il avait également jugé qu’» il n’apparaît pas que des mesures véritablement susceptibles de produire leurs effets dans un délai compatible avec l’office du juge du référé-liberté puissent être ordonnées pour pallier des dysfonctionnements de caractère structurel, qui perdurent, sans que les dispositions que le ministre de l’intérieur a démontré avoir prises aient permis de les résoudre entièrement, depuis plusieurs années consécutives ».

39 Décisions n° 2020–858/859 QPC du 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre (Conditions d’incarcération des détenus), et n° 2021–898 QPC du 16 avril 2021, Section française de l’observatoire international des prisons (Conditions d’incarcération des détenus II).

40 Voir, par exemple, décision n° 2023-1062 QPC du 28 septembre 2023, M. François F. (Purge des nullités en matière correctionnelle), paragr. 1.

41 En ce sens, voir récemment la décision n° 2023-1060 QPC du 14 septembre 2023, Mme Hélène C. (Sanction de la méconnaissance de l’obligation d’enregistrement des transactions mettant fin à une instance relative à une autorisation d’urbanisme), paragr. 6.

42 Décision n° 67-31 DC du 26 janvier 1967, Loi organique modifiant et complétant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature, cons. 4.

43 Voir par exemple les décisions n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés, cons. 57 ; n° 2011-639 DC du 29 juillet 2011, Loi tendant à améliorer le fonctionnement des maisons départementales des personnes handicapées et portant diverses dispositions relatives à la politique du handicap, cons. 10.

44 Voir par exemple les décisions n° 2000-435 DC du 7 décembre 2000, Loi d’orientation pour l’outre-mer, cons. 53 ; n° 2001-455 DC du 12 janvier 2002, Loi de modernisation sociale, cons. 25 à 29 ; n° 2003-467 DC du 13 mars 2003, Loi pour la sécurité intérieure, cons. 14 ; n° 2004-503 DC du 12 août 2004, Loi relative aux libertés et responsabilités locales, cons. 36.

45 Voir par exemple la décision n° 86-217 DC du 18 septembre 1986, Loi relative à la liberté de communication, cons. 35 à 37.

46 Pour un exemple tenant à la compétence que le législateur tient de l’article 7 de la Charte de l’environnement pour prévoir les modalités de participation du public à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement, voir la décision n° 2020-843 QPC du 28 mai 2020, Force 5 (Autorisation d’exploiter une installation de production d’électricité), paragr. 9.

47 Décision n° 2012-254 QPC du 18 juin 2012, Fédération de l’énergie et des mines – Force ouvrière FNEM FO (Régimes spéciaux de sécurité sociale), cons. 3.

48 Décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014, M. Angelo R. (Organisation et régime intérieur des établissements pénitentiaires) cons. 4 et 7 ; décision n° 2015-485 QPC du 25 septembre 2015, M. Johny M. (Acte d’engagement des personnes détenues participant aux activités professionnelles dans les établissements pénitentiaires), cons. 7.

49 En contrôlant que le législateur a exercé sa compétence dans toute son étendue, le Conseil constitutionnel peut être amené à contrôler des « omissions » ou des « lacunes » de la loi, sans qu’un tel contrôle puisse être confondu avec un recours en carence du législateur, qui le conduirait à procéder à un contrôle général de l’inaction du législateur. Le Conseil a explicité cette limite au contrôle de l’incompétence négative qu’il opère aussi bien en contrôle a priori (décision n° 2018-777 DC du 28 décembre 2018, Loi de finances pour 2019, paragr. 73) qu’en contrôle a posteriori (décision n° 2020-889 QPC du 12 mars 2021, M. Marc A. et autres [Technique de l’encerclement dans le cadre du maintien de l’ordre]).

50 Décision n° 94-343/344 DC du 27 juillet 1994, Loi relative au respect du corps humain et loi relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, à l’assistance médicale à la procréation et au diagnostic prénatal, cons. 2.

51 Voir, par exemple, les décisions n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010, M. Daniel W. et autres (Garde à vue), et n° 2017-632 QPC du 2 juin 2017, Union nationale des associations de familles de traumatisés crâniens et de cérébro-lésés (Procédure collégiale préalable à la décision de limitation ou d’arrêt des traitements d’une personne hors d’état d’exprimer sa volonté).

52 Ainsi qu’il le rappelle lui-même, « il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement, de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances et des techniques, les dispositions ainsi prises par le législateur » (décision n° 2001-446 DC du 27 juin 2001, Loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception, cons. 4).

53 Décision n° 2009-593 DC du 19 novembre 2009, Loi pénitentiaire, cons. 3.

54 Décision n° 2014-393 QPC du 25 avril 2014, M. Angelo R. (Organisation et régime intérieur des établissements pénitentiaires), cons. 7 et 8.

55 Ibid., cons. 7.

56 Décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010, M. Jean-Victor C., (fichier empreintes génétiques), cons. 7.

57 Décision n° 2010-14/22 QPC du 30 juillet 2010 précitée, cons. 20.

58 Décision n° 2010-71 QPC du 26 novembre 2010, Mlle Danielle S. (Hospitalisation sans consentement), cons. 29.

59 Dans cette décision n° 2010-80 QPC du 17 décembre 2010, M. Michel F. (Mise à disposition de la justice), le Conseil a notamment précisé « qu’il appartient, ainsi, à ces autorités de veiller à ce que les locaux des juridictions dans lesquels ces personnes sont retenues soient aménagés et entretenus dans des conditions qui assurent le respect de ce principe » (cons. 9).

60 Décision n° 2020–858/859 QPC du 2 octobre 2020, M. Geoffrey F. et autre (Conditions d’incarcération des détenus).

61 Décision n° 2020-858/859 QPC du 2 octobre 2020 précitée, paragr. 14.

62 Décision n° 2021–898 QPC du 16 avril 2021, Section française de l’observatoire international des prisons (Conditions d’incarcération des détenus II).

63 Ibid., paragr. 13.